En matière de marché de travaux, la réception de l’ouvrage est une étape essentielle. En effet, sans elle, les garanties légales dont le maître de l’ouvrage peut se prévaloir ne peuvent être mises en œuvre et, en conséquence, l’assureur des dommages à l’ouvrage1 comme l’assureur responsabilité civile décennale2 ne pourront être mis en cause3.
Avant la réception, l’entrepreneur en charge des travaux immobiliers ne peut voir sa responsabilité engagée qu’en application des règles de la responsabilité contractuelle. La réception est donc un moment crucial afin de déterminer le régime de responsabilité et de couverture pouvant s’appliquer en présence de non‑façons et de malfaçons.
Cette notion fondamentale n’est pourtant pas définie par la loi applicable au contrat de louage d’ouvrage. L’article 1792‑6 du Code civil, issu de la loi no 78‑12 du 4 janvier 1978, se contente d’indiquer que « la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve » et qu’il s’agit d’un acte juridique contradictoire, y compris lorsqu’elle est judiciaire. Elle ne peut alors intervenir qu’à la demande de l’une des parties4. Il résulte de la jurisprudence que la réception, lorsqu’elle intervient judiciairement, présuppose non seulement que le maître de l’ouvrage n’ait pas procédé à une réception amiable mais également que l’ouvrage soit en état d’être reçu. Cette notion désormais classique d’ouvrage « en état d’être reçu5 » continue cependant à interroger.
Il est désormais admis qu’elle se distingue de l’achèvement dont la constatation ne s’impose pas et ne suffit pas à valoir réception6. Par ailleurs, il est constant que l’état est avéré lorsque l’immeuble est effectivement habitable7. La question de l’habitabilité permettant l’admission d’une réception judiciaire et la détermination de sa date sont généralement déterminées à titre incident, dans le cadre d’un litige relatif aux garanties ou à l’assurance des désordres à l’ouvrage comme au cas présent.
Un couple confie la rénovation de la véranda de sa maison à une société selon devis des 6 février et 6 juillet 2017, pour un montant de 26 544,55 euros. Insatisfaits du travail effectué, ils obtiennent la désignation d’un expert judiciaire. Avant que l’expert ne dépose son rapport, la société à qui le couple avait confié des travaux de rénovation fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation deux mois plus tard. Les époux déclarent alors leur créance à la procédure qui est clôturée pour insuffisance d’actif, un peu plus de trois mois après sa mise en liquidation judiciaire. Le couple assigne conséquemment la société et son assureur à fin d’obtenir réparation de leurs préjudices.
Déboutés de leur demande en première instance, dont celle de déclaration judiciaire de la réception, en raison de son caractère non‑contradictoire faute pour eux d’avoir mis en cause le liquidateur de la société ayant réalisé le marché de travaux objet du litige, ils sollicitent de la cour d’appel le prononcé de la réception judiciaire des travaux exécutés, à la date déterminée par l’expert judiciaire, la constatation des désordres à l’ouvrage réalisés par la société intimée, de nature à engager sa responsabilité décennale, le bien fondé de leur action directe à l’encontre de l’assureur et la condamnation de celui‑ci à leur verser diverses sommes.
La société mise en liquidation judiciaire, représentée par son mandataire ad hoc, sollicite également la fixation de la réception judiciaire à la date de sa dernière intervention sur le chantier et laisse aux juges le soin de déterminer la nature des dommages et leur quantum, tandis que l’assureur estime qu’en l’absence de réception formelle et du caractère habitable de l’ouvrage, les garanties souscrites par l’entrepreneur ne sont pas mobilisables. Dans l’éventualité où la cour prononcerait la réception judiciaire, l’assureur requiert qu’elle soit assortie de réserves et qu’elle rejette de ce fait toute demande fondée sur la police d’assurance de responsabilité civile décennale dès lors que les vices dénoncés étaient apparents à la réception8.
La cour d’appel prononce la nullité du jugement pour violation du principe du contradictoire avant de s’attacher à apprécier le bien‑fondé de la demande de réception judiciaire et des autres demandes en découlant. Pour ce faire, la cour d’appel rappelle que les hauts magistrats retiennent classiquement que le seul critère à considérer afin d’admettre la réception judiciaire réside dans le fait que l’ouvrage soit en état d’être reçu9. Or, dans l’affaire à l’origine de la décision, le rapport d’expertise judiciaire notait que l’habitabilité de la véranda était atteinte par différentes infiltrations et que sa circulation était dangereuse en raison des vices de sa structure. Il préconisait en conséquence la démolition totale de l’ossature bois pour procéder à sa reconstruction. Les juges d’appel relèvent que ces observations sont corroborées par les conclusions des demandeurs qui considéraient eux‑mêmes la véranda « inhabitable ». La véranda est donc jugée inhabitable « dès lors que la solidité de la structure n’est pas assurée, ce qui génère un réel risque pour les personnes ». Par suite, elle n’était pas en état d’être reçue. L’appréciation rejoint celle réalisée classiquement par les juges du droit comme dans cette décision du 11 janvier 2012 par laquelle ils ont censuré, au visa de l’article 1792‑6 du code civil, une cour d’appel qui avait admis la réception judiciaire tout en ayant constaté que :
Les désordres affectaient la solidité de l’immeuble et compromettaient non seulement sa destination par le défaut d’étanchéité des fermetures et du toit terrasse, l’insuffisance du drainage périphérique provoquant des pénétrations d’eau importantes et généralisées et la détérioration totale du réseau électrique, mais également sa pérennité par l’absence de joints de rupture ne permettant pas à l’ouvrage de supporter les écarts thermiques et par une maçonnerie non conforme aux règles de dimensionnement et de conception des ouvrages en béton armé […]10.
La réception judiciaire n’est donc pas susceptible d’être prononcée dès lors que des désordres affectent la solidité de l’immeuble, sa sécurité et sa pérennité. Les éléments objectifs qui fondent ces solutions sont incontestables mais lourds de conséquences pour le maître de l’ouvrage qui ne peut, dès lors que la réception n’est pas intervenue, bénéficier ni des garanties légales dues par l’entrepreneur constructeur ni de l’assurance par lui souscrite au titre de sa responsabilité civile décennale. En effet l’assurance responsabilité civile décennale n’a pas été conçue pour se substituer aux obligations contractuelles des entrepreneurs, et ne trouve à s’appliquer qu’à compter de la réception.
Si l’assureur peut pallier la défaillance de l’entrepreneur, ce n’est qu’en présence de vices de nature décennale survenus avant la réception à condition que le maître de l’ouvrage ait, en vain, mis en demeure l’entrepreneur de réparer les désordres et obtenu la résiliation du marché en raison de l’inexécution, par l’entrepreneur, de ces obligations. Mais cette mise en cause n’est envisagée qu’en cas d’assurance de dommages11. Au cas particulier les maîtres de l’ouvrage ne semblent pas avoir exploré cette voie, sans doute faute d’avoir souscrit l’assurance correspondante.
L’arrêt illustre ainsi les difficultés qui peuvent découler de l’absence de réception d’un ouvrage en raison de l’absence d’assurance obligatoire en cours d’exécution du contrat d’entreprise permettant de pallier la défaillance de l’entrepreneur.
