1.
L’affaire qui vient d’être appelée conduit à rappeler les conditions dans lesquelles les agents publics sont évalués. Vous le savez la notation des agents publics a été remplacée progressivement, d’abord à titre expérimental puis à titre obligatoire, par une évaluation précédée d’un entretien professionnel.
Cette obligation est aujourd’hui codifiée aux articles L. 521-1 du CGFP. Avant sa codification, il fallait se référer à l’article 55 de la loi du 11 janvier 1984. Dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce cet article précise que : « […] l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct ». Le décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’État précise les règles applicables. L’article 2 de ce décret précise que :
« Le fonctionnaire bénéficie chaque année d’un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. La date de cet entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct et communiquée au fonctionnaire au moins huit jours à l’avance ».
Il est prévu à l’article 4 de ce même décret que
« Le compte rendu de l’entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. Il est communiqué au fonctionnaire qui le complète, le cas échéant, de ses observations. Il est visé par l’autorité hiérarchique qui peut formuler, si elle l’estime utile, ses propres observations. Le compte rendu est notifié au fonctionnaire qui le signe pour attester qu’il en a pris connaissance puis le retourne à l’autorité hiérarchique qui le verse à son dossier ».
L’évaluation, comme autrefois, la notation est à la fois une obligation pour l’administration et une garantie pour le fonctionnaire, notamment pour son avancement. Sauf dérogation prévue par les statuts particuliers, l’autorité compétente est en principe tenue d’exercer son pouvoir d’évaluation ou de notation (CE 22 mars 1989, Feld, no 56520, aux Tables, y compris à l’égard des agents occupant l’un des emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à la discrétion du Gouvernement : CE 10 janvier 1986, de Testa, no 40935). Cette obligation est seulement subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l’année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d’apprécier sa valeur professionnelle (CE 3 septembre 2007, Villeneuve, no 284954, aux Tables).
C’est parce que l’évaluation, comme autrefois la notation, est à la fois une obligation pour l’administration et une garantie pour le fonctionnaire, que l’appréciation portée dans les conditions définies par le décret statutaire doit être regardée comme un acte faisant grief (CE 5 septembre 2008, Rossignol, no 306113) de la même manière que la notation d’un fonctionnaire pouvait être contestée par l’intéressé devant le juge administratif qui opère sur celle-ci un contrôle restreint (CE 23 novembre 1962, Camara, Lebon, p. 627 ; CE 22 novembre 1963 sieur Vanesse, Lebon, p. 577 ; CE 26 octobre 1979, Leca, Lebon, p. 397).
2.
L’affaire qui vient d’être appelée vous conduira à donner des précisions sur l’hypothèse, qui n’est pas inhabituelle, dans laquelle un agent change d’affectation au cours d’une année.
En l’espèce, M. H était agent technique de l’État, affecté au poste de contrôleur de l’infrastructure, au sein de l’unité de soutien de l’infrastructure de défense (USID) de Toulon jusqu’au 31 août 2019. Après sa réussite au concours de technicien supérieur études et fabrication de 2nde classe, il a été affecté, à compter du 1er septembre suivant, au sein de l’unité de soutien de l’infrastructure de défense (USID) de Marseille au poste de technicien gestionnaire technique de patrimoine.
Il relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille ayant rejeté sa demande tendant à l’annulation du compte-rendu d’entretien professionnel (CREP) établi au titre de l’année 2019 par la cheffe de l’USID de Toulon le 14 janvier 2020.
Les premiers juges ont accueil la fin de non-recevoir soulevée en défense consistant à soutenir que ce document n’était pas susceptible de recours. Le tribunal a considéré que le document contesté, intitulé « CREP intermédiaire pour la période du 1er janvier au 31 août 2019 », adressé au requérant le 15 janvier 2020 par son supérieur hiérarchique lors de son affectation à l’USID de Toulon, devait être analysé comme un bilan d’étape des fonctions exercées à l’USID de Toulon au cours de cette année et ne qu’il ne constituait pas un compte-rendu d’entretien professionnel définitif au titre de l’année 2019. Pour le tribunal, le document dont l’intéressé sollicite l’annulation doit être regardé comme une simple mesure préparatoire non susceptible de recours.
3.
Il n’est pas rare que des agents changent d’affectation en cours d’année.
Dans cette configuration, le principe demeure : l’agent n’est évalué qu’une fois au titre de l’année en cause et cette évaluation doit être précédée d’un entretien.
Toutefois, même s’il n’existe pas de texte général sur ce point, dans la configuration d’un changement d’affectation en cours d’année, il est en pratique fréquent que le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire compétent au moment de l’entretien annuel d’évaluation sollicite, à défaut de transmission spontanée, du précédent supérieur hiérarchique les éléments lui permettant d’apprécier la valeur professionnelle de l’agent relatifs à la période pendant laquelle l’agent était sous l’autorité de celui-ci.
Cette pratique nous semble cohérente du point de vue des ressources humaines. Elle n’est contraire à aucun principe. Au contraire une décision du Conseil d’État incite à la suivre (voyez en ce sens, même si l’hypothèse est spécifique, les règles dégagées par le CE s’agissant des agents mis à disposition : CE 14 juin 2023 Mme Grotti no 455784, dont l’analyse est la suivante :
« 1) Il résulte des articles 17 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983, 10 et 42 de la loi no 84-16 du 11 janvier 1984 et 31 du décret no 72-581 du 4 juillet 1972 qu’il appartient au ministre chargé de l’éducation d’arrêter chaque année, dans le cas des professeurs certifiés mis à disposition qui ne remplissent pas une fonction d’enseignement, une note de 0 à 100 sur proposition de l’autorité auprès de laquelle le professeur exerce ses fonctions. / 2) En l’absence de transmission par l’administration d’accueil du professeur certifié mis à disposition d’une telle proposition, le ministre ne peut s’abstenir de procéder à sa notation qu’après avoir vainement sollicité la transmission de cette proposition ou, à défaut, d’un rapport sur la manière de servir du professeur, et qu’il ne dispose par ailleurs d’aucun élément permettant d’apprécier sa valeur professionnelle ».
Certaines administrations la prévoient expressément. En l’espèce, l’annexe 1 à la note de la sous-directrice de la gestion du personnel civil du ministère de la défense du 9 décembre 2019, relative à la campagne d’évaluation professionnelle au titre de 2019, précise que lorsque l’agent a changé d’affectation au cours de l’année écoulée et a été présent une période suffisante dans son nouveau service, un « bilan d’étape, validé par l’autorité hiérarchique de la précédente affectation doit être effectué par son supérieur hiérarchique direct, avant la mutation ». Ce bilan d’étape, remis à l’agent à l’issue d’un entretien, est conçu, aux termes de cette note, comme un document préparatoire qui ne se substitue pas au compte-rendu d’entretien annuel, mais est néanmoins inséré au dossier de l’agent.
Une telle pratique ne nous semble pas critiquable.
Qu’ils soient ou non précédés d’un entretien avec l’agent, les éléments adressés par l’ancien supérieur hiérarchique direct à la nouvelle autorité hiérarchique le sont en vue de l’établissement de l’évaluation annuelle qui doit être elle obligatoirement précédée d’un entretien annuel.
4.
Ces rappels effectués, deux options s’offrent à vous.
La première, qui est celle retenue par le tribunal, a le mérite de la simplicité.
Il n’existe qu’un seul entretien annuel d’évaluation. C’est ce compte rendu annuel d’évaluation qui doit être contesté. Tout ce qui le précède constitue des actes préparatoires insusceptibles de recours. Si une procédure a été méconnue à l’occasion de ces actes préparatoires, cela pourra être invoqué et discuté dans le cadre du recours dirigé contre le CREP annuel.
5.
L’autre option, est de considérer qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le document, qualifié par son auteure de « CREP intermédiaire », aurait constitué un simple élément préparatoire de l’entretien que M. H a eu avec son nouveau supérieur hiérarchique le 18 février 2020, dès lors que le compte-rendu de ce dernier entretien ne fait état que des objectifs assignés à M. H et du travail de ce dernier dans ses nouvelles fonctions, pour la période postérieure au 1er septembre 2019.
6.
À la réflexion, nous considérons que cette seconde option vient complexifier inutilement le contentieux de l’évaluation des agents publics. Le principe est celui de l’évaluation annuelle des agents, précédée par un entretien annuel d’évaluation. La seule décision susceptible de recours est cette évaluation résultant de l’établissement (ou de l’absence d’établissement) du CREP. Tout ce qui se situe en amont doit être analysé comme préparatoire. Les irrégularités ou manquements éventuels qui pourraient être commis ou constatés dans cette phase préparatoire peuvent être invoqués à l’occasion du recours contre le CREP final. En revanche, les actes préparatoires ne sont pas eux-mêmes susceptibles de recours quels que puissent être le support utilisé ou les dénominations retenues par l’ancienne autorité hiérarchique de l’agent.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.