Le 11 janvier 2018, la commune de Signes (Var) et M. A ont conclu un accord‑cadre d’une durée de quatre ans ayant pour objet la réalisation de prestations d’hébergement, de mise à niveau, de maintenance et d’exploitation du site internet de la commune.
Le 26 février 2021, la commune a résilié ce marché aux torts de M. A et adressé à ce dernier un décompte de liquidation du marché faisant apparaître un solde débiteur de 31 248 euros. Le 29 mars 2021, la commune a émis un titre de recettes en vue du recouvrement de cette créance. M. A a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d’une opposition à ce titre.
Par le jugement attaqué, dont la commune relève appel, le tribunal administratif de Toulon a déchargé M. A de l’obligation de payer la somme correspondante.
Sur la régularité du jugement
Pour annuler le titre et prononcer la décharge des sommes en litige, le tribunal administratif de Toulon a retenu le motif suivant : le décompte de résiliation retient la restitution de paiement indus, éléments qui ne figurent pas au nombre des sommes pouvant être portées au débit du titulaire, en application de l’article 44.3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de techniques de l'information et de la communication.
Toutefois, dans ses écritures de première instance, M. A s’était contenté de citer l’article 44 du cahier des clauses administratives générales en indiquant, sans plus de précision, que « le décompte de liquidation produit ne répond aucunement aux exigences susvisées de sorte que ce dernier est entaché d’illégalité et qu’il ne peut servir de fondement au titre exécutoire attaqué ».
Pour annuler le titre exécutoire, les premiers juges ont donc relevé un motif spécifique tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 44.3 du CCAG TIC, beaucoup plus précis que le moyen soulevé par le requérant. Les premiers juges ont ainsi relevé un moyen distinct de celui présenté par M. A. Ce faisant ils ont méconnu la portée des écritures de M. A et relevé un moyen d’office. Or, ils n’ont pas informé les parties de ce que leur décision était susceptible d’être fondée sur un tel moyen, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 611‑7 du code de justice administrative.
La commune de Signes est donc fondée à soutenir que le jugement est irrégulier. Vous devrez annuler le jugement et vous pourrez statuer sur la demande de M. A par la voie de l’évocation.
Sur le bienfondé du jugement
La commune soutient que le décompte de liquidation était devenu définitif et que M. A ne pouvait plus contester le titre de perception recouvrant la créance relative à ce décompte.
En principe, le caractère définitif du décompte fait effectivement obstacle à ce que le titulaire du marché puisse contester le bienfondé de la créance issue de ce décompte, à l’occasion de la contestation du titre de recettes procédant au recouvrement des sommes. Une telle contestation mettrait à mal le principe de l’intangibilité du décompte.
Certes, une jurisprudence récente du Conseil d’État a admis que le destinataire d'un ordre de versement était recevable à contester, à l'appui de son recours contre cet ordre de versement, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance était devenue définitive (CE, 3 / 8 CHR 28 sept. 2021, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et Agence de services et de paiement c/ M. B, nos 437650‑437683).
Toutefois, cette décision jurisprudentielle relative à une créance extracontractuelle n’est pas transposable à une créance issue du décompte d’un marché. Dans ce cas spécifique, le principe d’intangibilité du décompte, hors cas de dol ou de manœuvre frauduleuse, fait obstacle à toute contestation sur le fond de la créance.
En l’espèce, cependant, le décompte n’était pas devenu définitif. La commune a signifié la décision de résiliation et le décompte de liquidation le 5 mars 2021, par voie d’huissier. Mais par une lettre du 29 mars 2021, intervenue dans le délai de deux mois prévus à l’article 47.3 du CCAG‑TIC, M. A, par le biais de son avocat, a contesté la mesure de résiliation et le décompte de liquidation qui lui ont été notifiés.
Avouons que l’on pourrait douter de la portée de la lettre du 29 mars 2021. En effet, l’essentiel de l’argumentation développée dans ce courrier porte sur les motifs de la résiliation, à savoir les irrégularités commises par le titulaire dans l’établissement des factures. On peut hésiter sur la question de savoir s’il y a une véritable contestation du solde du décompte. Toutefois, nous vous proposons de considérer qu’en contestant la mise en cause par la commune des modes de facturation, le conseil de M. A a nécessairement entendu contester en même temps les surfacturations alléguées par la commune pour établir le solde du décompte. En outre, à la fin du courrier, il indique que les demandes de la commune sont « infondées » et qu’il n’est pas possible d’y donner suite, ce qui renvoie nécessairement aux demandes de paiement du solde du décompte de liquidation.
La lettre du 29 mars 2021 est donc une lettre de réclamation au sens de l’article 47.3 du CCAG‑TIC 2009. Du fait de cette réclamation, le décompte n’est pas devenu définitif et M. A pouvait toujours contester le bienfondé de la créance mise à sa charge par le titre de recettes en litige.
Par ailleurs, le règlement de chaque commande ne tenait pas lieu en l’espèce de règlement partiel définitif au sens de l’article 11.8 du CCAG TIC 2009. En effet, aucune stipulation contractuelle ne prévoit que les paiements sur facture font office de règlements partiels définitifs. Les stipulations de l’article article 3.2.3 du CCAP du marché prévoient que les règlements mensuels sont des règlements d’acomptes.
Le moyen tiré de ce que le décompte est devenu définitif doit donc être écarté comme manquant en fait.
Sur la régularité du décompte de résiliation
Pour contester le bienfondé de la créance, M. A reprend en appel le moyen retenu par les premiers juges, tiré de la méconnaissance des stipulations issues de l’article 44.3 du CCAG TIC.
Vous écarterez ce moyen : le décompte de résiliation établi par la commune de Signes présente bien deux colonnes, intitulées « crédit du titulaire - factures présentées » et « débit du titulaire - factures acquittées », qui correspondent à la valeur contractuelle des prestations exécutées (au crédit) et au montant des sommes versées (au débit). Certes, la deuxième page du décompte (à partir de « pour autant »), revient sur la colonne « crédit » en énumérant par trois tableaux les surfacturations qu’elle impute au titulaire. Ces trois tableaux, intitulés « débits du titulaire » portent en réalité sur les sommes mise à son crédit puisqu’il s’agit de revenir sur la valeur contractuelle des prestations exécutées. Mais cette confusion ne gêne pas la compréhension du décompte et il est clair que la commune entendait déduire ces sommes des montants portées au crédit du titulaire.
La commune était évidemment obligée d’intégrer ces éléments dans le décompte, puisque les surfacturations ont trait à la valeur contractuelle des prestations reçues. Le moyen sera donc écarté.
Sur l’existence de surfacturations
En revanche, M. A est fondé à soutenir que l’existence de surfacturations n’est pas établie et que c’est à tort que la commune a opéré des retenues à ce titre. M. A fait valoir que les factures présentées correspondaient à des prestations contractuelles effectuées et conformes au marché.
Les facturations considérées comme indues par la commune de Signes correspondent à 24 applications du prix no 02.01 du bordereau des prix unitaire, d’un montant de 1 302 euros. Ce prix est relatif à un forfait annuel de prestations de modification de pages du site internet. La commune allègue 12 surfacturations en 2018, 9 en 2019 et 3 en 2020.
En premier lieu, M. A est parfaitement fondé à soutenir que l’ensemble des prestations de modification de pages a été facturé sur la base de bons de commande et que le dénombrement des prestations est établi. Il verse à cet effet l’ensemble des pièces, notamment des bons de commande, qui attestent de la réalisation des interventions.
En deuxième lieu, il y a certes eu une erreur de facturation, mais au détriment du titulaire. En effet, l’examen du bordereau des prix du contrat indique qu’au-delà du forfait annuel de trente modifications de pages (c’est le prix no 02.01), chaque nouvelle intervention, devait être facturée au coût unitaire de 200 euros (c’est le prix no 02.02). Il y avait donc lieu de facturer 200 euros toute nouvelle intervention après l’épuisement du forfait de 30 interventions, qui était un forfait annuel.
En 2018, le forfait était épuisé dès le mois de janvier, en 2019 et 2020 également. Ainsi, pour le seul mois de janvier 2018, M. A a réalisé 52 interventions. Les trente premières étaient comprises dans le forait de 1 302 euros. Les 22 autres devaient être facturées à 200 euros l’unité, soit un montant total dû pour le mois de janvier 2018 de 5 705 euros. Toutes les autres interventions de l’année 2018 étaient hors forfait, et devaient être facturées 200 euros l’unité : 52 interventions en février 2018, 34 interventions en mars 2018, 26 interventions en avril 2018, etc.
Il en résulte que la facturation forfaitaire par tranche de 30 interventions était erronée et qu’une facturation des prestations de modification de page conforme au contrat et au bordereau des prix aurait abouti, pour les années 2018, 2019 et 2020, à des sommes bien supérieures à celles qui ont été facturées par M. A. Il en résulte qu’il n’y a eu aucun versement indu en faveur de M. A.
Ce dernier est donc fondé à soutenir que les sommes qui lui sont réclamées au titre des surfacturations ne sont pas dues. Dans ces conditions, M. A est fondé à demander l’annulation du titre de perception et la décharge de l’obligation de payer les sommes qui lui sont réclamées par la commune de Signes.
Par ces motifs nous concluons
Il est conclu :
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à l’annulation du jugement no 2302462 du 27 juillet 2023 du tribunal administratif de Toulon, à l’annulation du titre de recettes du 29 mars 2021 ;
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à ce que M. A soit déchargé de l’obligation de payer la somme de 31 248 euros mise à sa charge par ce titre ;
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au rejet du surplus des conclusions des parties.