Intérêt de la décision commentée. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la cour d’appel de Grenoble le 22 février 2024 est remarquable de rigueur et de justesse dans l’application de règles pas toujours aisées à comprendre. Il apporte par ailleurs un éclairage important sur des questions qui ne font pas l’objet d’une jurisprudence pléthorique.
Faits et procédure. En l’espèce, une société spécialisée dans les systèmes de sécurité avait proposé à un garagiste un contrat de télésurveillance et de location de matériel. Celui‑ci avait été signé au lieu d’établissement de la société garagiste et une date d’installation était prévue une quinzaine de jours plus tard. Le garagiste informait toutefois son cocontractant qu’il refusait l’installation du matériel. La société spécialiste de la sécurité le mettait en demeure de poursuivre l’exécution du contrat ou de lui payer l’indemnité contractuellement prévue en cas de rupture du contrat et équivalente au montant des loyers dus. Le garagiste refusait de se soumettre à cette demande indiquant qu’aucun contrat n’avait été conclu et qu’il avait déclaré vouloir se rétracter trois jours après la signature du contrat, soit dans le délai légal prévu par le droit de la consommation. La société spécialiste de la sécurité assignait donc en justice le garagiste. Le tribunal de commerce la déboutait de l’ensemble de ses demandes ce qui entraînait un appel du requérant initial. La demande principale en appel demeurait le paiement des loyers restant dus jusqu’au terme du contrat et d’une majoration de 10 % outre une indemnité de recouvrement. Subsidiairement, il était demandé à la cour de condamner le garagiste à verser les seuls loyers dus au titre de l’indemnité de résiliation. L’appelant soutient qu’une indemnité de résiliation est due, que le contrat existe depuis sa signature et non seulement à compter d’un PV de réception et que le garagiste a commis une faute contractuelle qu’il doit réparer. L’intimé fait valoir, à titre principal, que le contrat est inexistant du fait de l’absence d’installation du matériel et, subsidiairement, qu’il a exercé son droit de rétractation conformément aux dispositions du Code de la consommation qui trouvent à s’appliquer. Il soutient, enfin, en dernier que le contrat conclu hors établissement est nul en vertu de l’article L. 242‑1 du Code de la consommation. Si la cour d’appel ne le suit pas dans son premier moyen, elle fait droit au reste de ses prétentions. En tous points, elle nous paraît rendre une décision parfaitement justifiée.
L’existence du contrat. Concernant d’abord l’existence du contrat, il nous paraissait impossible de ne pas l’admettre en l’espèce dès lors qu’il y avait bien eu rencontre des volontés puisqu’un contrat avait été signé. Admettre l’inverse aurait été faire fi des principes qui gouvernent le droit commun des contrats. Ainsi l’article 1113 du Code civil prévoit que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque ». En d’autres termes, dès lors qu’il y a eu rencontre des volontés sur les éléments essentiels du contrat, le contrat est conclu peu important ce qu’il advient ensuite. Comme le notent fort justement les conseillers grenoblois, « l’absence d’installation, qui concerne les modalités d’exécution du contrat, est sans effet sur l’existence de celui‑ci lequel a régulièrement été signé le 20 décembre 2019 par les parties qui ont ainsi donné leur consentement ». Le moyen tiré de l’inexistence du contrat ne pouvait dès lors prospérer.
L’applicabilité du droit de la consommation. Concernant, ensuite, la question de savoir si le droit de la consommation trouvait ou non à s’appliquer en l’espèce et, plus particulièrement, les dispositions relatives aux contrats hors établissement, le raisonnement suivi par la cour est tout aussi juste. Le Code de la consommation encadre spécialement certains contrats jugés encore plus dangereux pour les consommateurs que d’autres notamment en raison de leur mode de formation. C’est le cas de ce que ce Code nomme les contrats conclus hors établissement qui sont des contrats de démarchage ou des contrats conclus à distance. L’article L. 221‑1 les définit très exactement comme
« Tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur : a) Dans un lieu qui n’est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d’une sollicitation ou d’une offre faite par le consommateur ; b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d’une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ; c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur. »
Conformément à l’article L. 221‑3 du même Code, les dispositions relatives à ce type de contrats sont applicables aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels « dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui‑ci est inférieur ou égal à cinq ». Si les arrêts rendus par la Cour de cassation sur ce point ne sont pas légion, quelques‑uns montrent clairement que la Haute juridiction contrôle que l’ensemble des éléments mentionnés dans les textes soient existants pour caractériser ce contrat conclu hors établissement1. Aussi importait‑il que la cour en l’espèce s’attache à opérer une telle vérification. C’est chose faite puisque celle‑ci souligne que les parties ne discutent pas le fait que le contrat a bien été signé dans le locaux de la société garagiste qui ne constitue pas le lieu d’activité permanente ou habituelle, que la société employait moins de cinq salariés lors de la signature du contrat et que le contrat de télésurveillance n’entrait pas dans le champ de l’activité principale du garagiste « dans la mesure ou, si ce matériel est effectivement destiné à protéger les véhicules confiés à l’intimée par leurs propriétaires, et trouve son utilité s’agissant de biens de valeur, en revanche la télésurveillance est étrangère à son activité de garagiste qui consiste à réparer des véhicules ». Dès lors, les dispositions protectrices du régime des contrats hors établissement trouvaient à s’appliquer.
L’application du Code de la consommation. Afin de protéger le consommateur ou le professionnel non averti, le Code de la consommation prévoit un droit à l’information renforcé en matière de contrats conclus hors établissement. Ce contrat doit notamment comprendre une information relative au droit de se rétracter étant entendu que la charge de la preuve de l’obligation d’information incombe au professionnel débiteur de celle‑ci2. Si celle‑ci n’est pas fournie par le professionnel débiteur, « le délai de rétractation est prolongé de douze mois à compter de l’expiration du délai de rétractation initial » conformément à l’article L. 221‑20. En l’espèce, le garagiste se prévalait de cette disposition pour soutenir qu’il s’était rétracté dans le délai imparti par la loi. L’argument ne convainc pas les magistrats grenoblois qui jugent que cette rétractation n’est pas prouvée. Pour autant, une autre disposition permet au garagiste de voir les juges statuer une nouvelle fois en sa faveur. Ainsi l’article L. 221‑5 7 impose au professionnel débiteur de l’obligation d’information de fournir au consommateur le formulaire type de rétractation. Or, en l’espèce, le contrat n’était accompagné d’aucun formulaire de rétractation si bien que le moyen tiré de la nullité du contrat était fondé. Aussi la cour d’appel confirme justement le jugement rendu en première instance.