La délicate exécution d’une décision de justice enjoignant l’aménagement d’aires d’accueil et de grand passage des gens du voyage

Lire les conclusions de :

Décision de justice

CAA Marseille, 4e chambre – N° 24MA00189 – 17 décembre 2024


Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 24MA00189

Numéro Légifrance : CETATEXT000050948604

Date de la décision : 17 décembre 2024

Index

Mots-clés

schéma départemental d’accueil des gens du voyage, méconnaissance, exécution d’une injonction contentieuse, calendrier d’exécution

Rubriques

Procédure

Résumé

CAA, Marseille, 17 décembre 2024, Association la vie du voyage, no 24MA00189 (pourvoi no 501239)

Dans cette affaire relative à l’aménagement d’aires d’accueil et de grand passage, la cour a constaté l’inexécution complète de son arrêt du 30 septembre 2019 qui avait ordonné à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, à laquelle s’est substituée la métropole Aix‑Marseille‑Provence, notamment de mettre à disposition des gens du voyage une aire d’accueil à Marseille et une aire de grand passage dans l’arrondissement de Marseille, dans un délai de deux ans suivant sa notification. Ces mesures devaient être prises en application du schéma départemental d’accueil des gens du voyage publié le 10 janvier 2012 sur le territoire des communes de Marseille et de Gémenos. Pour faire assurer l’exécution de ces mesures, la cour a ordonné une astreinte et fixé un calendrier d’exécution composé de trois phases successives, en fonction desquelles progresse le taux de l’astreinte. Celui–ci a été fixé d’abord à 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt tant que la métropole ne justifierait pas avoir, dans un délai de trois mois suivant cette notification, acquis la maîtrise foncière des deux tènements susceptibles de recevoir l’aire permanente d’accueil et l’aire de grand passage respectivement à Marseille et dans l’arrondissement de Marseille. Ce taux s’élèvera ensuite à 1 000 euros par jour de retard si, dans un délai de trois mois suivant l’expiration du précédent délai, la métropole ne justifie pas avoir engagé les travaux d’aménagement correspondants. Ce taux d’astreinte sera de 1 500 euros par jour de retard si, dans un délai de trois mois suivant l’expiration du délai qui précède, la métropole n’a pas mis en service l’aire d’accueil et l’aire de grand passage.

Il est à noter que le préfet des Bouches‑du‑Rhône a été mis dans la cause et a reçu notification de l’arrêt, compte tenu des prérogatives dont il dispose sur le fondement de l’article 3 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, dans sa rédaction issue de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, en cas de carence des communes et des établissements publics de coopération intercommunale dans l’exécution des prescriptions des schémas départementaux d’accueil et d’habitat des gens du voyage.

Conclusions de la rapporteure publique

Claire Balaresque

Rapporteure publique

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Le 29 juillet 2015, l’association La vie du voyage a demandé à la communauté urbaine Marseille Provence de mettre à la disposition des gens du voyage les aires prescrites au schéma départemental d’accueil des gens du voyage des Bouches‑du‑Rhône adopté le 1er mars 2002, révisé en 2011 et publié au recueil des actes administratifs le 10 janvier 2012.

Par un jugement du 3 octobre 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté le recours de cette association tendant à l’annulation du refus tacite de faire droit à sa demande.

Mais par un arrêt du 30 septembre 2019, votre cour a annulé cette décision tacite de rejet en tant qu’elle refuse de mettre à disposition des gens du voyage les aires prévues par le schéma départemental d’accueil des gens du voyage publié le 10 janvier 2012 sur le territoire des communes de Marseille et de Gémenos, ainsi que ce jugement en ce qu’il a de contraire à cette annulation, et a enjoint à la métropole Aix‑Marseille‑Provence, substituée à la communauté urbaine, de mettre à disposition des gens du voyage, dans un délai de deux ans, les deux aires prévues sur les territoires de Marseille et de Gémenos ainsi que l’aire de grand passage prévue sur le territoire de Marseille par le schéma départemental d’accueil des gens du voyage publié le 10 janvier 2012, la métropole devant en outre transmettre à la cour, dans un délai de six mois, les éléments justifiant des diligences accomplies pour mettre en œuvre cette mise à disposition.

L’association La vie du voyage vous demande de faire assurer l’exécution de cet arrêt en prononçant une astreinte à l’encontre de la métropole Aix‑Marseille‑Provence.

Rappelons d’abord que le juge de l’exécution, saisi sur le fondement de l’article L. 911‑4 du code de justice administrative (CJA), n’a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l’exécution lui est demandée (cf. CE, 3 mai 2004, Magnat, no 250730, aux T.)

Le Conseil d’État a précisé à cet égard que

« si le juge de l’exécution saisi, sur le fondement des dispositions de l’article L. 911‑4 du CJA, d’une demande d’exécution d’une décision juridictionnelle comportant déjà des mesures d’exécution édictées sur le fondement de l’article L. 911‑1 peut préciser la portée de ces mesures dans l’hypothèse où elles seraient entachées d’une obscurité ou d’une ambiguïté, éventuellement les compléter, notamment en fixant un délai d’exécution et en assortissant ces mesures d’une astreinte, il ne saurait en revanche les remettre en cause » (CE, 29 juin 2011, SCI La Lauzière, nos 327080, 327256, 327332, au Recueil).

Ainsi, le contenu d’une injonction a priori devenue définitive ne peut être utilement contesté devant le juge de l’exécution saisi en exécution de l’article L. 911‑4 du CJA (voyez CE, Commune de Rodilhan, 6 mars 2015, n377573).

Ces précisions ne sont pas inutiles, compte‑tenu de l’argumentation en défense de la métropole, qui tend à remettre en cause la pertinence des mesures prescrites par votre arrêt du 30 septembre 2019 ainsi que celle des prescriptions de l’actuel schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage, lesquelles ne sont toutefois pas en cause ici, votre arrêt précisant que doivent être mises à disposition des gens du voyage « les deux aires prévues sur les territoires de Marseille et de Gémenos ainsi que l’aire de grand passage prévue sur le territoire de Marseille par le schéma départemental d’accueil des gens du voyage publié le 10 janvier 2012 ».

Alors, où en est‑on exactement de la réalisation de ces aires, sans même parler de leur mise à disposition des gens du voyage ? À peu près nulle part, au vu des dernières écritures de la métropole, qui indiquent que les terrains destinés à accueillir ces aires n’ont toujours pas été identifiés.

Pour tenter de justifier ce défaut patent d’exécution, la métropole avance plusieurs types d’arguments, dont aucun ne paraît convaincant.

Le premier type d’argument est relatif aux délais engendrés par les périodes de confinement de 2020 et de 2021, d’une part, et par la restructuration de la métropole induite par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et à la simplification de l’action publique locale, d’autre part.

Le rapport entre cette restructuration et le défaut complet d’exécution de votre arrêt, qui prescrivait, je le rappelle, la mise à disposition des aires concernées dans un délai de deux ans, soit avant octobre 2021, n’est pas totalement évident.

Nous sommes en tout état de cause en décembre 2024. Or les services de la métropole n’ont pas subi 5 ans de mise à l’arrêt du fait de la COVID ou des modifications de compétence décidées par le législateur.

Vous pourrez ainsi écarter cette première série d’arguments.

Le second type d’arguments avancés par la métropole tient à la modification du schéma départemental, dont le projet a été notifié à la métropole pour avis le 1er juillet 2022, amendé une première fois le 16 novembre 2022 et finalement modifié de nouveau et approuvé par le préfet le 24 avril 2023.

Mais nous l’avons dit, puisque votre arrêt prescrit la mise à disposition des aires prévues par le schéma adopté en 2012, cette argumentation n’est pas pertinente, ce d’autant moins que la dernière version du schéma départemental ne rend pas du tout impossible l’exécution de cet arrêt.

À cet égard, la décision CE, 23 mars 2015, Mme Veysset, no 366813, au Recueil rappelle que la personne publique à l’égard de laquelle une injonction définitive a été prononcée ne peut remettre en cause le bien‑fondé de cette mesure, pas plus que ne le peut le juge de l’exécution, auquel il appartient seulement

« d’apprécier l’opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou qu’il prescrit lui‑même par la fixation d’un délai d’exécution et le prononcé d’une astreinte suivi, le cas échéant, de la liquidation de celle-ci, en tenant compte tant des circonstances de droit et de fait existant à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par les parties tenues de procéder à l’exécution de la chose jugée ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l’être ».

En l’espèce, puisqu’il est constant qu’aucune des aires d’accueil ou de grand passage, dont l’aménagement a été prescrit par l’arrêt de la cour du 30 septembre 2019 dans un délai de deux ans suivant sa notification, n’a été réalisée par la métropole et que les terrains pour ce faire n’ont même pas encore été identifiés à ce jour, l’opportunité de compléter les mesures déjà prescrites par l’arrêt du 30 septembre 2019 à la fois en fixant un nouveau délai d’exécution et en prononçant une astreinte me semble avérée.

Vous pourrez toutefois tenir compte, au titre des circonstances de fait existant à la date de votre décision, du dernier état des écritures de l’association La vie du voyage, qui ne sollicite plus que la réalisation de l’aire d’accueil et de l’aire de grand passage respectivement à Marseille et dans l’arrondissement de Marseille et le prononcé d’une astreinte à cet effet.

En ce qui concerne la fixation du nouveau délai d’exécution sous astreinte, vous pourrez vous inspirer des délais et de la procédure prévue par l’article 3 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, dans sa rédaction issue de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, dans l’hypothèse où un établissement public de coopération intercommunale ne remplit pas ses obligations de mise en œuvre du schéma départemental dans le délai de deux ans fixé par l’article 2 de cette loi du 5 juillet 2000.

En l’absence de toute manifestation de volonté de se conformer à ces obligations – volonté qui doit être manifestée a minima par la localisation de l’opération de réalisation ou de réhabilitation d’une aire – le préfet met en demeure l’établissement public de prendre les mesures nécessaires selon un calendrier déterminé : c’est peu ou prou ce qu’a fait votre précédent arrêt.

Si dans le délai prévu par ce calendrier, les mesures n’ont pas été prises, le préfet peut ordonner la consignation des sommes correspondant aux dépenses nécessaires. À l’expiration d’un délai de six mois après cette consignation, le préfet peut de nouveau mettre en demeure l’établissement public et fixer un nouveau calendrier : si ce dernier n’est toujours pas respecté, l’État peut alors prendre lui-même les mesures nécessaires, c’est‑à‑dire acquérir les terrains et réaliser les travaux d’aménagement puis gérer les aires au nom de l’EPCI.

Je vous propose d’adopter cette logique graduée et je vous invite par conséquent à enjoindre à la métropole d’identifier, dans un délai de trois mois, les deux tènements susceptibles recevoir l’aire d’accueil et l’aire de grand passage respectivement à Marseille et dans l’arrondissement de Marseille, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, de débuter les travaux d’aménagement correspondants dans un délai de six mois, sous astreinte de 600 euros par jour de retard et de justifier de l’achèvement de ces travaux dans un délai de neuf mois, sous astreinte de 900 euros par jour de retard.

Vous pourrez également mettre à la charge de la métropole une somme de 2 000 euros à verser à l’association appelante au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Tel est le sens de mes conclusions.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.