La loi no 2024‑1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale, dite « Le Meur » ou encore « loi anti‑Airbnb » a été adoptée afin de lutter contre la pénurie de logement que connaît aujourd’hui la France, mais aussi l’inflation des prix de l’immobilier et des loyers1. Ces phénomènes sont notamment dus à ce qu’on appelle le « surtourisme », qui ne touche d’ailleurs pas uniquement la France2, mais aussi et surtout à la location meublée de tourisme, aussi dénommée location de courte durée.
La location meublée de tourisme est définie à l’article L. 342‑1‑1 du Code du tourisme. Il y est dit que « les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ». Ce type d’activité a connu un essor important avec la naissance des nouvelles plateformes connectées (Airbnb, Booking, TripAdvisor…) permettant aux clients de réserver un bien immobilier directement depuis un site Internet pour un court séjour.
La copropriété n’a pas échappé à cette tendance et n’en tire pas nécessairement profit. En effet, le contentieux en matière de nuisances causées par ce type d’activité au sein des copropriétés est d’une importance considérable. Certains copropriétaires ont notamment pu se plaindre de l’utilisation par les clients de leurs places de parking, ainsi que du salissement des parties communes engendré par les allers et retours incessants des clients3.
Les litiges se multipliant, l’on a pu s’interroger sur la nature juridique à retenir pour l’activité de location meublée de tourisme. En effet, selon la destination de l’immeuble collectif, il n’est pas possible d’y exercer n’importe quel type d’activité. Toutefois, la destination de l’immeuble est très certainement la notion la plus complexe à analyser en droit de la copropriété et les débats qui y sont relatifs sont déjà marqués d’une certaine ancienneté. Une première définition, qui n’a finalement pas été retenue dans la loi du 10 juillet 1965, avait été proposée. Ainsi, la destination de l’immeuble correspond à « l’ensemble des conditions en vue desquelles un copropriétaire a acheté un lot, compte tenu de divers éléments, notamment de l’ensemble des clauses des documents contractuels, des caractéristiques physiques et de la situation de l’immeuble, ainsi que de la situation sociale des occupants4 ».
Suite à des analyses approfondies, c’est au cours d’un colloque5 que l’on a pu affirmer avec certitude que la notion de destination recoupait deux aspects. Le premier aspect est subjectif, il correspond à la volonté des copropriétaires. Ce sont les premiers acteurs de la définition de la destination de leur immeuble. Cette « destination subjective » se manifeste au travers de « l’ensemble des clauses des documents contractuels », ce qui concerne essentiellement le règlement de copropriété, et non l’état descriptif de division qui n’est pas, selon la jurisprudence, un document contractuel6. Le second aspect est objectif. Il se rapporte aux caractéristiques physiques et à la situation de l’immeuble (l’environnement dans lequel il se trouve : quartier, région, etc.), mais aussi à la situation sociale de ses occupants (par exemple, un EHPAD soumis au statut de la copropriété profite d’une destination spécifique en raison de ses occupants : des personnes très âgées en fin de vie).
Dès lors, si un copropriétaire souhaite exercer une activité au sein de l’immeuble, il doit d’abord s’assurer de sa compatibilité tant à l’égard de la destination subjective que de la destination objective de l’immeuble, le tout constituant la destination générale de l’immeuble. Par conséquent, il ne pourrait en aucun cas exercer une activité commerciale très bruyante dans un EHPAD, qui requiert une grande tranquillité. Il a donc fallu définir, à tout le moins classer différents types de destination.
Est alors née la destination bourgeoise. Il en existe deux variations. La première, dite exclusivement bourgeoise, implique que l’immeuble a pour seule et unique destination l’habitation. En conséquence, aucune activité professionnelle, tant civile que commerciale, ne peut y être exercée. La seconde, dite simplement bourgeoise, implique cette fois‑ci que l’immeuble a pour destination principale l’habitation, mais qu’il est possible d’y exercer des activités civiles ou libérales, à l’exclusion cependant de toute activité de nature commerciale.
Toutefois, la loi de 1965 n’impose pas aux copropriétaires d’insérer une clause qui définisse expressément la destination de l’immeuble. En revanche, l’article 8 de la loi les oblige à définir les modalités de jouissance des parties privatives, tout en sachant que celles‑ci doivent être conformes à la destination de l’immeuble. Par conséquent, c’est en définissant la destination des parties privatives que l’on contribue à définir la destination générale de l’immeuble. Si les copropriétaires stipulent qu’il est interdit d’exercer tout type d’activité commerciale au sein des parties privatives, mais que les activités libérales et civiles y sont autorisées, alors la destination de l’immeuble sera simplement bourgeoise. S’il est prévu que seules des activités commerciales pourront être effectuées, alors l’immeuble aura une destination commerciale.
À l’égard du droit de propriété des différents copropriétaires, ces stipulations ont un impact significatif en ce qu’elles vont directement limiter leur faculté de définir la destination de leur lot, prérogative qui découle pourtant de l’usus, c’est‑à‑dire le droit d’user de la chose dont on est le propriétaire. C’est donc l’une des nombreuses exceptions au caractère absolu du droit de propriété que proclame pourtant l’estimé article 544 du Code civil. Ainsi, dans les immeubles à destination bourgeoise, la location de meublés de tourisme a pu poser de nombreux problèmes, car il a été pendant longtemps difficile d’analyser sa compatibilité avec la clause d’habitation bourgeoise, tant exclusive que simple. La jurisprudence était tout autant hésitante que la doctrine sur ce point, sans jamais vraiment se positionner jusqu’à très récemment, nous y reviendrons.
Pour éviter toute difficulté supplémentaire, et lutter contre les différents problèmes que l’activité peut causer, le législateur a adopté la loi Le Meur en fin d’année 2024. Cette loi érige la copropriété en muraille face à l’activité de location meublée de tourisme. Cela n’est pas anodin, car le projet de départ ne prévoyait pas ce rôle pour la copropriété. C’est justement parce que la jurisprudence a choisi d’accorder une nature juridique civile de principe à la location de courte durée que le législateur s’est empressé de rajouter quelques dispositions à la loi. Deux points doivent être observés.
D’abord, toutes les copropriétés dont la naissance est intervenue ou interviendra après le 21 novembre 2024 devront systématiquement inclure une clause dans leur règlement de copropriété qui affirmera clairement si l’exercice de l’activité au sein de l’immeuble est autorisé ou non. On remarquera que la loi ne fait nullement référence à la destination de l’immeuble. Cette règle a donc pu susciter certaines inquiétudes eu égard à l’éventuelle illicéité de la clause7. En effet, elle doit s’analyser comme une clause limitative des droits des copropriétaires, or, pour que ces clauses soient valables, elles doivent être conformes à la destination de l’immeuble8 (article 8, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965). On constate ainsi une forme d’insécurité juridique pour les copropriétaires, car la clause pourrait être illicite, ce que nous exposerons plus tard.
Ensuite, la loi s’intéresse aux copropriétés dont le règlement a déjà été établi avant la date butoir du 21 novembre 2024. Elle vient modifier l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965. Cet article permet aux copropriétaires de prendre certaines mesures à la majorité des deux‑tiers. Ainsi, la loi permet aux copropriétaires d’adopter une clause visant à interdire l’exercice de l’activité au sein de l’immeuble au moyen de cette double majorité. En revanche, ce n’est possible que dans la mesure où le règlement proscrit déjà l’exercice des activités commerciales dans des lots qui ne sont pas à usage spécifiquement commercial. Certains auteurs affirment que ce sont uniquement les immeubles à destination bourgeoise, simple ou exclusive, qui sont concernés9, ce qui est logique puisque ce sont les deux grands types de destination qui prohibent les activités commerciales. Ils ajoutent à juste titre que l’interdiction ne peut s’appliquer qu’aux locaux à usage d’habitation secondaire, car une exception légale permet à un propriétaire de louer pour de courtes durées son domicile principal pendant 120 jours (ou 90 si la mairie de la localité l’a souhaité, comme le permet désormais la loi Le Meur).
Toujours est‑il que le texte ne fait pas lui‑même mention d’une destination spécifique permettant l’adoption d’une telle clause. Pourtant, cette clause vient restreindre les droits des copropriétaires, or toute restriction à ces droits doit être conforme à la destination de l’immeuble. Ce qui est sûr, c’est qu’en cas de défaut de conformité avec la destination générale de l’immeuble, la clause n’est rien d’autre qu’une atteinte au droit constitutionnel de propriété. Des inquiétudes se sont alors manifestées10, notamment dans la mesure où la loi ALUR de 2014 avait déjà proposé une disposition similaire dans ses effets, mais qui avait été censurée pour atteinte injustifiée au droit de propriété11.
En substance, cette loi prévoyait que l’exercice de l’activité de location de courte durée devait être soumis à une autorisation préalable de l’assemblée des copropriétaires. Il existe donc une réelle différence entre la disposition censurée de la loi ALUR et celle de la loi Le Meur. La première, qui devait être adoptée à l’unanimité prévue par l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965, permettait à l’assemblée de subordonner l’exercice de l’activité à son accord discrétionnaire selon la majorité de l’article 24 (la majorité des copropriétaires présents) tandis que la seconde suppose un processus plus transparent en passant par une résolution adoptée en assemblée générale des copropriétaires en application des règles de majorité de l’article 26 (la majorité des deux‑tiers des copropriétaires). Toujours est‑il que la pierre angulaire de la problématique reste la conformité de l’interdiction à la destination de l’immeuble. Si elle n’est pas conforme, elle sera réputée non écrite par le juge.
Au demeurant, le droit de propriété du copropriétaire est assurément affecté par cette nouvelle législation. D’abord parce que la clause devient obligatoire pour les nouvelles copropriétés, ce qui entraîne donc un risque systématique que l’activité soit interdite. Mais aussi parce qu’en admettant, dans les anciennes copropriétés, qu’une majorité puisse imposer à certains de ne plus exercer un type d’activité en particulier, à savoir la location de courte durée, c’est le droit du copropriétaire de jouir librement de ses parties privatives qui est entravé. Et si cette loi le permet, c’est en partie à cause du revirement spectaculaire de la Cour de cassation quant à la nature juridique de la location meublée de tourisme. En effet, en lui octroyant une nature civile de principe, elle a pu la rendre a priori compatible avec la clause d’habitation bourgeoise, simple comme exclusive. Nous allons donc retracer l’historique mouvementé de la qualification juridique de l’activité de location meublée de tourisme (1) pour ensuite analyser les conséquences de cette nouvelle qualification sur le droit de propriété du copropriétaire, notamment au travers de la nouvelle loi Le Meur (2).
1. La nature juridique de l’activité de location meublée de tourisme : une histoire mouvementée
« Mouvementée », c’est le moins que l’on puisse dire. La partie la plus importante du contentieux relatif à la nature juridique de l’activité de location de courte durée a trouvé sa source dans les années 2010. Ainsi, pendant une dizaine d’années, les solutions s’enchaînaient, sans vraiment admettre de principe clair (1.1). Toutefois, ce sont les juges de la cour d’appel de Grenoble qui ont donné un premier souffle à un semblant de principe, à tout le moins une distinction à faire entre une nature civile ou commerciale en fonction de certains critères. Il faut croire que cette audace des juges grenoblois a pu avoir une incidence sur la pensée des juges du droit, puisque ceux‑ci ont adopté, en partie, le même raisonnement que les magistrats de la capitale des Alpes (1.2). De même, les juridictions du fond les plus occupées par le contentieux concernant cette nature juridique de l’activité de location de courte durée et de sa compatibilité avec la clause d’habitation bourgeoise ont désormais repris à leur compte la position des juges du droit, ce qui en renforce indiscutablement l’autorité.
1.1. Des solutions éparses ne dégageant pas de réel principe
Il est désormais bien établi que la location immobilière meublée est une activité civile12. En revanche, pour la location meublée de tourisme, certains ont pu la considérer comme commerciale, notamment en raison des nuisances qu’elle peut causer (allers et retours fréquents des clients, nuisances sonores, olfactives, etc.). Dans une décision, les juges ont pu se servir de la théorie de l’accessoire pour qualifier l’activité de location de courte durée comme étant commerciale s’il était établi qu’elle n’était que l’accessoire d’une activité elle‑même commerciale13. Cependant, cette solution ne permettait en rien de donner une réponse à la question qui nous occupe de savoir quelle nature juridique attribuer par principe à l’activité de location de courte durée.
Un premier pas en avant est fait par la Cour de cassation au tournant des années 1990, puisqu’elle considère que l’activité de location de courte durée est de nature commerciale lorsqu’elle est exercée à titre professionnel et accompagnée de certaines prestations de services, comme le blanchiment du linge14. Une certaine dualité en ressortait, avec la présence d’un professionnel et de services annexes. Pour autant, fallait‑il en conclure qu’à défaut, l’activité était nécessairement civile ? Probablement pas, surtout que les décisions ayant suivi celle‑ci quelques années plus tard ont totalement remis en question ce schéma de pensée.
En effet, une décision de 2011 a de nouveau ravivé les débats15. L’on était en présence d’une copropriété dont le règlement stipulait que l’immeuble avait une destination bourgeoise, les activités libérales y étant autorisées, contrairement aux activités commerciales. Une autre clause du règlement exigeait des copropriétaires qu’ils demandent une autorisation du syndicat des copropriétaires afin d’exercer une activité de location de courte durée dans l’immeuble. Certains copropriétaires ont donc sollicité la nullité de la clause pour défaut de conformité de celle‑ci à la destination de l’immeuble. La cour d’appel de Paris leur avait donné raison et la Cour de cassation a confirmé cette position, estimant que l’activité de location de courte durée causait les mêmes nuisances que les activités libérales et que, par conséquent, il était possible de l’exercer au sein de l’immeuble. C’est intéressant, puisque le règlement interdisait les activités commerciales, mais le juge n’a pas relevé cette interdiction, que ce soit au fond ou en cassation. Devions‑nous par conséquent croire que la location de courte durée pouvait ne pas être commerciale ? Difficile d’en juger au vu du manque de matière sur ce point.
En revanche, à l’approche des années 2020, les juges semblent prendre position quant à la nature juridique de l’activité. Après l’avoir avoué à demi‑mot dans un arrêt de 201816, la Cour de cassation rend une solution choc, considérant a priori que l’activité de location de courte durée est de nature commerciale17. Il n’en demeure pas moins que la solution n’était pas satisfaisante, d’une part, selon un auteur, parce que la Cour n’avait pas été saisie à titre principal de la question de la nature juridique de l’activité18, et d’autre part parce que, abstraction faite de la critique doctrinale, aucun critère n’avait été retenu pour admettre cette nature commerciale.
C’est ici qu’entrent en jeu les juges grenoblois. Dans deux solutions rendues en 2023 sur la même affaire19, les juges ont opté pour une considération nouvelle de la nature de l’activité. Au cas d’espèce, des copropriétaires avaient décidé de louer leurs lots à leurs clients afin qu’ils s’en servent comme habitation pour une période allant d’une journée à une semaine. Les autres copropriétaires ont sollicité des juges la cessation immédiate de l’activité, arguant qu’elle était prohibée par le règlement de copropriété, ainsi que l’octroi d’une indemnisation en réparation du trouble causé par les allers et retours incessants des clients et le salissement des parties communes engendré par l’activité.
La cour d’appel propose un raisonnement qui s’écarte de ce que l’on aurait pu retenir de la solution des juges du droit rendue trois ans plus tôt. Elle explique que « la preuve n’est pas rapportée que la location est accompagnée de prestations qui revêtent le caractère d’un service para‑hôtelier, ce qui permettrait de qualifier l’activité de commerciale ». Cet aspect de la décision est probablement le plus important, en ce qu’il pose pour la première fois un critère précis pour retenir, éventuellement, une nature commerciale à l’activité de location de courte durée : des services para‑hôteliers. Ces services sont décrits à l’article 261 D du CGI. Selon ce texte, on retrouve quatre prestations ayant un caractère para‑hôtelier : fournir le petit-déjeuner ; effectuer un nettoyage régulier des locaux ; fournir aux clients le linge de maison ; prévoir un service de réception de la clientèle. Si trois de ces quatre services sont fournis, l’activité est considérée comme para‑hôtelière. Elle peut donc devenir commerciale si ces prestations sont l’objet principal de l’activité du prestataire, car les activités de location de meubles et de fournitures sont des activités commerciales au sens de l’article L. 110‑1 4° et 6° du Code de commerce. En revanche, si elles ne sont que l’accessoire de la location de l’immeuble, alors l’activité n’aura qu’une nature civile, puisqu’elle est l’accessoire d’une activité elle‑même civile.
Un enseignement important peut donc être déduit de l’arrêt grenoblois. En l’absence de ces services, l’activité devrait donc être civile… Mais les juges grenoblois ne se sont pas arrêtés à ce simple constat et ont rendu une solution qui nous paraît pour le moins contradictoire. Ils disent que
le logement litigieux a fait l’objet d’une déclaration en mairie en qualité de meublé de tourisme en application de l’article L.324‑4‑1 du Code de tourisme, or la mairie a précisé que cette déclaration avait été établie par M. [U] [C], agissant en qualité de professionnel. Le terme de professionnel sous‑entend nécessairement que cette activité est exercée de manière régulière à but lucratif […] en conséquence, il est établi que la location de cet appartement constitue une activité commerciale qui est incompatible avec l’occupation bourgeoise visée dans le règlement de copropriété.
C’est donc en raison d’une déclaration à la mairie selon laquelle le prestataire exerce cette activité en tant que professionnel que les juges ont retenu la nature commerciale de l’activité. Si l’on analyse point par point le raisonnement, on comprend que les juges cherchent à s’appuyer sur le triptyque permettant de qualifier un commerçant. Selon l’article L. 121‑1 du Code de commerce, le commerçant est celui qui effectue des actes de commerce à titre de profession et de façon habituelle dans un but lucratif. On retrouve certains de ces éléments dans la motivation, mais en réalité, les juges n’ont fait qu’identifier l’exercice d’une activité en entreprise : elle est réalisée de façon habituelle à titre de profession. Par contre, ils n’ont pas relevé le critère qui permet à cette entreprise de lui donner une nature commerciale. Pour rappel, la nature civile ou commerciale de l’entreprise dépend de celle de l’activité qui est exercée. Et pour qu’une activité soit commerciale, il faut que les actes dont elle exige la réalisation soient prévus à l’article L. 110‑1 du Code de commerce. Or, les juges du fond ont pourtant eux‑mêmes relevé qu’aucune preuve n’était rapportée que la location était accompagnée de prestations assimilables à des services para‑hôteliers, qui sont précisément les actes de commerce permettant de qualifier l’activité, et donc l’entreprise, comme étant commerciale. Ainsi, la nature civile de l’activité s’imposait, contrairement à ce que les juges ont pu retenir.
Malgré cette contradiction, l’apport de l’arrêt reste significatif en ce qu’il va inspirer les juges du droit à opérer un revirement dans leur jurisprudence, bien que certains auteurs le considéraient déjà comme une confirmation20, en établissant un véritable principe quant à la nature de l’activité.
1.2. La naissance d’un principe faisant désormais l’objet d’une confirmation généralisée
C’est en tout début d’année 2024, dans une décision n’ayant pourtant pas eu l’honneur de la publication au bulletin21, que la Cour de cassation opère son revirement de jurisprudence en matière de nature juridique à attribuer à l’activité de location de courte durée. Elle s’inspire du critère grenoblois dégagé en 2023 pour rendre sa solution. L’activité de location de courte durée ne peut être commerciale que dans la mesure où elle est accompagnée de prestations para‑hôtelières22 (au sens de l’article 261 D du CGI et à titre principal). En revanche, s’il est constaté qu’aucun de ces services n’est proposé, ou que seules des prestations mineures non assimilables à un service para‑hôtelier sont offertes, l’activité n’a qu’une nature civile. Par conséquent, l’activité de location meublée de tourisme est par principe civile. Certains auteurs portent tout de même un point de vue divergent sur la question, considérant qu’en raison de l’importante diversité des méthodes pour exercer cette activité, c’est avant tout la destination de l’immeuble et le résultat d’une appréciation du juge faite au cas par cas qui peut déterminer la nature de l’activité ainsi que sa compatibilité avec le règlement de copropriété. En d’autres termes, ces auteurs rejettent l’idée d’une nature de principe23 pour l’activité de location de courte durée.
Par la suite, et bien que certains auteurs aient pu faire remarquer quelques digressions des juges du tribunal judiciaire de Paris24 en début d’année 2024, l’on a pu constater que l’ensemble des juridictions du fond25, dont le tribunal de Paris26, ont désormais adopté la même ligne de conduite depuis fin 2024 pour retenir une qualification commerciale ou non de l’activité de location de courte durée. Comme illustration, nous prendrons un arrêt de la cour d’appel d’Aix‑en‑Provence27 qui démontre parfaitement le raisonnement à appliquer pour retenir la nature commerciale de l’activité : rapporter la preuve de la présence de services para‑hôteliers au sens de l’article 261 D du CGI.
Les juges expliquent d’abord que
les annonces publiées sur le site internet Airbnb qu’ils produisent démontrent que les frais de ménage doivent être systématiquement réglés, que la fourniture des draps et serviettes est incluse dans les prestations, que la réception des clients est assurée par une équipe de gestion locative de courte durée dite “Hostmaker” et que les clients peuvent arriver après 20 heures mais avec un supplément à régler. Ces prestations revêtent, à l’évidence, le caractère de services hôteliers, d’autant qu’elles ne sont pas optionnelles mais automatiques.
On remarque que les juges listent les prestations semblables à celles de l’article du CGI. On retrouve un système de réception des clients, un service de lingerie et un service de ménage. Ce sont trois des quatre services prévus par l’article 261 D du CGI. Ainsi, l’activité est para‑hôtelière et, par voie de conséquence, commerciale, comme l’ont retenu les juges au cas d’espèce.
Bien que certains auteurs aient pu s’opposer à l’octroi d’une portée significative à cette solution28, la tendance jurisprudentielle actuelle démontre bel et bien un mouvement de confirmation pure et simple de la jurisprudence de la Cour de cassation. Le critère de caractérisation de la nature commerciale de l’activité de location de courte durée dépend donc de la présence ou non de services para‑hôteliers complémentaires.
Dès lors, les copropriétés à destination bourgeoise dont le règlement a été établi antérieurement au 21 novembre 2024 auront tout intérêt à se prévaloir des nouvelles dispositions de la loi Le Meur qui, pour rappel, permet aux copropriétaires d’adopter, à la double majorité prévue à l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965, une clause ayant pour effet d’interdire totalement l’exercice de cette activité dans les locaux à usage d’habitation. En effet, la loi reprend tout son sens quand l’immeuble est soumis à une destination bourgeoise, car la clause d’habitation bourgeoise, tant simple qu’exclusive, n’interdit pas l’exercice des activités civiles, or la location de courte durée est par principe civile, à moins qu’il ne soit démontré que des services para‑hôteliers lui sont rattachés. Les copropriétaires devront toutefois prendre l’initiative du vote visant à interdire l’activité en assemblée générale.
Cette épopée jurisprudentielle n’est pas sans incidence sur le droit de propriété du copropriétaire qui souhaite louer son lot. La destination de l’immeuble constitue une première source de limitation de sa faculté de jouir librement de son bien. Désormais, la collectivité des copropriétaires peut, à une majorité moins importante que l’unanimité, le priver d’une autre possibilité de choisir quelle activité exercer dans les parties privatives de son lot.
2. Les conséquences de la nouvelle qualification juridique de l’activité de location de courte durée sur le droit de propriété du copropriétaire
Le droit de propriété, tel que défini à l’article 544 du Code civil, profite d’une forme d’absolutisme en ce sens que tout propriétaire est par principe libre d’user de son bien comme il le souhaite. Le droit de la copropriété, dès sa naissance, a pu porter des restrictions à cette faculté. En effet, le copropriétaire peut jouir librement des parties privatives de son lot, comme tout propriétaire le peut sur son bien objet de propriété exclusive, mais dans le respect de la destination de l’immeuble. Cette destination est souvent définie par les différentes clauses qui figurent dans le règlement de copropriété29, mais aussi par les caractéristiques particulières de l’immeuble lui‑même. Elle peut être bourgeoise (habitation), commerciale, mixte… Ainsi, le copropriétaire doit respecter cette destination lorsqu’il use de ses prérogatives de propriétaire, notamment celle tenant à la libre jouissance de son bien en vertu de laquelle il peut louer son bien à un tiers preneur30.
Cependant, la loi Le Meur a placé un obstacle supplémentaire sur la route du copropriétaire, puisqu’il peut désormais être privé de l’exercice dans les parties privatives de son lot d’une nouvelle activité, celle de louer son bien pour de courtes durées afin de générer des revenus plus importants qu’un bail traditionnel. Ces nouvelles dispositions, en partie prises du fait de la nouvelle nature juridique de l’activité, ont également inspiré d’autres autorités, comme l’administration fiscale, à porter indirectement atteinte au droit de propriété du copropriétaire (2.1). Néanmoins, il nous paraît possible de trouver des alternatives, à tout le moins des instruments protecteurs du droit de propriété du copropriétaire afin qu’il puisse partiellement récupérer l’exercice de ses prérogatives et ainsi conserver une certaine liberté dans la définition de la destination de son bien (2.2).
2.1. Une atténuation supplémentaire au droit du copropriétaire de jouir librement de son bien née de la loi Le Meur
Cette atténuation est plus marquante pour les copropriétés créées avant le 21 novembre 2024. Pour celles‑ci, la loi Le Meur permet à la collectivité des copropriétaires, à la majorité des deux‑tiers, d’adopter une clause interdisant l’exercice de l’activité de location meublée de tourisme. Cette interdiction ne peut être formulée selon ces règles de majorité que dans la mesure où l’immeuble a une destination bourgeoise. Il en découle que l’argument d’une éventuelle illicéité de la clause ne saurait prospérer, car la clause est alors assimilable à une clause limitative des droits des copropriétaires, ce qui veut dire qu’elle n’est valable que dans la mesure où elle est conforme à la destination de l’immeuble.
Or, comme l’a très justement relevé un auteur31, c’est uniquement au travers de la dimension subjective de la destination de l’immeuble que nous devons analyser la validité de ce type de clause eu égard à une destination bourgeoise, là où la dimension objective, qui tient plutôt aux caractéristiques physiques de l’immeuble, est sans intérêt. Et justement, la dimension subjective, qui se réfère au règlement de copropriété, demande que la clause soit conforme à la destination bourgeoise de l’immeuble. La majorité des auteurs32 considère que la destination bourgeoise suggère une certaine tranquillité et une stabilité au sein de l’immeuble. Dès lors, au regard des multiples nuisances que peut causer la location de courte durée, il nous paraît impensable de considérer que l’activité n’est pas contraire à l’exigence de tranquillité de la destination bourgeoise. Il est donc peu probable, voire impossible, de considérer la clause comme illicite. Encore que, la notion de destination étant évolutive33, il ne serait pas improbable de rencontrer à l’avenir des décisions constatant l’illicéité de la clause. On peut notamment se référer à la décision de 2011 déjà évoquée34 dans laquelle il a été retenu que l’activité de location de courte durée, causant des nuisances similaires à des activités libérales pourtant autorisées au sein de l’immeuble, pouvait de facto être exercée dans l’immeuble. Finalement, c’est surtout en fonction de la situation litigieuse et des circonstances de fait que l’on devra se placer pour savoir si la destination de l’immeuble justifie l’interdiction. Il n’en reste pas moins que le copropriétaire pourra voir son droit de jouir librement de son bien atténué par le fait d’une majorité de copropriétaires, qui n’est pourtant pas l’unanimité35, décidant d’adopter une clause restrictive de ses droits.
Et quand bien même les copropriétaires décideraient de ne pas adopter ladite clause, il se trouve que l’administration fiscale contribue elle‑même à la limitation du droit de propriété du copropriétaire, sans que ce soit son objectif premier, car elle a assoupli son appréciation des services para‑hôteliers de l’article 261 D du CGI36. Par conséquent, il est beaucoup plus simple pour les juridictions de retenir la présence de services para‑hôteliers, et donc de faire de la location de courte durée une activité commerciale incompatible avec la clause d’habitation bourgeoise. Des auteurs ont même affirmé qu’avec cette nouvelle appréciation des services para‑hôteliers, un grand nombre de bailleurs pourraient voir leur activité requalifiée en une activité commerciale37. Encore faudra‑t‑il s’assurer que les prestations para‑hôtelières sont l’objet principal de l’activité du prestataire, faute de quoi l’activité ne sera que civile.
C’est ainsi que l’on constate une atténuation accrue du droit de propriété du copropriétaire dans la mesure où, s’il espère poursuivre son activité tout en restant en conformité avec la clause d’habitation bourgeoise, il sera dans l’obligation de ne proposer que peu de services, voire aucun, ce qui fera perdre énormément de rentabilité à son activité, puisque les clients choisiront un autre prestataire. De la même manière, le copropriétaire‑bailleur pourrait donc être encouragé à changer d’activité, ou de copropriété, ce qui implique un nombre important de coûts supplémentaires pour lui.
Nous terminerons par préciser que le copropriétaire‑bailleur ne pourra pas davantage « tricher » en se servant des différentes règles qui régissent la matière contractuelle pour se soustraire à la volonté des copropriétaires de bannir l’activité de location meublée touristique. En effet, il ne pourra pas demander à son locataire de sous‑louer le lot, moyennant une commission, pour exercer indirectement une activité de location de courte durée. C’est la conséquence directe de l’opposabilité du règlement de copropriété au locataire38. De ce fait, le locataire est tenu de respecter le règlement, malgré l’effet relatif des contrats.
Le syndicat des copropriétaires dispose par ailleurs d’un arsenal fourni pour protéger la copropriété face à cette situation puisqu’il peut non seulement agir par la voie de l’action oblique39 contre le locataire, mais aussi agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle40 contre le sous‑locataire s’étant rendu responsable de troubles anormaux du voisinage pouvant résulter notamment du non‑respect du règlement de copropriété. Par ailleurs, le syndicat peut assigner conjointement le copropriétaire‑bailleur, le locataire et le sous‑locataire41 pour obtenir réparation de son dommage grâce à une condamnation in solidum des responsables.
Au vu de ces éléments, tout indique au copropriétaire de ne pas exercer cette activité de location meublée de tourisme, ce qui limite encore plus son droit de propriété. Pourtant, il nous a paru utile de proposer, à tout le moins de mentionner certains outils de protection face à cette nouvelle loi afin que le copropriétaire‑bailleur puisse recouvrer une partie de sa liberté.
2.2. Des suggestions permettant une meilleure protection du droit de propriété du copropriétaire face à la nouvelle loi Le Meur
Certains praticiens42 considèrent que la clause d’interdiction sanctionne finalement l’ensemble des copropriétaires alors qu’il s’agit seulement d’une faible portion d’entre eux qui causent de réelles nuisances. Ainsi, plutôt que de sanctionner, pourquoi ne pas responsabiliser ? La suggestion serait donc de renforcer le régime de responsabilité civile relatif aux troubles anormaux du voisinage plutôt que d’adopter une clause d’interdiction générale d’exercice de l’activité de meublés de tourisme.
La solution ne nous paraît pas opportune pour deux raisons. D’abord, parce que le régime de responsabilité mis en place actuellement en matière de troubles de voisinage est suffisamment complet pour prévenir les troubles causés en copropriété, y compris ceux résultant de la location meublée touristique. Ensuite, parce que la solution est financièrement beaucoup plus coûteuse que l’adoption d’une clause pour le syndicat des copropriétaires. En effet, il serait nécessaire pour lui d’agir contre le copropriétaire en justice par la voie du référé, et il n’est pas rare que l’urgence soit rejetée, ou qu’un appel soit formé, ce qui rend la procédure encore plus lente qu’elle ne l’est déjà en France (et, incidemment, une accumulation de frais à la charge de tous les copropriétaires).
C’est donc essentiellement vers la matière contractuelle que l’on doit se tourner pour assurer la protection du droit de propriété du copropriétaire. Une étude43 a d’ailleurs remarquablement démontré que le règlement de copropriété, qui jusqu’alors semblait n’être qu’un frein pour les droits des copropriétaires, peut aussi être une source de protection de ces mêmes droits. Par exemple, le fait que le règlement soit opposable aux tiers preneurs constitue certes une limitation des droits du copropriétaire‑bailleur, mais permet également de protéger les droits des autres copropriétaires (notamment de ne pas être exposé à différentes sortes de nuisances). L’enjeu reste celui de satisfaire tous les copropriétaires, tant bailleurs que simples résidents.
Un auteur44 avait soulevé une idée très pertinente selon laquelle il serait possible pour les copropriétaires de moduler les effets de la clause d’interdiction d’exercice de la location meublée de tourisme. En d’autres termes, les cocontractants pourraient prévoir au sein de leur contrat, le règlement de copropriété, que la clause n’interdise que partiellement l’exercice de l’activité. Par exemple, cantonner l’interdiction à certains locaux, ou à certaines périodes de l’année (typiquement, la période scolaire). Il est aussi intéressant de prendre en compte la région dans laquelle la copropriété se situe. Si c’est une région plus sensible au tourisme, comme PACA ou l’Île‑de‑France, l’interdiction perd de son sens en période de vacances scolaires, puisque les étudiants retournent la plupart du temps vivre avec leur famille et les résidents habituels partent en vacances45. Au contraire, l’interdiction retrouve tout son sens quand elle est formulée exclusivement pour les périodes scolaires, pendant lesquelles les étudiants comme les adultes ont le plus besoin d’un logement pour travailler.
Cette simple idée est devenue réalité, puisque les règlements de copropriété peuvent désormais prévoir une telle modulation de la clause. Ainsi, l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle dont font preuve les copropriétaires pourraient permettre l’adoption d’une clause autorisant un exercice tempéré de l’activité, plutôt qu’une autorisation ou une interdiction générale et absolue. Dans ce cadre très précis, c’est la destination objective de l’immeuble qui permet de considérer que la modulation des effets de la clause est licite (puisque l’on prend en compte l’environnement dans lequel se trouve l’immeuble, donc la région plus ou moins touristique). En optant pour cet entre‑deux, le copropriétaire pourra donc conserver en partie l’exercice de ses prérogatives de propriétaire, tandis que les autres copropriétaires n’auront pas à subir les nuisances de la location de courte durée en période scolaire.
Toujours dans le domaine contractuel, on pourra également rapprocher le propos d’un auteur quant à l’éventuelle illicéité de ces clauses restrictives des droits des copropriétaires46, mais cette fois‑ci dans les nouvelles copropriétés (celles dont le règlement a été établi à compter du 21 novembre 2024). La loi Le Meur oblige ces copropriétés à insérer cette clause relative à l’autorisation ou l’interdiction de l’exercice de la location touristique, sans prendre en compte la destination tant subjective qu’objective de l’immeuble. Si la licéité de l’interdiction se justifie quand l’immeuble a une destination bourgeoise, impliquant la recherche d’une certaine tranquillité, rien ne permet d’affirmer qu’il en va de même face à une destination mixte ou encore commerciale de l’immeuble.
Comment pourrait‑on admettre qu’un immeuble en copropriété à destination commerciale puisse insérer dans son règlement une clause interdisant aux copropriétaires d’exercer une activité de location de courte durée, pouvant être commerciale et générant des nuisances identiques à tout type d’activité commerciale. C’est impensable, car la clause doit être conforme à la destination de l’immeuble, ce qui ne serait manifestement pas le cas ici. Par ailleurs, la destination objective de l’immeuble peut aussi entrer en ligne de compte, car les nouveaux immeubles (qui sont ceux concernés par ce pan de la loi Le Meur) ont des caractéristiques bien spécifiques (une meilleure insonorisation, des murs plus épais, etc.). Dès lors, les nuisances que peut causer l’activité seront minimisées. La clause pourrait donc être aisément sanctionnée et réputée non‑écrite si elle prévoyait une interdiction de l’activité de location meublée touristique dans l’immeuble pour défaut de conformité à la destination de l’immeuble.
Les copropriétaires auront donc tout intérêt à prendre connaissance de la destination de leur immeuble afin de protéger leur droit de propriété, car il n’est pas impossible que la clause leur interdisant d’exercer l’activité de location meublée de tourisme soit illicite. Par voie de conséquence, le copropriétaire pourrait recouvrer, seulement en partie toutefois, ses prérogatives de libre jouissance des parties privatives de son lot.
