L’extension d’une construction existante dans une commune littorale

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Décision de justice

CAA Marseille, 4e chambre – N° 23MA01424 – 02 juillet 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 23MA01424

Numéro Légifrance : CETATEXT000049936849

Date de la décision : 02 juillet 2024

Index

Mots-clés

loi littoral, plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, continuité, extension, simple agrandissement

Rubriques

Urbanisme

Résumé

CAA, Marseille, 2 juillet 2024, ministre de la Transition Écologique et de la Cohésion des territoires, no 23MA01424

Un projet qui consiste en la rénovation d’une villa, constitutive d’une maison d’habitation à usage de résidence secondaire et présentant une surface de plancher de 208,47 m2, et en son agrandissement par surélévation aboutissant à une surface de plancher supplémentaire de 166,31 m2, doit être regardé, au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de sa nature consistant en une surélévation par superposition, sans constitution d’un logement autonome, comme un simple agrandissement de la construction existante et une extension limitée de celle-ci au sens du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC). Il ne peut donc s’analyser comme une extension de l’urbanisation au sens des dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme précité, telles que précisées par le PADDUC.

cf. CE, avis, 30 avril 2024, Mme Delahaye, no 490405

Commentaire

Marie Micaelli

Doctorante en droit public, Centre de Recherches Administratives (CRA), Faculté de droit d’Aix‑en‑Provence

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DOI : 10.35562/amarsada.615

L’urbanisme insulaire se trouve régulièrement sous les feux des projecteurs : densification normative, artificialisation des sols accélérée par la construction de résidences secondaires, impératif de valorisation des espaces littoraux…

Ces difficultés se ressentent plus particulièrement en Corse, où, désormais, l’accélération de la pression locative des villes côtoie l’explosion de la demande foncière en zone côtière, alors que l’enjeu de lutte contre le mitage n’a jamais été aussi fort1. Entre objectif de protection du littoral, « zone de contact entre la terre et la mer »2, et quête d’attractivité, la recherche d’un équilibre n’est pas simple à opérer.

En l’espèce, une société civile immobilière (SCI) avait déposé, auprès du service de l’urbanisme de la commune de Bonifacio, une demande d’autorisation de construire en vue de la rénovation, de l’agrandissement d’une villa située sur une parcelle aujourd’hui cadastrée section L no°1756 et de la création d’une piscine. Le maire de Bonifacio refusa d’y faire droit en se fondant sur l’avis défavorable opposé par le préfet de la Corse‑du‑Sud dans les conditions de l’article L. 422‑6 du Code de l’urbanisme.

La SCI forma un recours gracieux qu’elle doubla d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Bastia qui, par un jugement en date du 6 avril 2023, conclut à l’illégalité de l’arrêté municipal. Ce jugement fut frappé d’appel à l’initiative du ministre de la transition écologique.

La question – à fort enjeu – posée à la cour administrative d’appel était ici la suivante : un projet d’agrandissement d’une villa constitutive d’une maison d’habitation à usage de résidence secondaire déjà dotée d’une surface de plancher conséquente devait-elle être regardée, au regard de sa taille propre et de sa proportion par rapport à la construction, comme un simple agrandissement de la construction existante et une extension limitée de celle‑ci au sens du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) ?

Par une décision remarquée en date du 2 juillet 2024, la cour administrative d’appel de Marseille y a répondu par l’affirmative, confirmant que l’agrandissement d’une villa à usage de résidence secondaire présentant initialement une surface de plancher de 208,47 m² aboutissant à la doter d’une surface de plancher supplémentaire de 166,31 m² devait être regardée « comme un simple agrandissement de la construction existante et une extension limitée de celle-ci au sens du PADDUC » et non « comme une extension de l’urbanisation au sens des dispositions de l’article L. 121‑8 du Code de l’urbanisme ».

Si la décision commentée semble isolée, elle présente de nombreux points d’intérêt : d’une part, elle contribue à préciser la notion d’extension limitée en zone littorale et plus particulièrement en Corse (I). D’autre part, elle s’inscrit dans la ligne tracée par le Conseil d’État quelques mois plus tôt dans une affaire similaire (II).

I. Précisions utiles sur la notion d’extension limitée en zone littorale

Par la loi no°86‑2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral dite loi littoral, le législateur a consacré l’interdiction de mener des opérations de construction isolée dans les communes situées en zone littorale en vue d’éviter le développement d’une urbanisation anarchique le long du rivage au détriment de la qualité paysagère des lieux protégés. Le principe d’équilibre entre les principes d’aménagement et de protection, consacré par la loi littoral et récemment réaffirmé par la loi Climat et résilience du 22 août 2021, ménage toutefois certains tempéraments : si l’extension de l’urbanisation est sévèrement proscrite en dehors des zones déjà urbanisées, l’extension d’une construction existante demeure permise, dans les limites posées par l’article L. 121‑8 du Code de l’urbanisme.

Celui-ci dispose, pour rappel :

« Dans les secteurs déjà urbanisés autre que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d’eau mentionnés à l’article L. 121‑13, à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, où la présence d’équipements ou de lieux collectifs ».

La notion d’extension limitée fait partie de ces notions laissées volontairement générales, dans un souci évident de laisser aux juges du fond le pouvoir de définir de manière casuistique les hypothèses à retenir, celles-ci étant naturellement très variées. Néanmoins, son imprécision a conduit le Conseil d’État à définir un certain nombre de critères d’appréciation : l’arrêt commenté poursuit cette quête de définition. En effet, si la jurisprudence administrative avait déjà accueilli favorablement de nombreux projets d’extension en zone littorale – tels la création d’une annexe, d’un garage ou d’une véranda – gage d’un positionnement plutôt souple, l’originalité des faits tranchés par la cour réside dans l’ampleur du projet litigieux : les juges de la cour d’appel de Marseille avaient à se prononcer sur un projet d’agrandissement d’une villa déjà dotée d’une surface de plancher de 208 m², que les heureux propriétaires voulaient agrandir par surélévation d’une surface supplémentaire de 166,31 m². L’impact d’une construction sur son environnement immédiat s’appréciant de manière globale, en application des règles susvisées, deux éléments se prêtaient particulièrement à discussion :

  • D’une part, l’ampleur de l’extension projetée, qui bien qu’étant contenue à l’étage du bâti existant, contribuait à doter la villa d’une surface supplémentaire plus que significative (+ 80 % de surface habitable supplémentaire) ;

  • D’autre part, sa localisation, l’environnement immédiat de la commune de Bonifacio – commune très prisée des touristes pour ses falaises remarquables et la qualité de ses paysages et de son littoral – faisant actuellement face à de vives tensions urbanistiques3. Or, la parcelle se situait précisément, comme la relève la cour, en rupture avec les agglomérations et villages existants.

Après avoir finement observé la situation géographique de la parcelle litigieuse à l’aide des documents graphiques fournis par les requérants4 et constaté qu’elle s’inscrivait « dans un secteur caractérisé par une urbanisation diffuse » (point n°5), la cour a adopté le raisonnement suivant : après avoir rappelé que le projet avait précisément pour objet d’agrandir et de surélever une maison d’habitation à usage de résidence secondaire déjà dotée d’une surface de 208,47 m², elle a estimé qu’

« au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de sa nature consistant en une surélévation par superposition, sans constitution d’un logement autonome, ce projet doit être regardé […] comme un simple agrandissement de la construction existante et une extension limitée de celle-ci au sens du PADDUC » (point no 5).

II. Une solution conforme à la ligne jurisprudentielle du Conseil d’État

L’analyse de l’arrêt commenté conduit inévitablement à le placer dans le sillage d’un avis rendu par le Conseil d’État le 30 avril 20245. Interrogé par le tribunal administratif de Bastia, les juges du Palais‑Royal avaient à préciser les conditions à réunir pour que soit retenue la qualification de « simple agrandissement » pouvant déroger à a règle consacrée par l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme. Le considérant de principe – repris à l’identique par la cour d’appel de Marseille – mérite d’être reproduit, tant il innove sur le fond : « le simple agrandissement d’une construction existante, c’est-à-dire une extension présentant un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée, ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation prohibée par ces dispositions ». En outre, si le principe avait déjà été admis6, les points de référence à retenir n’avaient pas encore été précisés par le Conseil d’État.

Louable sur le plan théorique, cette innovation soulève néanmoins deux interrogations :

  • En premier lieu, la méthodologie adoptée semble négliger les critères morphologiques (densité, hauteur, esthétisme, insertion dans le paysage etc.), critères occupant pourtant une place privilégiée au sein du droit de l’urbanisme réglementaire. La solution retenue tranche par ailleurs avec certaines décisions antérieures, lesquelles privilégièrent « l’implantation, la conception générale, le volume et l’aspect extérieur de [la] construction »7.

  • En second lieu, cette méthodologie parait insister sur la seule surface habitable du bâtiment initial nonobstant l’agrandissement que pourrait générer l’adjonction d’étages, de piscines, terrasses, etc. L’approche paraît ainsi incomplète dans la mesure où, si l’adjonction d’un étage supplémentaire d’une surface inférieure au rez‑de‑chaussée ne semble pas visible sur les plans géographiques et extraits cadastraux, l’inverse est moins évident sur le plan panoramique…

À ces difficultés s’ajoutent celles, non élucidées par l’arrêt commenté, liées au sort des constructions dépourvues d’autorisation de construire. Par ailleurs, malgré l’invitation à la prudence émise par le rapporteur public dans ses conclusions sous l’arrêt Mme Delahaye, la doctrine n’a pas manqué de souligner les risques d’une trop grande permissivité8, permissivité qui, à l’heure de la fragilisation malheureuse des espaces littoraux français, serait peu opportune.

Notes

1 Imperio Pietri R. L’urbanisme corse en questions, L’Harmattan, coll. « Questions contemporaines », 2022. Retour au texte

2 Bécet J-M. Le droit de l’urbanisme littoral, Presses universitaires de Rennes, coll. « Didact Droit », 2002. Retour au texte

3 Ce constat peut être élargi à l’ensemble des littoraux corses, y compris ceux situés au nord de l’île. v. not. Merchez L. « L’évolution des formes de littoralisation en Balagne (Haute-Corse) », Géoconfluences, janvier 2025. Retour au texte

4 Sur la place de l’outil numérique Géoportail au sein du contentieux administratif, v. not. Silibeau J-B. « Le juge administratif et Géoportail », AJDA, 2024, p. 1917 ; Revert M. « Le juge administratif et Géoportail : officialisation conditionnée d’une pratique », RDI, 2024, p. 414. Retour au texte

5 CE, avis, 30 avril 2024, Mme Delahaye, no 490405, voir Micalef R., « Précisions sur les conditions d’agrandissement d’une construction existante en application de la loi Littoral », Én. Env. Infr. no°8-9, août‑septembre 2024, comm. 89. Retour au texte

6 CAA, Nantes, 16 décembre 1998, commune de Préfaille, n°97NT02003, CAA, Nantes, 28 mars 2006, commune de Plouharnel, no°05NT00824 et 05NT00842. Retour au texte

7 CAA, Lyon, 23 avril 2013, M. G. et autres, no°12LY03070 Retour au texte

8 Santoni L. « Agrandir en zone littorale : pas de stratégie des petits pas », Constr. Urb., no°6, juin 2024, comm. 68. Retour au texte

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0

Conclusions de la rapporteure publique

Claire Balaresque

Rapporteure publique

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DOI : 10.35562/amarsada.616

Le 13 janvier 2021, la société civile immobilière (SCI) A a déposé une demande de permis de construire en vue de la rénovation et l’agrandissement d’une villa et la création d’une piscine, sur la parcelle anciennement cadastrée section L no 419 et aujourd’hui cadastrée section L no 1756, sur le territoire de la commune de Bonifacio.

Après que le préfet de la Corse‑du‑Sud a émis, le 23 mars 2021, dans les conditions prévues à l’article L. 422‑6 du code de l’urbanisme, un avis défavorable à ce projet, le maire de Bonifacio a, par un arrêté du 26 mars 2021, refusé de faire droit à cette demande.

Par un jugement du 6 avril 2023, dont le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève régulièrement appel, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté en tant qu’il porte refus d’autoriser la surélévation et l’agrandissement de cette villa et, dans la même mesure, la décision portant rejet du recours gracieux présenté par la SCI A, avant de rejeter le surplus des conclusions de la requête.

Ni la recevabilité de cet appel, ni la régularité du jugement attaqué, qui n’est pas contestée, ne soulèvent de difficultés. Venons‑en donc au fond de l’affaire.

Le permis de construire sollicité a été refusé, nous l’avons dit, au visa de l’avis conforme défavorable du préfet au projet litigieux, au motif tiré de la méconnaissance de l’article L. 121‑8, qui dispose que, dans les communes littorales, « l’extension de l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et villages existants », l’extension de la construction existante prévue par ce projet, qui consiste en une surélévation de cette dernière, représentant plus de 79 % de l’existant.

Pour annuler l’arrêté de refus litigieux, le tribunal administratif de Bastia, après avoir rappelé ces dispositions, a cité le considérant de principe issu de la décision CE, 3 avril 2020, M. B, nos 419139, 419142, 419144, aux Tables par laquelle le Conseil d’État a jugé que si, en adoptant ces dispositions, « le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions ».

Le tribunal a donc considéré que la surélévation de la construction prévue par le projet consistait en un simple agrandissement de cette dernière, ne méconnaissant pas les dispositions de la loi littoral, telles que précisées par le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC).

Rappelons sur ce point que vous devez tenir compte des prescriptions du PADDUC qui, en application du I de l’article L. 4424‑11 du code général des collectivités territoriales (CGCT), précisent « les modalités d’application, adaptées aux particularités géographiques locales, du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l’urbanisme sur les zones littorales […] », dont fait partie l’article L. 121‑8, dès lors qu’elles sont suffisamment précises et compatibles avec ces mêmes dispositions.

En effet, ainsi que le précise la décision CE, section, 31 mars 2017, SARL C, no 392186, au Recueil et le rappelle la décision CE, 21 avril 2023, Mme D, commune de Ploemeur, no 456788, 456808, il appartient à l’autorité administrative de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral, compte tenu des dispositions du schéma de cohérence territoriale qui précisent les conditions de l’extension de l’urbanisation dès lors qu’elles sont suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives.

Et en application du I de l’article L. 4424‑11 des dispositions du CGCT précitées, le PADDUC remplit, sur ce point, le rôle du schéma de cohérence territoriale.

Or, en l’espèce, vous relèverez que le tribunal, s’il a cité les prescriptions du PADDUC relatives aux critères d’identification d’un village et d’une agglomération, a toutefois omis de citer celles qui sont précisément relatives à l’extension de l’urbanisation.

Par un récent arrêt 23MA00272 du 12 mars 2024, vous avez pourtant relevé que le PADDUC

« prévoit notamment que, dans les espaces urbanisés qui ne présentent pas les caractères d’un village ou d’une agglomération et qui ne peuvent donc pas être étendus, sont admis l’adaptation, le changement de destination, la réfection ou l’extension limitée des constructions existantes ».

Et vous avez jugé que

« ces prescriptions du PADDUC relatives aux caractéristiques des extensions de constructions existantes apportent des précisions qui sont compatibles avec les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme ».

Il convient donc de faire application de ces prescriptions dans notre espèce.

Il convient également – et surtout - de tenir compte d’un avis récent du Conseil d’État, qui apporte des précisions sur ce que recouvre la notion de « simple agrandissement d’une construction existante », lequel est autorisé par les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme, nous l’avons dit.

Cet avis CE, 30 avril 2024, Mme E, no 490405, au Recueil précise que le « simple agrandissement d’une construction existante » correspond à une « extension présentant un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée » et que « le caractère limité de l’agrandissement envisagé s’apprécie par comparaison avec l’état de la construction initiale, sans qu’il y ait lieu de tenir compte des éventuels agrandissements intervenus ultérieurement ».

Vous devrez donc, ce que n’a pas fait le tribunal, vous prononcer expressément sur le caractère limité ou non de l’extension envisagée par le projet litigieux.

Or l’avis conforme défavorable au projet se fondait expressément sur l’absence de caractère « mesuré » de ce dernier, en indiquant qu’un tel caractère correspondait à une extension de l’ordre de 30 % alors que l’extension envisagée est de 79 % de l’existant.

Là encore, il vous faudra tenir compte de ce que le Conseil d’État a récemment apporté des précisions sur la notion d’extension.

Par une décision CE, 9 novembre 2023, M. et Mme F, no 469300, aux T., le Conseil d’État a en effet précisé que la notion d’extension d’une construction existante, lorsqu’elle n’est pas précisée par le règlement d’un plan local d’urbanisme, « doit, en principe, s’entendre d’un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle‑ci ».

Cette décision s’inscrit dans la ligne de la décision CE, 20 mai 2019, ministre de la Cohésion des territoires c/ M. G, no 419921, aux T, qui avait déjà apporté des précisions sur la notion d’extension au sens des dispositions de l’article L. 111‑1‑2 du code de l’urbanisme, en mobilisant à la fois le critère de « l’implantation par rapport aux constructions existantes » et celui de « l’ampleur limitée en proportion de ces constructions », tout en indiquant ces dispositions n’imposaient pas que l’extension présente un « caractère mesuré ».

Dans ses conclusions sur cette dernière décision, le rapporteur public Charles Touboul indiquait que ces deux critères se dégageaient de la jurisprudence,

« le premier [l’implantation] se rapport[ant] à la situation, ce qui renvoie notamment à la question de la contiguïté ou de la complémentarité du bâtiment nouveau par rapport au bâtiment existant ; le second [l’ampleur limitée] à la proportion entre la construction existante et la construction projetée, où l’on voit des exigences variables, l’idée dominante étant que la seconde devrait être plus petite que la première, et représenter donc moins de 100% la surface de celle-ci, là où pour une extension mesurée la proportion des taux de l’ordre de 30 ou 50 % ont pu être parfois retenus »,

en citant sur ce dernier point les conclusions de M.-H. Mitjavile sur la décision CE, 16 mars 2005, M. H, no 253923, aux T. faisant état d’une « doctrine administrative » qui  admettrait une augmentation maximale de 30 % pour qu’une extension soit qualifiée de « mesurée ».

Par cette décision Acquaviva, le CE a confirmé un arrêt de votre cour considérant « que la création de 50 m² de surface hors œuvre nette, de 462 m² de surface hors œuvre brute correspondant à la création de terrasses et d’un bassin de 80 m², alors que la surface hors œuvre nette du bâtiment existant était de 700 m², ne constituait pas, compte tenu de l’importance des surfaces nouvellement bâties et de leur emprise au sol, une extension "mesurée" des bâtiments existants ».

Par une récente décision, JRCE 470858 du 29 novembre 2023, le CE a censuré pour dénaturation une ordonnance d’un de vos juges des référés qui avait considéré qu’un projet d’extension consistant en une augmentation de 65 % de la surface de plancher d’une construction existante constituait « un simple agrandissement et ne méconnaissait donc pas les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme, alors que par son ampleur et la modification apportée à la construction existante, il ne pouvait être regardé comme un simple agrandissement ».

À la lecture de ces décisions, une extension consistant en une augmentation de 79 % de la surface de plancher existante ne me semble pas pouvoir être considérée comme constituant un simple agrandissement de l’existant.

Certes, vous pourriez vous demander s’il n’y a pas lieu d’opérer une distinction selon que cette extension s’effectue verticalement, via une surélévation comme en l’espèce, ou horizontalement, en accroissant l’emprise au sol.

Toutefois, si les règlements des plans locaux d’urbanisme distinguent parfois ces deux notions, extension et surélévation, la jurisprudence du Conseil d’État assimile bien la surélévation à une forme d’extension.

Voyez notamment une décision CE, 2 juin 2023, Société civile immobilière du 90‑94 avenue de la République, no 461645, au Recueil qui qualifie d’extension un projet de surélévation portant sur une surface de 414 m2 destinée à l’habitation sur un bâtiment d’une surface de 862 m2, exclusivement destiné au commerce.

Voyez aussi la décision précitée CE, 9 novembre 2023, M. et Mme F, no 469300, aux T. qui portait sur un permis de construire autorisant l’extension comprenant une surélévation d’une maison d’habitation existante. Le considérant de principe de cette décision, précédemment cité, indique que la notion d’extension s’entend d’un agrandissement présentant outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci ; il ne fait aucune distinction entre l’extension horizontale ou l’extension verticale.

En outre, l’avis précité CE, 30 avril 2024, Mme E, no 490405, au Recueil qui précise, ainsi qu’il a été dit, que l’agrandissement constitue une « extension présentant un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée » n’opère pas non plus une telle distinction et ne fait pas non plus référence à la notion d’emprise au sol.

Compte‑tenu de l’ensemble des indications qui se dégagent ainsi de la jurisprudence, je vous invite à considérer qu’une extension, même par surélévation, de plus de 79 % de l’existant ne présente pas un caractère limité et ne peut donc être regardée comme constituant un simple agrandissement de l’existant. Dans ces conditions, cette extension méconnaît les dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme, telles que précisées par le PADDUC.

Par ces motifs, je conclus à l’annulation du jugement attaqué, au rejet au fond de la demande de première instance et à ce que les frais de l’instance soient laissés à la charge des parties.

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