Opposition à l’exécution d’une ordonnance d’injonction de payer : une valse à mille temps !

DOI : 10.35562/bacage.1004

Décision de justice

CA Grenoble, 1re ch. – N° 22/03819 – 04 juin 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/03819

Date de la décision : 04 juin 2024

Résumé

En vertu de la combinaison des articles 1411 et 1416 du Code de procédure civile, l’absence de signification à personne d’une ordonnance d’injonction de payer dans les six mois de sa date a pour seule conséquence de reporter l’ouverture du délai d’opposition dont dispose le débiteur et non de rendre l’ordonnance non avenue. Outre cet apport, il est important de rappeler la complexité des règles de la procédure d’injonction de payer surtout lorsqu’elles sont confrontées à l’application de la loi dans le temps.

Plan

L’arrêt rendu par la première chambre de la cour d’appel de Grenoble est digne de susciter la curiosité du fait des éclairages qu’il apporte sur les délais relatifs à l’opposition d’une ordonnance d’injonction de payer mais également (et surtout !) pour des questions d’efficacité du titre exécutoire qu’il ne traite pas1.

En l’espèce, un organisme de financement obtient, le 22 décembre 2006, une ordonnance d’injonction de payer, revêtue de la formule exécutoire le 3 avril 2007, signifiée le 10 avril 2007 au domicile du débiteur et remise à la personne de sa mère alors présente. Dix années s’écoulent avant que la créance ne soit cédée sans pour autant être exécutée. Le cessionnaire ne manque pas de signifier la cession au débiteur le 31 mai 2018. Au temps de l’exécution, le 13 juin 2018, l’huissier de justice pratique une saisie‑attribution sur le compte courant du débiteur fructueuse à hauteur de 5 178,47 €. Un commandement aux fins de saisie‑vente est ensuite signifié le 18 juin 2018, et l’acte fait l’objet d’un dépôt à l’étude. En 2020, le débiteur assigne le cessionnaire devant le juge de l’exécution du tribunal de Valence qui se déclare incompétent au profit du juge des contentieux et de la protection. Le jugement rendu déboute le débiteur de ses demandes. C’est alors que le débiteur demande l’infirmation du jugement devant la cour d’appel de Grenoble ; il soutient notamment le caractère non avenu de l’ordonnance d’injonction de payer du fait d’une signification faite à la personne de sa mère et de l’absence de signification à personne dans le délai de six mois à compter de la date de l’ordonnance. Les arguments du débiteur seront étudiés mais sans oublier la question de l’efficacité du titre exécutoire pour non‑respect de la procédure qui est éludée par la cour et les parties.

1. Sur l’efficacité du titre exécutoire

La procédure d’injonction de payer a fait l’objet d’une réforme introduite par le décret 2021‑1322 du 11 octobre 2021 et celui du 25 février 2022 portant n2022‑245. L’innovation majeure de cette réforme a consisté à revêtir de plein droit les ordonnances d’injonction de payer de la formule exécutoire. Cette nouveauté a entraîné une transformation de la physionomie de la procédure applicable depuis l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions le 1er mars 2022. Sous l’ancien régime, une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance devait être signifiée au débiteur2. Ce dernier, s’il souhaitait user de son droit d’opposition à l’ordonnance3, devait le faire dans un délai d’un mois à compter de la signification4. Ce n’est qu’après le respect de ces formalités et l’absence d’opposition dans le délai d’un mois que le créancier pouvait demander au greffe l’apposition de la formule exécutoire5.

La temporalité longue de l’espèce soumise à la cour d’appel de Grenoble nous conduit à nous interroger sur l’application de la loi dans le temps. L’ordonnance litigieuse a été rendue le 22 décembre 2006 tandis que l’opposition intervient en 2020 ; le processus juridictionnel s’est donc presque entièrement déroulé antérieurement au 1er mars 2022. Ainsi, c’est le droit antérieur qui trouve à s’appliquer. Une seconde interrogation nous apparaît alors : pourquoi l’ordonnance du 22 décembre 2006, soumise au régime ancien, a été revêtue de la formule exécutoire le 3 avril 2007, soit sept jours avant sa signification ? Le respect des procédures en vigueur aurait dû conduire à l’apposition de la formule exécutoire au plus tôt le 11 mai 2007, à savoir le lendemain de l’expiration du délai d’opposition. Pourtant ni les magistrats, ni le débiteur — qui semble souhaiter à tout prix le non‑avènement de l’ordonnance — n’a relevé l’inefficacité de l’ordonnance sur le fondement du non‑respect de la procédure.

Les anciens articles 1422 et 1423 du Code de procédure civile bordaient la demande d’apposition de la formule exécutoire de conditions. Celle‑ci devait être formée dans un délai d’un mois à compter de l’expiration du délai, lui‑même d’un mois, d’opposition et en l’absence d’opposition. Une jurisprudence critiquée6 de la Cour de cassation a permis la pratique de la demande anticipée : le créancier pouvait anticiper sa demande d’apposition de la formule exécutoire en prévision de l’absence d’opposition dans le délai d’un mois7. Cette anticipation permettait de neutraliser le délai d’un mois supplémentaire pour procéder à la demande d’apposition de la formule8. Toutefois cette solution n’est acceptable que si c’est la demande qui est faite par anticipation et non l’apposition de la formule exécutoire9. La rétroactivité de la formule exécutoire semble inutile et même illogique puisque la décision ne peut être exécutée avant l’expiration du délai d’opposition. À cet égard, l’ordonnance d’injonction de payer litigieuse n’aurait pas dû être traitée comme un titre ayant force exécutoire.

En effet, le débat aurait alors pu se concentrer sur la question de l’efficacité du titre devenu exécutoire en violation des règles procédurales protectrices des droits de la défense10. Les mesures d’exécution ont été fondées sur une ordonnance revêtue d’une formule exécutoire irrégulière. Les causes de nullité des décisions de justice sont énumérées à l’article 458 par une liste non‑exhaustive11. Le non‑respect du délai d’opposition pourrait être de nature à entacher la décision de nullité puisqu’a contrario la Cour de cassation estime qu’il n’y a lieu de prononcer la nullité d’une décision en l’absence d’atteinte aux droits de la défense12.

2. Sur la signification régulière de l’ordonnance

À défaut de contester le caractère exécutoire de la décision, le débiteur a invoqué le non‑avènement de l’ordonnance pour absence de signification à personne dans le délai de six mois prévu à l’article 1411 (bien que cela ne soit pas mentionné expressément, c’est bien la version ancienne de l’article qui est citée). Tout d’abord, à la lecture des motifs de la cour d’appel, il apparaît que cette dernière n’a cure de la signification faite à la mère de l’appelant. La cour n’a sans doute pas estimé nécessaire de rappeler les dispositions de l’article 655 du Code de procédure civile permettant le dépôt de la copie de l’acte à toute personne présente au domicile qui accepte de le recevoir. En l’espèce, la mère du débiteur s’est identifiée et a accepté de recevoir l’acte. La signification est dès lors valable ; d’ailleurs le débiteur ne conteste pas la régularité intrinsèque de l’acte. Il n’y a donc pas lieu de reconnaître le caractère non avenu de l’ordonnance sur ce point. La cour s’intéresse davantage à l’articulation des articles 1411 et 1416 du Code de procédure civile (ce dernier article étant resté inchangé sous le droit positif).

Malgré l’enchevêtrement de délais qui peut rendre la procédure d’injonction de payer ardue, la cour d’appel répond clairement. Il ressort de cet arrêt que l’absence de signification à personne d’une ordonnance d’injonction de payer dans les six mois de sa date a pour seule conséquence de reporter l’ouverture du délai d’opposition dont dispose le débiteur et non de rendre l’ordonnance non avenue. La solution est louable en ce qu’elle équilibre dans la balance d’une part, les intérêts du créancier diligent qui a besoin d’un titre exécutoire, et d’autre part les intérêts du débiteur qui doit pouvoir s’opposer à l’exécution d’une décision sur son patrimoine. D’ailleurs la lecture des textes, et plus précisément l’emploi des termes « quelles que soient les modalités de la signification » convergent vers l’interprétation donnée par la cour.

Selon le débiteur, c’est la signification à personne qui doit intervenir dans les six mois suivant la date de l’ordonnance. Mais une telle interprétation aurait pour conséquence de placer le créancier en difficulté et de renforcer la responsabilité du commissaire de justice (anciennement huissier de justice). Or, le commissaire de justice n’est pas tenu de se représenter au domicile d’une personne absente lors de la première tentative de signification13. C’est pour ces raisons que le législateur a pris soin d’anticiper le cas d’un débiteur introuvable en créant les dispositions de l’article 1416 qui reportent le délai d’opposition. L’ordonnance ayant été signifiée dans le délai de six mois, les prétentions du débiteur ne pouvaient prospérer sur ce point.

3. Sur la prescription du titre exécutoire

En dernier recours, le débiteur a tenté d’invoquer la prescription décennale14 de l’exécution de l’ordonnance ; mais les pièges de la formalisation des écritures ont eu raison de cet argument puisqu’il a omis de formuler des prétentions en ce sens. Or, en l’absence de saisine, la cour n’est pas autorisée à relever la prescription15. L’ordonnance a été revêtue de la formule exécutoire avant l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription le 19 juin 2008, dès lors c’est le droit transitoire qui s’appliquait16. Le délai de prescription des titres exécutoires est passé de 30 à 10 ans. Ce délai décennal court à compter de l’entrée en vigueur de la loi pour le cas d’espèce, donc jusqu’au 19 juin 2018. Or, la dernière mesure a été exécutée, in extremis, le 18 juin 2018.

Malgré l’apparent respect de la prescription, les questions qu’elle soulève en matière d’injonction de payer sont intéressantes. Un point essentiel tient à la distinction de la prescription du titre et de la créance17. En l’espèce, c’est bien la prescription du titre qui est soulevée par le débiteur. Or, l’ordonnance d’injonction de payer peut s’avérer être une pierre d’achoppement de par sa nature qui lui a valu d’être qualifiée par la doctrine de « décision de justice conditionnelle18 ». Cette particularité tient à la possibilité pour le débiteur de remettre en cause l’ordonnance par la voie de l’opposition, et ce, depuis la réforme du 11 octobre 2021, malgré la formule exécutoire. Ainsi, l’ordonnance d’injonction de payer, tant qu’elle est susceptible d’opposition, ne peut être soumise à la prescription décennale des titres exécutoires19. Dès lors, l’argument du débiteur tenant à la prescription du titre pouvait être déconstruit par la neutralisation de la prescription.

En conclusion, si l’on reconnaît volontiers que la « vertu d’efficacité20 » est essentielle à la procédure d’injonction de payer, donner à un acte le caractère exécutoire qui ne lui revient pas est critiquable. Mais cela ne nous empêchera pas de tirer des leçons de l’arrêt commenté au regard de la particularité de la procédure d’injonction de payer et de ses apports applicables en droit positif.

Notes

1 Ne seront pas traitées ici les questions relatives à la cession de créance et au paiement de l’indu. Retour au texte

2 Art. 1411 anc. CPC. Retour au texte

3 Art. 1412 anc. CPC. Retour au texte

4 Art. 1416 al. 1er CPC. Retour au texte

5 Art. 1422 anc. CPC. Retour au texte

6 R. Perrot, « Le créancier peut demander à l’avance que, en l’absence d’opposition dans le délai, la formule exécutoire soit apposée sur l’injonction de payer », RTD Civ. 1991, p 177. Retour au texte

7 Cass. civ. 2e, 23 janvier 1991, no 89-18.747. Retour au texte

8 R. Perrot, art. préc., RTD civ. 1991. 177. Retour au texte

9 J. Miguet et O. Staes, « Procédure d’injonction de payer », JurisClasseur commercial, Fasc. n185, 24 mars 2021 (mise à jour : 8 février 2024). Retour au texte

10 D. Mas, « Injonction de payer — Procédure d’injonction de payer nationale », Répertoire de droit commercial, Dalloz, novembre 2015 (mise à jour : septembre 2022), n118. Retour au texte

11 F. Eudier et N. Gerbay, « Jugement – Causes de nullité du jugement », Répertoire de procédure civile, Dalloz, octobre 2018 (mise à jour : juillet 2024), n352. Retour au texte

12 Cass. civ. 1re, 15 mai 1990, nos 87-05.071. Retour au texte

13 Cour d’appel, Toulouse, 1re chambre, 20 juin 1994, JurisData n1994-044978. Retour au texte

14 Art. L.111‑4 al 1er CPCE : « L’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1o à 3o de l’article L. 111‑3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long. » Retour au texte

15 Art. 2247 C. civ Retour au texte

16 Art. 6 loi n2008‑561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Retour au texte

17 Voir en ce sens Cass. civ. 2e, 8 juin 2023, no 21-18.615, Inédit. Retour au texte

18 C. Chainais, « L’injonction de payer française, modèle d’une protection juridictionnelle monitoire in Justice et droits du procès, Du légalisme procédural à l’humanisme processuel », Mél. en l’honneur de S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 621, n27. Retour au texte

19 N. Hoffschir, « L’ordonnance portant injonction de payer et la prescription des titres exécutoires », Dalloz actualité, 13 octobre 2022. Retour au texte

20 C. Chainais, art. préc., p. 621, n1. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Naomi Vigouroux, « Opposition à l’exécution d’une ordonnance d’injonction de payer : une valse à mille temps ! », BACAGe [En ligne], 03 | 2024, mis en ligne le , consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=1004

Auteur

Naomi Vigouroux

Doctorante contractuelle, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
naomi.vigouroux@univ-grenoble-alpes.fr

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