La réglementation du « vélo tout terrain » (VTT) dans le Parc national des Calanques, consistant à autoriser cette activité uniquement sur les pistes et sentiers à faible pente et sans technicité particulière, est légale dès lors que les autres pratiques de ce sport au sein du parc sur des sentiers étroits, pentus et accidentés nuisent à la préservation de la faune et de la flore, apparaissent peu compatibles avec certains caractères essentiels du Parc national des Calanques pensé comme notamment comme un lieu « de ressourcement » et de « contemplation » et sont susceptibles de générer des conflits d'usage. Par conséquent, les moyens tirés de l'atteinte au principe constitutionnel et conventionnel de la liberté d'aller et venir ainsi qu'au principe de la liberté du commerce et de l'industrie doivent être écartés. Ces deux arrêts de la cour de Marseille permettent également de rappeler la répartition des compétences, dans cette matière, entre le directeur et le conseil d’administration du Parc national des Calanques.
Légalité de la réglementation du vélo tout terrain (VTT) au sein du Parc national des Calanques
Décision de justice
CAA Marseille, 5e chambre – N° 24MA00106 – 06 décembre 2024
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 24MA00106
Numéro Légifrance : CETATEXT000050756002
Date de la décision : 06 décembre 2024
Index
Textes
Résumé
De la consécration des notions de ressourcement et de contemplation dans le cœur du Parc national des Calanques
DOI : 10.35562/amarsada.704
L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille le 6 décembre 2024 dernier valide une délibération réglementant la circulation des vélos tout terrain (VTT) dans le cœur du Parc national des Calanques. La cour confirme le pouvoir de police spéciale du conseil d’administration pour protéger les milieux fragiles et consacre les notions de ressourcement et de contemplation, inscrites dans la charte du parc, comme fondements normatifs justifiant les restrictions apportées à la liberté d’aller et venir.
Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence sur la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement et illustre l’équilibre que le juge administratif établit entre les libertés individuelles et les objectifs collectifs de préservation environnementale des biens communs1.
Dans un contexte de renforcement du contrôle juridictionnel en matière environnementale, récemment illustré par la censure partielle de la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite Loi Duplomb par le Conseil constitutionnel pour atteinte disproportionnée à la Charte de l’environnement2, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 6 décembre 2024 (no 24MA00106) marque une nouvelle étape.
Saisie par l’association Mountain Bikers Foundation et le Syndicat national des moniteurs du cyclisme français, la cour était appelée à se prononcer sur la légalité d’une délibération du 13 juillet 2021 réglementant la circulation des cycles dans le cœur du Parc national des Calanques. Les requérants invoquaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir et une méconnaissance des objectifs de la charte du parc, qui encourage les pratiques sportives douces.
La cour rejette l’appel, confirmant le jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 novembre 2023, et souligne que la limitation de l’accès à certains sentiers est proportionnée et justifiée par la protection des milieux fragiles. Elle consacre également les objectifs immatériels de la charte, qui qualifie le cœur du parc comme un lieu d’isolement, de silence, d’apaisement, de ressourcement et de contemplation.
I. La confirmation d’un pouvoir de police spéciale au service des finalités de la Charte
La compétence normative renforcée de l’établissement public
L’article L. 331‑4‑1 du code de l’environnement habilite l’établissement gestionnaire du parc à
« soumettre à un régime particulier et, le cas échéant, interdire la circulation du public quel que soit le moyen emprunté, toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore et, plus généralement, d’altérer le caractère du parc national ».
La cour confirme dans cet arrêt que le conseil d’administration était compétent pour adopter la délibération litigieuse. Contrairement aux arguments des requérants, il n’y a pas d’incompétence au profit exclusif du directeur du parc. Cette lecture complète les conclusions du rapporteur public Fuchs3 dans l’affaire du Parc national de la Guadeloupe, qui soulignait que le gestionnaire d’un parc dispose d’un véritable pouvoir de police spéciale pour limiter les activités susceptibles de porter atteinte au caractère du parc.
En l’espèce, le décret du 18 avril 2012 et la charte du Parc national des Calanques confèrent au conseil d’administration le pouvoir de réglementer l’accès, la circulation et le stationnement des personnes, animaux et véhicules, sous réserve d’autorisation éventuelle du directeur. Pour les cycles, leur usage est limité aux pistes et sentiers identifiés, à faible pente, dans le cadre d’une pratique douce et non technique.
À l’inverse, toute forme de cyclisme extrême (freeride, freestyle) est expressément interdite. La circulation des cycles est également prohibée dans les zones protégées, notamment le biotope de la Muraille de Chine.
La protection du patrimoine immatériel : ressourcement et contemplation
Au‑delà de la biodiversité, l’arrêt reconnaît une finalité nouvelle : la protection des objectifs immatériels énoncés dans la charte du parc. Celle‑ci définit le cœur des Calanques comme un espace destiné à l’apaisement, au silence, au ressourcement et à la contemplation.
La cour reprend clairement le patrimoine immatériel du Parc :
« La pratique du VTT, sur de tels sentiers, est engagée et peu compatible avec l’un des caractères essentiels du parc, souligné par les termes du premier volume de la Charte, d’être un lieu “d’isolement et de silence, d’apaisement et de ressourcement” et de “contemplation” ».
Ces objectifs deviennent ainsi des critères juridiques permettant d’apprécier la proportionnalité des restrictions d’accès aux espaces protégés.
II. La conciliation entre liberté d’aller et venir et objectifs immatériels de la Charte
Une atteinte limitée et proportionnée à la liberté d’aller et venir
Les requérants invoquaient une atteinte excessive à la liberté d’aller et venir. La cour opère un contrôle de proportionnalité en tenant compte de plusieurs éléments : la réglementation laisse accessibles 33 pistes « Défense des forêts contre les incendies », quatre chemins carrossables et trois sentiers.
Les pratiques sportives douces restent possibles, conformément à l’esprit de la charte, tandis que les disciplines plus engagées sont restreintes car incompatibles avec la vocation contemplative du site.
La primauté constitutionnelle des objectifs environnementaux
L’arrêt s’inscrit dans la lignée de la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement4. Le juge applique une logique de police administrative préventive : il s’agit de limiter les activités humaines avant que les dégradations ne deviennent irréversibles, conformément au principe de précaution inscrit à l’article 5 de la charte de 2004. Le rapporteur public Fuchs l’avait déjà souligné : la mission des gestionnaires des parcs est d’assurer un équilibre durable entre l’accès du public et la préservation des caractéristiques exceptionnelles des lieux.
La décision de la cour de Marseille du 6 décembre 2024 confirme une évolution jurisprudentielle majeure : les chartes des parcs nationaux, intégrant des objectifs tels que le ressourcement et la contemplation, deviennent de véritables outils normatifs. Elle consacre la légitimité du pouvoir de police spéciale des gestionnaires d’espaces protégés et admet la possibilité de restreindre la liberté d’aller et venir pour préserver un patrimoine naturel et immatériel.
Notes
1 Pour approfondir cette notion passionnante, il ne faut pas manquer de lire les actes du colloque « Les biens communs : usages et protection », organisé par l’IERDJ, le 29 septembre 2023 à la cour administrative d’appel de Marseille. Retour au texte
2 Décision no 2025‑891 DC du 7 août 2025. On peut lire dans le communiqué de presse sur cette décision « Le Conseil constitutionnel juge de façon constante que l’ensemble des droits et devoirs qu’elle définit s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives. Il découle notamment de cette Charte que le législateur doit, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard (art. 1er de la Charte). Il doit prendre en compte le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement (art. 2) et l’exigence de promouvoir un développement durable conciliant la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social (art. 6 ). » Retour au texte
3 Conclusions O. Fuchs sur CE, 15 novembre 2021, Parc national de la Guadeloupe, no 435662, in Droit de l'environnement, no 306 (décembre 2021), pp. 454 à 457. Retour au texte
4 Cons. const., déc. no 2008-564 DC Retour au texte
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