L’appréciation de la faute caractérisée n’est pas aisée dans l’hypothèse des atteintes involontaires1 à la personne. Toutefois, en cas de causalité indirecte, l’existence d’un manquement à une obligation de résultat peut faciliter cet exercice. Tel semble être l’apport fondamental de l’arrêt de la 2e chambre civile de la cour d’appel de Grenoble rendu le 28 janvier 2025 et portant sur l’obligation de sécurité et de surveillance de l’assistante maternelle.
En l’espèce, un mineur âgé de deux ans, confié à une assistante maternelle, a été victime d’un accident au domicile de celle‑ci. La chute d’un vase situé à l’entrée de l’appartement de l’assistante a en effet causé une blessure grave à son œil gauche.
Les parents de la victime agissant en tant que représentants légaux de la victime mineure et de sa sœur, et d’autres membres de leurs familles agissant en qualité de victimes par ricochet, ont saisi la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions, aux fins d’obtenir, outre l’organisation d’une expertise médicale sur la victime, la condamnation in solidum de l’assistante maternelle et du Fonds de garantie des victimes du terrorisme et autres infractions (FGTI) à verser des indemnités provisionnelles à valoir sur la réparation du préjudice corporel de la victime et des préjudices d’affection et de trouble des victimes par ricochet.
Ils ont malheureusement été déboutés de toutes leurs demandes par la commission, laquelle a déclaré leur requête irrecevable. Ils interjettent alors appel de la décision en toutes ses dispositions afin d’en solliciter l’infirmation. Outre les demandes initiales, ils sollicitent la condamnation du FGTI à leur payer les sommes de 4 000 euros à titre de provision ad litem et 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de la procédure de première instance et d’appel. Ils soutiennent pour ce faire que l’infraction de blessures involontaires et de mise en danger de la vie d’autrui est constituée puisque d’une part, le logement de l’assistante maternelle n’a pas été validé par les services de la PMI. D’une part, en laissant traîner un vase dangereux dans l’environnement de l’enfant mineur, l’assistante a violé les obligations de prudence et de sécurité, exigées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son logement, par le Code de l’action sociale et des familles2 et le règlement départemental de l’Isère relatif à l’agrément des assistantes maternelles, ces manquements entraînant un déficit fonctionnel permanent chez le mineur.
Quant au FGTI intimé, il sollicite principalement de la cour la confirmation de la décision querellée, et le rejet de toutes les demandes formulées. Il soutient entre autres qu’au regard des résultats de l’enquête de gendarmerie, la matérialité de l’infraction pénale ne peut être caractérisée. Ladite infraction ne pourrait être déduite des manquements soulevés par les services du département qui ne se rapportaient pas à la présence du vase litigieux. Ensuite, si une imprudence peut être reprochée à l’assistante, il ne saurait s’agir d’une violation « manifestement délibérée [d’]une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ni [… d’]une faute caractérisée qui exposerait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer ». Enfin, le lien de causalité entre l’absence de souscription d’une assurance de responsabilité civile et la chute accidentelle du mineur n’est pas établi, pas plus que l’existence d’une obligation de sécurité de résultat permettant de retenir la responsabilité pénale de l’assistante.
Ces derniers arguments, soulevés principalement pour réfuter l’existence d’une faute délibérée ou caractérisée présentant un lien avec le dommage subi, n’ont pas emporté la conviction de la chambre civile.
La 2e chambre civile de la cour d’appel de Grenoble infirme la décision de la commission et fait droit à la demande des appelants sur la base d’une motivation très instructive tant au niveau de l’établissement nécessaire d’un lien de causalité (1), qu’au niveau de la caractérisation de la faute pénale (2).
1. L’établissement nécessaire d’un lien causal
La cour d’appel débute son raisonnement en recherchant un lien de causalité direct entre le comportement de l’assistante, notamment la présence du vase dangereux et le dommage de l’enfant. L’établissement de ce lien de causalité, « préalable à l’appréciation de la faute3 », est en effet également nécessaire4 dans le cadre du recours en indemnité exercé en l’espèce contre le FGTI. Il faudrait dans ce cadre que les faits répréhensibles aient été la cause directe du dommage, c’est‑à‑dire le facteur déterminant de l’événement5. À défaut de ce lien direct, il faudrait que le comportement ait « créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ». La causalité peut donc être directe ou indirecte, ce qui n’est pas sans rappeler les deux théories en droit civil : la causalité adéquate et l’équivalence des conditions6.
Cet exercice de recherche du lien a conduit en l’espèce les juges à exclure le défaut d’assurance de responsabilité civile et de déclaration du nom des enfants accueillis autant qu’ils ne présentent pas de lien avec le dommage subi par la victime directe. En revanche, la chambre retiendra que le défaut de déclaration du début de son activité constitue une faute présentant un lien avec le dommage, en ce que l’inspection des lieux aurait permis le retrait du vase dangereux.
La question de l’existence de ce lien reste fondamentale en matière d’infraction pénale car elle va influencer la caractérisation de la faute. En effet, si la causalité est directe, une faute simple suffirait pour engager la responsabilité du prévenu. En revanche, si la faute est indirecte, autrement dit, si le prévenu a contribué à créer la situation ayant conduit à la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures pour l’éviter, il faudra alors démontrer une faute qualifiée. En l’espèce, la cour d’appel relève elle‑même que si le lien de causalité direct entre le comportement et la réalisation du dommage n’est pas établi, il reste indéniable qu’il « a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ». Ainsi, l’arrêt se situe bien dans l’hypothèse d’une causalité indirecte. Dès lors, il faudrait alors démontrer que l’on est en présence d’une faute qualifiée telle que prévue par l’article 121‑3 al. 4 du Code pénal. Ceci qui pourrait être difficile à rapporter. Or, c’est bien à cet exercice que se livre ensuite la 2e chambre civile.
2. La qualification facilitée de la faute caractérisée
Le manquement de l’assistante constitue‑t‑il une faute au regard de l’article 121‑3 al. 4 du Code pénal ? La poursuite du raisonnement de la cour d’appel est ici stimulante car, face à cet exercice complexe, la cour va trouver un ancrage dans l’existence d’un manquement à une obligation de résultat.
En principe, les notions de « manquement à une obligation de résultat » et « faute caractérisée » relèvent de deux domaines différents. La première est en effet évoquée en responsabilité civile pour permettre l’indemnisation de la victime. La seconde est prévue par l’article 121‑3 du Code pénal en cas d’infractions involontaires. La première ne peut alors conduire à caractériser la faute pénale au sens de l’article 121‑3. Toutefois, il semble au regard de la position adoptée par l’arrêt qu’un manquement à l’obligation de résultat au civil résultant d’une négligence si grossière7 et si grave, peut contribuer à caractériser la faute s’il expose « autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait ignorer ».
Pour ce faire, la chambre va d’abord relever le défaut de déclaration de début d’activité comme étant une faute présentant un lien avec le dommage. Non seulement il est difficile ici d’en retenir le caractère délibéré, mais le lien avec le dommage semble lointain. Il faudrait alors trouver un meilleur rapprochement avec le dommage. Ce rapprochement existe ici en la forme d’une faute civile. La présence du vase, cause directe du dommage, constitue une faute, notamment un manquement à un devoir général de vigilance. Cette faute constitue en réalité ici le manquement à une obligation de résultat à laquelle est tenue l’assistante maternelle8. Il s’agit donc normalement d’une faute civile et non d’une faute pénale. Pourtant dans un second temps, après avoir rappelé la nature de l’obligation, la cour va en déduire la faute caractérisée dès lors qu’elle a exposé les enfants au risque de blessures et que l’assistante ne pouvait l’ignorer.
Il semble qu’une telle position est soutenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation, notamment dans l’arrêt du 16 janvier 20019, mais sans se référer expressément à la nature de l’obligation de résultat10. Elle retient d’ailleurs également qu’un cumul de fautes, comme en l’espèce, permet de retenir la faute caractérisée11. Toutefois, il semble qu’une telle approche n’avait pas encore été soutenue par le juge civil pour condamner solidairement le FGTI.
Dès lors, on peut conclure que le manquement à l’obligation de résultat (civile) et la faute caractérisée (pénale) ne sont pas des notions si étrangères l’une de l’autre et qu’elles peuvent s’imbriquer pour permettre une meilleure prise en charge de l’indemnisation de la victime en accordant à celle‑ci de bénéficier de la garantie offerte par le FGTI.
