La cour administrative d’appel (CAA) de Marseille a jugé que l’arrêté préfectoral du 16 mai 2018 autorisant de l’exploitation de la bioraffinerie de La Mède en vue de permettre la production de biodiesel « HVO », complété par un second arrêté du 2 mai 2022 régularisant l’autorisation initiale d’exploiter, est légal. Elle a estimé que l’étude d’impact sur laquelle repose cette autorisation ne devait pas prendre en compte l’ensemble des effets indirects du projet, notamment l’impact de l’approvisionnement en huile de palme sur la déforestation en Indonésie et en Malaisie.
La cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 7 octobre 2024, une décision particulièrement attendue dans l’affaire opposant plusieurs associations environnementales, dont Greenpeace France et France nature environnement, à la société Total énergies raffinage France. Ce contentieux portait sur l’autorisation d’exploitation de la bioraffinerie de La Mède en vue de permettre la production de biodiesel « HVO », dont l’activité repose notamment sur l’utilisation d’huiles végétales, et en particulier d’huile de palme, ressource vivement critiquée pour son impact environnemental, notamment en raison de la déforestation qu’elle engendre.
La légalité de l’arrêté préfectoral du 16 mai 2018, autorisant l’exploitation de l’installation, a été contestée par plusieurs associations au motif que l’étude d’impact sur laquelle repose cette autorisation ne prenait pas en compte les effets indirects du projet, notamment l’impact de l’approvisionnement en huile de palme sur la déforestation en Indonésie et en Malaisie.
Il nous semble utile de rappeler que dans un premier jugement avant dire droit (pris sur le fondement des dispositions du 2° du I de l’article L. 181‑18 du code de l’environnement), du 1er avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté du 16 mai 2018 car il ne fixe pas de limitation quantitative annuelle plus stricte à l’utilisation d’huile de palme et de ses dérivés dans le fonctionnement de la bioraffinerie de La Mède. Le tribunal a enjoint au préfet des Bouches‑du‑Rhône de prendre un arrêté modificatif pour procéder à la fixation de cette limite. Afin de régulariser l’autorisation initiale, le préfet des Bouches‑du‑Rhône a donc pris un nouvel arrêté du 2 mai 2022 modifiant l’autorisation d’exploiter, en limitant le plan d’approvisionnement de l’établissement à 650 000 tonnes par an et en interdisant, à compter du 1er janvier 2023, tout approvisionnement en huile de palme et en résidus du raffinage de l’huile de palme.
Suite à la régularisation de l’autorisation, la juridiction a rejeté le recours des associations dans un second jugement en date du 13 juillet 2022.
La cour administrative d’appel de Marseille était saisie en appel par ces associations de la légalité de ces deux arrêtés des 16 mai 2018 et 2 mai 2022.
Au‑delà de la possibilité de régularisation d’une autorisation environnementale, l’arrêt présente un intérêt majeur concernant le contrôle opéré par le juge sur le contenu de l’étude d’impact.
1. Sur le contrôle du contenu de l’étude d’impact
Pour rappel et à titre liminaire, l’article L. 122‑1 du code de l’environnement exige une étude d’impact : « Les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine sont précédés d’une étude d’impact. […] ». Ainsi, lorsqu’un projet porte atteinte à l’environnement, ce dernier fait l’objet d’une évaluation environnementale, permettant de décrire et d’apprécier de manière appropriée les incidences notables directes et indirectes d’un projet.
Le contenu de l’étude impact (introduite par le décret no 77‑1141 du 12 octobre 1977), est désormais défini et encadré par les dispositions de l’article R. 512‑8 du code de l’environnement. Cet article exige deux parties dans la construction de cette étude, une première relative à l’analyse de l’état initial d’un site et de son environnement, et une seconde partie portant sur l’analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l’environnement.
Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil d’État a, à plusieurs reprises, rappelé que le contenu doit être en relation avec l’importance du projet. C’est d’ailleurs rappelé par la cour :
« Les effets sur l’environnement d’un projet d’installation classée devant, conformément à l’article R. 512-8 du code de l’environnement alors applicable, faire l’objet d’une analyse spécifique dans l’étude d’impact, doivent être déterminés au regard de la nature de l’installation projetée, de son emplacement et de ses incidences prévisibles sur l’environnement » (point 16).
Il ressort également de la jurisprudence qu’il est nécessaire de prendre en compte les incidences prévisibles du projet sur l’environnement, en particulier au regard des intérêts mentionnés aux articles L. 211‑1 et L. 511‑1 du code de l’environnement.
Il en résulte nécessairement une analyse concrète de chaque étude d’impact en particulier l’analyse des effets indirects sur l’environnement.
L’arrêt du Conseil d’État relatif à la centrale biomasse du 27 mars 2023 dans l’affaire dite de Gardanne, constitue une avancée importante en matière de contrôle des études d’impact environnementales notamment sur la prise en compte des effets indirects du projet sur l’environnement, y compris à l’étranger1.
Les associations requérantes soutenaient que l’étude d’impact, bien qu’elle présente une estimation de la part prévisionnelle des principaux combustibles dans l’approvisionnement de la centrale, est insuffisante car elle n’analyse pas les effets, pour les massifs forestiers, de la mise en œuvre de ce plan d’approvisionnement. Le Conseil d’État précise que
« l’appréciation de ces effets suppose que soient analysées dans l’étude d’impact non seulement les incidences directes sur l’environnement de l’ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d’être provoquées par son utilisation et son exploitation » (point n°5).
Autrement dit, les principaux impacts sur l’environnement de la centrale par son approvisionnement doivent être nécessairement analysés dans l’étude d’impact. Par suite, en jugeant que l’étude d’impact n’avait pas à analyser les effets sur l’environnement du plan d’approvisionnement en bois de la centrale, la CAA de Marseille avait entaché son arrêt d’une erreur de droit.
Dans cette affaire, la haute juridiction avait jugé que l’étude d’impact d’un projet ne pouvait se limiter aux effets directs de l’installation projetée, mais devait impérativement intégrer les effets indirects liés à son exploitation, en particulier ceux concernant l’approvisionnement en matières premières, même si ceux‑ci relevaient d’une législation distincte. Elle avait déjugé la cour administrative d’appel de Marseille sur ce point, cette dernière n’avait pas jugé l’étude d’impact insuffisante contrairement au tribunal administratif de Marseille (CAA Marseille, 24 décembre 2020, no 17MA03489, l’étude d’impact devait porter sur les seules opérations d’exploitation de biomasse et non sur les opérations forestières régies par une législation autonome).
Le rapporteur public Stéphane Hoynck avait, en outre, souligné dans cette affaire, que l’existence d’un élément d’extranéité ne fait pas obstacle à l’analyse des effets indirects portés à l’environnement y compris en dehors du territoire national2 , en se fondant sur l’objectif à valeur constitutionnelle visant à la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains3.
Il en va notamment ainsi lorsqu’il s’agit d’un projet d’une assez grande vigueur.
Cette analyse est confortée par le droit de l’Union européenne découlant de la directive Projets ayant une approche globale dépassant l’approche par législation autonome, ce qui revient indirectement à écarter le principe d’indépendance des législations, consacré en droit public.
C’est en tenant compte de ce qui précède qu’il convient d’analyser la portée de cet arrêt.
La décision de la cour administrative d’appel de Marseille pourrait être analysée comme une évolution dans la jurisprudence en matière d’évaluation environnementale, en prenant le contre‑pied de la décision rendue par le Conseil d’État dans l’affaire Gardanne le 27 mars 20234, laquelle imposait une prise en compte approfondie des effets indirects.
Nous ne le pensons pas pour les raisons exposées ci‑après.
En l’espèce, il était reproché au projet de centrale biomasse de Gardanne de ne pas avoir suffisamment pris en compte les conséquences de l’exploitation forestière destinée à alimenter l’installation, et notamment l’impact de cette activité sur la déforestation et la biodiversité locale. Les associations requérantes avaient souligné le manque de traçabilité des huiles utilisées et l’impact sur le changement climatique.
La cour a, au contraire, repris l’analyse du Conseil d’État dans la décision précitée.
Il suffit pour s’en convaincre de se référer à la motivation de l’arrêt :
« L’appréciation de ces effets suppose que soient analysées dans l’étude d’impact non seulement les incidences directes sur l’environnement de l’ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d’être provoquées par son utilisation et son exploitation. Sont dès lors sans incidence les circonstances que l’exploitation permettant la production d’huiles végétales d’une part et la production de biocarburants d’autre part auraient leur finalité propre et répondraient à des objectifs différents, qu’elles relèveraient de législations et de procédures distinctes et ne participeraient pas à la réalisation d’un même programme au sens du II de l’article L. 122‑1 du code de l’environnement ».
La cour prend donc en compte les effets indirects, mais elle estime qu’elle n’a à pas prendre en compte l’ensemble des effets indirects liés à l’approvisionnement en huiles végétales dans les pays de provenance situés,
« en l’espèce, principalement en Indonésie et en Malaisie où est produite l’huile de palme entrant majoritairement dans l’approvisionnement de l’installation ».
En clair, elle estime que l’analyse des conséquences écologiques de la culture du palmier à huile en Indonésie ou en Malaisie ne relève pas de l’étude d’impact de la raffinerie implantée en France. La cour conclut que l’étude d’impact ne peut ainsi être regardée comme insuffisante en ce qu’elle ne comporte pas d’analyse des incidences sur l’environnement de la production, principalement à l’étranger et en particulier en Asie, de l’huile de palme nécessaire en quantités substantielles à l’approvisionnement de la bioraffinerie.
Autrement dit, le juge considère que les incidences environnementales des matières premières importées n’ont pas à être intégrées dans l’étude d’impact, précisant cependant que les quantités utilisées, leur provenance, les modalités de production locale et leur certification environnementale doivent être mentionnées.
Cette décision rappelle également l’office du juge administratif, s’agissant de la possibilité de régulariser l’autorisation initiale irrégulière.
2. Sur la possibilité de régulariser une autorisation environnementale
Ainsi que cela a été rappelé par la cour,
« les dispositions du 2° du I de l’article L. 181‑18 du code de l’environnement permettent au juge, lorsqu’il constate un vice qui entache la légalité de la décision mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant-dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant-dire droit, les modalités de cette régularisation. Ces dispositions peuvent trouver à s’appliquer, que le vice constaté entache d’illégalité l’ensemble de l’autorisation environnementale, y compris s’agissant d’un vice d’incompétence, ou seulement une partie divisible de celle-ci ».
Pour mémoire, le Conseil d’État avait distingué deux types de vices de procédure5 transposant la jurisprudence Danthony aux études d’impact environnementales. Il avait d’une part, jugé que les vices de procédures substantiels qui ne peuvent être neutralisés entraînant l’illégalité de la décision administrative intervenue à leur suite et, d’autre part, que les vices de procédure non substantiels qui peuvent être neutralisés ne remettent pas en cause la légalité de l’acte contesté. Dans cette affaire, il s’agissait d’un vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact.
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence dite Ocreal.
Pour rappel, il ressort de cette décision que les inexactitudes, omissions ou insuffisances de l’étude d’impact sont susceptibles de vicier la procédure et, partant, d’entraîner l’illégalité de la décision d’autorisation, si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. En validant l’autorisation d’exploitation malgré les lacunes relevées par les associations, la cour administrative d’appel confirme que les insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles d’entraîner l’illégalité d’une décision administrative que si elles ont nui à l’information du public ou influencé la décision de l’autorité administrative.
Dans l’affaire La Mède, les associations requérantes invoquaient plusieurs lacunes dans l’étude d’impact initiale, notamment l’absence d’analyse des effets sur la déforestation à l’étranger, une sous-estimation des émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation d’huile de palme, ainsi qu’une surestimation de l’efficacité des mécanismes de certification environnementale. Elles ont également soutenu que l’étude d’impact actualisée est insuffisante s’agissant de l’analyse des effets sur le climat, liés à l’utilisation d’huiles en remplacement de l’huile de palme à partir du 1er février 2023.
La cour administrative d’appel rejette ces arguments, considérant que les lacunes relevées ne sauraient vicier la procédure dès lors qu’elles n’ont pas privé le public d’une information complète ni influencé la décision prise par le préfet.
La cour a, en effet, indiqué :
« Si ces informations ne donnent pas de précision sur la localisation de la production des matières premières utilisées par la bioraffinerie de la Mède dans le pays de provenance, cette circonstance n’a pas nui à l’information complète de la population ni n’a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative alors que, par ailleurs, la part de ces huiles doit être réduite à un niveau aussi bas que possible, en vertu de l’article 1.4 de l’arrêté modificatif du 2 mai 2022 ».
Les juges ont donc estimé que les informations globales contenues dans l’étude d’impact étaient suffisantes, notamment en ce qui concerne la provenance des huiles utilisées et les certifications associées. Cette analyse conduit à considérer que l’insuffisance d’une étude d’impact ne constitue pas nécessairement un vice substantiel susceptible d’entraîner l’annulation de l’autorisation d’exploitation, confirmant ainsi la logique de l’arrêt Ocreal.
À titre de comparaison, la cour administrative d’appel de Versailles a reconnu la possibilité de régulariser la déclaration d’utilité publique du tramway T10 qui était entachée d’un vice de forme tenant à l’absence de mention expresse des mesures dites ERC6 par l’édiction d’un nouvel arrêté les intégrant7. Cette régularisation a pu être faite sans nouvelle étude d’impact, ni organisation d’une enquête publique complémentaire à titre de régularisation.
Pour conclure, ainsi que l’a souligné Paul Marcantoni,
« l’étude d’impact constitue l’une des principales mesures de mise en œuvre de deux grands principes du droit de l’environnement – de prévention et d’information – et joue à ce titre un rôle déterminant dans l’intégration des considérations environnementales dans les autres politiques »8.
L’importance de cette mesure explique l’enjeu majeur autour de ces contentieux. Rappelons que l’absence d’étude d’impact constitue un vice particulièrement grave, le juge des référés doit faire droit à une demande de suspension dès que cette absence est constatée, sur le fondement de l’article L. 122‑2 du code l’environnement.