Constructions dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, en application de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.

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Décision de justice

CAA Marseille, 1re chambre – N° 23MA02880 – 04 juillet 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 23MA02880

Numéro Légifrance : CETATEXT000049887770

Date de la décision : 04 juillet 2024

Index

Mots-clés

loi littoral, continuité, zone d’activités

Rubriques

Urbanisme

Résumé

CAA, Marseille, 4 juillet 2024, Association En toute franchise Département du Var, no 23MA02880

Le terrain d’assiette dans lequel s’insère le projet d’une superficie de 26 595 m², se trouve dans le lieu‑dit du Pin neuf en bordure des routes départementales 98 et 559, classé dans la zone à urbaniser 1AU du règlement du PLU de La Londe‑les‑Maures, principalement destinée à accueillir des constructions à vocation d’activités, commerciales, industrielles, artisanales, touristiques, hôtelières, de bureaux et de services. Cette parcelle se situe dans le prolongement d’un espace de gardiennage et d’hivernage de bateaux et d’un camping, cet espace et ce camping se situant eux‑mêmes dans le prolongement d’une zone qui, côté ouest, de part et d’autre et entre ces deux routes départementales, est significativement urbanisée par une zone pavillonnaire et, au‑delà des ronds‑points qui marquent l’entrée dans la zone d’activités où se situe le projet en litige, par des commerces et une station‑service entre ces routes. Dans ces conditions, la cour écarte le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme, à l’encontre d’un permis de construire délivré en vue de la création d’une zone d’activités.

Conclusions du rapporteur public

Marc‑Antoine Quenette

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.628

La société A a déposé, le 9 juin 2016, une demande de permis de construire, ultérieurement complétée, en vue de la création d’une zone d’activités comprenant trois bâtiments d’une surface de plancher totale de 7 129 mètres carrés, ainsi que deux cent quatre places de stationnement, sur un terrain situé au lieu‑dit Le Pin Neuf sur le territoire de la commune de La Londe‑les‑Maures. Par un arrêté du 20 septembre 2016, le maire de La Londe‑les‑Maures a délivré le permis de construire ainsi sollicité. L’association B ainsi que des particuliers ont demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 20 septembre 2016 ainsi que la décision du 22 novembre 2016 rejetant son recours gracieux. Par un jugement du 23 décembre 2019, le tribunal administratif a rejeté cette demande au fond, sans se prononcer sur sa recevabilité. Les requérants ont relevé appel de ce jugement et, par un arrêt du 9 juin 2022, la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir donné acte du désistement des particuliers, a jugé irrecevable la demande de première instance, faute pour l’association requérante de justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le permis de construire litigieux. Par une décision du 1er décembre 2023, le Conseil d’État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu’il rejette la requête de l’association « B» et a renvoyé l’affaire devant la même cour.

Si la SARL A soutient que les requérants ont omis de notifier leur requête d’appel aux parties en méconnaissance des dispositions de l’article R. 600‑1 du code de l’urbanisme, ces derniers produisent les accusés de réception des envois par recommandés tant par la SARL A que par la commune de La Londe‑les‑Maures en date du 24 février 2020.

L’intérêt à agir de l’association requérante à quant à lui été consacré par le Conseil d’État qui vous renvoie l’affaire, après avoir jugé par un arrêt classé en B no 466492 qu’

« Une association dont les statuts prévoient qu’elle a pour objet d’assurer la défense et la préservation du cadre de vie dans l’ensemble d’un département, notamment en veillant à la légalité des autorisations d’urbanisme portant sur des surfaces destinées au commerce, justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature et l’importance des constructions autorisées, d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir d’un permis de construire trois bâtiments, totalisant une surface de plancher de plus de 7 100 mètres carrés, qui sont destinés à accueillir des activités artisanales et commerciales. »

La requête est donc recevable et nous parait fondée.

Le moyen tiré de la méconnaissance de la loi littoral, plus précisément de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme en vertu duquel l'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants nous paraît devoir être accueilli, même s’il y a là, matière à hésitation, comme le rappelait déjà Isabelle Gougeot dans ses conclusions lors d’une audience du 3 février 2022 lors de laquelle avait été appelé une première fois cette affaire.

Comme elle le faisait remarquer, le Conseil d’État a fixé le cadre de votre contrôle sur ces dispositions : il appartient à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de s'assurer de la conformité de l’autorisation d'urbanisme avec l'article L. 121‑8 de ce code compte tenu des dispositions du schéma de cohérence territoriale (SCOT) applicable déterminant les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et définissant leur localisation, si elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral. (CE 9 juillet 2021, commune de C, no 445118 classé en B). Le seul zonage autorisant la construction ne suffit pas, l’ouverture à l’urbanisation devant être suivi d’une logique d’extension en commençant par les parcelles au plus proche de l’urbanisation existante.

Toutefois en l’espèce, il n’y pas dans le SCOT Provence Méditerranée alors en vigueur de dispositions suffisamment précises qui puissent vous guider. Notez cependant que le quartier de Pin Neuf, qui est celui dans lequel le projet vise à s’implanter, est relevé comme un quartier dans lequel sont prévues des possibilités d’extension de l’urbanisation en continuité de l’agglomération existante, et cela ressort d’ailleurs de la cartographie du document d’orientation et d’objectifs du SCOT ayant pour objet de donner « un schéma illustratif de l’accueil du développement futur ». Cette cartographie identifie le quartier du Pin Neuf à cheval sur la route départementale en bout d’urbanisation à l’est de La Londe‑les‑Maures.

Et votre cour n’a rien trouvé à redire de cette ouverture à l’urbanisation dans un arrêt no 12MA00268 du 23 juillet 2014 cité par les parties, dans un litige contestant le SCOT, considérant que le secteur était « en continuité d’urbanisation existante ». Mais si le SCOT identifie une possibilité d’urbanisation dans le quartier qui a été jugé compatible avec la loi littorale, il se borne selon nous à paraphraser la loi en imposant qu’elle se fasse en continuité de l’urbanisation existante, sans toutefois préciser à quoi correspond cette dernière. Et la carte du SCOT est à une échelle telle que sa déclinaison dans le PLU pouvait, sans la méconnaître, assurer cette continuité d’urbanisation avec l’urbanisation principale de La Londe‑les‑Maures.

À défaut de précision du SCOT, vous pourrez donc appliquer les critères traditionnels de votre jurisprudence. La décision du Conseil d’État du 9 novembre 2015, commune de Porto‑Vecchio no 372531, classé en A sur ce point, a précisé que pour l’application de l’article L. 146‑4 I du code de l’urbanisme, devenu l’article L. 121‑8 du même code, les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est‑à‑dire avec les zones déjà urbanisées, caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages. Et vous le savez le juge administratif exerce un contrôle normal sur l’application des dispositions de la loi littoral (CE, 20 novembre 1995, association de l’environnement à Concarneau no 144817 classé en A.). Sur la notion de continuité, il ressort des conclusions des rapporteurs public au Conseil d’État que n’est pas en continuité un projet situé à 2 kilomètres du centre du village (voyez les conclusions de Xavier Domino sous CE, 3 octobre 2016, M. D, no 391750) voire même à 1 kilomètre (voyez les conclusions Alexandre Lallet sous CE, 27 juillet 2015, M. et Mme E, no 370846). Étant précisé que cette question relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (voyez par exemple CE, 14 mai 2008, M. et Mme F, no 293378 classé en C ou CE, 27 juillet 2009, commune de Bono, no 306946 classé sur un autre point).

Or, de manière assez singulière, vous constaterez que le zonage du PLU qui autorise l’urbanisation du secteur pour décliner le SCOT en identifiant une zone 1AU au nord de la route départementale, délimite en réalité une zone assez restreinte comportant quelques locaux de stockage (qualifiés de base nautique), entouré à l’ouest d’une zone N comportant de l’habitat diffus, au nord et à l’est d’une zone agricole. Il n’y a aucune continuité crée avec l’urbanisation dense de la commune de La Londe‑les‑Maures, puisqu’entre la zone urbanisée et la zone de développement alterne une zone agricole, un camping puis encore une zone agricole.

Vous noterez que la jurisprudence admet qu’un camping puisse assurer une continuité d’urbanisation pour l’application de la loi littorale (CE, 11 juillet 2018, Préfet des Pyrénées‑Atlantiques en B), à la condition toutefois qu’elle assure cette jonction entre la zone urbanisée et la zone en développement. Elle ne peut être regardée comme une urbanisation en tant que tel. En l’espèce, ce camping est isolé au nord de la route départementale.

Ainsi, si l’on se place au nord de cette route départementale, nous ne pouvons considérer que l’implantation choisie soit en continuité d’une quelconque urbanisation.

Les photographies du site PC 7 et PC 8 vous conforteront dans l’appréciation du fait que nous sommes sur une zone particulièrement peu urbanisée au nord de la route départementale.

Il faut cependant analyser également l’urbanisation au sud de cette route départementale, à supposer que vous entendiez admettre, comme nous vous y invitons, que cette route ne fait pas obstacle à la continuité d’urbanisation.

Vous avez déjà admis pour l’application de la loi littorale qu’une route ne faisait pas obstacle à l’ouverture d’une nouvelle zone en continuité d’une zone urbanisée (CAA 13, 16 novembre 2023, métropole d’Aix‑Marseille‑Provence, 22MA02278) et cette possibilité est d’ailleurs clairement envisagée dans la cartographie du SCOT pour la zone du Pin Neuf.

Cependant, vous constaterez que la partie sud de la route départementale est essentiellement composée de serres agricoles. Vous noterez d’ailleurs que le PLU a classé l’ensemble de cette zone en zone agricole. La seule présence d’une grande surface agricole occupant de vastes serres ne peut suffire à qualifier cette zone d’urbanisée. Cette grande surface ne s’inscrit pas d’ailleurs pas en continuité de l’urbanisation de l’agglomération de La Londe‑les‑Maures, étant séparée, outre de champs, par un espace boisé classé.

Il faut d’ailleurs noter que les zones de serres peuvent bénéficier de dérogation à la loi littorale. Il faut donc rester vigilant sur le risque de créer des agglomérations à partir de zone de serres agricoles préinstallées, qui auraient bénéficiées de cette dérogation (voir CAA 13., 20 avril 2018, M. et Mme G 16MA00477, considérant 4).

Au total, si le rapporteur public au Conseil d’État, analysant le pourvoi sur l’intérêt à agir, a pu indiquer que « ce lieu d’implantation est déjà significativement altéré (ou anthropisé) par une urbanisation au demeurant particulièrement dense », il nous semble qu’il s’agit essentiellement d’un effet d’optique lié à la présence nombreuse serre au sud de la route départementale, qui ne peuvent être regardées comme de l’urbanisation.

Cet effet est augmenté, à l’ouest du projet, par la présentation de photo aérienne présentant des serres qui n’existent en réalité plus, à supposer qu’elles aient existées.

Il nous semble en réalité que c’est le projet envisagé qui va urbaniser la zone et non qu’il se situe en continuité d’urbanisation, ainsi que le relevait au demeurant la DDTM pour un projet précédent envisagé au même endroit dans un courrier du 29 mai 2015 qui avait été refusé par la CDAC.

Vous accueillerez le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme en ce que l’implantation du projet n’est pas en continuité d’urbanisation.

Les autres moyens en revanche ne vous retiendront pas, comme a pu l’estimer votre précédente rapporteure publique Isabelle Gougeot lors de l’audience du 3 février 2022. Nous vous renvoyons à ses conclusions.

Par ces motifs, nous concluons :

Annulation du jugement et du permis

1 500 euros seront mis à la charge de la société et de la commune au profit de l’association.

Droits d'auteur

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