La rémunération des agents de l’État affectés dans un centre de ressources, d’expertise et de performance sportive est exclue de l’assiette de la taxe sur les salaires dont ce centre est redevable

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Décision de justice

CAA Marseille, 3e chambre – N° 23MA01704 – 17 octobre 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 23MA01704

Numéro Légifrance : CETATEXT000050394325

Date de la décision : 17 octobre 2024

Index

Mots-clés

taxe sur les salaires

Rubriques

Fiscalité

Résumé

CAA, Marseille, 17 octobre 2024, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, no 23MA01704.

Si la taxe sur les salaires, instituée par les dispositions du 1 de l’article 231 du code général des impôts est due par tout employeur à raison des rémunérations versées à ses employés, quelles que soient les modalités de paiement de celles-ci, les agents de l’État affectés dans les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (CREPS) sont recrutés et affectés par l’État, qui gère leur carrière et conserve, corrélativement à son pouvoir de nomination, le pouvoir disciplinaire à leur égard. En outre ces agents, qui demeurent couverts par les dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État et par leurs statuts particuliers, voient leur rémunération à la charge par l’État, et sont placés sous l’autorité du directeur du centre, qui, conformément au troisième alinéa de l’article L. 114‑11 du code du sport, représente l’État au sein de l’établissement, en particulier dans le cadre des missions exercées par ces agents au nom de l’État. La cour en déduit que, quand bien même leur rémunération est versée par le centre, qui bénéficie en contrepartie d’une subvention de l’État, ces agents ont l’État pour employeur, et que la rémunération de ces agents doit être exclue de l’assiette de la taxe dont le CREPS Provence-Alpes-Côte d’Azur est redevable.

Conclusions du rapporteur public

Didier Ury

Rapporteur Public

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  • IDREF

DOI : 10.35562/amarsada.562

La définition du fonctionnaire d’État dans un litige portant sur l’identification du redevable de la taxe sur les salaires. Une application du « réalisme » du droit fiscal qui prend le pas sur le formalisme, pour qualifier le lien de sujétion entre l’employeur et son personnel. Exclusion de la base imposable de la taxe sur les salaires due par un CREPS de la part des traitements versés aux fonctionnaires d’État y détachés.

Le centre de ressources d’expertise et de performance sportive (CREPS) Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a été assujetti à la taxe sur les salaires au titre des années 2017 et 2018. Il a sollicité la réduction de ces impositions correspondant à la part de leurs bases assises sur la rémunération des agents de la fonction publique d’État, en poste en son sein, au cours de ces deux années. Le ministre chargé du budget relève appel du jugement du 18 avril 2023 (no 2101990) par lequel le tribunal administratif de Marseille a déchargé le CREPS PACA de la taxe sur les salaires auxquelles il a été assujetti au titre des années 2017 et 2018, à raison de la réduction de la base d’imposition des rémunérations versées aux agents de l’État qui y exercent leurs fonctions.

S’agissant de la question du bien-fondé de l’application de la taxe sur les salaires sur la rémunération des agents de l’État détachés auprès d’un CREPS, vous trouvez une unique décision de cour, qui vous est d’ailleurs signalée par le ministre puisqu’elle va dans son sens, et qui émane de la cour administrative d’appel de Toulouse (CAA, Toulouse, 21 février 2014, CREPS de Montpellier, no 22T21112). Cette cour a rejeté la requête d’appel du CREPS tendant à obtenir l’annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande tendant à obtenir la restitution des cotisations de taxe sur les salaires acquittées à raison des rémunérations versées aux agents de l’État, affectés dans son établissement au titre des années 2014 à 2017.

Le CREPS PACA fait valoir qu’il n’était pas redevable des taxes litigieuses en application du dernier alinéa du 1 de l’article 231 du code général des impôts, qui dispose que « les rémunérations payées par l’État sur le budget général sont exonérées de taxe sur les salaires lorsque cette exonération n’entraîne pas de distorsion dans les conditions de la concurrence ». Il en a conclu que les traitements des fonctionnaires de l’État détachés auprès de lui n’entraient pas dans la détermination de la base d’imposition annuelle de la taxe contestée, et il a été suivi par les juges de Marseille, alors que la cour de Toulouse a jugé le contraire.

Toute la question dans ce dossier est de déterminer si le CREPS peut être considéré comme l’employeur des agents de l’État. Si ce n’est pas le cas, et que ces agents restent assujettis à l’État, alors le CREPS sera bien fondé à demander la réduction des bases d’impositions des taxes litigieuses.

La réponse au litige qui vous est soumis n’est pas d’évidence, et il nous paraît nécessaire de vous présenter les éléments du dossier, qui sont manifestement complexes, sinon contradictoires.

Rappelons que la taxe sur les salaires est due par les employeurs qui ne sont pas redevables de la taxe sur la valeur ajoutée sur la totalité de leur chiffre d’affaires ; elle est assise sur les salaires versés aux employés. En application du code du sport, les CREPS sont des établissements publics locaux (article L. 114-1), placés sous double la tutelle de l’État (article L. 114-2) et de la région (article L. 114-3), pour exercer leurs missions au nom de ces derniers. Ils disposent de trois catégories de personnels que sont les fonctionnaires de l’État, ceux de la région, et des agents contractuels recrutés sur le budget propre de l’établissement. Les fonctionnaires d’État qui conservent leur statut sont placés sous l’autorité du directeur de l’établissement (article L. 114-16), et leur rémunération est assurée par l’État au moyen d’une subvention versée au CREPS (article L. 114-2). Il est donc constant que l’État a la charge de la rémunération de ses agents affectés dans les CREPS, et le financement de ces dépenses est assuré par les crédits prévus à cet effet par le budget de l’État, et par les ressources propres de chaque établissement (article L. 114-4 et R. 114-20). L’instruction comptable M9-9 applicable aux CREPS assimile la gestion d’un CREPS à celle d’un établissement public local d’enseignement (EPLE).

En raisonnant par analogie, vous retrouvez dans les CREPS des éléments correspondant à ceux des enseignants affectés dans les groupements d’établissements publics locaux d’enseignement (GRETA).

En effet, par une décision du 23 mai 2008 évoquée dans le débat entre les parties (CE, 26 mai 2008, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie c/ GRETA Alpes Dauphiné, no 285066), la Haute assemblée a jugé, au sujet des rémunérations versées aux personnels enseignants de l’Éducation nationale occupant des postes rémunérés par l’État mais remboursés par les GRETA, que « la taxe sur les salaires est due par tout employeur à raison des rémunérations versées à ses employés, quelles que soient les modalités de paiement de celles-ci », et par suite, que l’État doit être regardé comme l’employeur, au sens de l’article 231 du code général des impôts, des enseignants de l’Éducation nationale affectés au sein des GRETA, nonobstant la circonstance que ces derniers remboursent à l’État, sur leurs ressources propres, les rémunérations versées par celui-ci à ces agents. Dès lors, les GRETA ne sont pas redevables de la taxe sur les salaires au titre des rémunérations versées aux personnels de l’Éducation nationale occupant des postes dits « gagés ».

Dans le cas des CREPS, leurs budgets sont abondés à l’avance par l’État des rémunérations des personnels, qu’ils versent ensuite eux-mêmes aux fonctionnaires détachés. À la lecture de la décision du Conseil d’État précitée, il semble que la solution du présent litige est évidente.

Toutefois, les conclusions de François Seners1 sont moins tranchantes que la décision qu’elles accompagnent. Il rappelle qu’une « solide lignée jurisprudentielle » fixe les règles permettant de déterminer « au cas par cas » le redevable de la taxe sur les salaires, et que le redevable de la taxe est celui qui paie, mais que le législateur n’a pas précisé ce qu’il faut entendre par payer. Dans le silence de la loi, il faut comprendre, toujours selon M. Seners, que « le redevable est celui qui a la qualité d’employeur, c’est-à-dire celui envers lequel les salariés sont dans l’état de subordination qui caractérise le contrat de travail, et non pas celui qui supporte la charge effective des salaires taxables ».

Or l’article 231 du code général des impôts applicable pour les deux années en cause, pour lequel il n’y a pas moins de cinq versions sur Légifrance, mais dont le passage significatif est constant, précise que « I. Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés […] sont soumises à une taxe égale à 4,25 % […]. Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés […]. ». Vous voilà donc devant une alternative. Soit la taxe est à la charge de celui qui emploie les personnels, soit à la charge de celui qui les paie.

Il est à relever que la situation des CREPS se distingue de celle des GRETA sur deux points essentiels. D’une part, les CREPS bénéfice du statut d’établissement public local, ce qui implique qu’ils disposent de la personnalité morale, ce qui n’est pas le cas des GRETA. D’autre part, la rémunération des personnels enseignants des GRETA leur est directement versée par l’État, puis remboursée par les GRETA, alors que les budgets des CREPS sont abondés à l’avance des rémunérations, qu’ils versent ensuite eux-mêmes aux personnels détachés.

À ce stade du raisonnement, en application du considérant de principe de l’arrêt « GRETA Alpes Dauphiné », l’employeur est bien celui qui rémunère les employés.

Pour alimenter encore vos réflexions, il est indispensable de citer la décision du Conseil d’État du 9 novembre 2015, maison de retraite départementale de la Loire (no 383 452), qui statue sur la question de déterminer, qui de l’État ou des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD), est l’employeur des directeurs de ces établissements, au sens du I de l’article 231 du codé général des impôts, dans une version rédigée à l’identique de celle qui nous intéresse. Les juges du Palais-Royal y relèvent que le directeur d’un EPHAD est rémunéré par l’établissement sur son budget propre, lequel établissement émet un avis sur la nomination de son directeur, assure sa rémunération et détermine les conditions de son emploi, pour décider que

« l’établissement doit être regardé comme l’employeur de son personnel de direction qu’il rémunère, au sens de l’article 231 du code général des impôts, nonobstant la circonstance que celui-ci est statutairement nommé, géré et évalué par une autorité de l’État, et était donc redevable de la taxe sur les salaires assise sur les rémunérations correspondantes ».

Si cette décision est limpide en ce qu’elle fait prévaloir la qualité d’employeur considéré au regard du lien de subordination, encore une fois, les conclusions du rapporteur public dans cette instance sont plus nuancées. En effet, Aurélie Bretonneau souligne que si le texte qui prévoit que la taxe est « à la charge des personnes ou organismes […] qui paient ces rémunérations » est « plutôt clair », elle rappelle toutefois la décision du 17 avril 1985, Société Interimest (no 48 096), qui portait sur la situation particulière des intérimaires, dont les salaires sont versés par les agences d’intérim, mais en réalité supportés par les entreprises clientes de ces agences, où le Conseil d’État a fait « primer le circuit de versement sur la réalité économique », pour en déduire que l’agence était la redevable de la taxe. Autrement dit, les juges du Palais-Royal ont privilégié dans cette dernière affaire le payeur matériel des rémunérations, sur le lien de subordination. Elle précise que, selon elle, la décision GRETA Alpes Dauphiné a transposé ce raisonnement aux rémunérations versées aux personnels de l’Éducation nationale affectés au sein des GRETA, en considérant l’État comme employeur de ceux-ci, en dépit de la circonstance que les GRETA remboursaient leurs rémunérations à l’État. Elle a néanmoins rappelé les conclusions précitées de M. Seners qui « relevait alors l’importance, pour caractériser la qualité d’employeur, du critère de l’état de subordination qui caractérise le contrat de travail, et par extension les relations assimilées à ce contrat ».

Il nous semble, à la lecture de ces jurisprudences, que contrairement à ce qui peut apparaître au prime abord, le critère de l’employeur n’est pas recouvert par celui de payeur de la rémunération, puisque si cette difficulté a été résolue par la décision Société Interimest, il n’en demeure pas moins que les salaires des intérimaires sont réellement supportés par les entreprises utilisatrices. Donc, force est de constater que vous êtes bien démunis puisque vous ne disposez d’aucune décision de principe permettant de faire le départ entre la logique du payeur, et celle du lien de subordination, pour qualifier l’employeur. Pourtant, il vous faut bien décider dans cette instance, qui du ministre ou du CREPS PACA a raison. Pour trancher cette question, vous devez faire prévaloir le réalisme sur la fiction juridique.

D’une part, le directeur d’un CREPS, bien que dirigeant un établissement local, représente l’État, en application de l’article L. 114-11 du code du sport, pour assurer les missions qui lui sont dévolues. Vous êtes donc en présence d’agents de l’État détachés dans un organisme dont le directeur est un représentant de l’État, et qui est chargé de missions dévolues à la puissance publique nationale, et qui conserve le pouvoir de nomination, sanction et révocation sur ces fonctionnaires. Dans ces conditions, selon nous, l’État ne peut qu’être regardé comme l’employeur des agents détachés auprès du CREPS. Si effectivement le CREPS jouit de la personnalité morale et de l’autonomie financière, et s’il verse directement leurs rémunérations aux personnels de l’État détachés en son sein au moyen de crédits abondés par l’État, ces circonstances, et notamment le fait que le CREPS assure matériellement le paiement des rémunérations, ne peuvent venir contrer la réalité de la présence de fonctionnaires d’État qui demeurent les employés de celui-ci.

Par ces motifs nous concluons au rejet de la requête du ministre, et à ce que l’État verse une somme de 1 500 euros au CREPS PACA au titre de ses frais d’instance.

Notes

1 Bulletin des conclusions fiscales, 8-9/08, no 105 ; Revue de droit fiscal, no 25 (19 juin 2008), com. 388. Retour au texte

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