Il résulte des termes mêmes de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement qu’une dérogation à l’interdiction de destruction, de perturbation intentionnelle ou de dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées ne peut être accordée que s’il « n’existe pas d’autre solution satisfaisante ». En l’espèce, le porteur du projet a étudié les emprises potentielles et a choisi l’implantation la moins préjudiciable à l’environnement en bornant son analyse comparative au territoire de la commune. La cour juge que cette démarche était insuffisante. L’existence d’une éventuelle solution alternative, moins impactante pour la biodiversité, en particulier parce qu’elle aurait pu porter sur des terrains déjà artificialisés, devait, en effet, être recherchée au-delà du seul territoire communal.
La recherche d’une solution alternative à la destruction, la perturbation intentionnelle ou la dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées ne doit pas se limiter au seul territoire communal
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Décision de justice
CAA Marseille, 5e chambre – N° 23MA00806 – 31 mai 2024
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 23MA00806
Numéro Légifrance : CETATEXT000049664022
Date de la décision : 31 mai 2024
Index
Rubriques
EnvironnementTextes
Résumé
Commentaire
Nicolas Petrosino-Bois
Doctorant contractuel au Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC) - UMR DICE 7318 – AMU
DOI : 10.35562/amarsada.519
Résumé : L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille le 31 mai 2024 apporte des précisions sur le contentieux de la dérogation « espèces protégées » et plus particulièrement sur la condition d’absence de solution alternative. La solution développée par la cour entraînera des conséquences notables pour les porteurs de projets sur la façon de procéder à la recherche de solution alternative en ce que cette dernière ne devra désormais plus se limiter au seul territoire communal.
En l’espèce, un parc photovoltaïque couvrant une surface de 16,7 hectares est aménagé par la société B. sur les pentes de la montagne de Lure, espace naturel situé sur le territoire de la commune de Cruis. Toutefois, le site d’accueil du projet abritait un certain nombre d’espèces animales protégées dont la destruction est par principe interdite par l’article L. 411‑1 du code de l’environnement. Afin d’assurer la légalité du projet, la société B. a sollicité auprès du préfet, la délivrance d’une dérogation aux interdictions de destruction, de perturbation intentionnelle ou de dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées (ci‑après dérogation espèces protégées) au titre de l’article L. 411‑2 du même code.
En vertu de l’article susmentionné, il peut être dérogé au régime de protection des espèces protégées lorsque sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives lesquelles tiennent :
« d’une part à l’absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et enfin à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur »1.
Le préfet, estimant que l’ensemble des conditions étaient réunies, délivra la dérogation par un arrêté en date du 17 janvier 2020. L’association des amis de la montagne de Lure a saisi le tribunal administratif de Marseille d’un recours visant à faire annuler l’arrêté préfectoral accordant dérogation. Par un jugement rendu le 2 février 2023 le tribunal administratif de Marseille a rejeté le recours de l’association, laquelle interjeta alors appel.
Devant la cour administrative d’appel de Marseille, les débats portaient exclusivement sur la condition tenant à l’absence de solution alternative satisfaisante. Plus précisément, le problème juridique soumis à la cour concernait l’étendue du périmètre de prospection de solution alternative. La juridiction devait ainsi apprécier si la démarche de la société B. de borner son analyse au seul territoire de la commune de Cruis était suffisante.
Par cet arrêt, la cour administrative de Marseille juge que le préfet a commis une erreur d’appréciation en ayant estimé que la condition tenant à l’absence de solution satisfaisante était remplie. La cour annule l’arrêté litigieux en précisant que les solutions alternatives d’implantation du projet doivent être recherchées au-delà du territoire communal.
La nécessité désormais de rechercher une solution alternative au-delà du territoire communal entraînera des conséquences pratiques notables (I). La cour circonscrit toutefois le périmètre de la recherche en déterminant un échelon d’observation dont on pourra discuter la pertinence (II).
I. Les implications notables de la recherche de solution alternative au-delà du territoire communal
Dans le cadre de la procédure d’obtention d’une dérogation « espèces protégées », il appartient au porteur de projet de prouver qu’il a sérieusement recherché une solution alternative. L’administration contrôlera sa démarche et appréciera la qualité de l’étude menée avant de délivrer cet acte.
En l’espèce, la commune de Cruis a d’abord proposé un site dont elle avait la maîtrise foncière et qui lui paraissait convenir pour l’installation d’un parc photovoltaïque au sol. En effet, la zone de 75 hectares identifiée avait fait l'objet d'un incendie en 2004 et la campagne de reboisement n’était pas concluante. Au surplus, le choix de ce site permettait de n'amputer aucune zone agricole, se situait hors de toute aire de protection réglementaire ou Natura 2000 et, bien qu’en discontinuité des parties bâties de la commune, il demeurait accessible. Ce site ainsi identifié par la commune paraissait propice à la concrétisation du projet.
La délivrance de la dérogation implique toutefois pour le porteur de projet de se fonder sur des données écologiques actualisées et sincères et surtout de proposer différents sites d’implantation.2 Au cas d’espèce, après avoir vérifié que la zone était « à opportunité » sur la carte des enjeux liés aux projets photovoltaïques, la société B. a présenté la variante la moins préjudiciable à l’environnement parmi trois emprises potentielles proposées par la commune. Cette démarche constituait la recherche de solution alternative par le porteur de projet au sens de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement. La prospection menée par la société B. s’est donc bornée à un terrain de 75 hectares dont la commune de Cruis avait la maîtrise foncière.
Au contentieux, la cour a jugé la démarche de la société B. insuffisante en ce qu’aucune « solution alternative d’implantation du projet n’a été recherchée au-delà du territoire communal ». Si ce n’est pas la première fois que cet argument est invoqué devant les juges du fond3, sa prise en compte pour justifier l’annulation d’une dérogation « espèces protégées » est inédite. Ainsi les porteurs de projets devront désormais mener une analyse plus large et privilégier l’échelle intercommunale dans le cadre de leurs prospections.
Il faut d’emblée souligner que la solution retenue par la juridiction d’appel s’inscrit à rebours d’une tendance actuelle qui vise à donner aux communes plus d’autonomie en matière d’énergies renouvelables afin qu’elles occupent un rôle central dans la transition énergétique. En atteste par exemple la loi du 10 mars 2023 d’accélération de la production d’énergies renouvelables qui désigne les communes comme échelon d’identification des zones d’accélération des énergies renouvelables4. On sait aussi que certaines juridictions du fond ont récemment pu adopter une interprétation souple du code général des collectivités territoriales en précisant qu’une commune pouvait apporter un soutien financier à une société opérant dans le domaine des énergies renouvelables alors même que cette collectivité avait transféré ses compétences en matière d’énergies renouvelables à l’intercommunalité5. Au contraire, l’arrêt du 31 mai 2024 risque de rendre plus difficile l’initiative de projets d’énergies renouvelables par les communes et de restreindre les possibilités de valorisation de leur foncier.
Surtout, en prenant appui sur un avis du Conseil national pour la protection de la nature la juridiction marseillaise ajoute que « l’existence de plusieurs projets d’installation de parcs photovoltaïques en cours ou à l’étude à proximité immédiate laisse pourtant penser que des alternatives existaient ». Le raisonnement de la cour, particulièrement laconique, est délicat à appréhender. Elle se base sur l'existence de projets similaires dans les environs pour inférer qu'il aurait été possible de trouver d'autres emplacements, plus respectueux de la biodiversité. Aucun élément objectif n’est pourtant proposé par la juridiction pour avancer avec certitude que des solutions alternatives existaient bel et bien à proximité du site d’implantation du parc photovoltaïque de Cruis. On restera ici face au doute, ce qui peut être regrettable au regard de l’importance de cette question.
Enfin, on peut se demander si la solution retenue ne s’inscrirait pas dans un courant de durcissement du contrôle juridictionnel des conditions de la dérogation « espèces protégées ». En effet, le Conseil d’État n’hésite pas à conclure à l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur lorsque des installations de production d’énergies renouvelables n’apportent « qu’une contribution modeste à la politique énergétique nationale de développement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie »6. Aussi, les juges du Palais‑Royal ont récemment précisé que le risque de conservation des espèces protégées doit être suffisamment caractérisé « dès l’origine », soit dès le cadre de l’étude d’impact et avant toute mise en service d’une installation de production d’énergies renouvelables7. La condition relative à l’absence de solution alternative n’a pas encore fait l’objet d’interprétation notable de la part du Conseil d’État. Elle n’échappe néanmoins pas à la sévérité dans son appréciation par les juges du fond8. La cour administrative d’appel de Nancy a par exemple jugé que la condition relative à l’absence de solution alternative ne saurait être remplie lorsque l’étude menée par le porteur de projet se limitait au territoire de deux intercommunalités9. On pourrait néanmoins craindre l’apparition d’une certaine « cacophonie » dans la jurisprudence relative à cette condition du fait de potentielles appréciations divergentes sur l’étendue du périmètre de prospection par les juges du fond.
La détermination par la cour administrative d’appel de Marseille d’une échelle d’observation sur laquelle les porteurs de projets doivent s’appuyer pour mener leur prospection pourrait limiter le risque d’incohérence sur la question dans la jurisprudence. On s’interrogera toutefois sur la pertinence de l’échelon retenu en l’espèce par la juridiction d’appel.
II. La détermination contrastée d’un échelon d’observation pour encadrer la recherche de solution alternative
L'article L. 411-2 du code de l'environnement n'impose pas au porteur de projet de se référer à un échelon d'observation spécifique pour effectuer sa recherche de solution alternative et ne précise pas non plus l'étendue du périmètre à considérer pour cette prospection. Or, pour retenir l’erreur d’appréciation du préfet, la cour indique qu’aucune « solution alternative d’implantation du projet au-delà du territoire communal n’a été recherchée, notamment à l’échelle du secteur “Haute-Provence” ». Ce secteur, qui englobe le territoire de la commune de Cruis ainsi que celui d’une dizaine d’intercommunalités, est identifié par le schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables PACA (ci-après S3REnR) comme étant « à perspective de développement significatif des parcs photovoltaïques au sol ».
L'emploi de l'adverbe « notamment » par la juridiction marseillaise peut soulever certaines interrogations : la cour suggère-t-elle un niveau d’observation sur lequel les porteurs de projet peuvent librement se fonder ou bien considère-t-elle que la légalité d'une dérogation pour espèces protégées dépend de la prospection exhaustive au sein du secteur identifié par le S3REnR ? Sans doute la seconde interprétation est-elle à privilégier, l’échelle du secteur « Haute-Provence » semblant représenter en l’espèce pour la cour, un niveau adéquat pour mener la recherche de solution alternative. Toutefois, deux arguments peuvent être avancés remettre en cause l’utilisation ainsi faite du S3REnR par la juridiction marseillaise.
Le S3REnR est d’abord un document technique élaboré par RTE gestionnaire du réseau de transport d'électricité, en collaboration avec les gestionnaires du réseau de distribution tels qu'Enedis et les sociétés locales de distribution. Concrètement, ce schéma vise à assurer que les réseaux de transport et de distribution soient en état d’accueillir l’électricité tirée d’infrastructures de production d’énergies renouvelables. Pour cela, le S3REnR définit « les ouvrages à créer ou à renforcer »10 afin de garantir aux producteurs d'énergies renouvelables l'accès aux capacités de raccordement nécessaires. Le S3REnR ne fait cependant pas partie de la catégorie des documents d’urbanisme et n’est pas opposable à ces derniers. Du reste, il n’a pas vocation à identifier les zones sur lesquelles peuvent être aménagées des infrastructures de production d’énergies renouvelables et ne comporte pas non plus des indications sur l’état de conservation de la biodiversité dans une zone déterminée11.
Il faut ensuite garder à l’esprit que les secteurs identifiés par le S3REnR peuvent varier considérablement en taille. À titre d’illustration le secteur « Haute-Provence », dont il est question en l’espèce, couvre une surface de plusieurs milliers de kilomètres carrés et est au moins deux fois plus étendu que le secteur « Plateau d’Albion », lui aussi identifié comme étant « à perspective de développement significatif des parcs photovoltaïques au sol » par le S3REnR PACA. Cette circonstance implique que plus un secteur est étendu, plus les frais engagés par le porteur de projet pour réaliser une étude des solutions alternatives seront importants.
Bien que le S3REnR joue un rôle important dans la planification énergétique et le développement des énergies renouvelables, il ne semble pas approprié de s’y référer comme échelon d’observation pour la recherche de solution alternative.
En somme, la cour administrative d’appel de Marseille rend ici une solution à la portée ambivalente. D’un côté les associations de défense de la biodiversité pourront se prévaloir de l’argument tiré de l’insuffisance de la prospection pour faire échec à la délivrance de futures dérogations espèces protégées. De l’autre, la solution retenue pourrait drastiquement freiner les initiatives communales en matière d’énergies renouvelables et rendre études et prospections bien plus onéreuses pour les porteurs de projet.
Notes
1 CE, avis, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, no 463563. Retour au texte
2 V. not. en ce sens : CAA Bordeaux, 13 juillet 2017, SAS PCR c/ Association Présence les terrasses de la Garonne, no 16BX01364. Retour au texte
3 CAA Lyon, 16 décembre 2016, Union régionale FRAPNA et a., no 15LY03097, cons. 19. Retour au texte
4 L. n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération et la production d’énergies renouvelables, art. 15ocdifié à l’article L. 141-5-3 II 2° du code de l’énergie. Retour au texte
5 CAA Nantes, 19 avril 2024, Préfet de la Mayenne, no 23NT01257. Retour au texte
6 V. CE, 18 avril 2024, Commune de Tordères et autres, no 471141 ; CE, 9 septembre 2024, Ligue pour la protection des oiseaux, no 475241. Retour au texte
7 CE, 30 mai 2024, M. D. et autres, no 474077. Retour au texte
8 Pour une illustration récente devant un tribunal administratif, v. TA Montpellier, 26 mars 2024, no 2303820. Retour au texte
9 CAA Nancy, 14 mars 2023, Association « des évêques aux cordeliers » et autres, no 20NC00316 Retour au texte
10 Art. L. 342-3, al. 1er du code de l’énergie. Retour au texte
11 V. l’article D. 321‑15 du code de l’énergie qui liste l’ensemble des éléments composant le S3REnR. Retour au texte
Droits d'auteur
CC BY-NC-SA 4.0
Conclusions du rapporteur public (extraits)
Olivier Guillaumont
Rapporteur public
DOI : 10.35562/amarsada.521
Dérogations à l’interdiction de destruction des espèces protégées : à quelle échelle faut‑il apprécier la condition tenant à l’absence de solution alternative satisfaisante ?
Résumé : Il résulte des termes mêmes de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement qu’une dérogation à l’interdiction de destruction, de perturbation intentionnelle ou de dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées ne peut être accordée que s’il « n’existe pas d’autre solution satisfaisante ». En l’espèce, le porteur du projet a étudié les emprises potentielles et a choisi l’implantation la moins préjudiciable à l’environnement en bornant son analyse comparative au territoire de la commune. La cour juge que cette démarche était insuffisante. L’existence d’une éventuelle solution alternative, moins impactante pour la biodiversité, en particulier parce qu’elle aurait pu porter sur des terrains déjà artificialisés, devait, en effet, être recherchée au-delà du seul territoire communal.
La commune de Cruis a lancé en 2009 un appel à projets sur la possibilité d’implanter une unité de production d’énergie photovoltaïque sur son territoire. La société Boralex a décidé de répondre à cet appel à projets. Le projet retenu consiste en l’aménagement d’un parc photovoltaïque d’une puissance électrique de 10,66 MW et d’une surface de 16,7 hectares, à environ deux kilomètres au nord-est du village de Cruis, dans un espace naturel sur les pentes de la montagne de Lure.
L’association des amis de la montagne de Lure relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille ayant rejeté sa demande tendant à l’annulation, d’une part, de l’arrêté du 17 janvier 2020 par lequel le préfet des Alpes‑de‑Haute‑Provence a accordé à la société Boralex, dans le cadre de ce projet, une dérogation aux interdictions de destruction, de perturbation intentionnelle ou de dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées, d’autre part, de la décision préfectorale du 25 juin 2020, rejetant son recours gracieux. (…)
Vous pourrez admettre l’intervention formée par l’association pour la protection des animaux sauvages qui a intérêt à demander l’annulation des deux décisions contestées. Il convient sur ce point de préciser que la circonstance qu’une personne ne soit pas intervenue en première instance ne lui interdit pas de le faire en appel (CE, 14 mars 2003, M. Montaner et Mme Laurent no 228214). (…)
L’association requérante et l’intervenante volontaire soutiennent que la dérogation prise au titre du 4° de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement est illégale notamment en l’absence de raison d’intérêt public majeur.
Vous savez qu’il résulte de l’article L. 411‑1 et du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, ainsi que l’a jugé le Conseil d’État dans la décision du 28 décembre 2022 Société La Provençale (no 449658 en B) :
« l’autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d’une part, à l’absence de solution alternative satisfaisante, d’autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur. […] ».
La première condition tenant à « l’absence de solution alternative satisfaisante » ne nous semble pas remplie. La jurisprudence du Conseil est peu fournie sur la question de savoir à quelle échelle il convient d’apprécier ce critère. Est-ce au niveau communal, intercommunal, national ou international ? À notre sens, il n’y a pas de réponse unique. Ce critère appelle une réponse au cas par cas. La bonne échelle d’appréciation de cette condition doit s’apprécier au regard du projet. Il nous semble que pour un projet de ce type, de dimension locale et non nationale ou internationale, il faut nécessairement se placer à une échelle locale1. Dans le cas contraire, la condition ne pourrait en quelque sorte jamais être satisfaite. Mais l’échelle communale est-elle la bonne ?
Nous ne le pensons pas.
La commune de Cruis a fait un appel à projets pour installer un parc photovoltaïque sur son territoire. La société Boralex a répondu à cet appel à projets en proposant un projet se situant sur le territoire de la commune. Il résulte de l’étude d’impact que la société Boralex a analysé trois emprises potentielles différentes sur le territoire communal et a proposé la variante la moins préjudiciable à l’environnement. Elle n’a ainsi pas analysé l’existence d’autres solutions alternatives au-delà du territoire communal, notamment à l’échelle du département ou du secteur dit de la Haute-Provence qui englobe partiellement le territoire de plusieurs intercommunalités, alors que le secteur d’implantation identifié par la commune n’était pas artificialisé et nécessitait l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction ou perturbation des espèces protégées, et de destruction ou dégradation de leurs habitats. Cette approche nous semble trop restrictive au regard des exigences fixées par les dispositions de l’article L. 411‑1 et du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement ainsi que par la jurisprudence précitée. La logique de l’appel à projets communal ne permet pas de s’affranchir de ces exigences. La circonstance que le projet soit initié par la commune nous semble indifférent au regard du respect des principes applicables. Il en va de même de la question de la maîtrise du foncier.
Il nous semble que la société Boralex ne pouvait faire l’économie de la recherche d’autres solutions alternatives à une échelle plus large. Nous relevons que le Conseil national de la protection de la nature a rendu un avis allant en ce sens tout comme la DREAL. Vous trouverez même au dossier, c’est plus inhabituel, un écrit de la sous-préfète concernée qui est du même avis et qui pointe précisément une « analyse sur les sites alternatifs […] insuffisante ».
Si la société Boralex précise que la commune de Cruis est identifiée dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires comme constituant une zone à perspective de développement significatif des parcs photovoltaïques, nous relevons que ce schéma privilégie l’implantation sur des terrains déjà artificialisés, notamment des bâtiments délaissés, toitures et parkings. Il nous semble que l’argument ne peut par conséquent pallier à l’insuffisance de recherche concrète de « solution alternative satisfaisante » à une échelle plus grande que la seule commune de Cruis2.
Au regard de tout ce qui précède, le préfet a commis une erreur d’appréciation en estimant qu’il n’existait pas d’autre solution satisfaisante au sens du 4° du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement (pour un précédent : CAA Nancy 11 avril 2024 SARL Eoliennes de bonne voisine 2 no 22NC01196). Ce constat vous conduira à annuler l’arrêté du 17 janvier 2020 ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux dès lors que cette illégalité ne semble pas susceptible de régularisation. Voyez pour un précédent votre décision CIPM International (CAA Marseille 2 octobre 2020 Société consortium d’investissements et de placements mobiliers no 18MA03225).
Par ces motifs, nous concluons :
-
à ce que l’intervention de l’association pour la protection des animaux sauvages soit admise.
-
à l’annulation de l’arrêté du 17 janvier 2020, de la décision du 25 juin 2020 rejetant le recours gracieux et du jugement attaqué.
-
au rejet du surplus des conclusions des parties.
Notes
1 Voir toutefois les conclusions de M. Stéphane Hoynck sur CE 30 décembre 2021 Société Sablières de Millières no 439766 en B. Retour au texte
2 L’échelon communal n’est sans doute pas le plus pertinent pour planifier ce type de projets. La loi no 2023‑175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi « ENR », contient des dispositifs de planification territoriale dont l’objet est de favoriser l’implantation de ce type de projets, ainsi que des réalisations industrielles jugées nécessaires à la transition énergétique. Sont ainsi créées des « zones d’accélération de la production d’énergies renouvelables ». Ces zones d’accélération doivent répondre à 6 grands objectifs assignés par la loi, dont le fait de présenter un potentiel susceptible de favoriser le développement de la production. Elles sont définies, pour chaque catégorie de sources et de types d’installation de production d’énergies renouvelables, en tenant compte de la nécessaire diversification des énergies en fonction des potentiels du territoire concerné et de la puissance d’énergies renouvelables déjà installée ; elles doivent aussi contribuer à la solidarité entre les territoires et à la sécurisation des approvisionnements, tout en prévenant les éventuels dangers ou inconvénients (cf. articles L. 141-5-2 et L 141-5-3 du code de l’énergie ; articles L. 141‑4, L. 141‑10, L. 143‑29, L. 151‑5, L. 151‑7, L. 151‑28, L. 151‑42‑1 et L. 161‑4 du code de l’urbanisme ; article L. 181‑28‑10 du code de l’énergie). Nous relevons que dans le cadre de ce dispositif, les zones sont délimitées à l’initiative des communes, après concertation du public, et transmises au référent préfectoral dédié (désigné par le représentant de l’État dans le département parmi les sous-préfets) et à l’EPCI dont elles sont membres. Si un schéma de déploiement des énergies renouvelables est en vigueur à la date du 12 mars 2023 (ce peut être à l’échelle d’un EPCI, d’un Parc naturel, du département, …), il en est tenu compte pour identifier les zones. L’initiative est communale mais le référent préfectoral est ensuite chargé d’arrêter ce zonage, après consultation des établissements publics compétents en matière de SCOT et des EPCI. Il transmet cette cartographie pour avis au comité régional de l’énergie. Si cet avis est favorable, les référents préfectoraux de la région arrêtent la cartographie des zones identifiées à l’échelle de chaque département, après avoir recueilli l’avis conforme des communes du département, exprimé par délibération du conseil municipal, chacune pour ce qui concerne les zones d’accélération situées sur leur territoire. Les communes ne sont donc pas seules à décider dans le cadre de ce dispositif. Retour au texte
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