Ingénieur de l’agriculture et de l’environnement, M. D., employé par le ministère de l’agriculture et affecté au sein de la direction départementale des territoires, en tant que chef du service économie agricole de Lozère, a été nommé le 4 mars 2010, dans le cadre d’un détachement, directeur départemental interministériel adjoint de la direction de la protection des populations DDPP du Gard.
Cette nouvelle affectation s’est traduite par un transfert vers les services du premier ministre dont relève cette direction.
Il se trouve que dans un premier temps, au cours de l’année 2010, le ministère de l’agriculture a continué à verser son traitement à M. D., les services du premier ministre ne disposant pas encore de leur propre dispositif de rémunération pour les directeurs et directeurs adjoint occupant ce type de poste.
Au final, en 2011, les services du premier ministre ont bien pris en charge la rémunération de M D., mais les choses ont visiblement donné lieu à quelques disfonctionnements.
En 2014 M. D. se voit informé d’un trop perçu pour l’année 2010 s’agissant de primes et notamment de la prime dite ISSQ.
La situation sera finalement régularisée en 2015, mais ce versement de l’ISSQ a apparemment entrainé une erreur bien plus conséquente, puisque l’appelant, à partir de mars 2015, a perçu deux traitements, l’un versé par le ministère de l’agriculture, l’autre versé par les services du premier ministre.
Nous le verrons, M. D. a signalé plusieurs fois à son administration ce double versement erroné, administration qui dans un premier temps est restée relativement inerte avant de répondre à un courrier recommandé avec AR de la sous-direction des carrières et de la rémunération, en date du 14 octobre 2017, en indiquant l’émission prochaine d’un titre de perception correspondant au trop-perçu de rémunération : Titre du 17/12/2017 (notifié le 12/01/2018) d’un montant de 82 466,38 euros (correspondant au versement d’un indu du 1er mars 2015 au 30 octobre 2017).
M. D. a formé un recours gracieux devant le ministère de l’agriculture le 23 janvier 2018, dans lequel il indiquait qu’en parallèle il saisissait la DDFIP du Gard d’une opposition à exécution du titre de perception du titre, tout en joignant un chèque de 55 962,63 euros correspondant, selon lui, aux sommes non prescrites.
Il a ensuite introduit un recours devant le tribunal administratif (TA) de Nîmes le 28 mai 2018 (qui l’a transmis au TA de Marseille). Le ministre de l’agriculture, à qui a été communiqué la requête, n’a jamais produit. Quant au DDFIP, il a soulevé l’irrecevabilité de la requête au motif qu’il n’avait pas été saisi d’une réclamation préalable, en méconnaissance de l’article 118 du décret du 7 novembre 2012 qui dispose que :
« Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l’ordre de recouvrer. La réclamation doit être déposée, sous peine de nullité : 1° En cas d’opposition à l’exécution d’un titre de perception, dans les deux mois qui suivent la notification de ce titre ou du premier acte de poursuite qui procède du titre en cause ; 2° En cas d’opposition à poursuites, dans les deux mois qui suivent la notification de l’acte de poursuite. L’autorité compétente délivre un reçu de la réclamation, précisant la date de réception de cette réclamation. Elle statue dans un délai de six mois dans le cas prévu au 1° et dans un délai de deux mois dans le cas prévu au 2°. A défaut d’une décision notif1ée dans ces délais, la réclamation est considérée comme rejetée. ».
Cette obligation de recours préalable, qui n’obéit pas exactement aux règles du RAPO, ne vaut qu’en cas d’opposition à exécution des créances de l’Etat.
Le TA, qui n’a pas communiqué ce mémoire, a rejeté la requête par ordonnance sur le fondement du 4° de l’article R. 222‑1 CJA (requêtes manifestement irrecevables sans que la juridiction soit tenue d’inviter son auteur à régulariser ou qui n’ont pas été régularisées à l’issue du délai imparti par une demande en ce sens) au motif que, si l’intéressé avait déposé un recours gracieux le 24 janvier 2018 auprès de l’ordonnateur par lequel il contestait le titre de perception litigieux et y indiquait qu’il adresserait à la direction départementale des finances publiques du Gard une opposition à l’exécution du titre de perception, il n’avait pas, avant d’introduire son recours, adressé de réclamation préalable au comptable chargé du recouvrement, le directeur départemental des finances publiques du Gard, en méconnaissance des dispositions de l’article 118 du décret du 7 novembre 2012.
En appel, M. D. demande l’annulation de cette ordonnance.
Sur la régularité de l’ordonnance
Une requête tendant à l’annulation d’un titre exécutoire émis par l’Etat qui n’aurait pas été précédée d’une opposition formée devant le comptable compétent est irrecevable, en application des dispositions de l’article 118 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Toutefois, il s’agit d’une irrecevabilité régularisable.
L’article R. 612‑1 du CJA codifie le principe selon lequel des conclusions entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours ne peuvent être rejetées par la juridiction, en relevant d’office cette irrecevabilité, qu’après avoir invité leur auteur à les régulariser.
L’obligation d’inviter à régulariser la requête ne s’impose que si l’irrecevabilité n’a pas été soulevée en défense (CE, 28 avril 1997, Association des commerçants sédentaires de Corbeil-Essonnes, no 164820). Toutefois, en pareil cas, la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une décision prise après audience publique et ne peut l’être par ordonnance, à moins que son auteur n’ait été invité à la régulariser dans les conditions prévues à l’article R. 612‑1 du CJA (CE, 14 octobre 2015, M. et Mme Godrant, no 374850).
Les recours portés devant le juge administratif à l’encontre des titres exécutoires des personnes publiques relèvent du plein contentieux depuis une décision de section du Conseil d’État du 27 avril 1988, Mbakam(CE, 27 avr. 1988 : Lebon, p. 172 ). Afin de pouvoir opposer ce moyen de recevabilité et afin de protéger le débiteur, le juge doit malgré tout l’inviter à régulariser son recours en opposition (CE, 21 sept. 1990, Sté concours techniques : Lebon, p. 249).
Le TA ne pouvait rejeter par ordonnance sans avoir invité à régulariser l’irrecevabilité, car il s’agit d’une irrecevabilité régularisable, ce qu’il n’a pas fait.
Il pouvait, le cas échéant, s’abstenir d’inviter l’intéressé à régulariser si la fin de non- recevoir était soulevée en défense, mais il ne pouvait en tout état de cause le faire par ordonnance (à moins d’avoir lui-même invité l’auteur à régulariser sa requête).
Or dans notre cas, il n’y a eu ni invitation à régulariser, ni communication du mémoire, ni audience.
C’est donc bien à tort que la requête a été rejetée comme manifestement irrecevable, ce qui constitue un motif d’irrégularité.
Annulation de l’ordonnance et évocation
Non-lieu à statuer
Vous avez informé les parties que votre décision était susceptible d’être fondée sur le moyen soulevé d’office tiré de ce qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de M. D. à hauteur du dégrèvement, d’un montant de 17 997,83 euros, prononcé, en cours d’instance, par le directeur départemental des finances publiques du Gard.
Nous partageons cette analyse le litige ne concerne donc plus que la somme de 64 468,49 euros (82 466,32 initial – 17 997,83).
Recevabilité de la requête
La réclamation préalable devant le comptable compétent est produite en appel, avec la preuve de sa réception et contrairement à ce que soutient le ministre, il n’est pas nécessaire de faire une demande préalable pour lier le contentieux, s’agissant de l’application de la jurisprudence du CE du 16 décembre 2009, L’Anthoen, 314907, B.
Votre office est ici celui de juge du plein contentieux et dans le cadre de cette office saisi d’une simple demande d’annulation d’un titre de perception, relatif à une situation de maintien indu du versement d’un avantage financier à un agent public, il vous est offert la possibilité de réduire le montant du titre de perception, en fonction des fautes imputables à l’administration.
C’est ce qu’a fait l’arrêt l’Anthoen, le juge étant saisi d’une simple demande d’annulation d’un titre de perception.
Venons-en au fond du dossier
Sur la régularité en la forme du titre de perception
Est invoqué une méconnaissance de l’article L. 111‑2 CRPA
Il semble qu’une confusion soit faite entre les dispositions de l’article L. 111‑2 du CRPA qui disposent que :
« Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. »
Et celles de l’article L. 212‑2 du même code selon lesquelles :
« Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. »
A supposer que le moyen soit opérant, le titre de perception porte bien nom, prénom, qualité de l’ordonnateur, ainsi que les coordonnées de la DDFIP du Gard devant laquelle il peut contester le montant du titre de perception. Il répond ainsi aux exigences posées par le CRPA.
Sur la prescription :
Les répétitions d’indus versés aux agents publics font depuis 2012 l’objet d’une prescription biennale (article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000).
Sur l’articulation des règles de prescription avec le régime du retrait des décisions créatrices de droit, voir CE, 28 mai 2014, Le Mignon et Communal, 376201 et 376573, A.
M. D. demande l’annulation et la décharge consécutive de l’obligation de payer de toutes les sommes prescrites au 1er janvier 2018, étant donné que le titre de perception (en date du 17 décembre 2017) ne lui a été notifié qu’en janvier 2018.
Le CE, dans son avis Mme Dittoo et Mme Holterbosch du 31 mars 2017 (7/2 CHR, no 405797, au Recueil) a précisé les conditions d’application de cette prescription biennale.
La prescription peut être interrompue par la lettre par laquelle l’administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment autant que par un ordre de reversement ou un titre exécutoire, ceci à la date de leur notification.
L’appelant a été destinataire d’une lettre de l’administration du 11 décembre 2017, l’informant de l’émission d’un titre de perception. Il indique avoir reçu cette lettre le 15 décembre 2017.
La prescription ayant été interrompue à cette date, seules les rémunérations perçues entre le 1er mars 2015et le 30 novembre étaient prescrites.
Le ministre admet que la somme non prescrite, en tenant compte des rémunérations, s’élève dès lors à 55 962,63 euros, ce qui correspond aux calculs de l’appelant, nous vous proposons de retenir cette somme.
Sur les sommes non prescrites indûment réclamées
M. D. conteste le calcul réalisé par l’administration, mais le tableau qu’il produit pour se faire ne permet pas utilement de contester ce calcul, alors que l’appelant reconnait lui-même, pour la période concernée, avoir perçu une somme totale supérieure au montant qui lui est réclamé.
Sur la compensation du fait de la carence fautive de l’administration
C’est ici que la jurisprudence L’Anthoen, trouve sa pleine application.
Pour rappel
« Une décision administrative explicite accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l’administration avait l’obligation de refuser cet avantage. En revanche, n’ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d’une décision prise antérieurement. Pour l’application de ces règles à la détermination de la rémunération des agents publics, le maintien du versement d’un avantage financier ne peut être assimilé à une décision implicite accordant un avantage financier et constitue une simple erreur de liquidation non créatrice de droits. L’administration n’a donc pas commis d’erreur de droit en demandant au requérant le remboursement des sommes indûment perçues. Toutefois, la perception prolongée par l’intéressé, sur près de dix ans, de l’indemnité pour charges militaires au taux « chef de famille » est principalement imputable à la carence de l’administration. Compte tenu notamment de la durée pendant laquelle cette carence s’est prolongée et de ce que le ministre ne conteste pas l’affirmation du requérant selon laquelle celui-ci n’avait pas décelé l’erreur qui portait sur une somme mensuelle modeste, il est fait une juste appréciation du préjudice subi en ramenant le montant du titre de perception au tiers de la somme réclamée ».
Il est donc loisible pour le juge, de réduire le montant du titre de perception, en fonction des fautes imputables à l’administration.
Les diligences de M. D. et la carence de l’administration ne font pas débat, mais il apparait, d’une part, que la carence n’a duré que deux ans et demi et non dix ans comme dans l’arrêt précité du CE.
D’autre part, s’agissant d’un préjudice, il convient d’en établir le caractère direct et certain en lien avec cette faute, or si l’appelant soutient qu’il a dû s’acquitter d’une imposition supplémentaire et a perdu le bénéfice d’aide sociale compte tenu de ses revenus, il nous semble que ces revenus, même sans augmentation indue ne permettaient que difficilement l’octroi d’une quelconque aide sociale, aucune précision n’étant apportée, pas plus que pour les impôts.
Cela reviendrait à accorder une somme pour le principe, au titre d’un préjudice qui ne peut être moral mais qui correspond à des TCE réels, or rien n’est établi, nous ne vous proposons pas d’user de votre pouvoir de réduction du titre de perception, l’appelant ayant par ailleurs, même si cela ne relève pas de la même logique déjà été indemnisé par le jeu de la prescription et ce pouvoir de réduction du titre de perception ne doit pas aller vers un enrichissement sans cause.
Par ces motifs, nous concluons :
-Annulation de l’ordonnance attaqué qui est irrégulière, M. D. n’ayant pas été invité par le tribunal à régulariser sa requête en adressant une réclamation préalable au comptable public chargé du recouvrement du titre de perception dont il demandait annulation.
-Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. D. à hauteur de la somme de 17 997,83 euros.
-La somme que M. D. doit à l’Etat, est ramenée à 55 962 euros et M. D. sera déchargé de l’obligation de payer toute somme supérieure à ce montant.
-Condamnation de l’état à verser à M. D. la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative. Rejet du surplus des conclusions.