Le caractère préparatoire des éléments d’évaluation transmis au nouveau supérieur hiérarchique d’un agent public par son ancien évaluateur

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Décision de justice

CAA Marseille, 5e chambre – N° 23MA01759 – 20 septembre 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 23MA01759

Numéro Légifrance : CETATEXT000050253678

Date de la décision : 20 septembre 2024

Index

Mots-clés

évaluation annuelle, autorité compétente

Rubriques

Fonction publique

Résumé

CAA Marseille 20 septembre 2024, M. H, no 23MA01759

En cas de changement d’affectation d’un agent public en cours d’année, les éléments d’évaluation transmis par l’ancien supérieur hiérarchique de l’agent à son nouveau supérieur hiérarchique direct, compétent pour réaliser l’entretien annuel d’évaluation et le compte rendu d’entretien professionnel, constituent des actes préparatoires insusceptibles de recours.

Conclusions du rapporteur

Olivier Guillaumont

Rapporteur public

DOI : 10.35562/amarsada.567

1.

L’affaire qui vient d’être appelée conduit à rappeler les conditions dans lesquelles les agents publics sont évalués. Vous le savez la notation des agents publics a été remplacée progressivement, d’abord à titre expérimental puis à titre obligatoire, par une évaluation précédée d’un entretien professionnel.

Cette obligation est aujourd’hui codifiée aux articles L. 521-1 du CGFP. Avant sa codification, il fallait se référer à l’article 55 de la loi du 11 janvier 1984. Dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce cet article précise que : « […] l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct ». Le décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’État précise les règles applicables. L’article 2 de ce décret précise que : 

« Le fonctionnaire bénéficie chaque année d’un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. La date de cet entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct et communiquée au fonctionnaire au moins huit jours à l’avance ».

Il est prévu à l’article 4 de ce même décret que

« Le compte rendu de l’entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. Il est communiqué au fonctionnaire qui le complète, le cas échéant, de ses observations. Il est visé par l’autorité hiérarchique qui peut formuler, si elle l’estime utile, ses propres observations. Le compte rendu est notifié au fonctionnaire qui le signe pour attester qu’il en a pris connaissance puis le retourne à l’autorité hiérarchique qui le verse à son dossier ».

L’évaluation, comme autrefois, la notation est à la fois une obligation pour l’administration et une garantie pour le fonctionnaire, notamment pour son avancement. Sauf dérogation prévue par les statuts particuliers, l’autorité compétente est en principe tenue d’exercer son pouvoir d’évaluation ou de notation (CE 22 mars 1989, Feld, no 56520, aux Tables, y compris à l’égard des agents occupant l’un des emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à la discrétion du Gouvernement : CE 10 janvier 1986, de Testa, no 40935). Cette obligation est seulement subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l’année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d’apprécier sa valeur professionnelle (CE 3 septembre 2007, Villeneuve, no 284954, aux Tables).

C’est parce que l’évaluation, comme autrefois la notation, est à la fois une obligation pour l’administration et une garantie pour le fonctionnaire, que l’appréciation portée dans les conditions définies par le décret statutaire doit être regardée comme un acte faisant grief (CE 5 septembre 2008, Rossignol, no 306113) de la même manière que la notation d’un fonctionnaire pouvait être contestée par l’intéressé devant le juge administratif qui opère sur celle-ci un contrôle restreint (CE 23 novembre 1962, Camara, Lebon, p. 627 ; CE 22 novembre 1963 sieur Vanesse, Lebon, p. 577 ; CE 26 octobre 1979, Leca, Lebon, p. 397).

2.

L’affaire qui vient d’être appelée vous conduira à donner des précisions sur l’hypothèse, qui n’est pas inhabituelle, dans laquelle un agent change d’affectation au cours d’une année.

En l’espèce, M. H était agent technique de l’État, affecté au poste de contrôleur de l’infrastructure, au sein de l’unité de soutien de l’infrastructure de défense (USID) de Toulon jusqu’au 31 août 2019. Après sa réussite au concours de technicien supérieur études et fabrication de 2nde classe, il a été affecté, à compter du 1er septembre suivant, au sein de l’unité de soutien de l’infrastructure de défense (USID) de Marseille au poste de technicien gestionnaire technique de patrimoine.

Il relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille ayant rejeté sa demande tendant à l’annulation du compte-rendu d’entretien professionnel (CREP) établi au titre de l’année 2019 par la cheffe de l’USID de Toulon le 14 janvier 2020.

Les premiers juges ont accueil la fin de non-recevoir soulevée en défense consistant à soutenir que ce document n’était pas susceptible de recours. Le tribunal a considéré que le document contesté, intitulé « CREP intermédiaire pour la période du 1er janvier au 31 août 2019 », adressé au requérant le 15 janvier 2020 par son supérieur hiérarchique lors de son affectation à l’USID de Toulon, devait être analysé comme un bilan d’étape des fonctions exercées à l’USID de Toulon au cours de cette année et ne qu’il ne constituait pas un compte-rendu d’entretien professionnel définitif au titre de l’année 2019. Pour le tribunal, le document dont l’intéressé sollicite l’annulation doit être regardé comme une simple mesure préparatoire non susceptible de recours.

3.

Il n’est pas rare que des agents changent d’affectation en cours d’année.

Dans cette configuration, le principe demeure : l’agent n’est évalué qu’une fois au titre de l’année en cause et cette évaluation doit être précédée d’un entretien.

Toutefois, même s’il n’existe pas de texte général sur ce point, dans la configuration d’un changement d’affectation en cours d’année, il est en pratique fréquent que le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire compétent au moment de l’entretien annuel d’évaluation sollicite, à défaut de transmission spontanée, du précédent supérieur hiérarchique les éléments lui permettant d’apprécier la valeur professionnelle de l’agent relatifs à la période pendant laquelle l’agent était sous l’autorité de celui-ci.

Cette pratique nous semble cohérente du point de vue des ressources humaines. Elle n’est contraire à aucun principe. Au contraire une décision du Conseil d’État incite à la suivre (voyez en ce sens, même si l’hypothèse est spécifique, les règles dégagées par le CE s’agissant des agents mis à disposition : CE 14 juin 2023 Mme Grotti no 455784, dont l’analyse est la suivante :

« 1) Il résulte des articles 17 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983, 10 et 42 de la loi no 84-16 du 11 janvier 1984 et 31 du décret no 72-581 du 4 juillet 1972 qu’il appartient au ministre chargé de l’éducation d’arrêter chaque année, dans le cas des professeurs certifiés mis à disposition qui ne remplissent pas une fonction d’enseignement, une note de 0 à 100 sur proposition de l’autorité auprès de laquelle le professeur exerce ses fonctions. / 2) En l’absence de transmission par l’administration d’accueil du professeur certifié mis à disposition d’une telle proposition, le ministre ne peut s’abstenir de procéder à sa notation qu’après avoir vainement sollicité la transmission de cette proposition ou, à défaut, d’un rapport sur la manière de servir du professeur, et qu’il ne dispose par ailleurs d’aucun élément permettant d’apprécier sa valeur professionnelle ».

Certaines administrations la prévoient expressément. En l’espèce, l’annexe 1 à la note de la sous-directrice de la gestion du personnel civil du ministère de la défense du 9 décembre 2019, relative à la campagne d’évaluation professionnelle au titre de 2019, précise que lorsque l’agent a changé d’affectation au cours de l’année écoulée et a été présent une période suffisante dans son nouveau service, un « bilan d’étape, validé par l’autorité hiérarchique de la précédente affectation doit être effectué par son supérieur hiérarchique direct, avant la mutation ». Ce bilan d’étape, remis à l’agent à l’issue d’un entretien, est conçu, aux termes de cette note, comme un document préparatoire qui ne se substitue pas au compte-rendu d’entretien annuel, mais est néanmoins inséré au dossier de l’agent.

Une telle pratique ne nous semble pas critiquable.

Qu’ils soient ou non précédés d’un entretien avec l’agent, les éléments adressés par l’ancien supérieur hiérarchique direct à la nouvelle autorité hiérarchique le sont en vue de l’établissement de l’évaluation annuelle qui doit être elle obligatoirement précédée d’un entretien annuel.

4.

Ces rappels effectués, deux options s’offrent à vous.

La première, qui est celle retenue par le tribunal, a le mérite de la simplicité.

Il n’existe qu’un seul entretien annuel d’évaluation. C’est ce compte rendu annuel d’évaluation qui doit être contesté. Tout ce qui le précède constitue des actes préparatoires insusceptibles de recours. Si une procédure a été méconnue à l’occasion de ces actes préparatoires, cela pourra être invoqué et discuté dans le cadre du recours dirigé contre le CREP annuel.

5.

L’autre option, est de considérer qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le document, qualifié par son auteure de « CREP intermédiaire », aurait constitué un simple élément préparatoire de l’entretien que M. H a eu avec son nouveau supérieur hiérarchique le 18 février 2020, dès lors que le compte-rendu de ce dernier entretien ne fait état que des objectifs assignés à M. H et du travail de ce dernier dans ses nouvelles fonctions, pour la période postérieure au 1er septembre 2019.

6.

À la réflexion, nous considérons que cette seconde option vient complexifier inutilement le contentieux de l’évaluation des agents publics. Le principe est celui de l’évaluation annuelle des agents, précédée par un entretien annuel d’évaluation. La seule décision susceptible de recours est cette évaluation résultant de l’établissement (ou de l’absence d’établissement) du CREP. Tout ce qui se situe en amont doit être analysé comme préparatoire. Les irrégularités ou manquements éventuels qui pourraient être commis ou constatés dans cette phase préparatoire peuvent être invoqués à l’occasion du recours contre le CREP final. En revanche, les actes préparatoires ne sont pas eux-mêmes susceptibles de recours quels que puissent être le support utilisé ou les dénominations retenues par l’ancienne autorité hiérarchique de l’agent.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

Droits d'auteur

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Commentaire

Astrid Le Baube

Doctorante contractuelle au Centre de Recherches administratives (CRA) à l’université d’Aix‑Marseille

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/amarsada.623

Le caractère préparatoire du bilan d’étape lors d’un changement d’affectation dans le contentieux de l’évaluation des agents publics

L’entretien professionnel constitue un outil obligatoire pour apprécier la valeur professionnelle des agents publics. Aujourd’hui codifiée à l’article L. 521‑1 du code général de la fonction publique, l’évaluation des performances des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel donnant lieu à un compte rendu. L’appréciation de la valeur professionnelle, matérialisée par le compte rendu professionnel, ne constitue pas une mesure d’ordre intérieur. L’agent peut ainsi présenter un recours contentieux à son encontre1. La contestation du compte rendu professionnel par l’agent peut cependant donner lieu à certaines surprises. Effectivement, alors même qu’il mentionne des voies et des délais de recours, les juges du second degré ont affirmé en l’espèce2 que le compte rendu litigieux est insusceptible de recours, au motif qu’il s’agit d’une mesure préparatoire.

Le 1er septembre 2019, un fonctionnaire appartenant au corps des techniciens supérieurs d’études et de fabrications de deuxième classe, est affecté au sein de l’unité de soutien de l’infrastructure de défense (USID) de Marseille, après avoir travaillé jusqu’au 31 août 2019 à l’USID de Toulon. En raison de ce changement d’affectation en cours d’année, son ancien évaluateur lui transmet un document intitulé « Compte rendu d’entretien professionnel (CREP) intermédiaire pour la période du 1er janvier au 31 août 2019 ». Par une requête, le fonctionnaire demande l’annulation de ce compte rendu d’évaluation devant le tribunal administratif de Marseille.

Le tribunal administratif rejette la requête de l’agent3. Il énonce que le document attaqué constitue, non pas un compte rendu d’entretien professionnel définitif au titre de l’année 2019, mais un bilan d’étape des fonctions exercées au sein de l’USID au cours de la même année. Le tribunal considère que le bilan d’étape est insusceptible de recours, au motif qu’il s’agit d’un document préparatoire. Le requérant interjette alors appel devant la cour administrative de Marseille.

En premier lieu, l’appelant soutient que sa demande tendant à l’annulation du compte rendu d’entretien, portant sur une partie de l’année 2019 et remis à l’issue d’un entretien, est recevable. Il affirme que le document a l’apparence d’un acte faisant grief, en ce qu’il mentionne des voies et des délais de recours.

En second lieu, il invoque le moyen selon lequel le compte rendu d’entretien professionnel litigieux est entaché d’un certain nombre de vices de forme et de procédure.

Les juges du second degré sont, en l’espèce, confrontés au problème suivant : en cas de changement d’affectation d’un agent en cours d’année, le bilan d’étape, remis à l’issue d’un entretien, est‑il susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux ? Peut‑il être dissocié du compte rendu professionnel définitif en cas de mutation ?

La cour administrative d’appel, en suivant la position retenue par le tribunal administratif de Marseille4, rejette la demande de M. A. Elle juge que « le compte rendu dont M. A demande l’annulation ne porte que sur la première partie de l’année 2019 » et ne peut être complémentaire au compte rendu établi pour le reste de l’année. La décision rendue s’insère dans le mouvement général de la jurisprudence du Conseil d’État5 relative au caractère indivisible du compte rendu professionnel. Elle considère qu’en cas de changement d’affectation d’un agent en cours d’année, un bilan d’étape constitue un document préparatoire de l’entretien annuel d’évaluation, insusceptible de recours.

L’arrêt de la cour permet ainsi de préciser que le bilan d’étape est une mesure préparatoire insusceptible de recours lorsqu’un agent public change d’affectation en cours d’année (I). En effet, seul le compte rendu d’un entretien annuel peut faire l’objet d’un recours. Annuler le bilan d’étape reviendrait à annuler partiellement le compte rendu professionnel définitif, ce qui est difficilement envisageable au regard de son caractère indivisible (II).

I. L’affirmation du caractère préparatoire du bilan d’étape en cas de mutation

La cour administrative d’appel de Marseille considère que le bilan d’étape établi en raison d’un changement d’affectation en cours d’année n’est pas susceptible de recours. Effectivement, au troisième considérant, les juges énoncent que lorsque « l’agent a changé d’affectation au cours de l’année écoulée, le bilan d’étape, remis à l’agent à l’issue d’un entretien, est conçu aux termes de cette note, comme un document préparatoire qui ne se substitue pas au compte rendu d’entretien professionnel ».

À travers cette décision, les juges considèrent que le bilan d’étape transmis au nouveau supérieur de l’agent par l’ancien évaluateur constitue une mesure préparatoire. Une telle solution n’est pas évidente face à l’absence de textes généraux sur ce point6. Il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire prévoyant expressément les modalités d’évaluation des agents qui changent d’affectation en cours d’année.

Pour pallier l’insuffisance de la loi, les juges du second degré ont procédé à un raisonnement par analogie. Ils ont en l’espèce appliqué le décret du 28 juillet 20107 à un cas non examiné de manière directe : le changement d’affectation d’un agent public en cours d’année. En d’autres termes, ils ont vérifié si le « CREP intermédiaire pour la période du 1er janvier au 31 août 2019 » pouvait être qualifié de compte rendu professionnel définitif. Aux termes de l’article 2 du décret du 28 juillet 2010, « le fonctionnaire bénéficie chaque année d’un entretien professionnel qui donne lieu à un compte rendu ». L’article 4 précise que « le compte rendu comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier ». Ainsi, même en cas de changement d’affectation, le principe demeure. Le fonctionnaire n’est évalué qu’une fois au titre de l’année en cause et cette évaluation doit être précédée d’un entretien8.

C’est sur ce fondement que les juridictions administratives, saisies d’une demande en annulation du compte rendu professionnel, rendent leurs décisions. Qu’il s’agisse d’un changement d’affectation9, d’un détachement10, le fonctionnaire est évalué une fois pour l’année concernée, et cette évaluation doit être précédée d’un entretien donnant lieu à un compte rendu définitif. En l’espèce, la cour administrative d’appel de Marseille considère que le compte rendu litigieux, portant uniquement sur la première partie de l’année 2019, ne constitue pas un compte rendu d’entretien professionnel définitif au titre de l’année 2019.

Afin de pouvoir qualifier le compte rendu litigieux, les juges ont également pris en compte dans leur raisonnement juridique un élément de droit souple. Le troisième considérant fait en effet référence à l’annexe 1 à la note de la sous‑directrice de la gestion du personnel civil du ministère de la défense. Cette note de service a été appréhendée par le juge pour rendre sa décision. Relative à la campagne d’évaluation professionnelle au titre de 2019, elle entend rappeler qu’un bilan d’étape doit être effectué par le supérieur hiérarchique direct avant la mutation de l’agent. Les juges ont ainsi conclu qu’au terme de cette note, le bilan d’étape est conçu comme un document préparatoire inséré dans le dossier du fonctionnaire.

Au regard de ces éléments, les juges du second degré ont en l’espèce inséré dans la catégorie des actes préparatoires insusceptibles de recours, le bilan d’étape transmis à l’agent lors d’un changement d’affectation. Le bilan d’étape ne constitue qu’un simple élément préparatoire de l’entretien annuel que l’agent a eu avec son nouveau supérieur hiérarchique le 18 février 2020. Les actes préparatoires constituent des actes dépourvus de tout effet juridique11. L’agent n’est donc pas recevable à contester par la voie du recours pour excès de pouvoir un acte préparatoire, même en cas de vices de forme et de procédures12.

La décision rendue affirme que le compte rendu ne peut porter que sur une partie de l’année et cela, même en cas de changement d’affectation. Le fonctionnaire ne peut demander l’annulation que du compte rendu définitif. Les juges ont ainsi appliqué de manière implicite le principe du caractère indivisible du compte rendu professionnel.

II. L’application implicite du caractère indivisible du compte rendu professionnel

Selon la cour administrative d’appel de Marseille, seul le compte rendu annuel d’évaluation peut être contesté13. Le fonctionnaire ne peut demander l’annulation du compte rendu litigieux si celui-ci ne porte que sur une partie de l’année. La solution retenue par la cour semble ainsi cohérente au regard de la jurisprudence administrative. Effectivement, comme le souligne la cour administrative d’appel de Marseille, le compte rendu de l’entretien professionnel d’un agent public a un caractère indivisible14.

À de multiples reprises, le Conseil d’État affirme que la notation d’un fonctionnaire, comprenant une note chiffrée et une appréciation générale, a un caractère indivisible15. Pour rendre sa décision, il s’appuie sur l’article 17 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui énonce que « la valeur professionnelle des fonctionnaires fait l’objet d’une appréciation qui se fonde sur une évaluation individuelle donnant lieu à un compte rendu qui leur est communiqué »16. En l’espèce le juge se fonde sur le même article désormais codifié à l’article L. 521‑1 du code général de la fonction publique.

L’objectif poursuivi par cette jurisprudence est clair : le compte rendu professionnel doit exprimer la valeur professionnelle de l’agent au cours de l’année écoulée. Toute demande d’annulation portant sur un élément constitutif du compte rendu professionnel compromet la compréhension même de la valeur professionnelle de l’agent. Il n’est pas possible de contester une partie du compte rendu à l’instar de la note et des évaluations17. Qu’il s’agisse d’annuler la notation littérale18, d’annuler l’appréciation générale 19, de demander la modification de son compte rendu20, le caractère indivisible du compte rendu professionnel prime. Il ne peut être annulé partiellement.

En l’espèce, en refusant d’annuler le compte rendu relatif à la première partie de l’année 2019, le juge veille à ne pas compromettre l’appréciation de la valeur professionnelle de l’agent. C’est en ce sens que le bilan d’étape ne peut être envisagé indépendamment du compte rendu professionnel définitif. Il constitue un document préparatoire à l’entretien annuel d’évaluation permettant au nouveau supérieur hiérarchique d’apprécier la valeur professionnelle du fonctionnaire en cas de changement d’affectation. À cette fin, le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire compétent au moment de l’entretien annuel peut demander à l’ancien évaluateur de lui transmettre un bilan d’étape lui permettant d’apprécier la valeur professionnelle de l’agent. Il doit être effectué par son supérieur hiérarchique avant sa mutation. Le bilan d’étape peut par exemple indiquer que l’agent rencontre des difficultés relationnelles avec ses collègues, ou qu’il a du mal à trouver sa place dans l’organisation21.

Le bilan d’étape est ainsi consubstantiel au compte rendu professionnel définitif lors d’un changement d’affectation. Le supérieur hiérarchique doit tenir compte, en l’espèce, des fonctions occupées par l’agent du 1er janvier 2019 au 31 août 2019 afin de pouvoir réaliser l’entretien professionnel et le compte rendu professionnel au titre de l’année 2019. Annuler le bilan d’étape reviendrait donc à annuler partiellement le compte rendu professionnel définitif.

Notes

1 CE, 23 novembre 1962, Camara, no 50328 et 50329a. Retour au texte

2 CAA, Marseille, 20 septembre 2024, M. A, no 23MA01759. Retour au texte

3 TA, Marseille, 4 mai 2023, M. A, no 2002694. Retour au texte

4 Ibid., Retour au texte

5 CE, 12 mai 1995, Mlle X, no 133900 ; CE, 29 juillet 1994, Mme X, no 89011. Retour au texte

6 Voir les conclusions du rapporteur public M. Guillaumont sous la décision no°23MA01759. Retour au texte

7 Décret no 2010‑888 du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’État, JO, 30 juillet 2010. Retour au texte

8 Voir les conclusions du rapporteur public M. Guillaumont sous la décision no 23MA01759. Retour au texte

9 CAA, Marseille, 20 septembre 2024, M. A, no 23MA01759. Retour au texte

10 CAA, Lyon, 17 octobre 2024, M. B, no 22LY02347. Retour au texte

11 Dord O. « Le Conseil d’État conforte les mesures d’ordre intérieur en droit de la fonction publique en considérant uniquement leurs effets sur la situation des agents publics », La lettre juridique, no 630, 25 septembre 2015, Lexbase. Retour au texte

12 CAA, Nantes, 30 décembre 1998, Mme X, no°97NT01014. Retour au texte

13 CAA, Marseille, 20 septembre 2024, M. A, no°23MA01759. Retour au texte

14 CAA, Marseille, 17 septembre 2019, M. C, no°17MA03501. Retour au texte

15 CE, 12 mai 1995, Mlle X., no°133900 ; CE, 29 juillet 1994, Mme X, no°89011. Retour au texte

16 V. loi no°83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Loi dite loi Le Pors, abrogée le 24 novembre 2021. Retour au texte

17 Deliancourt S., « L’évaluation annuelle des fonctionnaires, une obligation même si le fonctionnaire refuse », AJFP, 2024, p. 158. Retour au texte

18 CE, 29 juillet 1994, Mme X., no°89011. Retour au texte

19 CE, 12 mai 1995, Mlle X. no°133900 ; CAA Paris, 27 novembre 2020, M. B, no°18PA03803. Retour au texte

20 TA, Caen, 18 juillet 2022, M. B, no°2002542. Retour au texte

21 CAA, Bordeaux, 6 décembre 2021, Mme A, no°19BX03419. Retour au texte

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