Si l’article 78‑1 du Code de procédure pénale dispose que toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité, un tel contrôle, pour être valable, doit avoir été réalisé néanmoins dans les conditions, et par les autorités de police, visées aux articles 78‑2 du même Code. La lecture de ces textes fait immédiatement apparaître que, hors les cas dans lesquels la réalisation de contrôles d’identité est requise par le procureur de la République pour une période de temps et de lieux qu’il détermine notamment1, les contrôles d’identité réalisés d’initiative par les autorités de police doivent être justifiés par l’existence d’éléments objectifs impérativement consignés dans le procès‑verbal, pour permettre au juge saisi d’une contestation sur la régularité dudit contrôle de pouvoir s’assurer que le fondement légal sur lequel il a été opéré correspondait bien à la situation factuelle à laquelle les autorités de police étaient confrontées. Si cette contrainte qui pèse sur les autorités de police devrait permettre de lutter contre les contrôles dits « au faciès », elle se justifie également par les mesures attentatoires à la vie privée et à la liberté des individus auxquels les contrôles d’identité peuvent donner lieu, qu’il s’agisse de la fouille de bagage ou de véhicule, voire de la rétention de la personne dans le cadre d’une vérification d’identité. Reste que d’autres contrôles, notamment parce qu’ils n’ont pour objet de contrôler l’identité de la personne, mais plus simplement le fait qu’elle dispose des documents administratifs attestant la conformité de sa situation avec une réglementation particulière n’impose nullement aux forces de l’ordre de justifier dans le procès‑verbal des raisons les ayant amenées à réaliser tel ou tel contrôle. Il en est ainsi du contrôle routier prévu aux articles R. 233‑1 et R. 233‑3 du Code de la route qui permet aux forces de l’ordre d’exiger de tout conducteur d’un véhicule terrestre qu’il leur présente le titre l’autorisant à conduire2, le certificat d’immatriculation du véhicule, ou encore le procès‑verbal de contrôle technique du véhicule contrôlée3. Les textes n’exigent pas des forces de l’ordre qu’elles justifient des motifs ayant conduit au contrôle de tel ou tel véhicule. Quid lorsqu’elles le font ? C’est précisément cette question dont la 6e chambre des appels correctionnels a eu à connaître dans l’arrêt rendu le 22 février 2024.
En l’espèce‚ les fonctionnaires d’un commissariat de police procédaient au contrôle du véhicule immatriculé dans un état membre de l’Union européenne. Le conducteur était identifié et les policiers constataient alors que ce dernier faisait l’objet d’une fiche active de recherche dans le cadre d’un mandat de recherche émis par un tribunal judiciaire. Ils procédaient donc à l’interpellation du conducteur qui était placé en garde à vue. Poursuivi pour avoir apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct d’un crime ou d’un délit, il soulevait, in limine litis, devant le tribunal correctionnel, une exception de nullité aux fins de voir prononcer la nullité du procès‑verbal d’interpellation en ce que le contrôle initié par les policiers relevait des dispositions de l’article 78‑2 du Code de procédure pénale, et non des dispositions du Code de la route, dès lors qu’il était motivé par le fait que « le conducteur seul à bord n’a pas le visage serein ». Le prévenu en concluait donc qu’il avait été procédé à un détournement de procédure. Bien que cette exception de nullité fût rejetée par le tribunal, le prévenu bénéficia d’un jugement de relaxe motivé au fond. Sur appel du parquet, la 6e chambre des appels correctionnels fut saisie de cette affaire, et comme il l’avait fait devant le tribunal correctionnel, le prévenu souleva de nouveau l’exception de nullité du procès‑verbal pour le même motif.
Dans son arrêt du 22 février 2024, la 6e chambre des appels correctionnels rejette à son tour l’exception de nullité au motif que :
Il ressort en l’espèce du procès‑verbal d’interpellation que les fonctionnaires de police ont agi sur le fondement des articles R. 233‑1 et R. 233‑3 du Code de la route relatifs au contrôle routier classique, que les seuls documents réclamés au conducteur étaient ceux désignés précisément par ces dispositions, à savoir l’identité du conducteur, ses papiers relatifs à la conduite du véhicule et les papiers relatifs au véhicule lui‑même.
La motivation de l’arrêt sur le rejet de l’exception de nullité pose problème. En effet, les articles R. 233‑1 et R. 233‑3 du Code de la route contiennent une liste exhaustive des documents que tout conducteur doit présenter dans le cadre d’un contrôle routier, et ces textes ne prévoient pas que le conducteur soit dans l’obligation de justifier de son identité. Les contrôles routiers ne constituent pas, au sens des articles R. 233‑1 et R. 233‑3 du Code de la route, des contrôles d’identité ! Ils permettent seulement aux forces de l’ordre de vérifier que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur dispose des documents permettant d’attester qu’il est autorisé à conduire, et que sa situation, notamment au regard du droit des assurances, est conforme à la loi. Dans le cadre d’un contrôle routier, les forces de l’ordre n’ont pas à demander de justificatif d’identité au conducteur, sauf dans l’hypothèse où il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis, comme auteur ou comme complice, un crime ou un délit flagrant. Dans ce cas, les forces de l’ordre basculent alors d’un contrôle routier à un contrôle d’identité fondé sur les articles 78‑2‑3 du Code de procédure pénale qui dispose expressément que, « les officiers de police judiciaire, assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1, 1 bis et 1°ter de l’article 21, peuvent procéder à la visite des véhicules circulant ou arrêtés sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public lorsqu’il existe à l’égard du conducteur ou d’un passager une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis, comme auteur ou comme complice, un crime ou un délit flagrant ; ces dispositions s’appliquent également à la tentative ». Lorsque les forces de l’ordre basculent d’un contrôle routier à un contrôle d’identité fondé sur l’article 78‑2‑3 du Code de procédure pénale4, elles doivent exposer dans les pièces de la procédure, les éléments objectifs5 qui ont pu les conduire à considérer qu’il existait, au moment du contrôle routier, « à l’égard du conducteur ou d’un passager une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis, comme auteur ou comme complice, un crime ou un délit flagrant ».
En l’espèce, nul ne sait finalement si les forces de l’ordre ont motivé un contrôle routier qu’elles n’avaient pas à motiver, ou si elles ont motivé le basculement d’un contrôle routier vers un contrôle d’identité fondé sur l’attitude suspecte du prévenu pour le justifier, ni même d’ailleurs si le fait que l’individu faisait l’objet d’une fiche active de recherche dans le cadre d’un mandat de recherche a été découvert lors du contrôle routier ou du contrôle d’identité qui aurait potentiellement suivi le premier. Quoi qu’il en soit, la motivation du rejet de l’exception de nullité soulevée par le prévenu ne permet pas de lever le doute sur la régularité de la procédure dont le prévenu a fait l’objet, et s’avère, au regard des articles R. 233‑1 et R. 233‑3 du Code de la route, problématique.