Compensation et liaison du contentieux dans les relations pécuniaires entre un employeur public et son agent

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Décision de justice

CAA Marseille, 4e chambre – N° 20MA00277 – M. A. c/ Ministre de l'agriculture et de l'alimentation – 05 avril 2022

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 20MA00277

Numéro Légifrance : CETATEXT000045537519

Date de la décision : 05 avril 2022

Index

Rubriques

Fonction publique

Résumé

Dès lors que, d'une part, le juge statuant sur une demande de décharge d'une somme mise à la charge d'un agent par un titre exécutoire est un juge de plein contentieux et que, d'autre part, la demande tendant à réduire la créance que détient l'Etat sur un agent du fait d'une faute commise par l'Etat vise à réduire cette même créance, par un mécanisme de compensation, la liaison du contentieux est réalisée par la demande de décharge de la somme exigible par l'émission du titre exécutoire, quels que soient les fondements invoqués.

Un fonctionnaire avait été l’objet d’un titre exécutoire de la part de son employeur public pour un trop-perçu de rémunération d’un montant de 82 466,38 euros, contre lequel il avait formé la réclamation préalable auprès du comptable public, prévue par l'article 118 du décret du 7 novembre 2012, puis une opposition à exécution devant le tribunal administratif. Son recours a été rejeté pour irrecevabilité par voie d’ordonnance.

Après avoir annulé cette ordonnance pour irrégularité, et constaté que l’administration avait annulé la somme de 17 997,83 euros du montant de la créance détenue par l’Etat sur son agent, la Cour, par la voie de l’évocation, a ramené à 55 962,63 euros la somme due par l’intéressé qu’elle a déchargé de l’obligation de payer toute somme supérieure à ce montant. Saisie d’un moyen en ce sens, elle a pour ce faire mis en application la prescription biennale de l’article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000.

Elle a au préalable jugé que si, parallèlement à la demande de décharge de l’obligation de payer qui découle d’un titre exécutoire, l’agent public présente une demande de réduction du montant de cette créance du fait d’une faute commise par l’Etat employeur, par un mécanisme de compensation, le contentieux est lié en ce qui concerne cette seconde demande par la présentation de la première, nécessairement précédée de la réclamation prévue à l’article 118 du décret du 7 novembre 2012.

Conclusions du rapporteur public

Patrice Angeniol

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.202

Ingénieur de l’agriculture et de l’environnement, M. D., employé par le ministère de l’agriculture et affecté au sein de la direction départementale des territoires, en tant que chef du service économie agricole de Lozère, a été nommé le 4 mars 2010, dans le cadre d’un détachement, directeur départemental interministériel adjoint de la direction de la protection des populations DDPP du Gard.

Cette nouvelle affectation s’est traduite par un transfert vers les services du premier ministre dont relève cette direction.

Il se trouve que dans un premier temps, au cours de l’année 2010, le ministère de l’agriculture a continué à verser son traitement à M. D., les services du premier ministre ne disposant pas encore de leur propre dispositif de rémunération pour les directeurs et directeurs adjoint occupant ce type de poste.

Au final, en 2011, les services du premier ministre ont bien pris en charge la rémunération de M D., mais les choses ont visiblement donné lieu à quelques disfonctionnements.

En 2014 M. D. se voit informé d’un trop perçu pour l’année 2010 s’agissant de primes et notamment de la prime dite ISSQ.

La situation sera finalement régularisée en 2015, mais ce versement de l’ISSQ a apparemment entrainé une erreur bien plus conséquente, puisque l’appelant, à partir de mars 2015, a perçu deux traitements, l’un versé par le ministère de l’agriculture, l’autre versé par les services du premier ministre.

Nous le verrons, M. D. a signalé plusieurs fois à son administration ce double versement erroné, administration qui dans un premier temps est restée relativement inerte avant de répondre à un courrier recommandé avec AR de la sous-direction des carrières et de la rémunération, en date du 14 octobre 2017, en indiquant l’émission prochaine d’un titre de perception correspondant au trop-perçu de rémunération : Titre du 17/12/2017 (notifié le 12/01/2018) d’un montant de 82 466,38 euros (correspondant au versement d’un indu du 1er mars 2015 au 30 octobre 2017).

M. D. a formé un recours gracieux devant le ministère de l’agriculture le 23 janvier 2018, dans lequel il indiquait qu’en parallèle il saisissait la DDFIP du Gard d’une opposition à exécution du titre de perception du titre, tout en joignant un chèque de 55 962,63 euros correspondant, selon lui, aux sommes non prescrites.

Il a ensuite introduit un recours devant le tribunal administratif (TA) de Nîmes le 28 mai 2018 (qui l’a transmis au TA de Marseille). Le ministre de l’agriculture, à qui a été communiqué la requête, n’a jamais produit. Quant au DDFIP, il a soulevé l’irrecevabilité de la requête au motif qu’il n’avait pas été saisi d’une réclamation préalable, en méconnaissance de l’article 118 du décret du 7 novembre 2012 qui dispose que :

« Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l’ordre de recouvrer. La réclamation doit être déposée, sous peine de nullité : 1° En cas d’opposition à l’exécution d’un titre de perception, dans les deux mois qui suivent la notification de ce titre ou du premier acte de poursuite qui procède du titre en cause ; 2° En cas d’opposition à poursuites, dans les deux mois qui suivent la notification de l’acte de poursuite. L’autorité compétente délivre un reçu de la réclamation, précisant la date de réception de cette réclamation. Elle statue dans un délai de six mois dans le cas prévu au 1° et dans un délai de deux mois dans le cas prévu au 2°. A défaut d’une décision notif1ée dans ces délais, la réclamation est considérée comme rejetée. ».

Cette obligation de recours préalable, qui n’obéit pas exactement aux règles du RAPO, ne vaut qu’en cas d’opposition à exécution des créances de l’Etat.

Le TA, qui n’a pas communiqué ce mémoire, a rejeté la requête par ordonnance sur le fondement du 4° de l’article R. 222‑1 CJA (requêtes manifestement irrecevables sans que la juridiction soit tenue d’inviter son auteur à régulariser ou qui n’ont pas été régularisées à l’issue du délai imparti par une demande en ce sens) au motif que, si l’intéressé avait déposé un recours gracieux le 24 janvier 2018 auprès de l’ordonnateur par lequel il contestait le titre de perception litigieux et y indiquait qu’il adresserait à la direction départementale des finances publiques du Gard une opposition à l’exécution du titre de perception, il n’avait pas, avant d’introduire son recours, adressé de réclamation préalable au comptable chargé du recouvrement, le directeur départemental des finances publiques du Gard, en méconnaissance des dispositions de l’article 118 du décret du 7 novembre 2012.

En appel, M. D. demande l’annulation de cette ordonnance.

Sur la régularité de l’ordonnance

Une requête tendant à l’annulation d’un titre exécutoire émis par l’Etat qui n’aurait pas été précédée d’une opposition formée devant le comptable compétent est irrecevable, en application des dispositions de l’article 118 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Toutefois, il s’agit d’une irrecevabilité régularisable.

L’article R. 612‑1 du CJA codifie le principe selon lequel des conclusions entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours ne peuvent être rejetées par la juridiction, en relevant d’office cette irrecevabilité, qu’après avoir invité leur auteur à les régulariser.

L’obligation d’inviter à régulariser la requête ne s’impose que si l’irrecevabilité n’a pas été soulevée en défense (CE, 28 avril 1997, Association des commerçants sédentaires de Corbeil-Essonnes, no 164820). Toutefois, en pareil cas, la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une décision prise après audience publique et ne peut l’être par ordonnance, à moins que son auteur n’ait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l’article R. 612‑1 du CJA (CE, 14 octobre 2015, M. et Mme Godrant, no 374850).

Les recours portés devant le juge administratif à l’encontre des titres exécutoires des personnes publiques relèvent du plein contentieux depuis une décision de section du Conseil d’État du 27 avril 1988, Mbakam(CE, 27 avr. 1988 : Lebon, p. 172 ). Afin de pouvoir opposer ce moyen de recevabilité et afin de protéger le débiteur, le juge doit malgré tout l’inviter à régulariser son recours en opposition (CE, 21 sept. 1990, Sté concours techniques : Lebon, p. 249).

Le TA ne pouvait rejeter par ordonnance sans avoir invité à régulariser l’irrecevabilité, car il s’agit d’une irrecevabilité régularisable, ce qu’il n’a pas fait.

Il pouvait, le cas échéant, s’abstenir d’inviter l’intéressé à régulariser si la fin de non- recevoir était soulevée en défense, mais il ne pouvait en tout état de cause le faire par ordonnance (à moins d’avoir lui-même invité l’auteur à régulariser sa requête).

Or dans notre cas, il n’y a eu ni invitation à régulariser, ni communication du mémoire, ni audience.

C’est donc bien à tort que la requête a été rejetée comme manifestement irrecevable, ce qui constitue un motif d’irrégularité.

Annulation de l’ordonnance et évocation

Non-lieu à statuer

Vous avez informé les parties que votre décision était susceptible d’être fondée sur le moyen soulevé d’office tiré de ce qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de M. D. à hauteur du dégrèvement, d’un montant de 17 997,83 euros, prononcé, en cours d’instance, par le directeur départemental des finances publiques du Gard.

Nous partageons cette analyse le litige ne concerne donc plus que la somme de 64 468,49 euros (82 466,32 initial – 17 997,83).

Recevabilité de la requête

La réclamation préalable devant le comptable compétent est produite en appel, avec la preuve de sa réception et contrairement à ce que soutient le ministre, il n’est pas nécessaire de faire une demande préalable pour lier le contentieux, s’agissant de l’application de la jurisprudence du CE du 16 décembre 2009, L’Anthoen, 314907, B.

Votre office est ici celui de juge du plein contentieux et dans le cadre de cette office saisi d’une simple demande d’annulation d’un titre de perception, relatif à une situation de maintien indu du versement d’un avantage financier à un agent public, il vous est offert la possibilité de réduire le montant du titre de perception, en fonction des fautes imputables à l’administration.

C’est ce qu’a fait l’arrêt l’Anthoen, le juge étant saisi d’une simple demande d’annulation d’un titre de perception.

Venons-en au fond du dossier

Sur la régularité en la forme du titre de perception

Est invoqué une méconnaissance de l’article L. 111‑2 CRPA

Il semble qu’une confusion soit faite entre les dispositions de l’article L. 111‑2 du CRPA qui disposent que :

« Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. »

Et celles de l’article L. 212‑2 du même code selon lesquelles :

« Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. »

A supposer que le moyen soit opérant, le titre de perception porte bien nom, prénom, qualité de l’ordonnateur, ainsi que les coordonnées de la DDFIP du Gard devant laquelle il peut contester le montant du titre de perception. Il répond ainsi aux exigences posées par le CRPA.

Sur la prescription :

Les répétitions d’indus versés aux agents publics font depuis 2012 l’objet d’une prescription biennale (article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000).

Sur l’articulation des règles de prescription avec le régime du retrait des décisions créatrices de droit, voir CE, 28 mai 2014, Le Mignon et Communal, 376201 et 376573, A.

M. D. demande l’annulation et la décharge consécutive de l’obligation de payer de toutes les sommes prescrites au 1er janvier 2018, étant donné que le titre de perception (en date du 17 décembre 2017) ne lui a été notifié qu’en janvier 2018.

Le CE, dans son avis Mme Dittoo et Mme Holterbosch du 31 mars 2017 (7/2 CHR, no 405797, au Recueil) a précisé les conditions d’application de cette prescription biennale.

La prescription peut être interrompue par la lettre par laquelle l’administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment autant que par un ordre de reversement ou un titre exécutoire, ceci à la date de leur notification.

L’appelant a été destinataire d’une lettre de l’administration du 11 décembre 2017, l’informant de l’émission d’un titre de perception. Il indique avoir reçu cette lettre le 15 décembre 2017.

La prescription ayant été interrompue à cette date, seules les rémunérations perçues entre le 1er mars 2015et le 30 novembre étaient prescrites.

Le ministre admet que la somme non prescrite, en tenant compte des rémunérations, s’élève dès lors à 55 962,63 euros, ce qui correspond aux calculs de l’appelant, nous vous proposons de retenir cette somme.

Sur les sommes non prescrites indûment réclamées

M. D. conteste le calcul réalisé par l’administration, mais le tableau qu’il produit pour se faire ne permet pas utilement de contester ce calcul, alors que l’appelant reconnait lui-même, pour la période concernée, avoir perçu une somme totale supérieure au montant qui lui est réclamé.

Sur la compensation du fait de la carence fautive de l’administration

C’est ici que la jurisprudence L’Anthoen, trouve sa pleine application.

Pour rappel

« Une décision administrative explicite accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l’administration avait l’obligation de refuser cet avantage. En revanche, n’ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d’une décision prise antérieurement. Pour l’application de ces règles à la détermination de la rémunération des agents publics, le maintien du versement d’un avantage financier ne peut être assimilé à une décision implicite accordant un avantage financier et constitue une simple erreur de liquidation non créatrice de droits. L’administration n’a donc pas commis d’erreur de droit en demandant au requérant le remboursement des sommes indûment perçues. Toutefois, la perception prolongée par l’intéressé, sur près de dix ans, de l’indemnité pour charges militaires au taux « chef de famille » est principalement imputable à la carence de l’administration. Compte tenu notamment de la durée pendant laquelle cette carence s’est prolongée et de ce que le ministre ne conteste pas l’affirmation du requérant selon laquelle celui-ci n’avait pas décelé l’erreur qui portait sur une somme mensuelle modeste, il est fait une juste appréciation du préjudice subi en ramenant le montant du titre de perception au tiers de la somme réclamée ».

Il est donc loisible pour le juge, de réduire le montant du titre de perception, en fonction des fautes imputables à l’administration.

Les diligences de M. D. et la carence de l’administration ne font pas débat, mais il apparait, d’une part, que la carence n’a duré que deux ans et demi et non dix ans comme dans l’arrêt précité du CE.

D’autre part, s’agissant d’un préjudice, il convient d’en établir le caractère direct et certain en lien avec cette faute, or si l’appelant soutient qu’il a dû s’acquitter d’une imposition supplémentaire et a perdu le bénéfice d’aide sociale compte tenu de ses revenus, il nous semble que ces revenus, même sans augmentation indue ne permettaient que difficilement l’octroi d’une quelconque aide sociale, aucune précision n’étant apportée, pas plus que pour les impôts.

Cela reviendrait à accorder une somme pour le principe, au titre d’un préjudice qui ne peut être moral mais qui correspond à des TCE réels, or rien n’est établi, nous ne vous proposons pas d’user de votre pouvoir de réduction du titre de perception, l’appelant ayant par ailleurs, même si cela ne relève pas de la même logique déjà été indemnisé par le jeu de la prescription et ce pouvoir de réduction du titre de perception ne doit pas aller vers un enrichissement sans cause.

Par ces motifs, nous concluons :

-Annulation de l’ordonnance attaqué qui est irrégulière, M. D. n’ayant pas été invité par le tribunal à régulariser sa requête en adressant une réclamation préalable au comptable public chargé du recouvrement du titre de perception dont il demandait annulation.

-Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. D. à hauteur de la somme de 17 997,83 euros.

-La somme que M. D. doit à l’Etat, est ramenée à 55 962 euros et M. D. sera déchargé de l’obligation de payer toute somme supérieure à ce montant.

-Condamnation de l’état à verser à M. D. la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative. Rejet du surplus des conclusions.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Fonction publique - Compensation et liaison du contentieux dans les relations pécuniaires entre un employeur public et son agent

Cristelle Poletto

FDSP ATER LID2MS – EA 4328

Doctorante au Centre de Recherches Administratives – EA 893

Aix-Marseille Université

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/amarsada.204

La résolution des problèmes induits par le versement indu par l’employeur public d’éléments de rémunération « au profit » des agents publics est devenue un « classique » du contentieux de la fonction publique. « Au profit », la locution prépositionnelle est peut-être mal choisie tant les conséquences de ces paiements peuvent s’avérer, non seulement complexes à gérer mais encore les paiements eux-mêmes étonnamment difficiles à faire cesser. L’arrêt en référence est une illustration de ces multiples difficultés, au premier rang desquelles l’appréhension procédurale du litige n’est pas en reste.

Outre les nombreuses erreurs liées au régime indemnitaire qui sont attachées à l’exercice effectif des fonctions et qui peuvent encore s’avérer compréhensibles, il arrive, par exemple, que les fonctionnaires de l’État, au gré de leurs mutations, voient leur rémunération antérieure purement et simplement maintenue pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, malgré leur protestation, emportant double rémunération. Au cas d’espèce, l’arrêt est taisant sur les fonctions exercées par le requérant, sauf à dire que son emploi dépendait du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, « ministre intéressé » intimé au sens des dispositions de l’article 811‑10 du code de justice administrative. On ignore également les raisons pour lesquelles, la DDFIP du Gard a maintenu sa rémunération alors même que l’appelant avait cessé d’exercer son emploi, vraisemblablement, au cours de l’année 2015. On sait toutefois que celui-ci avait signalé l’erreur et que malgré son signalement, l’administration n’a réagi que plus de deux années après que ce dernier a donné l’alerte (§14).

Cette situation a fini par aboutir à l’émission par la DDFIP du Gard d’un titre de perception en date du 18 décembre 2017 à hauteur de 82 436,38 euros, somme qui a été minorée en cours d’instance et ramenée à un montant d’indu à hauteur de 64 468,49 euros par l’administration elle-même, reconnaissant la prescription partielle de la créance. Ce titre de perception lui était alors notifié le 12 janvier 2018. Le requérant a manifestement commencé à rembourser puisque l’arrêt indique qu’il a payé la somme de 55 962,63 euros en exécution d’un commandement de payer. Le 24 janvier 2018 toutefois, la DDFIP du Gard recevait une réclamation préalable tendant à l’annulation dudit titre et à la décharge totale de l’obligation de payer.

Il n’est pas inutile de préciser que tout agent concerné par cette situation se trouve nécessairement impacté par l’incurie de l’administration et qu’il ne lui suffit pas de se borner à conserver l’argent par devers lui jusqu’à ce que l’administration lui en demande restitution pour régler les conséquences dommageables de l’erreur commise. En effet, et très concrètement, celle-ci emporte des conséquences fiscales, et partant sociales, quasi « automatiques » dans la mesure où elle génère nécessairement une surimposition à laquelle l’agent ne peut échapper.

Pour les mesurer, il convient d’avoir à l’esprit les dispositions de l’article 12 du code général des impôts aux termes desquelles « l'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ». Plus précisément, les dispositions de l’article 156 du code général des impôts prévoient, s’agissant de l’impôt sur le revenu, qu’il « est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé eu égard aux […] aux traitements, salaires, pensions et rentes viagères dont ils jouissent […]. » Il n’est ainsi pas possible d’opérer une déduction pour les sommes effectivement perçues, même indûment, au cours de l’année civile et encore moins d’opérer une quelconque régularisation rétroactive. Seule une prise en charge au titre de l’article 163‑0‑A du code général des impôts relative à l’imposition des revenus exceptionnels ou différés selon le système du quotient est envisageable. C’est seulement par la suite que les sommes restituées seront déductibles des revenus perçus au cours de l’année civile lors de laquelle aura lieu la restitution. Or ce mécanisme n’est habituellement pas de nature à réparer le préjudice financier relatif à l’impôt supplémentaire mis ainsi à la charge de l’agent.

En effet, même après remboursements et déduction des sommes au titre des traitements ayant donné lieu à répétition, il apparaît bien souvent un surplus d’imposition de la comparaison effectuée entre l’impôt réellement payé et l’impôt qu’aurait dû régler l’agent public si son employeur n’avait pas commis d’erreur dans la gestion de sa paie. Ensuite, il peut arriver que, de l’avis d’imposition faisant apparaître l’indu, découle une impossibilité d’accéder à certaines prestations sociales. En conséquence, le comportement de l’administration peut être de nature à générer divers préjudices ayant pour origine directe et exclusive la faute commise dans la gestion du traitement de l’intéressé.

Au contentieux spécifique de l’opposition à poursuite ou à exécution d’un titre de perception assis et liquidé à partir d’une rémunération que l’employeur public estime indûment versée à un agent public, dont la procédure est fixée par les dispositions du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique1 et dont le régime dépend des dispositions de l’article 37‑1 de la loi du 12 avril 20002, dans sa version en vigueur jusqu’au 1er janvier 20223, s’ajoutent et bien souvent se superposent les exigences inhérentes au contentieux lié à la responsabilité fautive de l’administration.

S’il est loisible à l’agent de rembourser puis d’initier une action en responsabilité a posteriori, il peut aussi envisager d’invoquer l’existence d’une créance indemnitaire à compenser avec les sommes à rembourser. C’est la combinaison de ces fondements juridiques « à tiroirs » ainsi que son implication procédurale qui sont au cœur de la décision en référence. L’arrêt confirme l’unicité de l’office du juge de plein contentieux en rappelant que le juge de l’opposition peut opérer une compensation sur le fondement de l’existence d’une créance indemnitaire qu’il constate (I.) et qu’à cet effet, la combinaison des textes n’impose nullement de multiplier les actes de manière purement formelle, réclamation préalable à une opposition à titre exécutoire et réclamation préalable aux fins de liaison du contentieux en matière indemnitaire pouvant se confondre (II).

I. Sur le fond, rappel de l’unicité de l’office du juge de plein contentieux

Le régime juridique de l’action en répétition initiée par l’employeur public

Aux termes de l'article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000 précité désormais repris à l’article L. 711‑6 du code général de la fonction publique, a été imposée une limite temporelle de deux années à la prescription d’assiette des trop-perçus en matière de rémunération4. On sait que cette disposition a pu donner lieu à discussion sur la façon dont elle devait s’articuler avec les règles régissant le retrait des décisions créatrices de droit. La question a rapidement été évacuée par un avis rendu le 28 mai 20145, s’en tenant à la lettre du texte qui prime le principe fixé par les dispositions de l’article L. 242‑1 du code des relations entre le public et l'administration. Selon la formule sacramentelle mais explicite du Conseil d’État,

« il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée ».

Dans cette même dynamique, et conformément à ce que rappelle la Cour (§14), il avait été déjà jugé bien antérieurement, dans une décision Fontenille de 20096 que le maintien d’un avantage financier n’était aucunement constitutif d’une décision implicite accordant un avantage financier, ce qui facilitait grandement les actions en répétition.

Seule une éventuelle prescription tirée de l’inaction de l’administration pendant deux années est donc de nature à garantir la stabilité de la situation financière de l’agent. Pour ce faire, faut-il encore que le délai ne soit pas interrompu. Depuis un avis Dittoo et Holterbosch de 20177, il est jugé que le titre de perception interrompt la prescription à la date de sa notification au débiteur, dont la preuve incombe à l'administration. En vertu du principe général selon lequel les règles de prescription de droit civil s'appliquent aux créances publiques - qui a « survécu » à la disparition de sa mention expresse énoncé à l’ancien article 2227 du code civil – le Conseil d’État a pu ainsi rappeler qu’ en l'absence de textes spéciaux, les causes d'interruption et de suspension de la prescription des créances des personnes publiques sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du Code civil. Aussi, la cour suprême a-t-elle ainsi précisé que « tant la lettre par laquelle l'administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment qu'un ordre de reversement ou un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification ».

Cette précision est loin d’être anecdotique au cas d’espèce puisque le requérant invoquait l’extinction par prescription de sa dette pour la période du 1er mars 2015 au 1er janvier 2016, ce qu’a contesté le ministère. En effet, il est constant que le 11 décembre 2017, l’administration avait informé le requérant de son intention d’émettre le titre de perception litigieux. Aussi, dans les circonstances de l’espèce, la prescription ne pouvait-elle couvrir la période antérieure postérieure au 30 novembre 2015, selon l’argumentation du ministère, qui a été consacrée par la cour (§12). Dans ces conditions la dette a été ramenée à la somme de 55 962,63 euros. Pour autant, le requérant n’estimait pas devoir la somme et a invoqué, pour s’en dispenser, la responsabilité de l’administration.

Les conditions préalables d’une possible compensation avec une créance indemnitaire

La circulaire du 11 avril 2013 de la DGAFP venant expliciter le régime juridique fixé à l’article 37-1 précité précise bien, in fine, que :

« Il est rappelé qu’en maintenant le versement indu et en tardant à réclamer les sommes trop perçues, l’administration commet une négligence constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat et ce, même lorsque la créance n’est pas encore prescrite. L’administration doit tout mettre en œuvre pour procéder à la régularisation de la situation de l’agent public dans un délai raisonnable […] ».

L’agent qui subit un préjudice du fait de l’erreur commise a vocation à engager un recours indemnitaire. La jurisprudence l’a rappelé de longue date8.

En 2003, la Haute juridiction avait même considéré qu’il était possible de condamner l’administration à indemniser à hauteur de la somme répétée mais l’action indemnitaire avait initiée indépendamment de la procédure de rappel, le juge de plein contentieux ayant été saisi dans les conditions de droit commun d’une action indemnitaire9. Pour autant, l’arrêt en référence vient rappeler qu’il a toujours été possible de solliciter – au cours de l’instance d’opposition à exécution d’un titre de perception – la réduction voire la décharge totale des sommes dues sur le fondement de la négligence fautive de l’administration (§9). L’arrêt L’Anthoen10 est très souvent cité par la doctrine mais bien des décisions antérieures en ont établi le principe. Il suffit en réalité de se rappeler que le contentieux des ordres de reversement, et notamment celui des trop-versés à un agent public, relève « par nature »11 d’un contentieux de pleine juridiction12. Dans ce contexte, le juge dispose d’une plénitude de juridiction qui lui permet de s’emparer, dans le cadre des conclusions aux fins de décharge, d’une multitude de moyens tenant, non seulement à la régularité et au bien-fondé du titre de perception mais encore au comportement fautif de l’administration à l’origine du litige.

Tout dépendra toutefois des conclusions du demandeur, comme le rappelle R. Chapus qui précise qu’en matière de plein contentieux, « ce que le juge pourra effectivement faire dépend de ce qui lui est demandé »13. On peut ainsi comparer la décision L’Anthoen et l’arrêt Fontenille précité rendu quelques mois plus tôt dans lequel le Conseil d’Etat va se borner à rejeter la demande d’annulation du titre exécutoire dont il était saisi puis s’emparer des conclusions indemnitaires subsidiaires aux fins de condamnation de l’administration du fait de sa négligence fautive dans le traitement de la paie de l’agent.

L’apport de l’arrêt en référence réside en réalité dans l’explication que fournit le juge lui permettant de minorer le montant de la créance dans le cadre des conclusions aux fins de décharge, via « un mécanisme de compensation ». En effet, la Cour précise que « la demande tendant à réduire la créance que détient l'Etat sur un agent du fait d'une faute commise par l'Etat vise à réduire cette même créance, par un mécanisme de compensation » (§9). Ainsi, le juge de l’opposition à exécution, juge de plein contentieux, chargé de vérifier si la créance est certaine, liquide et exigible doit, lorsqu’il est saisi d’une sorte de « demande reconventionnelle inversée » fondée sur la négligence fautive, constater l’existence d’une créance indemnitaire au profit de l’agent et, par voie de compensation, minorer le montant dû.

Il convient toutefois de rappeler que les principes de compensation fixées par le code civil aux articles 1347 à 1348‑2 du code civil, ne sont aucunement appliqués par le juge administratif. Bien au contraire, le Conseil d’État a dégagé un « principe de non‑compensation des créances publiques »14 qui fait obstacle à ce qu’une personne privée puisse opposer la compensation comme extinctif de la créance détenue sur elle par l’administration. Cette compensation s’avère facultative et enfermée dans des conditions restreintes au détriment du débiteur personne privée15. Toutefois, il s’agit bien ici d’une forme de compensation « contentieuse », opérée par le juge proprio motu. J‑C Ricci et F. Lombard rappellent à cet égard que « comme son homologue judiciaire le juge administratif admet qu’il est toujours loisible au juge en vertu de son office d’opérer une compensation entre les dettes et les créances réciproques détenues ou dues par les parties au litige du moins quand sont réunies les conditions générales de la compensation ». La compensation « contentieuse » peut donc s’envisager si les conditions de réciprocité et de connexité des dettes s’avèrent réunies. Pour ce faire, faut-il encore que la créance indemnitaire détenue par l’agent soit également exigible, partant, que le juge ait pu constater son caractère certain et la liquider. Il faut alors, préalablement, que la demande de condamnation pécuniaire sur le terrain de la faute de l’administration formulée à l’occasion du recours en opposition à exécution, ait été précédemment jugée recevable. Or dans cette affaire, le ministère estimait que les conclusions du requérant à des fins d'indemnisation du préjudice résultant de la faute qui aurait été commise par l'Etat étaient irrecevables faute d'avoir été précédées d'une réclamation préalable au sens des dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative.

II. Sur la procédure, la réclamation préalable à double fondement juridique ou l’utile confusion des recours précontentieux

Un RAPO, la réclamation préalable au sens de l’article 118 du décret de 2012

Le décret précité, aux termes des disposition de l’article 117 dans sa version applicable aux faits de l’espèce16, fait une distinction entre une « opposition à contrainte » (à exécution) ou « à poursuites », selon que le requérant entend contester le bien-fondé de la créance ou la régularité en la forme des actes de poursuite17. Toutes deux ont un caractère suspensif. Avant toute saisine du juge compétent cependant, l’article 118 impose « une réclamation préalable », « sous peine de nullité », dit le texte. Il s’agit donc d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO). Celui-ci suppose ainsi l’introduction d’une « réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l'ordre de recouvrer ». Qu’il s’agisse d’une opposition à poursuites ou à exécution, le seul destinataire du RAPO est bien le comptable et aucunement l’ordonnateur. Il appartient ainsi au comptable de transmettre la demande à l’autorité compétente qui sera effectivement l’ordonnateur si le recours tend à contester le bien-fondé de la créance.

Dans le cadre de la présente affaire, le président de la 4e chambre du tribunal a procédé par ordonnance de tri sur le fondement de l’article R. 422‑1, 4° du code de justice administrative, motif pris de l’absence de réclamation préalable auprès du comptable public au sens des dispositions de l’article 118. Ce faisant, l’ordonnance était entachée d’une erreur de droit. En effet, le vice invoqué est constitutif d’une irrecevabilité qui peut être couverte en cours d’instance au sens des dispositions de l’article R. 612‑1 du même code. Il appartenait donc à la juridiction de première instance d’inviter le requérant à régulariser sa requête, et seulement à défaut, de rejeter par voie d’ordonnance. Le mémoire en défense du ministère, qui comportait une telle fin de non-recevoir, ne pouvait, en tout état de cause, pallier le défaut de contradictoire et d’information du justiciable. Il ne pouvait dispenser la juridiction d’une invitation à régulariser en application des dispositions de l’article R. 612‑1 précité puisque, en toute hypothèse, il n’avait pas été communiqué au contradictoire. Quoiqu’il en soit, il aurait alors fallu tenir audience publique pour rejeter le recours18. Très récemment encore, le Conseil d’État a encore réaffirmé et affiné le principe19 (§4).

Or il y a fort à parier que le requérant, comme d’usage en la matière, ait doublé sa réclamation préalable d’un courrier à l’ordonnateur dans un souci de gain de temps. L’appelant a en effet produit en cause d’appel sa réclamation au comptable chargé du recouvrement, soit le DDFIP du Gard, au sens du décret précité. Ce faisant, son opposition à exécution s’avérait parfaitement recevable et la cour va pouvoir en discuter dans le cadre de ses pouvoirs d’évocation. Cependant, en dehors de la prescription partielle de la créance, force est de considérer qu’elle ne va retenir aucun des moyens relatifs aux vices propres du titre de perception. Aussi, le seul moyen de voir prospérer de plus fort la demande de réduction de la dette de l’agent public résidait-elle tout entière dans l’engagement de la responsabilité de son employeur.

Sur l’articulation entre réclamation préalable à opposition à exécution et réclamation préalable aux fins de liaison du contentieux indemnitaire

Le ministère a opposé l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires du fonctionnaire, motif pris de l’absence de liaison du contentieux. Il doit être rappelé qu’aux termes des dispositions de l’article R. 421‑1 du code de justice administrative, toute demande indemnitaire impose préalablement d’avoir lié le contentieux au moyen d’une réclamation préalable. L’apport de la décision en référence réside dans le fait que la cour a considéré que

« la liaison du contentieux est réalisée par la demande de décharge de la somme exigible par l'émission du titre exécutoire, quels que soient les fondements invoqués, demande qui, elle, est d'ailleurs obligatoirement formulée par un recours administratif auprès du comptable en application et dans les conditions de l'article 118 du décret du 7 novembre 2012 ».

Cette solution apparait opportune en ce qu’elle évite la formalisation de plusieurs recours concomitants et rationalise le contentieux. La réclamation préalable au sens de l’article 118 du décret de 2012 et la réclamation préalable au sens de l’article R. 421‑1 du code de justice administrative aux fins de liaison du contentieux peuvent être contenues dans un seul et même instrumentum, opérant ainsi une confusion des recours précontentieux obligatoires.

Pour autant, il convient de noter que l’arrêt n’évoque pas les éventuels problèmes de recevabilité relatifs au(x) délai(s) de recours consécutifs à (aux) décision(s) implicite(s) de rejet susceptible(s) de naitre. En effet, aux termes du décret dans ses dispositions alors en vigueur, une décision implicite de rejet sur le RAPO naît du silence gardé par l’autorité compétente pendant six mois en cas d’opposition à exécution (art. 118, 5e al.). Le requérant dispose alors de 2 mois pour introduire l’instance en opposition. S’agissant cette fois des conclusions indemnitaires au titre de la négligence fautive de son employeur, au terme du délai de droit commun prévu par le code de justice administrative, une décision implicite de rejet devrait naitre du silence gardé par l’administration pendant deux mois, suivi d’une possibilité de saisine du juge dans le délai de deux mois qui suit, soit 4 mois qui ne permettent pas la naissance d’une décision implicite concernant la demande d’annulation du titre de perception. Il n’est pas donc exclu que des complications puissent intervenir, étant précisé que les modifications du décret de 2012 ont maintenu l’existence du délai de six mois.

En invoquant la nécessité d’une liaison du contentieux ainsi que le jeu d’un mécanisme de compensation et en précisant que la liaison est assurée « quels que soient les fondements invoqués », la cour laisse penser que doivent demeurer distinctes et distinguées les causes juridiques de la décharge, et partant les régimes juridiques propres aux conclusions indemnitaires pour faute et aux vices propres du titre de perception. Ces précisions pourraient être source de complication par rapport à l’état du droit issu de la décision L’Anthoen20. Mieux encore, la solution proposée donne le sentiment de renforcer involontairement l’« hétérogénéité du plein contentieux »21, réduisant le contentieux de l’opposition à exécution au sens du décret de 2012 à un contentieux de légalité, auquel pourrait se greffer un pur (vrai) contentieux subjectif de pleine juridiction par l’effet de demandes accessoires en matière de responsabilité. Or on pourrait avantageusement considérer la négligence fautive de l’administration comme un moyen de fond invoqué à l’encontre du titre de perception - au même titre que le comportement fautif de l’agent visé à l’alinéa second de l’article 37‑1 de la loi « DCRA » - et non comme une demande. Une simple réduction de la créance pour faute du créancier et non pas une compensation avec une indemnité fondée constituant une créance distincte, et partant, susceptible de subir un sort procédural distinct.

En toute hypothèse, les efforts de la cour se sont révélés vains et elle aurait pu se borner à évacuer la question de la recevabilité sans statuer sur la fin de non-recevoir opposé par le ministère puisqu’elle a considéré que l’appelant ne rapportait pas la preuve du préjudice subi. Rappelons, pour conclure sur cet aspect, qu’il peut être délicat de rapporter la preuve du préjudice financier souffert, notamment au regard de l’analyse fiscale qu’elle impose. Un rééquilibrage du fardeau de la preuve serait bienvenu en l’état du système d’imposition sur le revenu français.

Notes

1 Décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, JORF no 0262 du 10 novembre 2012. Retour au texte

2 Article 37-1, Loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dite « DCRA », JORF no 0088 du 13 avril 2000. Retour au texte

3 Rappelons que le texte a été complété par les dispositions de l’article 160 de la LFR pour 2021, loi no 2020-1721 du 29 décembre 2020 (JORF no 0315 du 30 décembre 2020) qui a prévu que cet article n’entre en vigueur que le 1er janvier 2022. Depuis lors, l’article 37‑1 renvoie à l’article 274 LPF qui fixe l’action en recouvrement à quatre ans, « sauf dispositions contraires et sous réserve de causes suspensives ou interruptives de prescription ». Retour au texte

4 « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive [...] » Retour au texte

5 CE 28 mai 2014, no 376501 et 376573, M. Le Mignon, M. Communal, Lebon p. 143. ; AJDA 2014. 1489, concl. B. Dacosta ; AJFP 2014. 320 ; AJDA 2014. 1125, obs. D. Poupeau ; G. Eveillard, JCP G, 52 , 22/12/2014 ; R. Bourrel, « La répétition de l'indu en matière de rémunération d'un agent public, entre droit de la fonction publique et régime de retrait des actes administratifs » ; JCP A, 27 , 7 juil. 2014 ; F. Tesson, « Retrait et décision octroyant une rémunération à un agent public », JCP A , 23 , 9 juin 2014. Retour au texte

6 CE, sect., 12 oct. 2009, no 310300, Fontenille, JCP A 2009, 2271, note D. Jean-Pierre ; AJDA 2009, p. 2167, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ; Dr. adm. 2009, comm. 158, note F. Melleray. Retour au texte

7 CE, avis, 31 mars 2017, no 405797 : Lebon, p. 104 ; JCP A 2017, act. 268 ; JCP A 2018, 2058. Retour au texte

8 V. arrêt de principe CE, 1er juill . 1904 , Navaggioni, Lebon , p.  536. Retour au texte

9 Conseil d'Etat, 1/2 SSR, du 11 juin 2003, n°227073, Tricoire, inédit au recueil Lebon. Retour au texte

10 CE 16 déc. 2009, n° 314907 , L’Anthoen, Lebon T. 601, 680 ; AJDA 2009. 2433, obs. E. Royer. Retour au texte

11 R. Chapus qui rappelle « l’existence de contentieux financiers qui sont considérés comme étant ou devant être exclusivement, par nature, des contentieux de pleine juridiction… », Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 2004, 11e éd., n° 836, p.705. Retour au texte

12 Conseil d'État, 3/10 SSR, 31 juillet 1992, n° 119985, M. Bordalecou, Lebon, p 1121. Retour au texte

13 R. Chapus, op.cit., p. 224. Retour au texte

14 Conseil d'État, 5/4 SSR, 26 juil. 2011, n° 322234. Retour au texte

15 Pour aller plus loin, voir F. Lombard, J-C Ricci, Droit administratif des obligations, Sirey, Juin 2018, p. 520 s. Retour au texte

16 Le texte a été modifié par le décret n° 2018-803 du 24 septembre 2018 modifiant le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et autorisant diverses expérimentations, JORF n°0221 du 25 septembre 2018, à effet au 1 janvier 2019. Retour au texte

17 L’opposition à poursuites est désormais prévue aux dispositions de l’article 119 dudit décret. Retour au texte

18 CE 14 oct. 2015, n° 374850, M. et Mme Godrant, CE 26 avr. 2017, Assoc. des musulmans de Villejuif, n°396226, ; CE 9 nov. 2021, n°448423, 448425, M. Vaglio et autres. Retour au texte

19 Conseil d'État, 30 mars 2023, n° 453389, M. Kister c/ Cne d'Allauch, note de M. Revert, « Les garanties devant entourer le rejet par voie d'ordonnance d'un recours irrecevable contre un permis d'aménager » RDI 2023 p.376 : « En jugeant aujourd'hui, au point 3 de son arrêt « M. Kister », que les dispositions de l'article R. 612-1 du CJA « n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d'une irrecevabilité susceptible d'être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, alors même qu'elle aurait fixé une date de clôture d'instruction », le Conseil d'État a donc systématisé, […] ce qui n'était que des solutions d'espèce ». Retour au texte

20 CE 16 déc. 2009, n°314907, L'Anthoen, Lebon T. 601 : « …que compte tenu notamment de la durée pendant laquelle cette carence s'est prolongée et de ce que le ministre ne conteste pas l'affirmation de M. L'ANTHOEN selon laquelle celui-ci n'avait pas décelé l'erreur qui portait sur une somme mensuelle modeste, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par le requérant en ramenant le montant du titre de perception émis à son encontre au tiers de la somme… ». Retour au texte

21 R. Chapus, op.cit., p. 223. Retour au texte

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