Les quatre critères de la domiciliation fiscale d’une personne physique pour l’application de la convention fiscale franco‑allemande

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Décision de justice

CAA Marseille, 3e chambre – N° 21MA02682 – 07 novembre 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 21MA02682

Numéro Légifrance : CETATEXT000050490563

Date de la décision : 07 novembre 2024

Index

Mots-clés

convention fiscale bilatérale, stipulations relatives à la domiciliation fiscale, stipulations relatives à des procédures d’accord amiable et d’arbitrage entre les autorités fiscales des deux États

Rubriques

Fiscalité

Résumé

CAA, Marseille, 7 novembre 2024, Mme G., no 21MA2682 (pourvoi no 502244)

Par cet arrêt, la cour a été conduite, en tant que juge de l’impôt sur le revenu, à faire application de la convention fiscale bilatérale franco‑allemande à deux titres.

Au premier chef, elle juge qu’aucune des stipulations de cette convention, notamment pas ses articles 25 et 25 a, ne lui imposait de surseoir à statuer sur le litige dont elle était saisie dans l’attente de la conclusion éventuelle d’un accord amiable entre les autorités fiscales françaises et allemandes, ni d’enjoindre à celles‑ci de se soumettre à une procédure d’arbitrage, et de surseoir à statuer dans l’attente de la décision issue d’une telle procédure.

Au second chef, la cour, après avoir déterminé de manière positive le domicile d’un contribuable en France, a vérifié si cette convention fiscale bilatérale faisait obstacle à son imposition à raison de l’ensemble de ses revenus, au regard des quatre critères de domiciliation posés par cet instrument international.

Conclusions du rapporteur public

Didier Ury

Rapporteur public

Un exemple rare de l’application des quatre critères de domiciliation fiscale d’une personne physique par la convention fiscale bilatérale franco‑allemande. Application du raisonnement fixé par la décision Memmi du 17 mars 1993 (no 85894, RJF 5/93 no 612) selon lequel après avoir déterminé de manière positive le domicile d’un contribuable en France, le juge doit vérifier si une convention fiscale bilatérale fait obstacle à son imposition à raison de l’ensemble de ses revenus ou de certains d’entre eux. Également, première fois que le juge se déclare incompétent pour obliger deux états à engager une procédure d’arbitrage.

À l’issue de l’examen de la situation fiscale personnelle de Mme A, de nationalité allemande et veuve depuis 1989 de l’industriel allemand A, fondateur du groupe du même nom, l’administration a considéré qu’elle devait être regardée comme une résidente française au titre des années 2008 et 2009, et imposable à ce titre sur l’ensemble de ses revenus mondiaux. Au titre de la perception d’intérêts de participation dans des sociétés et de dividendes, elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties des intérêts de retard et, en dernier lieu, de la majoration de 10 % pour non dépôt, pour un montant total, en droits et pénalités, de 4 625 530 euros, recouvré en 2013. Elle relève appel du jugement no 1402822 du 11 mars 2021, par lequel le tribunal administratif de Nice, après avoir prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2008, à concurrence d’un crédit d’impôt d’un montant de 421 085 euros, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande, en tant qu’il ne lui a pas donné entière satisfaction.

Tout d’abord, vous devez prononcer un non-lieu à statuer en droits et pénalités à hauteur de 7 113 euros en matière de contributions sociales de l’année 2008, et de 857 984 euros, en matière d’impôt sur le revenu de l’année 2009, à la suite d’un dégrèvement accordé le 20 décembre 2021, correspondant au montant de l’impôt prélevé à la source en Allemagne sur les dividendes de Mme A. Le montant du litige dont vous avez à connaître s’élève donc à la somme de 3 334 348 euros.

Ensuite, l’affaire dont vous avez à connaître est délicate sur le plan du principe de l’imposition de Mme A en France. En effet, cette personne peut être qualifiée de contribuable compliant, c’est-à-dire respectueux de ses obligations fiscales, tant en France, qu’en Allemagne, pays d’où elle retire l’essentiel de ses revenus.

Elle a en effet souscrit en Allemagne des déclarations de revenus, en qualité de résidente fiscale, et à ce titre, elle produit un certificat du fisc allemand qui atteste de son obligation fiscale illimitée dans ce pays. Elle a également souscrit auprès du centre des non‑résidents, des déclarations d’impôt sur la fortune, ainsi que de revenus fonciers.

Pour autant, le fisc français a considéré que Mme A, veuve et sans charge de famille, avait son foyer en France au titre des années en litige, et plus précisément dans les Alpes‑Maritimes, où elle dispose d’une remarquable propriété par l’intermédiaire de la société civile immobilière « Les Résidences du Parc des Zoraïdes », dont elle était gérante, société civile qui est détenue à 76 % par la fondation A dont le siège est en Allemagne, qui est présidée par l’intéressée, le reste des parts sociales étant dans les mains de la fille de la requérante. Pour domicilier fiscalement Mme A en France, et imposer des revenus issus de capitaux mobiliers et d’intérêts de société, le reste des ressources étant laissé à l’Allemagne (BIC, pensions…), le vérificateur s’est notamment fondé sur des éléments obtenus à la suite de l’exercice de son droit de communication auprès de l’autorité judiciaire, autorisé par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Marseille le 28 mars 2011. L’autorité judiciaire a eu à connaître d’un dossier qualifié par la presse d’opération « mains propres », impliquant des élus de communes proches de la principauté de Monaco, ainsi qu’un entrepreneur italo‑monégasque, l’ensemble étant impliqué dans des affaires dans le BTP. Les pièces du dossier judiciaire ont accrédité l’idée que l’entrepreneur italo‑monégasque était le compagnon de Mme A. Le vérificateur, qui a exploité des procès‑verbaux d’auditions, notamment celui de Mme A, dont les déclarations doivent être regardés comme probantes, en dépit qu’elle n’ait pas été assistée d’un avocat, relève que l’intéressée résidait habituellement dans sa somptueuse villa en France, à l’exception, a‑t‑elle déclaré, d’une période de huit à dix jours par mois où elle se rendait en Allemagne. Ces déclarations ont été corroborées par le compagnon présumé de Mme A, lui aussi auditionné par les forces de l’ordre, et par l’intendante de la propriété, dont il n’est pas établi que ses déclarations, qui se bornent à corroborer celles des principaux intéressés, auraient été motivées par une situation de conflit avec son employeur, puisqu’elle a été remerciée. En outre, à la suite d’une perquisition menée dans la propriété de Roquebrune‑Cap‑Martin, il a été constaté la présence de nombreux effets personnels, tels que 37 costumes, ce qui atteste de la présence d’un monsieur dans cette villa, des chéquiers et des classeurs, et de trois véhicules, le tout appartenant au présumé compagnon de Mme A.

Le service a corroboré ses constatations, par la détermination du nombre de jours que Mme A avait passé en Allemagne et en France au cours des années en litige, à partir des factures de loueurs d’avion portant sur le trajet entre Nice et Baden-Baden (Mme A voyageant en avion privé), lieu de sa résidence en Allemagne, et des dates de retraits d’espèces, de chèques tirés ou remis à l’encaissement, de retraits d’argent par carte bancaire ou de paiements effectués par carte bancaire en France, figurant sur les relevés de comptes ouverts auprès d’établissements bancaires situés à Monaco. Elle a également constaté que les factures détaillées de téléphone fixe installé dans la propriété de Roquebrune‑Cap‑Martin et de téléphones mobiles établissaient de nombreux appels passés depuis la France, corroborant les périodes de séjour en France, et que les relevés de badges facturés par une société d’autoroute, obtenus à la suite de l’exercice du droit de communication, indiquaient des passages réguliers et fréquents dans les Alpes‑Maritimes. La présence de Mme A en France s’est élevée à 301 jours en 2008, et 294 jours en 2009.

Le vérificateur a donc considéré que le foyer de Mme A était en France, aux motifs qu’elle y résidait nettement plus qu’en Allemagne, et qu’elle y entretenait une relation intime.

Mme A conteste être résidente française sur les années en litige, faute d’y disposer d’un domicile fiscal au sens des articles 4 A et 4 B du code général des impôts, et alors que, selon elle, les critères de la convention franco‑allemande du 21 juillet 1959 confirment sa résidence fiscale en Allemagne.

Elle fait valoir que les éléments relevés par l’administration sont insuffisants pour établir le caractère de notoriété inhérent à un concubinage avec un monsieur qui dispose d’un appartement à Monaco. Si effectivement il n’est pas radicalement établi que monsieur était le compagnon attitré de madame, il demeure que Mme A, qui est célibataire et sans enfant à charge, avait le centre de sa vie personnelle en France au titre des années en litige, compte tenu du temps qu’elle y passe, et d’une relation qui peut à tout le moins être qualifiée de privilégiée depuis plusieurs années avec le monsieur précité, qui n’est pas contestée, et corroborée par les éléments de fait relevés.

Pour contester que son foyer principal d’habitation soit en France, et affirmer que le centre de sa vie personnelle était en Allemagne, la requérante fait d’abord valoir que l’administration n’aurait pas tenu compte de déplacements en voiture vers l’Allemagne. Mais elle ne justifie pas de trajets autoroutiers entre la France et l’Allemagne, pays où elle se renait en jet. Ensuite, elle soutient que les opérations bancaires n’ont pas nécessairement été réalisés de France et aux dates indiquées, et que les décomptes de l’administration comportent des erreurs. Mais elle ne met pas en évidence ces erreurs, ni que les communications téléphoniques peuvent être liées à la présence du personnel dans la propriété, alors qu’elle a reconnu elle‑même dans le cadre de son audition, que ses séjours en Allemagne étaient temporaires. Dans ces conditions, selon nous, et notamment parce que l’intéressée a résidé en France pendant une durée nettement supérieure à celle des séjours effectués en Allemagne, le service démontre que Mme A habitait normalement à Roquebrune-Cap-Martin, où elle avait le centre de sa vie personnelle, au titre des années litigieuses. Par suite, ayant son foyer en France au sens du a. du 1. de l’article 4 B du code général des impôts, elle y avait son domicile fiscal au sens de l’article 4 A.

Deuxièmement, Mme A produit une attestation du bureau des finances allemand du 15 février 2012 mentionnant une obligation fiscale illimitée pour l’impôt sur le revenu en Allemagne, du fait de sa résidence à Baden‑Baden au sens du a) du 4 du (1) de l’article 2 de la convention franco-allemande. Elle fait valoir que les critères stipulés au b) du même article font obstacle à son imposition en France. La circonstance que l’intéressée ait été soumis à l’impôt sur le revenu en Allemagne au titre des années d’imposition en litige, ne suffit pas, par elle‑même, à lui conférer la qualité de résident d’Allemagne au sens des stipulations précitées, dès lors qu’elle aurait pu être assujettie à cet impôt en raison de la seule disposition de revenus de source allemande. Il vous faut aller plus loin, en vous inspirant des commentaires du modèle de la convention OCDE, selon lesquels il convient d’étudier les diverses formes de liens personnels envers un État (CE, 9 juin 2020, Bich, no 434972, RJF 8-9/20 no 723, concl. K. Ciavaldini C723). Sur ce point, il me semble que les éléments actionnés par Mme A, tenant à la présence de sa famille en Allemagne, de sa qualité de présidente de la fondation A, et qu’elle y perçoit l’essentiel de ses ressources, vous obligent à considérer sans conteste, que vous êtes bien face à un conflit de résidence (CE, 24/1/11, no 316457, Moghadam, RJF 4/11 no 490).

Vous devez alors déterminer la résidence fiscale de l’intéressée, en faisant application successivement des critères énoncés par la convention applicables lorsqu’une personne physique est regardée comme résidente de chacun des États. La résidence est alors déterminée en fonction de critères qui sont, successivement, le lieu du foyer permanent d’habitation, le centre des intérêts vitaux, c’est‑à‑dire l’État avec lequel ses liens personnels et économiques sont le plus étroits, le lieu du séjour habituel, et enfin, en dernier recours, la nationalité (CE, 26 janvier 1990, no 69853, Renck, RJF 3/1990 no 240, concl. O. Fouquet à Dr. fisc. 1990 comm. 1121).

Il vous faut donc aller sur la notion de foyer d’habitation permanent, qui comme nous venons de le dire, correspond au sens du droit conventionnel à la disposition durable d’une habitation (CE 13 mai 1983 no 28831, M. X, RJF 7/83 no 848 (convention franco‑américaine) ; CE 21 décembre 1983 no 27685, M. X, RJF 2/84 no 107 (convention franco‑espagnole) ; CE 26 janvier 1990 no 69 853, Renck, RJF 3/90 no 240, concl. O. Fouquet Dr. fisc. 23‑24/90 c. 1121 (convention franco‑allemande) ; CE 11 décembre 2009 no 300733, M. et Mme D, RJF 2010, no 195), sans qu’ait d’incidence le lieu du séjour principal, et le critère des liens familiaux (CE, 17/12/10, no 316144, Venekas, dans le cadre de la convention fiscale franco‑gabonaise).

En l’espèce, il est constant que Mme A disposait au titre des années en litige et de manière durable, d’une propriété située en Allemagne. Ainsi, il ne peut qu’être constaté qu’elle disposait d’un foyer d’habitation permanent dans les deux États.

Il vous faut donc déterminer maintenant le centre de ses intérêts vitaux, qui vise à situer l’État avec lequel les liens personnels et économiques sont les plus étroits. À ce titre, sont pris en considération les relations familiales et sociales du contribuable, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires, le lieu d’administration des biens (CE, 26/9/12, no 346 556, Tedesco, dans le cadre de la convention franco‑belge).

Sur la période en litige, il est constant que les parents de Mme A, ses deux filles et ses petits enfants sont installés en Allemagne, qu’elle effectue la plupart de ses soins médicaux dans une clinique du groupe A, qu’elle est inscrite sur les listes électorales en Allemagne, qu’elle participe à la vie de la fondation « A» et qu’elle donne à des associations allemandes. Toutefois, comme déjà dit, elle n’a résidé en Allemagne que 40 jours en 2008 et 38 jours en 2009. Compte tenu de sa résidence habituelle dans le sud de la France, et de sa relation privilégiée avec le monsieur précité, il nous semble que ses liens personnels étaient ainsi plus étroits avec la France qu’en Allemagne.

S’agissant maintenant des intérêts économiques de Mme A, compte tenu de ses fonctions au sein de la fondation précitée et du patrimoine en résultant, l’essentiel de ses revenus était situé en Allemagne, ce que d’ailleurs le ministre ne conteste pas. Sur ce point, sa seule qualité d’associé de plusieurs sociétés civiles immobilières en France et à Monaco, ne peut venir amoindrir la réalité d’intérêts économiques en Allemagne, notamment parce que c’est dans ce pays qu’elle retire l’essentiel de ses revenus, notamment patrimoniaux, ainsi qu’il ressort des mentions de la proposition de rectification reprenant les termes des déclarations souscrites en Allemagne, qui font état de la perception de salaires, de pensions, de bénéfices industriels et commerciaux et de revenus de capitaux mobiliers y trouvant leur source.

Pour apprécier le centre des intérêts vitaux, les commentaires de l’OCDE stipulent qu’outre les éléments relatifs à la situation personnelle, familiale et économique, les considérations tirées du comportement personnel de l’intéressé doivent toutefois spécialement retenir l’attention. En l’espèce, compte tenu des liens personnels et économiques étroits de Mme A avec les deux États, le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être définitivement attribué à l’un des États contractants.

S’agissant maintenant du lieu du séjour habituel, qui ne se confond pas avec le lieu du séjour principal au sens du droit interne, il convient de tenir compte des séjours effectués temporairement dans un autre État, notamment pour des motifs professionnels, dès lors qu’ils présentent un caractère habituel (CE, 16 juillet 2020, no 436 570, Curot, dans le cadre de la convention franco‑brésilienne). Le séjour habituel dans un État s'apprécie au regard de la fréquence, de la durée et de la régularité des séjours dans cet État qui font partie du rythme de vie normal de la personne et ont un caractère plus que transitoire, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la durée totale des séjours qu'elle y a effectués excède la moitié de l'année.

En l’espèce, Mme A fait valoir que, compte tenu de ses impératifs professionnels et familiaux, elle se rendait chaque mois en Allemagne pour une durée minimale de huit jours.

Il résulte effectivement de l’instruction, que la requérante s’est rendue chaque mois en Allemagne à Baden-Baden, à l’exception des mois d’août, pour des séjours d’une durée unitaire, pour l’essentiel, de trois nuitées, représentant au total une durée d’environ quarante jours annuels. Si Mme A est regardée comme résidente allemande, le critère subsidiaire de la nationalité posé par la convention franco-allemande trouverait à s’appliquer, et elle devrait alors être déchargée des impositions supplémentaires appliquées en France. (CE 26 janvier 1990, Renk, no 69853, 7e et 9e s.-s. :  RJF 3/90 no 240, concl. O. Fouquet Dr. fisc. 23-24/90 c. 1121).

Sa présence en Allemagne, qui est fréquente et régulière, et qui rythme sa vie, est parfaitement justifiée par ses liens familiaux et ses obligations professionnelles tenant au versement des sommes importantes qui lui sont allouées, issue de la fondation A. Toutefois, elle demeure très majoritairement en France où elle réside habituellement, et les séjours en Allemagne d’une durée maximale de trois jours, et non de huit jours comme elle le revendique, ne sont à notre sens que transitoires, au sens de la jurisprudence Curot précitée. Ainsi, il nous semble que son séjour habituel était en France, et vous n’aurez donc pas, comme c’est la règle en cas de séjour habituel dans les deux États contractants, à actionner le critère de la nationalité. Dans ces conditions et circonstances, même si Mme A est allemande, dès lors qu’elle ne peut valablement opposer le droit conventionnel au droit national, elle n’est pas fondée à demander la décharge des impositions contestées.

Vous devez donc aller sur la demande de sursis à statuer exprimée par Mme A, dans l’attente de l’issue de la procédure amiable engagée sur le fondement de la convention franco‑Allemande, et d’enjoindre à l’administration de se soumettre à la procédure d’arbitrage prévue par cette convention.

Il résulte de l’instruction que Mme A a demandé le 10 octobre 2013 aux autorités fiscales allemandes l’ouverture d’une procédure amiable, sur le fondement des stipulations de l’article 25 de la convention franco‑allemande du 21 juillet 1959.

Après instruction du dossier, le 7 février 2018, les autorités fiscales allemandes ont saisi les autorités fiscales françaises de l’ouverture d’une procédure amiable. Cette procédure est toujours pendante puisque le ministre vous a indiqué le 17 mai 2024 que le dialogue entre les deux États n’avait toujours pas abouti, et qu’avant de décider d’une position, les autorités nationales étaient en attente de la décision de la cour.

Mme A lit l’article 25 a de la convention précitée comme faisant obligation aux États de l’appliquer de bonne foi, et par suite, qu’en cas de carence, le juge peut enjoindre aux États de désigner une commission d’arbitrage, et de surseoir à statuer dans l’attente de la décision à intervenir.

Quelques précisions doivent vous être apportées sur ce point.

Le recours à une commission d’arbitrage dans le cadre de la procédure amiable, qui a été crée par un avenant du 28 septembre 1989, a été modifié par un avenant du 31 mars 2015, notamment pour préciser que la procédure amiable peut être initiée indépendamment des recours prévus par le droit interne de ces États. Cette modification est applicable aux impositions intervenant à compter du 1er janvier 2016. La convention franco‑allemande ne précise pas si l’ancienne procédure continue de s’appliquer, alors que l’article 66.1 des commentaires de l’OCDE sur l’article 25, préconise qu’en cas de changement dans la convention, par précaution, le texte indique si tel est le cas. Dans ces conditions, rien n’indique que Mme A puisse se prévaloir des stipulations de la convention relative à la procédure amiable antérieure à l’entrée en vigueur de l’avenant du 31 mars 2015.

Par ailleurs, même si l’article 25 dans sa rédaction invoquée n’est pas conforme au modèle OCDE, il résulte des commentaires sous cet article, que l’ensemble des phases de la procédure amiable est indépendant des recours judiciaires exercés par le contribuable. En l’espèce, nous ne voyons aucun élément, et notamment pas dans le texte de l’article 25 précité, après ou avant sa modification, qui empêcherait de retenir une telle interprétation de la clause d’arbitrage. Rien dans la convention n’oblige le juge fiscal à surseoir à statuer dans l’attente de la décision d’arbitrage, et rien ne l’autorise à adresser aux deux États une injonction de conclure un arbitrage, et notamment pas d’un juge français vis‑à‑vis de l’Allemagne.

Mme A se prévaut à son tour des commentaires 64 et 77 de modèle OCDE pour vous persuader de suspendre la procédure de recours interne dans l’attente des résultats de la procédure amiable, qui inclut l’arbitrage. Toutefois, elle omet de mentionner l’article 76 du même texte qui confirme selon nous l’indépendance entre recours interne et procédure amiable d’arbitrage.

En définitive, il nous semble donc que l’existence de la recherche d’un accord amiable entre les deux États ne vous impose en aucune façon de surseoir à statuer sur le litige, et alors comme déjà dit que selon nous, vous n’êtes pas compétent pour enjoindre l’État allemand à se plier à une stipulation conventionnelle.

Vous ne pouvez donc pas accéder à la demande de Mme A de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure amiable franco‑allemande.

Ensuite, Mme A fait valoir que le jugement est irrégulier faute d’avoir prononcé un sursis à statuer dans l’attente de la décision relative à la procédure amiable engagée, et ce, au nom d’une « bonne administration de la justice ». Mais compte tenu de ce qui vient d’être dit, le refus de surseoir ne saurait vicier le jugement.

En cinquième lieu, la requérante critique la régularité de la procédure d’imposition.

Premièrement, Mme A fait valoir qu’ayant fait l’objet d’une procédure de perquisition et de saisie, et d’une garde à vue le 24 novembre 2009, avec son compagnon, au cours de laquelle elle a été interrogée, et que le vérificateur a utilisé les éléments des procès-verbaux d’audition établis à cette occasion pour établir les impositions contestées, l’examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle a débuté avant l’envoi de l’avis de vérification daté du 23 décembre 2020, en méconnaissance de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales. Toutefois, il est de jurisprudence constante que les procédures d’examen contradictoire de situation fiscale personnelle, et de droit de communication, sont indépendantes l’une de l’autre (CE, 1er décembre 2004, no 258 774, min. c/ Jallet : RJF 2/05 no 108, 7e considérant, avec les conclusions de P. Collin BDCF 2/05 no 12). Par suite, l’engagement d’une procédure judiciaire à son encontre ne saurait par elle-même révéler l’existence d’un début d’examen de la situation fiscale personnelle du contribuable.

Deuxièmement, la requérante n’est pas fondée à se prévaloir de l’instruction fiscale référencée BOI‑CF‑PRG‑20‑10, qui porte sur les garanties applicables lors de l’exercice du contrôle, qui reprend la doctrine administrative 13 L‑1311, puisque l’article L.80 A du livre des procédures fiscales exclu les textes relatifs à la procédure d’imposition, ce qui est le cas en l’espèce.

Troisièmement, il résulte de l’instruction que le vérificateur a rencontré à quatre reprises Mme A dans le cadre de l’examen de sa situation fiscale personnelle. Dans ces conditions, la requérante n’apportant aucun élément précis de nature à établir que ce fonctionnaire se serait refusé à un débat oral et contradictoire, ou qu’il aurait manqué à son devoir de loyauté et d’impartialité, dans l’exercice de ce contrôle.

En sixième lieu, s’agissant du bien-fondé des impositions, Mme A fait d’abord valoir qu’elle peut bénéficier d’un crédit d’impôt sur les revenus de source allemande autres que les dividendes, pour lesquels elle a obtenu un dégrèvement. Toutefois, dès lors qu’elle est regardée comme une résidente française, les sommes perçues en Allemagne sont imposables en France, et dans cette situation, elles ne peuvent donner lieu à l’application des stipulations du 2 de l’article 20 de la convention franco‑allemande, qui ne prévoient l’octroi d’un crédit d’impôt que lorsque des revenus imposables en France, sont également imposables en Allemagne (CE, 19 décembre 2018, no 413 033, M. et Mme B).

Ensuite, la requérante fait valoir la jurisprudence « De Ruyter » que vous connaissez bien, pour contester son assujettissement aux prélèvements sociaux. Il résulte de l’instruction, et notamment des termes mêmes de la proposition de rectification, ainsi que des avis d’imposition allemands et du tableau des revenus des années en litige, que Mme A, résidente fiscale en France mais qui n’y exerçait aucune activité, a perçu en Allemagne des salaires, des pensions et des bénéfices industriels et commerciaux. Elle a produit des certificats d’affiliation à la sécurité sociale allemande au titre des années 2008 et 2009 portant son nom, le numéro d’assurance, le nom de l’employeur, la fondation A, et l’identification de l’organisme de sécurité sociale et de retraite compétent. Ces attestations mentionnent une affiliation à l’assurance retraite et à l’assurance chômage à pleine cotisation, ainsi qu’à l’assurance maladie et à l’assurance dépendance. Elle démontre ainsi, qu’indépendamment de la jouissance d’assurances privées complémentaires, elle était soumise à la législation de sécurité sociale allemande en application des critères prévus au 2. de l’article 13 du règlement du 14 juin 1971, et qu’elle est ainsi fondée à se prévaloir du principe d’unicité de législation prévu par le 1 du même article, consacré par la jurisprudence « de Ruyter », faisant obstacle à l’application des contributions sociales en France sur ses revenus du patrimoine. Sur ce point, vous devez examiner quelles sont les prestations qui relèvent de la sécurité sociale, et celles qui relèvent de l’assistance sociale. Les premières entrent dans le champ du règlement précité, et pas les secondes (voyez les conclusions éclairantes de Romain Victor sur la décision min. c/ M. et Mme C du 19 juillet 2016, CE, no 392784, 9e et 10e ch. : RJF 11/16 no 1023, concl. R. Victor C 1023).

Dans ces conditions, vous devrez décharger, en droits et majorations, les contributions sociales auxquelles Mme A a été assujettie au titre des années 2008 et 2009, à l’exception de la contribution additionnelle au prélèvement social prévue par le III de l’article L. 262‑24 du code de l’action sociale et des familles.

S’agissant enfin de l’assiette des contributions sociales, comme en matière d’impôt sur le revenu, Mme A soutient que l’assiette des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2009 dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, pour un montant de 4 265 214 euros, doit être réduite à concurrence de la somme de 875 343 euros, qui correspond au montant de l’impôt prélevé à Allemagne sur des dividendes.

Le ministre ne le conteste pas mais il sollicite le bénéfice de la compensation prévue à l’article L. 203 du livre des procédures fiscales. Il expose que la base d’imposition de 4 265 214 euros mentionnée dans l’avis d’imposition aux prélèvements sociaux correspond aux revenus de capitaux mobiliers, mais qu’il a omis d’imposer aux prélèvements sociaux la somme de 88 417 euros correspondant à des revenus fonciers, qui doit ainsi faire l’objet de la compensation avec la somme de 875 343 euros, dans la limite de la base d’imposition initiale, faisant obstacle à un dégrèvement.

La jurisprudence interprète ainsi strictement le droit à compensation et l’administration ne peut demander une compensation que si l’insuffisance ou l’omission d’imposition qu’elle invoque est valablement justifiée, et a été constatée au cours de l’instruction de la réclamation. Or, aucune pièce du dossier ne justifie dans leur principe et leur montant les revenus fonciers allégués par l’administration, ni même d’ailleurs, à supposer de tels revenus existants, qu’elle ne se serait pas délibérément abstenue de les assujettir aux contributions sociales ou aurait constaté l’insuffisance d’imposition au cours de l’instruction.

En effet, les termes « revenus fonciers » n’apparaissent que dans le paragraphe relatif aux contributions sociales en page 7 de la proposition de rectification, qui fait état d’une base d’imposition de 4 353 631 euros pour ces contributions. Ce n’est que par déduction de cette somme des 4 265 214 euros mentionnés pour les revenus de capitaux mobiliers qu’on aboutit à 88 417 euros qui correspondraient à des revenus fonciers. À priori, ces revenus fonciers ne figurent dans aucune autre pièce de la procédure d’imposition, et ils apparaissent dans une ligne de l’avis d’imposition à l’impôt sur le revenu 2009, alors que selon la proposition de rectification, les bases imposables à l’impôt sur le revenu se limitaient à 4 265 214 euros, sans être repris pour les contributions sociales.

Dans ces conditions, l’erreur commise dans l’assiette de l’imposition s’agissant des revenus fonciers, ne peut être regardée comme étant constitutive d’une insuffisance ou d’une omission entrant dans les prévisions de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales. Par suite, la demande de compensation présentée par le ministre ne peut être accueillie.

Pour nous résumer nous vous proposons donc de constater un non‑lieu à statuer, puis de prononcer la décharge des contributions sociales des années 2008 et 2009, à l’exception de la contribution additionnelle au prélèvement social prévue par le III de l’article L. 262‑24 du code de l’action sociale et des familles, ainsi que de réduire la base de la cotisation de ce prélèvement social de la somme de 875 343 euros, de réformer le jugement selon ce qui vient d’être dit, de rejeter le surplus de la requête, et de lui accorder 2 000 euros de frais d’instance.

Telles sont nos conclusions dans cette intéressante instance.

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