Le 13 janvier 2021, la société civile immobilière (SCI) A a déposé une demande de permis de construire en vue de la rénovation et l’agrandissement d’une villa et la création d’une piscine, sur la parcelle anciennement cadastrée section L no 419 et aujourd’hui cadastrée section L no 1756, sur le territoire de la commune de Bonifacio.
Après que le préfet de la Corse‑du‑Sud a émis, le 23 mars 2021, dans les conditions prévues à l’article L. 422‑6 du code de l’urbanisme, un avis défavorable à ce projet, le maire de Bonifacio a, par un arrêté du 26 mars 2021, refusé de faire droit à cette demande.
Par un jugement du 6 avril 2023, dont le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève régulièrement appel, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté en tant qu’il porte refus d’autoriser la surélévation et l’agrandissement de cette villa et, dans la même mesure, la décision portant rejet du recours gracieux présenté par la SCI A, avant de rejeter le surplus des conclusions de la requête.
Ni la recevabilité de cet appel, ni la régularité du jugement attaqué, qui n’est pas contestée, ne soulèvent de difficultés. Venons‑en donc au fond de l’affaire.
Le permis de construire sollicité a été refusé, nous l’avons dit, au visa de l’avis conforme défavorable du préfet au projet litigieux, au motif tiré de la méconnaissance de l’article L. 121‑8, qui dispose que, dans les communes littorales, « l’extension de l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et villages existants », l’extension de la construction existante prévue par ce projet, qui consiste en une surélévation de cette dernière, représentant plus de 79 % de l’existant.
Pour annuler l’arrêté de refus litigieux, le tribunal administratif de Bastia, après avoir rappelé ces dispositions, a cité le considérant de principe issu de la décision CE, 3 avril 2020, M. B, nos 419139, 419142, 419144, aux Tables par laquelle le Conseil d’État a jugé que si, en adoptant ces dispositions, « le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions ».
Le tribunal a donc considéré que la surélévation de la construction prévue par le projet consistait en un simple agrandissement de cette dernière, ne méconnaissant pas les dispositions de la loi littoral, telles que précisées par le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC).
Rappelons sur ce point que vous devez tenir compte des prescriptions du PADDUC qui, en application du I de l’article L. 4424‑11 du code général des collectivités territoriales (CGCT), précisent « les modalités d’application, adaptées aux particularités géographiques locales, du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l’urbanisme sur les zones littorales […] », dont fait partie l’article L. 121‑8, dès lors qu’elles sont suffisamment précises et compatibles avec ces mêmes dispositions.
En effet, ainsi que le précise la décision CE, section, 31 mars 2017, SARL C, no 392186, au Recueil et le rappelle la décision CE, 21 avril 2023, Mme D, commune de Ploemeur, no 456788, 456808, il appartient à l’autorité administrative de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral, compte tenu des dispositions du schéma de cohérence territoriale qui précisent les conditions de l’extension de l’urbanisation dès lors qu’elles sont suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives.
Et en application du I de l’article L. 4424‑11 des dispositions du CGCT précitées, le PADDUC remplit, sur ce point, le rôle du schéma de cohérence territoriale.
Or, en l’espèce, vous relèverez que le tribunal, s’il a cité les prescriptions du PADDUC relatives aux critères d’identification d’un village et d’une agglomération, a toutefois omis de citer celles qui sont précisément relatives à l’extension de l’urbanisation.
Par un récent arrêt 23MA00272 du 12 mars 2024, vous avez pourtant relevé que le PADDUC
« prévoit notamment que, dans les espaces urbanisés qui ne présentent pas les caractères d’un village ou d’une agglomération et qui ne peuvent donc pas être étendus, sont admis l’adaptation, le changement de destination, la réfection ou l’extension limitée des constructions existantes ».
Et vous avez jugé que
« ces prescriptions du PADDUC relatives aux caractéristiques des extensions de constructions existantes apportent des précisions qui sont compatibles avec les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme ».
Il convient donc de faire application de ces prescriptions dans notre espèce.
Il convient également – et surtout - de tenir compte d’un avis récent du Conseil d’État, qui apporte des précisions sur ce que recouvre la notion de « simple agrandissement d’une construction existante », lequel est autorisé par les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme, nous l’avons dit.
Cet avis CE, 30 avril 2024, Mme E, no 490405, au Recueil précise que le « simple agrandissement d’une construction existante » correspond à une « extension présentant un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée » et que « le caractère limité de l’agrandissement envisagé s’apprécie par comparaison avec l’état de la construction initiale, sans qu’il y ait lieu de tenir compte des éventuels agrandissements intervenus ultérieurement ».
Vous devrez donc, ce que n’a pas fait le tribunal, vous prononcer expressément sur le caractère limité ou non de l’extension envisagée par le projet litigieux.
Or l’avis conforme défavorable au projet se fondait expressément sur l’absence de caractère « mesuré » de ce dernier, en indiquant qu’un tel caractère correspondait à une extension de l’ordre de 30 % alors que l’extension envisagée est de 79 % de l’existant.
Là encore, il vous faudra tenir compte de ce que le Conseil d’État a récemment apporté des précisions sur la notion d’extension.
Par une décision CE, 9 novembre 2023, M. et Mme F, no 469300, aux T., le Conseil d’État a en effet précisé que la notion d’extension d’une construction existante, lorsqu’elle n’est pas précisée par le règlement d’un plan local d’urbanisme, « doit, en principe, s’entendre d’un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle‑ci ».
Cette décision s’inscrit dans la ligne de la décision CE, 20 mai 2019, ministre de la Cohésion des territoires c/ M. G, no 419921, aux T, qui avait déjà apporté des précisions sur la notion d’extension au sens des dispositions de l’article L. 111‑1‑2 du code de l’urbanisme, en mobilisant à la fois le critère de « l’implantation par rapport aux constructions existantes » et celui de « l’ampleur limitée en proportion de ces constructions », tout en indiquant ces dispositions n’imposaient pas que l’extension présente un « caractère mesuré ».
Dans ses conclusions sur cette dernière décision, le rapporteur public Charles Touboul indiquait que ces deux critères se dégageaient de la jurisprudence,
« le premier [l’implantation] se rapport[ant] à la situation, ce qui renvoie notamment à la question de la contiguïté ou de la complémentarité du bâtiment nouveau par rapport au bâtiment existant ; le second [l’ampleur limitée] à la proportion entre la construction existante et la construction projetée, où l’on voit des exigences variables, l’idée dominante étant que la seconde devrait être plus petite que la première, et représenter donc moins de 100% la surface de celle-ci, là où pour une extension mesurée la proportion des taux de l’ordre de 30 ou 50 % ont pu être parfois retenus »,
en citant sur ce dernier point les conclusions de M.-H. Mitjavile sur la décision CE, 16 mars 2005, M. H, no 253923, aux T. faisant état d’une « doctrine administrative » qui admettrait une augmentation maximale de 30 % pour qu’une extension soit qualifiée de « mesurée ».
Par cette décision Acquaviva, le CE a confirmé un arrêt de votre cour considérant « que la création de 50 m² de surface hors œuvre nette, de 462 m² de surface hors œuvre brute correspondant à la création de terrasses et d’un bassin de 80 m², alors que la surface hors œuvre nette du bâtiment existant était de 700 m², ne constituait pas, compte tenu de l’importance des surfaces nouvellement bâties et de leur emprise au sol, une extension "mesurée" des bâtiments existants ».
Par une récente décision, JRCE 470858 du 29 novembre 2023, le CE a censuré pour dénaturation une ordonnance d’un de vos juges des référés qui avait considéré qu’un projet d’extension consistant en une augmentation de 65 % de la surface de plancher d’une construction existante constituait « un simple agrandissement et ne méconnaissait donc pas les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme, alors que par son ampleur et la modification apportée à la construction existante, il ne pouvait être regardé comme un simple agrandissement ».
À la lecture de ces décisions, une extension consistant en une augmentation de 79 % de la surface de plancher existante ne me semble pas pouvoir être considérée comme constituant un simple agrandissement de l’existant.
Certes, vous pourriez vous demander s’il n’y a pas lieu d’opérer une distinction selon que cette extension s’effectue verticalement, via une surélévation comme en l’espèce, ou horizontalement, en accroissant l’emprise au sol.
Toutefois, si les règlements des plans locaux d’urbanisme distinguent parfois ces deux notions, extension et surélévation, la jurisprudence du Conseil d’État assimile bien la surélévation à une forme d’extension.
Voyez notamment une décision CE, 2 juin 2023, Société civile immobilière du 90‑94 avenue de la République, no 461645, au Recueil qui qualifie d’extension un projet de surélévation portant sur une surface de 414 m2 destinée à l’habitation sur un bâtiment d’une surface de 862 m2, exclusivement destiné au commerce.
Voyez aussi la décision précitée CE, 9 novembre 2023, M. et Mme F, no 469300, aux T. qui portait sur un permis de construire autorisant l’extension comprenant une surélévation d’une maison d’habitation existante. Le considérant de principe de cette décision, précédemment cité, indique que la notion d’extension s’entend d’un agrandissement présentant outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci ; il ne fait aucune distinction entre l’extension horizontale ou l’extension verticale.
En outre, l’avis précité CE, 30 avril 2024, Mme E, no 490405, au Recueil qui précise, ainsi qu’il a été dit, que l’agrandissement constitue une « extension présentant un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée » n’opère pas non plus une telle distinction et ne fait pas non plus référence à la notion d’emprise au sol.
Compte‑tenu de l’ensemble des indications qui se dégagent ainsi de la jurisprudence, je vous invite à considérer qu’une extension, même par surélévation, de plus de 79 % de l’existant ne présente pas un caractère limité et ne peut donc être regardée comme constituant un simple agrandissement de l’existant. Dans ces conditions, cette extension méconnaît les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme, telles que précisées par le PADDUC.
Par ces motifs, je conclus à l’annulation du jugement attaqué, au rejet au fond de la demande de première instance et à ce que les frais de l’instance soient laissés à la charge des parties.