Par contrat en date du 23 juin 2010, une société donne à bail un logement à usage d’habitation à une personne physique. Le preneur, se plaignant du non‑respect par la bailleresse de ses obligations de réparation, l’a assignée devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Valence le 7 septembre 2022. Le tribunal ayant rejeté l’ensemble de ses demandes, le locataire interjette appel de ce jugement rendu le 4 mai 2023.
Devant la cour d’appel, le preneur maintient sa demande de condamnation de la bailleresse à l’exécution de divers travaux de réparation et ajoute celle de justifier des charges locatives en explicitant la clé de répartition appliquée pour leur détermination.
La société intimée demande le rejet de la demande relative à la justification des charges locatives, qu’elle considère nouvelle, ainsi que la confirmation de la décision de première instance ayant écarté toute inexécution de ses obligations de bailleur. La cour d’appel se trouve ainsi saisie d’une question de procédure et d’une question de fond.
S’agissant de prétention formulée pour la première fois en appel par le locataire, le principe en est l’irrecevabilité que le juge peut relever d’office1. Le principe est cependant assorti d’une pluralité d’exceptions parmi lesquelles on compte les prétentions nouvelles visant à opposer compensation (art. précité), celles qui « tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge […]2 » ou encore celles qui sont « l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire » des prétentions soumises au premier juge3. La Cour de cassation imposant aux juges du fond un devoir d’examen de toute demande nouvelle à l’aune de ces diverses exceptions, la cour d’appel se devait de les examiner, même d’office, afin de retenir la recevabilité de la demande nouvelle4.
Au cas présent, la cour d’appel de Grenoble constate que les demandes initiales du preneur visent à condamner la bailleresse pour manquement à ses obligations. Elle en déduit que la demande de justification des charges locatives n’est pas nouvelle en ce qu’elle « se rattache au litige relatif au contrat de bail ». On ne saurait la contredire. L’obligation de justifier des charges locatives est une obligation pesant sur le bailleur au même titre que les obligations de délivrance, de réparation et de garantie dues au preneur, et invoquées devant le premier juge.
On peut cependant légitimement se demander si la demande nouvelle poursuit la même finalité que les demandes initiales dans la mesure où, d’une part, la loi ne prévoit aucune sanction en cas de défaut de production de justificatifs de charge5 et que, d’autre part, le preneur ne sollicitait pas la répétition de charges que la bailleresse aurait indûment perçues6. Il résulte en effet de l’article 23 de la loi du 6 juillet 1989 applicable à l’espèce, qui si les charges locatives peuvent donner lieu au versement de provisions, elles doivent en ce cas faire l’objet d’une régularisation annuelle. Pour ce faire, le bailleur communique au locataire, un mois avant la régularisation « le décompte par nature de charges ainsi que, dans les immeubles collectifs, le mode de répartition entre les locataires et, le cas échéant, une note d’information sur les modalités de calcul des charges de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire collectifs et sur la consommation individuelle de chaleur et d’eau chaude sanitaire du logement, dont le contenu est défini par décret en Conseil d’État. Durant six mois à compter de l’envoi de ce décompte, les pièces justificatives sont tenues, dans des conditions normales, à la disposition des locataires ». Par ailleurs, la loi impérative précitée précise que « les demandes de provisions sont justifiées par la communication de résultats antérieurs arrêtés lors de la précédente régularisation et, lorsque l’immeuble est soumis au statut de la copropriété ou lorsque le bailleur est une personne morale, par le budget prévisionnel ».
Le bailleur est donc susceptible de se voir reprocher la violation de ses obligations contractuelles et d’être tenu de restituer ce qu’il aura indûment reçu, lorsqu’il ne sera pas en mesure de justifier des charges imputées au locataire ou lorsqu’il n’aura pas procédé à la régularisation annuelle accompagnée des documents exigés. Une telle demande de restitution se prescrit en principe par trois ans7 à compter du jour « de la régularisation annuelle des charges, qui seule permet au preneur de déterminer l’existence d’un indu, et non celui du versement de la provision8 ».
Aussi, en l’absence de régularisation de charges, le délai de prescription ne court‑il pas. Il est donc de l’intérêt du preneur de pouvoir disposer, à tout moment, des documents justifiant des charges acquittées afin de vérifier que le bailleur ne lui impute pas des charges qui ne relèvent pas de la liste limitative fournie par le décret no 81‑713 du 26 août 1987 et, le cas échéant, agir en restitution du trop versé.
Or, au cas présent, le preneur ne réclamait pas cette restitution et l’on peut douter du fait que le juge eut pu la lui accorder d’office. Aussi, l’affirmation selon laquelle la demande de justification des charges locatives n’est pas une demande nouvelle dans la mesure où, en première instance, le preneur n’avait sollicité la condamnation de la bailleresse que pour manquement à ses obligations de délivrance conforme, de garantie et de réparations, procède‑t‑elle d’une interprétation extensive des dispositions précitées. La demande de justification des charges locatives n’est pas à proprement parler l’accessoire, la conséquence ou le complément des demandes de réparations soumises au premier juge.
L’imprécision de la notion de prétentions présentant un « lien suffisant d’accessoire, de complément ou de conséquence des prétentions émises en première instance » laisse, il est vrai, une large marge d’interprétation et une certaine unité du litige entre la première instance et celle d’appel pouvait être aperçue en raison du fait que la non production des justificatifs permettait d’établir la carence du bailleur. Mais il ne s’agit pas d’une faute de la nature de celles invoquées en première instance. Qui plus est, aucune demande de régularisation ou de restitution de charges, qui aurait été nouvelle en appel, n’a été formulée à cette occasion.
L’examen des griefs invoqués à l’endroit de la bailleresse, dès la saisine du juge des contentieux de la protection par le locataire, va quant à lui amener les conseillers de la cour d’appel à appliquer aux éléments de fait les règles inhérentes aux obligations du bailleur ainsi qu’à rappeler les limites du recours à une expertise judiciaire afin de permettre au preneur d’établir la faute de son cocontractant.
Les obligations pesant sur le bailleur d’un local loué pour un usage d’habitation principale sont énoncées à l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989. Il en résulte que le bailleur doit en premier lieu délivrer un logement en bon état d’usage et de réparation, un logement décent, puisqu’il doit, tout au long du bail, entretenir les lieux loués en état de servir à l’usage prévu, y faire toutes réparations autres que locatives, nécessaires au maintien de leur état comme à leur entretien, et assurer le preneur contre tout trouble de jouissance. À l’appui de cette disposition, le demandeur invoquait le manquement du bailleur à son obligation de lui garantir la jouissance paisible des lieux en ce qu’il aurait procédé tardivement aux réparations sollicitées ou en les réalisant mal, et sollicitait l’indemnisation des préjudices en résultant.
La cour constate tout d’abord que l’installation par le bailleur d’une cuvette de toilette de petite dimension comme celle d’un mitigeur de lavabo trop court ne peuvent caractériser un défaut de conformité des équipements du logement, de nature à en troubler la jouissance conforme à sa destination.
Elle approuve ensuite les premiers juges d’avoir retenu que le graissage et le remplacement de poulies sur les dispositifs d’occultation de la lumière (tels que stores et jalousies) sont des réparations locatives incombant au locataire selon les dispositions du décret no 87‑712 du 26 août 1987 et écarte les critiques liées à la défectuosité du radiateur du couloir comme celles liées à l’état des gonds de la fenêtre de la chambre des parents, qui, bien que constatées par le commissaire de justice intervenu sur demande du locataire, n’ont pas été antérieurement portées à la connaissance du bailleur. Enfin, sur la performance énergétique du logement décriée par le preneur, elle relève que, sur ce point, le constat produit se contente de transcrire les déclarations de l’appelant. Partant, elles ne sont pas de nature à établir les déclarations de celui‑ci.
Le preneur est en conséquence, sans grande surprise, débouté de ses demandes.
On notera cependant que si la performance énergétique du logement participe de la détermination de son indécence depuis le 1er janvier 2023, le décret no 2002‑120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent indique depuis sa promulgation, dans son article second, que le logement doit, pour recevoir la qualification de décent, être « protégé contre les infiltrations d’air parasites ». Ce point n’a cependant pas été observé par le commissaire de justice à l’occasion de sa visite. Aussi, le preneur sera‑t‑il débouté de ses demandes de réparation.
Pressentant sans doute la confirmation du jugement de première instance, le preneur sollicitait une mesure d’expertise afin que soient relevés les désordres dénoncés, que leur imputabilité soit précisée et que les mesures nécessaires pour y mettre un terme soient déterminées. Cette demande sera également écartée par les juges du fait qui rappellent qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve9. Ce faisant ils observent que la charge de la preuve du non‑respect par le bailleur de ses obligations pèse bien sur le preneur.
Le demandeur doit donc, avant toute autre démarche, informer le bailleur des défauts qu’il considère de nature à caractériser l’indécence du logement ainsi que des désordres dont il aurait la charge, et le mettre en demeure d’y remédier. Faute pour ce dernier d’intervenir, le preneur peut, comme au cas présent, faire appel à un commissaire de justice qui pourra constater la situation que le preneur dénonce. Cependant, pour que son intervention soit utile à la preuve, il doit constater par lui‑même les défauts et situations source d’indécence ou de non réparation à la charge du bailleur. Les services d’hygiène de la commune du lieu de situation du bien peuvent également intervenir, plus spécifiquement en cas d’habitat insalubre. Dans les cas les plus graves, touchant à la santé publique, c’est vers l’agence régionale de santé que le preneur peut se retourner. Enfin, un diagnostiqueur immobilier peut utilement réaliser un diagnostic de performance énergétique du logement et faire ainsi apparaître son indécence s’il n’atteint pas le niveau minimal exigé par la loi10. Une fois la carence du bailleur établie, dès lors qu’il refuse d’effectuer les travaux nécessaires à la mise en conformité du logement, le preneur peut encore saisir la commission de conciliation et le conciliateur de justice avant de se présenter devant le juge des contentieux de la protection après avoir recueilli tous éléments de preuve utile à établir la violation par le bailleur des obligations. Faute de quoi, comme au cas rapporté, son action est vouée à l’échec.
