Responsabilité du notaire et faute du client : pour une bonne répartition de la charge de la dette de réparation 

DOI : 10.35562/bacage.1078

Décision de justice

CA Grenoble, 2e ch. – N° 24/01090 – 19 novembre 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 24/01090

Date de la décision : 19 novembre 2024

Résumé

En cas de condamnation in solidum des notaires actant une vente immobilière et du vendeur à réparer le préjudice subi par l’acheteur en raison d’une contradiction dans l’acte relative au montant de la TVA, le vendeur doit relever et garantir intégralement les notaires pour la somme correspondant au redressement fiscal dès lors que celui‑ci a gravement manqué à la bonne foi. En revanche, l’erreur des notaires ayant été déterminante dans la survenue du préjudice de l’acquéreur, le vendeur ne peut être condamné à relever et garantir les notaires du paiement des pénalités de retard dues à l’administration fiscale.

Un arrêt important. Il ne fait aucun doute que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble le 19 novembre 2024 est d’importance ne serait‑ce que parce qu’il est rendu sur renvoi après cassation. Il permet de revenir sur les complexités de la répartition de la charge de la dette de réparation après une condamnation in solidum de plusieurs responsables ainsi que sur la difficulté qu’il y a à faire fi de la mauvaise foi du client dans la responsabilité du notaire.

Faits et procédure. En l’espèce, une société avait vendu à une autre une parcelle de terrain. L’acte de vente comprenait une contradiction dans le montant de la TVA à acquitter. Ainsi, au sein de la clause relative au prix, il était indiqué une TVA s’élevant à 882 000 € tandis que dans la clause relative à l’impôt sur la mutation la TVA était chiffrée à 646 261 €. La différence n’était évidemment pas négligeable (235 739 €). Or, après la vente, l’acquéreur avait déduit sur sa déclaration CA31 la TVA liée à cette acquisition pour un montant de 882 000 € tandis que le vendeur avait, pour sa part, déclaré à l’administration fiscale une TVA 646 261 €. S’ensuivait, sans grande surprise, une notification de rectification de ladite administration à l’acquéreur. Ce dernier assignait alors en justice son vendeur et l’ensemble des notaires ayant participé à l’acte afin d’obtenir réparation de son préjudice. Le tribunal judiciaire de Grenoble condamnait tous les défendeurs in solidum à verser la somme de 165 017,30 € et le notaire rédacteur à établir à ses frais l’acte rectificatif. L’entier préjudice patrimonial n’était donc pas réparé pour l’acquéreur qui interjetait appel. Par un arrêt du 19 juillet 2022, la cour d’appel de Grenoble confirmait le jugement en ce qu’il retenait la responsabilité des notaires et du vendeur mais l’infirmait quant au montant de la condamnation portant le montant des dommages et intérêts accordés à 244 682 €. Surtout — c’est là le point central — les juges du second degré condamnaient le vendeur à relever et garantir les notaires de toutes les condamnations prononcées contre eux. Le vendeur formait alors un pourvoi en cassation. Par une décision rendue le 18 janvier 20242, la Haute juridiction casse l’arrêt au visa de l’ancien article 1382 (actuel article 1240) du Code civil et aux motifs que « après avoir constaté que l'erreur commise par les notaires, qui connaissaient le montant exact de la TVA devant être acquittée, était déterminante du préjudice subi par l'acquéreur, et alors que le comportement de la venderesse ne les dispensait pas de leur obligation d'assurer l'efficacité des actes qu'ils dressaient, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». La cour d’appel grenobloise statue donc de nouveau, autrement composée, sur renvoi.

La décision rendue. On sent, à la lecture de l’arrêt commenté, la difficulté qu’ont eue les magistrats à se départir de la décision précédemment rendue, le comportement de la société venderesse apparaissant comme déloyal (« il est certain que si la société […] avait fait preuve de vigilance, elle aurait pu aviser son co‑contractant de l’écart de prix non négligeable de 235 789 euros »). Les juges du fond paraissent toutefois, dans le même temps, vouloir prendre en considération la censure des juges du droit. Aussi condamnent‑ils le vendeur à relever et garantir les condamnations des notaires pour la seule somme de 235 789 €, somme qui correspond à la différence entre la TVA qui aurait dû être déclarée par l’acquéreur à savoir 646 261€ et le montant de la TVA qui a été déclaré, à savoir 882 000 €. En revanche, pour la somme correspondant aux pénalités de retard (8 943 €), les juges d’appel reprennent la formule de la Cour de cassation en indiquant que « c’est bien l’erreur des notaires qui a été déterminante dans la survenue du préjudice de la société [acquéreur] ».

Interrogations sur le fondement juridique. Le fondement juridique retenu pour rendre le vendeur débiteur final de plus de 96 % de la dette de réparation interroge. Les juges d’appel se réfèrent à l’article 1302 du Code civil c’est‑à‑dire à la répétition de l’indu. Ils indiquent ainsi, à juste titre, que tout paiement suppose une dette et que ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. En l’espèce, pour eux, la société venderesse a perçu une somme supérieure à ce qu’elle aurait dû percevoir en raison de la déclaration d’une TVA bien inférieure à celle qu’elle aurait dû déclarer (4 735 789 € au lieu de 4 500 000 €). Aussi doit‑elle seule supporter la charge de la condamnation pour 235 789 €. Ce faisant, les conseillers grenoblois embrassent la thèse soutenue par les notaires intimés qui insistaient par ailleurs sur le manquement à l’obligation de bonne foi de la société venderesse. Si la solution paraît équitable et sensée au regard des conséquences concrètes engendrées par la différence de mentions relatives à la TVA dans l’acte authentique, sa déconnexion avec le droit de la responsabilité incite à apporter quelques précisions.

Répartition de la charge de la dette de réparation. Il s’agissait bien, au départ, d’une action en responsabilité et les condamnations prononcées constituent des condamnations à payer des dommages et intérêts à la victime de fautes diverses : la faute des notaires, d’abord, qui ont pour obligation de vérifier les mentions comprises dans l’acte qu’ils instrumentent et de conseiller leurs clients ; la faute de la société venderesse qui n’a manifestement pas déclaré le bon montant de TVA afin, précisément, de s’enrichir. Une fois la condamnation prononcée à payer in solidum à l’encontre de tous ces fautifs, il convenait toutefois de répartir la charge définitive de la dette de réparation, en d’autres termes, de statuer sur les actions récursoires entre coresponsables. Or, sur ce point, les principes sont clairs : tenu avec d’autres ou pour d’autres, celui des coresponsables qui a été condamné à indemniser la victime dispose, conformément à l’article 1346 du Code civil, d’un recours contre les autres, qui présente, pour l’essentiel, un caractère subrogatoire. Ainsi, en l’espèce, l'appel en garantie était exercé par le notaire négligent contre le client vendeur. Une fois ce principe acquis, encore faut‑il ensuite déterminer à qui incombera la charge définitive de la dette et à hauteur de combien. Sur cette question de la clé de répartition, les solutions reposent, pour l’essentiel, sur la distinction suivante : répartition en fonction de la gravité respective des fautes ayant causé le dommage3, s’il s’agit de fautes prouvées, ce qui peut par ailleurs aboutir à mettre l’entière réparation à la charge de l’un des responsables4 ; dans la mesure des responsabilités ou, à défaut de précisions, par parts viriles5, donc de manière purement objective, s’il s’agit de responsabilités de plein droit. L’application de ces principes aux faits de l’espèce impliquaient donc que la gravité des fautes respectives soit évaluée afin de répartir la charge de la dette. Or, aucune trace de ce raisonnement là n’apparaît à la lecture de l’arrêt commenté. Cela n’est pas à dire pour autant que les juges ne s’y soient pas livrés en amont.

L’importance du comportement du vendeur. Le lecteur pressent très bien, à la lecture de la décision, combien le manquement à la bonne foi commis par le vendeur était important. La venderesse avait laissé subsister dans l'acte de vente un prix artificiellement gonflé par un montant de TVA surévalué, avait reçu le paiement de ce prix et en avait finalement conservé la part indue. Ce faisant, le comportement de la venderesse confinait au dol comme le soulignent les conseillers grenoblois6. Ceux‑ci sont toutefois bien obligés d’admettre que les manœuvres constitutives d’un dol lors de la conclusion du contrat de vente ne sont pas démontrées afin de pouvoir prendre en compte la censure de la Cour de cassation7. Il faut néanmoins garder en tête qu’une jurisprudence constante retient que lorsque le client du notaire a commis une faute dolosive ayant causé un préjudice à son cocontractant, le juge peut condamner ce client, soit à supporter l'intégralité de la dette de réparation8, soit à en supporter une partie9. Les juges du fond disposent donc d’un pouvoir souverain d’appréciation relatif à la contribution à la dette. En l’occurrence, les juges grenoblois nous paraissent en avoir fait bon usage en retenant une répartition objectivement justifiable. La restitution de l’indu préside à celle‑ci et explique que la large majorité de la dette de réparation soit supportée définitivement par la venderesse. Pour autant, le manque de diligence des notaires est sanctionné et cela importe car ce professionnel est tenu d’un devoir d’assurer la validité et l’efficacité de l’acte ce qui l’oblige concrètement à un devoir général de vérification. Pour autant la lecture de la décision laisse un sentiment de malaise au regard du fondement juridique retenu et de la motivation elliptique qui favorise les questionnements.

Les questions en suspens. La lecture de la décision commentée suscite des difficultés de compréhension. Comment est‑il possible de raisonner à partir de la restitution de l’indu alors que le problème central portait sur la répartition de la charge de la dette de réparation ? Alors que la première action concerne uniquement le vendeur et l’acheteur, la seconde met aux prises le vendeur et le notaire. Certes, le conseil du notaire fondait son raisonnement sur la restitution de l’indu. L’article 12 du Code de procédure civile autorise toutefois le juge à « restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Dès lors, n’eût‑il pas été plus judicieux, pour prendre pleinement en considération la censure de la Cour de cassation10, de se fonder sur les règles précédemment exposées relatives à la répartition de la charge de la dette ? Une telle option n’occulte pas les difficultés qui se seraient alors présentées aux conseillers : déterminer la gravité de la faute des notaires et son importance dans la survenance du préjudice en cause (quel préjudice exactement par ailleurs ?). En d’autres termes, il nous aurait paru intéressant de revenir sur les éléments clefs de la responsabilité civile pour faute que sont le préjudice, la faute et du lien de causalité entre l’un et l’autre. C’est ce à quoi nous paraissait inviter la censure par la Haute juridiction judiciaire pour violation de l’article 1382 ancien du Code civil.

Notes

1 La déclaration TVA CA3 est un formulaire utilisé en France pour déclarer la TVA collectée sur les ventes et la TVA déductible sur les achats, afin de déterminer la TVA nette due ou le crédit de TVA. Retour au texte

2 Cass. civ. 3e, 18 janv. 2024, n° 22‑22.319, inédit ; RCA 2024, comm. 68, obs. P. Pierre ; JCP N 2024, 1163, obs. S. François. Retour au texte

3 Cass. civ. 2e, 1er oct. 1975, D. 1975. IR. 256 ; rappr. Cass. civ. 1re, 17 déc. 1996, Bull. civ. I, n° 458, Defrénois 1997, 343, obs. J.‑L. Aubert, JCP 1997. I. 4068, n° 14, obs. G. Viney ; 21 avr. 2005, RCA 2005, comm. 213, RTD civ. 2005, 610, obs. P. Jourdain ; 13 janv. 2011, n° 09‑71.196, RTD civ. 2011. 359, obs. P. Jourdain. Retour au texte

4 Cass. civ. 1re, 23 nov. 1999, Bull. civ. I, n° 320, RCA 2000. Comm. 58, obs. H. Groutel ; Defrénois 2000.258, obs. J.‑L. Aubert ; RTD civ. 2000. 345, obs. P. Jourdain. Retour au texte

5 Cass. civ., 28 nov. 1948, D. 1949.117 ; Cass. civ. 2e, 16 fév. 1962, Bull. civ. II, n° 208, p. 145 ; 2 juill. 1969, Gaz. Pal. 1969.2.220 ; JCP 1971. II. 16588 ; 15 nov. 1972, D. 1973.533, note F. Chabas ; Cass. soc. 10 mai 1939, DH 1939.477 ; Cass. civ. 2e, 13 mars 1963, Bull. civ. II, n° 244, p. 179. Retour au texte

6 En ce sens aussi, voir S. François, obs. préc. sous Cass. civ. 3e, 18 janv. 2024. Retour au texte

7 Sur l’étonnement suscité par la sévérité de l’arrêt de cassation à l’égard des notaires et une interrogation sur la différence de chambre ayant rendu l’arrêt susceptible d’expliquer la différence avec la jurisprudence antérieure, voir S. Francois, obs. préc. Retour au texte

8 Voir par ex. Cass. civ 1re, 17 déc. 1996, n° 95‑13.091 : « Le juge peut décider d’écarter tout recours en garantie ou en responsabilité contre le notaire, en dépit de la faute professionnelle commise par celui‑ci, de la part du coresponsable qui s’est rendu coupable d’un dol. » Retour au texte

9 Voir par ex. : Cass. civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15‑22.776 : « La faute intentionnelle ne prive pas le vendeur de tout recours contributif contre le notaire qui, ayant prêté son concours à la rédaction d’un acte dolosif, peut être tenu de le garantir partiellement, en considération de la faute professionnelle qu’il a commise » ; JCP N 2017, n° 22, 1191, note P. Pierre. Retour au texte

10 Qui, contrairement à ce qu’affirment les intimés, n’a pas rendu une censure pour défaut de motivation mais bien pour violation de la loi. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Ingrid Maria, « Responsabilité du notaire et faute du client : pour une bonne répartition de la charge de la dette de réparation   », BACAGe [En ligne], 04 | 2025, mis en ligne le 16 juin 2025, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=1078

Auteur

Ingrid Maria

Professeure de droit privé, co-directrice du Centre de Recherches Juridiques, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
ingrid.maria[at]univ-grenoble-alpes.fr

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