De l’étendue de l’interdiction de licencier un salarié pendant son congé de maternité

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Décision de justice

CAA Marseille, 5e chambre – N° 23MA01193 – 22 juillet 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 23MA01193

Numéro Légifrance : CETATEXT000050045916

Date de la décision : 22 juillet 2024

Index

Mots-clés

salarié protégé, maternité, licenciement, protection

Rubriques

Travail

Résumé

CAA Marseille, 22 juillet 2024, Association Maison de la Famille des Bouches‑du‑Rhône, no 23MA01193

Il résulte des dispositions de l’article L. 1225‑4 du code du travail, interprétées à la lumière de l'article 10 de la directive 92/85 du 19 octobre 1992, qu'il est interdit à un employeur, non seulement de notifier un licenciement, quel qu'en soit le motif, pendant la période de suspension du contrat de travail liée au congé de maternité, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision. Ainsi, l'employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant cette période, notamment en envoyant la lettre de convocation à l'entretien préalable, un tel envoi constituant une mesure préparatoire au licenciement. La circonstance que l’envoi d’un tel courrier ne caractérise pas une intention définitive de licencier est à cet égard sans incidence. Par ailleurs, la prescription des poursuites, telle que fixée par l’article L. 1332‑4 du code de travail, se trouve nécessairement suspendue durant cette période du fait de la suspension du contrat de travail et de l’interdiction faite à l’employeur d’engager toute action préparatoire au licenciement.

Conclusions du rapporteur public (extraits)

Olivier Guillaumont

Rapporteur public

DOI : 10.35562/amarsada.536

Par courrier daté du 26 mai 2020, l’association Maison de la famille des Bouches-du-Rhône a sollicité auprès des services de l’inspection du travail l’autorisation de licencier Mme Z, assistante d’animation au sein d’une crèche gérée par l’association.

Mme Z avait la qualité de salariée protégée à plusieurs titres, en particulier, en raison d’un mandat de conseillère prud’homale.

Par une première décision du 24 juillet 2020, l’inspectrice du travail a refusé de l’autoriser à procéder à ce licenciement. Le ministre du travail, saisi le 24 septembre 2020 d’un recours hiérarchique contre cette décision, y a opposé un rejet implicite.

L’association a parallèlement renouvelé par deux fois sa demande auprès des services de l’inspection du travail, par courriers datés des 20 août et 21 septembre 2020. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé sur la première de ces demandes, tandis que l’inspectrice du travail a opposé un refus exprès à la seconde, par décision du 24 novembre 2020.

L’association Maison de la famille des Bouches-du-Rhône relève appel du jugement du 16 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes tendant à l’annulation de l’ensemble de ces décisions.

La régularité du jugement n’est pas contestée nous en venons directement à l’examen de son bien-fondé.

(…)

Le troisième moyen est beaucoup plus intéressant. Il porte sur la question de l’étendue de la protection d’une salariée en état de grossesse.

Mme Z était en congé de maternité entre le 2 décembre 2019 et le 31 mai 2020.

La question est de savoir si l’employeur pouvait lui adresser le 12 mai 2020 une convocation à un entretien préalable au licenciement, tenir un entretien préalable au licenciement le 19 mai 2020, réunir le comité social et économique le 22 mai 2020 et demander l’autorisation de la licencier le 26 mai 2020.

Il est précisé à l’article L. 1225-4 du code du travail :

« Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, […]. Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, […]. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa ».

L’article L. 1225-24 du même code précise que le congé de maternité entraîne la suspension du contrat de travail.

Nous n’avons pas trouvé de jurisprudence administrative sur l’étendue de l’interprétation de ces dispositions s’agissant des actes préparatoires à un licenciement.

Nous observons que ces dispositions résultent de la transposition en droit français de directives.

Les directives no 92/85 et no 76/207 imposent non seulement l’interdiction de licencier une femme durant sa grossesse et son congé de maternité en raison de son état de santé mais également postérieurement à cette période1. Elles s’opposent également à la prise de toutes mesures préparatoires à ce licenciement illicite, tel le passage d’annonces d’emploi en vue de remplacer définitivement la salariée à son retour de son congé de maternité (CJCE, 11 oct. 2007, aff. C-460/06 : JCP S 2007, 1981, note J. Cavallini).

Dans le même esprit, les mesures préparatoires au licenciement prises pendant le congé de maternité ou le congé pathologique sont interdites par la Cour de cassation. Celle-ci juge notamment que l’employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant la période de protection, notamment en envoyant la lettre de convocation à l’entretien préalable, un tel envoi constituant une mesure préparatoire au licenciement, peu important que l’entretien ait lieu à l’issue de cette période (Cass. soc., 29 novembre 2023, no 22‑15.794, au bulletin). Elle juge par ailleurs que l’embauche d’un salarié pour pourvoir au remplacement définitif de l’intéressée est également interdit (Cass. soc., 1er février 2017, no 15-26.250, au sujet de l’embauche d’un salarié pour pourvoir au remplacement définitif de l’intéressée ; Cass. soc., 23 mai 2017, no 16-13.621, s’agissant simple annonce d’emploi qui ne caractérise pas un acte préparatoire ; Cass. soc., 15 sept. 2010, no 08-43.299, JCP S 2011, 1005 , note B. Bossu, à propos de l’engagement d’un salarié pendant le congé de maternité susceptible de caractériser le remplacement définitif de la salariée enceinte).

Il convient à notre sens de retenir la même approche extensive dans le cadre du contrôle des décisions prises en matière d’autorisation de licenciement de salariées protégées. L’article L. 1225-4 du code du travail, interprété à la lumière de l’article 10 de la directive 92/85 du 19 octobre 1992, interdit à un employeur, non seulement de notifier un licenciement, quel qu’en soit le motif, pendant la période de protection visée à ce texte, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision. Ainsi, l’employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant la période de protection, notamment en envoyant la lettre de convocation à l’entretien préalable, un tel envoi constituant une mesure préparatoire au licenciement. La circonstance qu’il ne caractérise pas une intention définitive de licencier est à cet égard sans incidence. Contrairement à ce que soutient l’association requérante, la prescription des poursuites, telle que fixée par l’article L. 1332-4 du code de travail, se trouve nécessairement suspendue durant cette période du fait de la suspension du contrat de travail.

Sur ce dernier point, vous savez que les textes et la jurisprudence distinguent d’une part, les cas dans lesquels la prescription est suspendue, c’est-à-dire que le délai déjà couru demeure et redémarre dès que la cause de suspension qui empêchait d’agir disparaît, et d’autre part, les cas d’interruption dans lesquels un nouveau de délai recommence à courir à la fin de l’interruption du délai initial. Il nous semble que le délai de prescription des poursuites disciplinaires est ici suspendu dès lors que l’évènement faisant obstacle aux poursuites est une « une cause extérieure à l’employeur ». Voyez à titre de comparaison l’abstract de la décision Conseil d’État du 28 septembre 2005, SA Carto-Rhin et Me Mulhaupt, no 269784 : « Le délai prévu, pour l’engagement de poursuites disciplinaires, par l’article L. 122-44 du code du travail, peut être soit interrompu, lorsque l’employeur a engagé des poursuites dans le délai de deux mois, soit suspendu si une cause extérieure à l’employeur fait obstacle aux poursuites. Il en va ainsi notamment dans le cas où, postérieurement à l’engagement par l’employeur dans le délai légal d’une action disciplinaire, le juge décide, à la demande du salarié, la résiliation judiciaire du contrat de travail. Toutefois, lorsque la résiliation judiciaire est elle-même annulée, le délai de prescription reprend son cours à compter de la notification à l’employeur de la décision juridictionnelle annulant le jugement ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat. Dès lors que cette information n’a pas été portée à sa connaissance par des moyens illicites, l’employeur peut se fonder, pour établir qu’un salarié tenu au respect d’une clause contractuelle de non-concurrence a manqué à son obligation de loyauté, sur la circonstance qu’il s’est rendu dans les locaux d’une entreprise concurrente afin de discuter avec le responsable de cette entreprise de l’éventualité de son recrutement »2.

Ainsi qu’indiqué précédemment, Mme Z était en congé de maternité entre le 2 décembre 2019 et le 31 mai 2020. Dès lors, il résulte de ce qui précède que l’association Maison de la famille des Bouches-du-Rhône ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l’article L. 1225-4 du code du travail, lui adresser, le 12 mai 2020, une convocation à un entretien préalable au licenciement, ni ne pouvait tenir cet entretien le 19 mai 2020, réunir le comité social et économique le 22 mai 2020 et demander l’autorisation de la licencier le 26 mai 2020.

Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la décision du 24 juillet 2020 et des décisions implicites nées du silence gardé sur ses demandes des 20 août et 24 septembre 2020.

Nous en venons à la question de la légalité de la décision du 24 novembre 2020.

Un moyen d’annulation nous semble fondé.

Vous savez que dans le cas où la demande de licenciement d’un salarié protégé est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi (il s’agit d’une jurisprudence constante : notamment CE, 8 décembre 2021, Compagnie française d’entretien et de maintenance (COFREM) et Société Aquanet services no 439631 ; CE, 1er avril 1992, Moreau et Syndicat général du livre et des industries connexes de la région parisienne CGT, no 112826 ; CE, 15 janvier 2010, Société grand sud route alimentaire, no 318699 ; CE 6 mars 2002, M. Mvondo, no 214656 ; CE, Ass., 5 mai 1976, Safer d’Auvergne et ministre de l’Agriculture c/ Bernette, no 98647 ; 98820).

Vous exercez un contrôle normal sur l’existence du motif (CE 17 juin 1991, Régie nationale des usines Renault, no 112317).

Les premiers juges ont considéré que la matérialité des faits reprochés à Mme Z n’était pas établie.

Nous ne partageons pas cette analyse.

Il ressort de la demande d’autorisation de licenciement établie par l’association Maison de la famille des Bouches-du-Rhône qu’elle a estimé que Mme Z lui avait indiqué être absente 1 522 heures au titre de son mandat de conseiller prud’homal entre les mois de janvier 2018 et juillet 2019, tandis que le conseil des prud’hommes avait validé seulement 124 heures de présence sur cette période, si bien que l’intéressée aurait été en absence injustifiée à hauteur de 1 398 heures.

Ainsi que l’a relevé l’inspectrice du travail, il est constant que l’association n’avait pas mis de système de décompte de durée de travail en place, que Mme Z était en mesure de justifier d’autres motifs d’absence, liés à ses autres mandats ou à ses congés divers, qu’aucun bon de délégation n’était utilisé et qu’une partie des écarts constatés s’explique par l’absence de dépôt en temps utile des relevés d’activité au conseil des prud’hommes.

Toutefois, alors que Mme Z informait son employeur jusqu’alors de ses absences au jour le jour et pour quelques jours par mois, il ressort des pièces du dossier qu’entre les mois de février et juin 2019, Mme Z a adressé des messages à la directrice de la crèche au sein de laquelle elle était affectée pour lui signaler, chaque mois, qu’elle serait absente l’intégralité du mois en raison de ses obligations au sein du conseil des prud’hommes.

Or, Mme Z n’a été présente audit conseil, selon les relevés d’activité qu’elle a elle-même finalement établis, que dix-huit jours au maximum durant toute cette période de cinq mois, ce qu’elle n’a jamais contesté au cours de la procédure.

Contrairement à ce que soutient Mme Z, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle aurait en réalité été présente à son poste de travail et qu’elle aurait effectué ces déclarations d’absence à la demande de la directrice de la crèche.

L’employeur produit d’ailleurs deux attestations de collègues de Mme Z, éducatrices de jeunes enfants, relatant de façon circonstanciée ne pas l’avoir vue à la crèche durant toute cette période.

Ces éléments ne sont pas démentis par la circonstance que les bulletins de salaire de Mme Z ne font pas apparaitre ces absences dès lors que l’intéressée avait indiqué qu’elles étaient en lien avec son mandat et que l’association n’établissait pas de fiches annexes au bulletin de salaire relatives aux activités de représentation.

Vous observerez que Mme Z a à nouveau transmis des déclarations précises s’agissant de ses absences à partir du mois de juillet 2019 soit après que son employeur a effectué ses premières démarches en vue d’obtenir le remboursement de ses salaires auprès du conseil des prud’hommes et lui a fait part de difficultés à cet égard.

Dès lors, il résulte de l’ensemble de ces éléments que Mme Z a abusivement et de façon répétée fait état de son mandat de conseillère prud’homale pour se soustraire, durant cinq mois, aux obligations de présence résultant de son contrat de travail et a ainsi manqué à son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur. En estimant que les faits reprochés n’étaient pas, dans cette mesure, établis, l’inspectrice du travail a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation.

Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens dirigés contre la décision du 24 novembre 2020, que l’association requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la décision de l’inspectrice du travail du 24 novembre 2000, refusant de l’autoriser à procéder au licenciement de Mme Z (pour un exemple de simple réexamen : CAA Versailles, 29 mars 2021, no 19VE02652)

De tels faits sont potentiellement de nature à justifier une autorisation de licenciement. Voyez en ce sens CE 29 janvier 2014, M. Crespin, no 357287 :

« qu’en jugeant que les déclarations d’heures fictives de vacation au conseil de prud’hommes reprochées à M. Crespin par la SARL Andréas Stihl devaient être regardées, eu égard notamment à leur caractère répété, comme un détournement par ce dernier de son mandat de conseiller prud’homme visant à lui permettre de se soustraire aux obligations de présence résultant de son contrat de travail ainsi qu’un manquement à son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur de nature à justifier son licenciement pour faute, la cour administrative d’appel de Paris n’a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique »

et très récemment CAA Marseille 31 mai 2024, M. S, no 22MA02322 (au sujet d’une déclaration de demi‑journées ou de journées entières et d’heures fictives, constitutive par un salarié d’un détournement de son mandat de conseiller prud’homme visant à lui permettre de se soustraire aux obligations de présence résultant de son contrat de travail).

Mais vous n’êtes saisis que de conclusions à fin de réexamen. Vous y ferez droit.

Par ces motifs, nous concluons :

  • La décision de l’inspectrice du travail du 24 novembre 2020, refusant d’autoriser l’association Maison de la famille des Bouches-du-Rhône à procéder au licenciement de Mme Z est annulée.

  • Il est enjoint à l’inspectrice du travail territorialement compétente de procéder au réexamen de la demande de l’association Maison de la famille des Bouches‑du‑Rhône reçue le 24 septembre 2020 dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir.

  • Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 mars 2023 est réformé en ce qu’il a de contraire aux points précédents.

  • Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Notes

1 B. Palli et M. Schmitt, « L’effectivité de la protection juridictionnelle de la femme enceinte en cas de licenciement » : Dr. soc. 2010, p. 334. Retour au texte

2 Voyez également s’agissant d’une interruption du délai pour cause de poursuites pénales : CE 30 avril 2004, Société Rapides Côte d’Azur, p. 187, à rapprocher de Cass. soc., 9 octobre 2001, no 99-41217, Bull. V, no 52.3, et à comparer avec CE, 31 janvier 1997, Société Comptoirs modernes Major-Unidis, T. p. 1108. Retour au texte

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