L’arrêt annule une autorisation préfectorale de défrichement délivrée pour permettre l’implantation d’une centrale photovoltaïque à proximité de la Montagne de Lure. L’intérêt de la décision est qu’elle a été prise après la mise en œuvre d’une visite des lieux. Cette mesure d’instruction prévue par l’article R. 622‑1 du code de justice administrative est rarement mise en œuvre. Sur le fond, l’annulation est motivée par la double circonstance, d’une part que le projet aurait des impacts négatifs sur une zone humide nonobstant la mesure de compensation prévue analysée comme insuffisante et d’autre part qu’au regard de son envergure, de sa localisation et de son incidence visuelle, le projet serait de nature à porter atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales lesquels participent au maintien du cadre de vie de la population en méconnaissance des dispositions des 3° et 8° de l’article L. 341‑5 du code forestier.
Une visite des lieux pour apprécier la légalité d’une autorisation de défrichement préalable à l’implantation d’une centrale photovoltaïque
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Décision de justice
CAA Marseille, 5e chambre – N° 23MA00876 – 31 décembre 2024
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 23MA00876
Date de la décision : 31 décembre 2024
Index
Textes
Résumé
Commentaire
Nicolas Petrosino-Bois
Doctorant contractuel au Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC) – UMR DICE 1718 - AMU
DOI : 10.35562/amarsada.706
Résumé : l’arrêt commenté (CAA Marseille, 31 décembre 2024, no 23MA00876) est relatif à un recours formé contre une autorisation de défrichement. Il vient illustrer le contrôle du juge sur les mesures proposées pour compenser les impacts d’un défrichement sur une zone humide. Parallèlement, il précise la portée de la notion de « bien-être de la population » au sens du 8° de l’article L. 341‑5 du Code forestier.
En l’espèce, la société B a sollicité en 2018 l’octroi d’une autorisation de défrichement auprès du préfet des Alpes‑de‑Haute‑Provence, formalité alors nécessaire pour permettre l’implantation d’un parc photovoltaïque sur une parcelle située au sein d’une forêt communale. Du silence gardé par le préfet est née une décision implicite de rejet1, laquelle a fait l’objet d’une abrogation par arrêté préfectoral du 17 janvier 2020. Ainsi après une enquête publique, prescrite par arrêté en date du 23 septembre 2019, l’autorisation de défrichement fut délivrée à la société B en la forme d’un arrêté préfectoral, le 10 février 2020.
L’association A (ci‑après l’association) a saisi le tribunal administratif de Marseille afin de faire annuler pour excès de pouvoir les trois arrêtés préfectoraux susmentionnés. La juridiction administrative de première instance rejeta les demandes, ce qui conduisit l’association à interjeter appel. Était alors demandée à la cour administrative d’appel de Marseille l’annulation du jugement et des trois arrêtés.
La cour déclara dans un premier temps irrecevable les conclusions dirigées contre l’arrêté du 23 septembre 2019 puisqu’il est de jurisprudence constante que la prescription d’une enquête publique constitue une mesure préparatoire dès lors non susceptible de recours2.
Ensuite, l’examen des conclusions dirigées contre l’arrêté du 17 janvier 2020 donna l’occasion à la cour de revenir sur la distinction entre retrait et abrogation d’un acte. L’association invoquait la méconnaissance de l’article L. 243‑3 du Code des relations entre le public et l’administration (ci‑après CRPA), relatif au régime du retrait de certains actes administratifs. Rappelons que le retrait d’un acte non réglementaire, non créateur de droit est notamment conditionné à la présence d’une illégalité entachant cet acte. Or, selon l’association, le refus implicite n’était pas illégal. La cour déclare le moyen inopérant en ce que le préfet n’a pas procédé au retrait mais à l’abrogation de la décision implicite laquelle peut, selon l’article L. 243‑1 du CRPA, intervenir pour tout motif.
C’est le contrôle effectué par la cour sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté du 10 février 2020 octroyant l’autorisation de défrichement qui retiendra notre attention. Selon l’association, l’arrêté méconnaissait un ensemble de dispositions législatives issues du Code forestier, du code l’environnement ainsi que du code général des collectivités territoriales et était incompatible avec les dispositions de divers schémas régionaux (schéma régional d’aménagement, de développement et d’égalité des territoires, schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables et schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie).
Sans se prononcer sur l’ensemble des moyens soulevés, la juridiction d’appel marseillaise donna satisfaction à l’association appelante et annula l’arrêté litigieux. Ce dernier était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation du préfet au regard de certaines dispositions de l’article L. 341‑5 du Code forestier.
La lecture de l’arrêt rendu le 31 décembre 2024 révèle une particularité procédurale. Les juges marseillais ont en effet eu recours à un moyen d’investigation peu employé : la visite des lieux. Prévue par l’article R. 622‑1 du Code de justice administrative, elle permet aux magistrats, avant la tenue de l’audience, de se déplacer sur les lieux du litige afin d’y effectuer toutes constatations ou vérifications utiles à l’appréciation des faits. Si ce moyen d’investigation est assez peu formaliste, il n’en demeure pas moins soumis au pouvoir discrétionnaire du juge qui peut décider de l’ordonner d’office mais aussi refuser d’y procéder, alors même que l’ensemble des parties en ferait la demande. En outre, le fait que les frais liés à la visite des lieux (transport et, le cas échéant, hébergement) soient supportés par l’État3 peut expliquer que les juridictions administratives y recourent avec parcimonie4.
À bien des égards, cet arrêt confirme que la visite des lieux apparait comme une technique d’investigation idoine pour le contentieux de l’urbanisme ou pour certains contentieux environnementaux. Les observations in situ des magistrats ont permis d’étayer la motivation des deux fondements justifiant l’annulation de l’arrêté du 10 février 2020 : l’insuffisance de la compensation des impacts environnementaux du défrichement sur la zone humide (I) et l’atteinte aux éléments participant au maintien du cadre de vie de la population (II).
I. Un contrôle « éco‑centré » visant à apprécier l’atteinte à la zone humide
L’association invoquait la méconnaissance, par l’arrêté préfectoral du 10 février 2020, du 3° de l’article L. 341‑5 du Code forestier. Cet article prévoit que l’autorisation de défrichement « peut »5 être refusée lorsque la conservation des bois et des forêts ou le maintien de la destination forestière est notamment nécessaire à l’existence de zones humides. En l’espèce, le projet de défrichement litigieux allait impacter, en partie, une zone humide (A.) et les mesures de compensation proposées par la société B s’avéraient insuffisantes pour en assurer la légalité (B.).
A. L’impact avéré du projet de défrichement sur un écosystème sensible
Afin de garantir un rendement optimal pour la production d’électricité et permettre l’installation et l’entretien des panneaux photovoltaïques, il est souvent nécessaire de procéder à une opération de défrichement, laquelle est définie par le Code forestier comme « toute opération volontaire ayant pour effet de détruire l'état boisé d'un terrain et de mettre fin à sa destination forestière »6.
En l’espèce, le défrichement autorisé par l’article 1er de l’arrêté préfectoral du 10 février 2022 couvrait une surface 12,7 hectares. Selon l’avis de la mission régionale d’autorité environnementale7 (ci‑après MRAE), cette surface correspondait, notamment, aux deux emprises du parc photovoltaïque ainsi qu’à la création de pistes extérieures. Il faut préciser que, selon l’article 6 de l’arrêté susmentionné, la mise en œuvre du défrichement devait obligatoirement être précédée d’un débroussaillement. Il s’agit d’une obligation légale, elle aussi prévue par le Code forestier et ayant pour principal objectif de lutter contre les incendies8. Cela impliquait concrètement, pour la société B, de débroussailler sur une distance de 50 mètres autour des installations de toute nature et de part et d’autre des voiries ouvertes. Il ressort ainsi de l’avis de la MRAE que le projet de parc photovoltaïque allait impacter une surface totale boisée de 13,2 hectares en raison du cumul des opérations préalables de débroussaillement et de défrichement9.
Surtout, il est apparu que le projet de défrichement allait avoir un impact sur une partie d’une zone humide située au sud du lieu d’implantation du parc photovoltaïque. Pour rappel, la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 définie la zone humide comme :
« les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année »10.
La proximité d’une zone humide ne saurait, à elle seule, motiver un refus de défrichement, dès lors qu’il est démontré que celle‑ci ne subira aucune atteinte en raison du projet11. Il en va différemment lorsqu’une zone humide se situe dans le périmètre d’un projet de défrichement. Il y a alors lieu d’apprécier les situations au cas par cas. On peut retenir à ce stade qu’un risque de perte de fonctionnalité des zones humides en raison d’un projet de défrichement entraine généralement la censure du juge sur les autorisations délivrées12.
Au cas d’espèce, selon la société B, le projet de défrichement devait impacter moins d’un hectare de la zone humide. Néanmoins, la MRAE indiquait que cette estimation ne prenait en compte ni l’obligation légale de débroussaillement des deux emprises du projet, ni la piste d’accès traversant la zone humide sur plus de 800 mètres entre celles‑ci. Cette piste d’accès aurait d’ailleurs dû faire l’objet d’un important débroussaillage afin d’assurer le passage d’engins de chantier. Partant, selon l’avis de la MRAE, ces circonstances étaient de nature à impacter environ cinq hectares de la zone humide ce qui aurait pu conduire à la dégradation voir à la destruction potentielle de certains habitats.
Face à cet impact fort sur la zone humide – lequel a été confirmé lors de la visite des lieux – la société B devait, en tant que porteur de projet, proposer des mesures de compensation pour assurer la légalité du projet.
B. L’insuffisance des mesures de compensation proposées par le porteur de projet
L’obligation de compensation découle du principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement consacré L. 110‑1 du Code de l’environnement. Ainsi :
« ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées »13.
La compensation est une mesure subsidiaire qui, selon le Commissariat général au développement durable, « ne doit intervenir en dernier recours quand tous les impacts n’ont pu être ni évités, ni réduits suffisamment »14. En ce sens, le juge annule la délivrance d’autorisations de défrichement lorsqu’il apparait que le pétitionnaire a proposé des mesures compensatoires sans rechercher, comme il lui incombait de le faire, à éviter ou à réduire les impacts de son projet15.
En l’espèce, la société B présentait la zone humide comme étant « fortement dégradée » et avait proposé une mesure de compensation ayant pour objectif d’en restaurer dix hectares (soit 200 % de la surface de la zone humide perdue). Concrètement, le porteur de projet devait procéder à une coupe de pins laricio, arbres non adaptés aux zones humides, ainsi qu’à un dépressage et une restauration hydraulique. Or, selon l’avis de la MRAE, la mesure de compensation proposée était insuffisante, imprécise et « n’apportait pas de garantie de conservation, voire d’amélioration des milieux »16. Surtout, l’étude d’impact révélait que l’Office national des forêts avait d’ores et déjà prévu d’intervenir afin de retirer une partie des pins laricio, sans tenir compte d’une éventuelle opération de défrichement. Les observations in situ viennent ici corroborer les éléments mentionnés dans l’étude d’impact et l’avis de la MRAE.
La cour juge que la mesure de compensation proposée était insuffisante quand bien même elle était supposée couvrir 200 % de la surface impactée. Ce ratio fait référence à une valeur guide issue d’une disposition du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Rhône‑Méditerranée alors en vigueur17 et mentionné dans l’avis de la MRAE18. Il s’agit alors d’atteindre d’une part, une compensation minimale de 100 % par la création ou la restauration de zone humide fortement dégradée (en priorité sur le site impacté) et, d’autre part, une compensation complémentaire visant à améliorer des fonctions de zones humides partiellement dégradées (prioritairement dans le même sous‑bassin ou dans un sous‑bassin adjacent)19. Évidemment, la logique du mécanisme de compensation implique que celle‑ci ne soit pas uniquement quantitative20. Comme le rappelle l’arrêt commenté, le respect de la valeur guide de 200 %, mentionnée par le SDAGE, n’emporte pas automatiquement légalité d’une opération de défrichement ou d’aménagement. D’autant plus que la visite des lieux a permis aux magistrats de constater que la zone humide n’était pas « fortement dégradée » comme l’affirmait le porteur de projet. Du reste, ce dernier élément pouvait montrer une surestimation du taux de compensation avancé par la société B.
La cour se livre ensuite à un contrôle visant à rechercher une éventuelle atteinte au bien-être des populations causée par le projet de défrichement.
II. Un contrôle anthropocentré visant à apprécier l’atteinte au bien-être des populations
L’association invoquait également la violation du 8° de l’article L. 341‑5 du Code forestier lequel prévoit que l’autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation de la destination forestière est nécessaire
« à l’équilibre biologique d’une région ou d’un territoire présentant un intérêt remarquable et motivé du point de vue de la préservation des espèces animales ou végétales de l’écosystème ou du bien‑être de la population ».
Cette disposition protège à la fois l’intégrité des écosystèmes et la qualité de vie des populations. Elle combine ainsi une dimension « éco-centrée » et une dimension anthropocentrée pouvant toutes deux fonder un refus de délivrance de l’autorisation de défrichement. Le contrôle mené par la cour au cas d’espèce vise à apprécier l’impact d’un projet de défrichement sur le bien-être de la population. La notion de bien-être n’est pas facile à appréhender en droit. Une instruction ministérielle relative aux règles applicables en matière de défrichement indiquait que cette notion pouvait être invoquée pour motiver le refus de délivrance d’une autorisation de défrichement « lorsqu’il y a détérioration de l'aspect “qualité de la vie” »21. En l’espèce le bien-être de la population était affecté par l’incidence visuelle du projet (A.) et par la modification des usages locaux (B.).
A. Le bien‑être des populations affecté par l’incidence visuelle du projet
Au cas d’espèce, le projet de défrichement doit être réalisé au sein de l’unité paysagère du Pays des Pochons. Il s’agit d’un espace où se retrouve une flore typique de la Haute‑Provence et qui est dominée par des villages perchés, dont celui d’Ongles. Au sein de ce village se trouve le rocher d’Ongles, site inscrit et mentionné par un document, l’atlas des paysages des Alpes‑de‑Haute‑Provence, sur lequel la cour s’appuie. Selon le Code de l’environnement :
« L'atlas de paysages est un document de connaissance qui a pour objet d'identifier, de caractériser et de qualifier les paysages du territoire départemental en tenant compte des dynamiques qui les modifient, du rôle des acteurs socio‑économiques, tels que les éleveurs, qui les façonnent et les entretiennent, et des valeurs particulières qui leur sont attribuées par les acteurs socio‑économiques et les populations concernées »22.
La portée normative de ce document – élaboré au niveau départemental – reste aujourd’hui « incertaine »23. La cour administrative d’appel de Douai a pu préciser que l’atlas des paysages de l’Oise n’avait « aucune valeur réglementaire »24. Néanmoins, à l’heure où la transition énergétique impacte significativement les paysages, les juridictions administratives semblent de plus en plus s’appuyer sur ces atlas afin d’y trouver des informations sur leur qualité et sur leur état de préservation ou d’anthropisation ce qui permet d’étayer la motivation des décisions rendues25.
L’avis de la MRAE indique que le projet sera visible depuis plusieurs lieux entourant la commune d’Ongles, en l’occurrence une route départementale, un chemin de grande randonnée et le site protégé du rocher d’Ongles. La visite des lieux a permis aux magistrats de décrire avec précision le degré de visibilité du site du projet de défrichement. Cette visibilité est ainsi « limitée » depuis le hameau d’Ongles, « directe » depuis le site classé remarquable de l’ancien village médiéval de Vière, « immédiate et directe » depuis la route départementale. Surtout, les observations in situ ont permis de confirmer que les paysages de la zone d’implantation du projet étaient préservés. L’introduction d’éléments artificialisants et banalisants les a dénaturés. Ces éléments sont donc de nature, selon la cour, à porter atteinte aux sites et paysages naturels, lesquels participent au maintien du cadre de vie de la population.
Ce n’est pas la première fois que la cour administrative d’appel de Marseille admet que le motif tiré de la protection des paysages puisse faire échec à la délivrance d’une autorisation de défrichement. Néanmoins, dans les espèces relevées26, les juges se fondaient sur le fait que la composante paysagère participait au maintien de l’équilibre biologique d’une région. Il semble en revanche moins fréquent que les juridictions administratives annulent une autorisation de défrichement au motif que l’incidence visuelle du projet affectent le bien‑être de la population. Quoi qu’il en soit, cet arrêt permet de confirmer que la dimension anthropocentrée du 8° de l’article L. 341‑5 du Code forestier (le bien‑être des populations) permet de protéger les paysages de manière aussi efficace que sa dimension écocentrée (l’équilibre biologique).
Le bien‑être de la population et son cadre de vie étaient enfin affectés par une modification des usages locaux.
B. Le bien‑être de la population affecté par la modification des usages locaux
L’arrêt relève que le projet de défrichement s’inscrit au sein d’un paysage agro‑naturel fréquenté par le public, comprenant des villages perchés, des sites touristiques ainsi qu’un chemin de grande randonnée (ci‑après chemin GR). Sur ce dernier point en l’occurrence, la visite des lieux a permis de confirmer que le chemin GR, qui traverse la zone du projet de défrichement devrait être recréé sur un autre versant du site d’implantation. Selon la cour, le bien‑être de la population sera impacté en ce que les usagers du chemin auront une vue « immédiate et directe » sur la zone défrichée.
Une telle approche s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure de la cour administrative d’appel de Marseille. Celle‑ci avait pu juger que l’intégrité boisée d’un massif « qui longe un chemin de grande randonnée fréquenté par les promeneurs », contribuait au maintien du cadre de vie de la population ce qui justifiait le refus de délivrance d’une autorisation27. La conservation de ce corridor boisé, en plus d’être essentiel à la circulation de la faune sauvage, constituait une « coupure verte » dans un environnement fortement urbanisé.
L’arrêt du 31 décembre 2024 va plus loin et permet de préciser ce qu’englobe la notion de bien‑être au sens du 8° de l’article L. 341‑5 du Code forestier. Dans cette affaire, l’appréhension du bien‑être est multidimensionnelle, puisqu’elle prend en compte non seulement les usages locaux et récréatifs, mais également l’impact du projet sur le tourisme, le patrimoine et l’identité paysagère de la zone.
Notes
1 Lorsque le projet est soumis à enquête publique et conformément à l’article R. 341‑7 du code forestier, « la demande d’autorisation de défrichement […] est réputée rejetée à défaut de décision du préfet notifiée dans le délai de six mois à compter de la réception du dossier complet ». En l’espèce, la demande d’autorisation de défrichement a bien été reçue le 20 décembre 2018 mais elle a été complétée le 19 mars 2019. La décision implicite de rejet du préfet est donc née le 19 septembre 2019. Retour au texte
2 V. en ce sens : CE, 30 octobre 1981, Mme de Lestang, no 16366 ; CAA Marseille, 17 décembre 2021, Montpellier Méditerranée Métropole¸ no 19MA03395. Retour au texte
3 Loi no 77‑1468 du 30 décembre 1977 instaurant la gratuité des actes de justice devant les juridictions civiles et administratives, art. 3. Retour au texte
4 À l’occasion d’un contentieux relatif à une autorisation de défrichement, la cour administrative d’appel de Marseille avait déjà eu l’occasion d’opérer une visite des lieux afin d’apprécier si l’opération pouvait porter atteinte à l’équilibre biologique d’un secteur. V. les deux arrêts, avant dire droit et au fond : CAA Marseille, 27 janvier 2015, nos 13MA00065 et 13MA00066; CAA Marseille 23 juin 2015, nos 13MA00065 et 13MA00066. Retour au texte
5 La mention du verbe « pouvoir » au sein de l’article L. 341‑5 du Code forestier implique que le juge devra se limiter à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Retour au texte
6 C. forestier, art. L. 341‑1, al. 1er. Retour au texte
7 Avis de la mission régionale d’autorité environnementale de Provence‑Alpes‑Côte d’Azur sur le projet de parc solaire photovoltaïque au lieu-dit Seygne à Ongles (04), 19 juillet 2019, no MRAE‑2019 2272, p.6. Retour au texte
8 Selon l’article L. 131‑10 du Code forestier, on entend « par débroussaillement […] les opérations de réduction des combustibles végétaux de toute nature dans le but de diminuer l'intensité et de limiter la propagation des incendies. Ces opérations assurent une rupture suffisante de la continuité du couvert végétal. Elles peuvent comprendre l'élagage des sujets maintenus et l'élimination des rémanents de coupes ». Retour au texte
9 Ibid. p.4. Retour au texte
10 L. no 92‑3 du 3 janvier 1992, art.2. Définition désormais codifiée à l’article L. 211‑1 I 1° du Code de l’environnement. Retour au texte
11 CAA Bordeaux, 15 février 2019, GFA de la Peyre et la SCEA de la Peyre, no 16BX02373. Retour au texte
12 TA Clermont-Ferrand, 5 avril 2024, Association Sauvegarde environnement et Association France nature environnement de Haute‑Loire, no 2202571. Retour au texte
13 C. env. art., L. 110-1 II 2°. Retour au texte
14 Commissariat général au développement durable, Évaluation environnementale. Guide d’aide à la définition des mesures ERC, janvier 2018, p.6 Retour au texte
15 CAA Lyon, 18 octobre 2016, Société d'économie mixte Nièvre Aménagement, no 14LY01848. Retour au texte
16 Avis de la mission régionale d’autorité environnementale de Provence‑Alpes‑Côte d’Azur sur le projet de parc solaire photovoltaïque au lieu‑dit Seygne à Ongles (04), op.cit., p.13. Retour au texte
17 V. Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux 2016‑2021 du bassin Rhône‑Méditerranée, approuvé par arrêté du préfet coordinateur de bassin du 3 décembre 2015, p.214. Retour au texte
18 Avis de la mission régionale d’autorité environnementale de Provence‑Alpes‑Côte d’Azur sur le projet de parc solaire photovoltaïque au lieu‑dit Seygne à Ongles (04), op.cit., p.13. Retour au texte
19 Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée, op.cit., p.214. Retour au texte
20 V. en ce sens : TA Grenoble, 16 juill. 2015, Union Régionale Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (UR FRAPNA) et autres, no 1406678. Au cas d’espèce, les mesures compensatoires proposées permettaient d’approcher la valeur guide de 200 %. Néanmoins, le tribunal prend en compte la dispersion et le morcellement des sites de compensation proposées et conclu à la violation du principe de compensation à une échelle appropriée tel que prévu par le SDAGE Rhône‑Méditerranée. Retour au texte
21 Instruction technique DGPE/SDFCB/2017-712 du 29 aout 2017 sur les règles applicables en matière de défrichement suite à la loi biodiversité, à la loi montagne II, aux ordonnances relatives à la recodification du livre Ier du code de l'urbanisme, à l'autorisation environnementale, à la participation du public aux décisions ayant un impact sur l'environnement, à l'évaluation environnementale et à leurs décrets d'application, p.26. Retour au texte
22 C. env., art. L. 350‑1B. Retour au texte
23 S. Jolivet, Jurisclasseur Environnement et développement durable, Synthèse - Site et Paysages, 2024, §37. Retour au texte
24 CAA de Douai, 7 juin 2024, no 23DA00493. Retour au texte
25 V. par exemple : CE,15 avril 2021, Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et autres, no 430497 et no 430498 ; CAA Douai, 5 octobre 2023, société Parc éolien du Moulin de la Tour, no 22DA00628 ; CAA Nantes, 12 juillet 2024, association Pour la Préservation de l'Environnement de Longuenée-en-Anjou et autres, no 22NT01245 ; CAA Nantes, 15 avril 2025, société Eoliennes du Méné Hoguené, no 23NT00621. Retour au texte
26 CAA Marseille, 18 novembre 2010, Ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, no 08MA02578 ; CAA Marseille, 19 mai 2011, SCI Loumaphe, no 09MA02064. Retour au texte
27 CAA de Marseille, 16 juin 2020, no 18MA05372. Retour au texte
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Le transport sur les lieux du juge administratif, une mesure d’instruction en demi-teinte ?
DOI : 10.35562/amarsada.708
Si l’usage des mesures d’instruction par le juge administratif fait la part belle aux opérations d’expertise, d’autres moyens d’investigation, à l’instar du transport de la juridiction sur les lieux, restent peu usités (I). La visite des lieux par le juge administratif présente pourtant un intérêt évident pour l’appréciation de l’impact paysager, en particulier des projets d’énergie renouvelable, comme l’illustre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 31 décembre 2024 à propos d’une autorisation de défrichement en lien avec l’exploitation d’une centrale photovoltaïque1 (II).
I. Le transport sur les lieux : une opportunité d’investigation entravée par des contraintes matérielles
Pour mémoire, les dispositions de l’article R. 622‑1 du Code de justice administrative offrent la possibilité à la juridiction de « décider que l'un ou plusieurs de ses membres se transporteront sur les lieux pour y faire les constatations et vérifications déterminées par sa décision ». Matériellement, la visite des lieux implique l’envoi d’une convocation aux parties préalablement à sa tenue et aboutit à l’établissement d’un procès‑verbal par la juridiction, sur lequel les parties peuvent présenter leurs observations.
Le transport sur les lieux peut être prononcé discrétionnairement par le juge administratif2, ou sollicité par les parties, à charge pour elles d’en démontrer l’utilité3. Sur ce point, et pour des raisons évidentes, la visite des lieux est le plus souvent réservée aux contentieux urbanistiques et/ou environnementaux, lesquels impliquent fréquemment une appréciation de l’impact visuel du projet.
En ce sens, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 31 décembre 2024 témoigne de l’intérêt qui préside à la confrontation entre les pièces du dossier soumis au service instructeur en charge de délivrer l’autorisation de défrichement et les constatations in situ.
Dans cette affaire, une association de protection de l’environnement contestait le jugement du tribunal administratif de Marseille rejetant notamment sa demande d’annulation d’une autorisation de défrichement délivrée par le préfet des Alpes‑de‑Haute‑Provence pour les besoins d’un projet de centrale solaire au sol d’une superficie totale de 12,7 ha4.
Sur le fondement des constats réalisés lors de la visite des lieux, la cour censure le jugement de première instance et prononce l’annulation de l’autorisation de défrichement en retenant :
- La qualification d’un impact fort associé au défrichement partiel de la zone humide ;
- L’insuffisance des mesures de compensation écologique proposées par le pétitionnaire, la cour relevant notamment que les surfaces devant faire l’objet d’une compensation ne présentaient pas un état de dégradation avancé, contrairement à ce qu’avait indiqué le porteur de projet ;
- La perception importante du projet depuis les lieux de vie et l’existence de covisibilités dirimantes avec un site classé.
Il s’agit donc d’une mesure particulièrement efficace pour relever les omissions ou imprécisions du dossier de demande d’autorisation déposé par le pétitionnaire, ce qui confirme si besoin en était encore, la nécessité d’accorder une attention particulière au montage des dossiers.
Toutefois, aussi utile que puisse être la visite des lieux, celle‑ci peine à se généraliser notamment en raison des contraintes de temps, d’organisation et de coûts associés pour la juridiction, ce qui limite considérablement la portée de ce dispositif dans la pratique.
II. Une mesure d’instruction particulièrement adaptée pour analyser l’impact paysager des projets d’énergie renouvelable
Si le transport de la juridiction administrative sur les lieux présente des contraintes organisationnelles évidentes, cette mesure d’instruction apparaît néanmoins particulièrement adaptée pour apprécier l’impact, notamment paysager des projets d’énergie renouvelable.
En effet, si le phénomène de standardisation des études paysagères permet de présenter des photomontages de plus en plus réalistes de l’insertion des projets d’énergie renouvelable dans leur environnement plus ou moins proche (aire d’étude immédiate, intermédiaire et éloignée), l’exercice n’en reste moins délicat dans la mesure où l’acceptabilité de l’impact paysager d’un projet présente indéniablement une part de subjectivité.
En ce sens, l’arrêt du 31 décembre 2024 précité confirme l’intérêt d’un déplacement sur les lieux pour apprécier si le projet, par sa nature, sa configuration, et en tenant compte des mesures de réduction et de compensation proposées porte atteinte :
« au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales lesquels participent au maintien du cadre de vie de la population5 ».
Les projets éoliens apparaissent également particulièrement propices à une mise en œuvre généralisée de cette mesure d’instruction, en particulier dans les zones de densification où l’appréciation des effets d’encerclement, et de saturation visuelle est la plus délicate compte tenu du nombre d’aérogénérateurs présents dans les aires d’étude.
Toutefois la visite des lieux ne doit pas être considérée uniquement comme un risque de censure par le porteur de projets mais également comme une opportunité de démontrer le caractère acceptable du projet et la suffisance de l’étude paysagère produite.
En effet, par deux arrêts du 18 juillet 2022, la cour administrative d’appel de Douai a, sur la base d’une visite des lieux, annulé les refus opposés aux demandes d’autorisation environnementale déposées pour l’implantation de deux parcs éoliens dans une zone présentant déjà une forte densité d’aérogénérateurs6.
En effet, la visite des lieux avait alors permis de confirmer les éléments présentés dans l’étude paysagère s’agissant de :
- La relativisation de la qualité paysagère du site d’implantation ;
- L’absence de covisibilités dirimantes avec les éléments patrimoniaux protégés ;
- La faible visibilité des projets depuis les centres‑bourgs et lieux d’habitation ;
- L’absence d’effet d’encerclement et de saturation visuelle en dépit du nombre important d’aérogénérateurs présents dans le périmètre étudié ;
- La contribution marginale des projets à l'étalement de l'angle visuel d'occupation par l’éolien.
Dans un contexte d’accélération des objectifs de production d’énergie d’origine renouvelable et de multiplication des projets, le transport de la juridiction sur les lieux, s’il n’a pas vocation à pallier les insuffisances des dossiers déposés par les pétitionnaires, peut donc s’avérer particulièrement efficace pour apprécier l’impact paysager des projets.
Notes
1 CAA Marseille, 31 décembre 2024, no 23MA00876 Retour au texte
2 CAA Marseille, 10 novembre 2015, no 14MA04161 ; CAA Marseille, 3 novembre 2015, no 14MA01525 Retour au texte
3 CAA Marseille, 12 mai 2011, no 08MA02795 Retour au texte
4 TA Marseille, 2 février 2023, no 2005223 Retour au texte
5 CAA Marseille, 31 décembre 2024, no 23MA00876 précité Retour au texte
6 CAA Douai, 18 juillet 2022, nos 21DA00631 et 21DA00632 Retour au texte
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