Incompétence du juge des mesures provisoires pour statuer sur le régime matrimonial indépendamment de toute demande au titre des mesures provisoires

DOI : 10.35562/bacage.1356

Résumé

Le juge de la mise en état est incompétent pour statuer sur le seul régime matrimonial lorsque la demande est formée en incident indépendamment de toute demande au titre des mesures provisoires.

Plan

Le juge de la mise en état n’est pas compétent pour statuer sur le seul régime matrimonial applicable aux époux. Par un arrêt de la chambre des affaires familiales en date du 8 janvier 2025, la cour d’appel de Grenoble rend une décision qui rejette les demandes des parties tendant à voir déterminer en incident seulement le régime matrimonial applicable aux époux.

Deux personnes se sont mariées en Syrie. Elles ont ensuite été naturalisées françaises. L’épouse assigne l’époux en divorce. Par une ordonnance sur mesure provisoire en date du 1er juin 2023, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Valence a rendu une première décision. Par conclusions d’incident, l’épouse a saisi le juge de la mise en état aux fins de déterminer le régime matrimonial applicable aux époux. Par ordonnance contradictoire en date du 29 février 2024, le juge aux affaires familiales de Valence statuant comme juge de la mise en état a notamment dit que les époux étaient soumis au régime légal français de la communauté de biens réduite aux acquêts. L’époux a interjeté appel de cette ordonnance. Il demande que les époux soient soumis au régime légal syrien de la séparation de biens. L’épouse demande la confirmation de l’ordonnance. Par message RPVA, les parties ont été invitées à faire valoir leurs observations sur la compétence du juge de la mise en état pour trancher le litige qui lui était soumis indépendamment de toute demande au titre des mesures provisoires.

Par cet arrêt, la cour d’appel de Grenoble infirme l’ordonnance du 29 février 2024 et rejette les demandes des parties tendant à voir déterminer le régime matrimonial applicable aux époux à ce stade de la procédure. Cette décision précise une jurisprudence de la Cour de cassation en date du 24 février 20161 affirmant la compétence du magistrat conciliateur pour statuer sur le régime matrimonial applicable aux époux et anticipe la décision de la juridiction suprême en date du 10 septembre 20252. Pour prononcer l’incompétence du juge de la mise en état pour statuer sur le régime matrimonial, la cour d’appel limite la compétence du juge des mesures provisoires (1) faisant ainsi obstacle à la résolution amiable du litige (2).

1. Une limitation de la compétence du juge des mesures provisoires

La cour d’appel énonce que « s’il est constant qu’il entre dans les pouvoirs du juge de la mise en état de déterminer le régime matrimonial applicable aux époux, c’est à condition qu’il soit saisi de demandes relatives aux mesures provisoires lui imposant de déterminer le régime matrimonial applicable (en ce sens, civ. 1re, 24 février 2016, n15‑14.887) ». En l’espèce, le juge de la mise en état a été saisi par conclusions d’incident de l’épouse aux seules fins de déterminer le régime matrimonial applicable aux époux, l’époux n’ayant conclu que sur cette question indépendamment de toutes demandes relatives aux mesures provisoires déjà tranchées par l’ordonnance.

L’article 255 du Code civil qui s’intéresse à la compétence du juge lors des mesures provisoires, dresse une liste non exhaustive des questions sur lesquelles celui‑ci peut statuer3. L’article 267 du Code civil dispose que le juge aux affaires familiales « peut, même d’office, statuer sur la détermination du régime matrimonial applicable aux époux ». C’est ainsi que dans un arrêt de la première chambre civile en date du 24 février 2016, la Cour de cassation a retenu au visa de cet article qu’« il entre dans les pouvoirs [du juge conciliateur] de se prononcer sur le régime matrimonial des époux ». Elle ne précise pas si cette compétence est limitée à l’hypothèse où ce juge est saisi de demandes relatives aux mesures provisoires lui imposant de déterminer le régime matrimonial applicable. Cette limitation au principe donnant compétence au juge de la mise en état pour statuer sur le régime matrimonial applicable aux époux est donc ajoutée par la cour d’appel de Grenoble.

Cette limitation fait écho à celle retenue dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 20244, relatif à la loi applicable au divorce, à l’occasion duquel la juridiction suprême a retenu que la compétence du juge pour statuer sur la loi applicable au divorce était limitée à l’existence d’une autre contestation qui rendait nécessaire cette décision. Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel de Grenoble semble retenir le même raisonnement en matière de loi applicable au régime matrimonial.

Cette condition à la compétence du juge des mesures provisoires a été ensuite également été retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 10 septembre 2025 qui énonce que la décision du juge de la mise en état ayant statué sur le régime matrimonial applicable aux époux lors de l’ordonnance sur mesures provisoires « ne procède pas d’un excès de pouvoir, dès lors qu’elle était requise pour statuer sur une demande de mesures provisoires sur laquelle le régime matrimonial était de nature à exercer une influence ». La cour d’appel de Grenoble a donc exactement anticipé la décision de la Cour de cassation.

Cette condition à la compétence du juge pour statuer sur le régime matrimonial applicable aux époux ajoutée par la cour d’appel de Grenoble puis retenue par la Cour de cassation limite la compétence du juge des mesures provisoires d’une manière défavorable à la résolution amiable du litige.

2. Une limitation en défaveur de l’amiable

Par le dernier arrêt de la Cour de cassation et celui étudié de la cour d’appel de Grenoble, les juges viennent limiter le renforcement des compétences du juge conciliateur initiée par une jurisprudence du 20 mars 20135. S’il est nécessaire pour le juge d’appréhender, dès la requête en divorce, la liquidation du régime matrimonial afin d’éviter que les mesures provisoires n’entrent en contradiction avec l’état liquidatif définitif ou que certaines dispositions ne portent atteinte de manière irrémédiable aux droits de l’un d’eux6, cette compétence pour statuer sur le régime matrimonial applicable aux époux se limite au cas où une demande exige cette décision.

L’extension de la compétence du juge des mesures provisoires a été reconnue comme allant dans le sens d’une bonne administration de la justice7 car il serait autrement impossible au juge conciliateur d’exercer ses pouvoirs « pré‑liquidatifs8 » pour accorder une provision ou la jouissance d’un bien ou désigner un professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif ou encore de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux par exemple. Il nous semble cependant que la bonne administration de la justice correspond également à une chance laissée aux parties engagées dans une procédure de prendre la voie de l’amiable. Le juge conciliateur est devenu un « juge préparateur9 ». En effet, il n’est plus, depuis la réforme du divorce, conciliateur mais sa mission de « préparation » pourrait encore être favorable à une voie amiable.

Or cette limitation peut surprendre en ce qu’elle semble contraire à cet encouragement à l’amiable. Alors que les MARD sont en expansion, cette limitation ne permet pas, comme en matière de césure du procès civil10, qu’il soit jugé sur un élément de leur litige pour discuter ensuite de ses conséquences. Alors que les époux sont encouragés à commencer les discussions relatives à la liquidation de leur régime matrimonial suite aux mesures provisoires11, celles‑ci vont être freinées par l’ajout de cette nouvelle condition. En outre, l’amiable peut permettre de résoudre certaines difficultés juridiques plus aisément. Malgré cela et les difficultés rencontrées par les professionnels du droit et notamment les juges pour déterminer le régime matrimonial et distinguer le provisoire du définitif dans la procédure de divorce, il n’est laissé aucune place à un potentiel accord. Lorsque les deux parties souhaitent que soit statué sur le régime matrimonial avant la décision au fond pourquoi leur refuser ? Déterminer le régime matrimonial applicable permet aux parties et au notaire de travailler sur la liquidation du régime et de dresser un état liquidatif si les époux venaient à vouloir divorcer par consentement mutuel déjudiciarisé. L’article 255 du Code civil, dixièmement, permettant au juge des mesures provisoires de « désigner un notaire en vue d’élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager », semble même rendre nécessaire cette décision pour que le notaire soit mis en position d’exercer sa mission12. Le travail avec le notaire pourrait même aller jusqu’à donner mission au notaire qu’il désigne, en application de la même disposition, de « formuler tout avis utile quant à la loi applicable au régime matrimonial au regard des pièces et documents communiqués par les époux13 ».

Cependant, cet ajout des juges grenoblois peut aussi se comprendre. Cette limitation de la compétence du juge de la mise en état peut, en effet, permettre d’éviter la multiplication des demandes en mesures provisoires et des incidents, sources de charge de travail supplémentaire pour la juridiction. Il est ici, comme dans bien d’autres problématiques de procédure, question de l’équilibre entre le développement de l’amiable et la gestion de la charge de travail des juridictions.

Notes

1 Cass. civ. 1re, 24 février 2016, no 15‑14.887 ; B. Gardey De Soos, « Vers un renforcement des pouvoirs du juge conciliateur », RJPF, no 4, avril 2016, 4, p. 21 et suiv. ; A. Devers, « Les pouvoirs du juge conciliateur s’agissant des intérêts patrimoniaux des époux », Droit de la famille, no 4, avril 2016, comm. 98 ; L. Dimitrov et L. Ben Simon, « Précisions sur les pouvoirs du juge aux affaires familiales en matière de liquidation pendant la procédure de divorce », La Gazette du Palais, no 26, juillet 2016, 26, p. 57 et suiv. ; J.‑R. Binet, « La détermination du régime matrimonial relève des pouvoirs du juge conciliateur », Droit de la famille, mai 2016, comm. 101 ; J. Hauser, « Mesures provisoires et juge de la conciliation », RTD civ., no 2, avril 2016, p. 326 ; C. Lesbats, « Les pouvoirs du juge dans l’ordonnance de non‑conciliation », JCP N, no 4, janvier 2017, 1048. Retour au texte

2 Cass. civ. 1re, 10 septembre 2025, no 24‑12.475 ; V. Egea, « Les pouvoirs du juge de la mise en état pour déterminer la loi applicable au régime matrimonial », Droit de la famille, no 11, novembre 2025, comm. 147. Retour au texte

3 C’est ce qui ressort de l’utilisation de l’adverbe « notamment ». Retour au texte

4 Cass. civ. 1re, 23 mai 2024, no 22‑17.049 ; A. Devers, « Excès de pouvoir du juge conciliateur qui statue sur la loi applicable au divorce », Droit de la famille, no 7‑8, juillet‑août 2024, comm. 104 ; C. Anger et F. Cassoudesalle, « Enfin la possibilité, quand cela est nécessaire de pouvoir trancher au stade des mesures provisoires, la loi applicable au fond », La Gazette du Palais, no 26, juillet 2024 ; M. Barba, « Le juge conciliateur statuant sur la loi applicable », RCDIP, no 4, octobre 2024. Retour au texte

5 Cass. civ. 1re, 20 mars 2013, no 12‑19.835 ; C. Bléry, « Excès de pouvoir : ouverture d’un recours restauré immédiat », Lamy Droit civil, no 104, mai 2013, 104, p. 67 et suiv. ; O. Salati, « Irrecevabilité du pourvoi en cassation », JCP G, no 14, avril 2013, 2, p. 255 et suiv. Retour au texte

6 B. Gardey De Soos, « Vers un renforcement des pouvoirs du juge conciliateur », RJPF, no 4, avril 2016, 4, p. 21 et suiv. Retour au texte

7 C. Anger et F. Cassoudesalle, « Enfin la possibilité, quand cela est nécessaire de pouvoir trancher au stade des mesures provisoires, la loi applicable au fond », La Gazette du Palais, no 26, juillet 2024. Retour au texte

8 Art. 255 du Code civil 7°, 8°, 9° et 10°.
Pour rappel, les mesures provisoires sont soumises à la loi du for. Voir Cass. civ. 1re, 13 mai 2015, no 13‑21.827 ; H. Gaudemet‑Tallon, « Union européenne », RCDIP, 2015, p. 940 ; F. Monéger, « Conflit de juridiction », JDI (Clunet), no 4, octobre 2015, comm. 19, p. 155 ; A. Devers, « Les mesures provisoires prises dans le cadre d’une procédure internationale de divorce », RJPF, no 7‑8, p. 22 et suiv. ; complété par Cass. civ. 1re, 19 octobre 2016, no 13‑21.827. Retour au texte

9 J. Hauser, « Mesures provisoires et pouvoirs du juge de la conciliation », RTD Civ., 2016, p. 326. Retour au texte

10 CPC, art. 807‑1 et suiv. Retour au texte

11 Article 265‑2 du Code civil qui dispose que : « Les époux peuvent, pendant l’instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial. » Retour au texte

12 En ce sens : A. Devers, « Excès de pouvoir du juge conciliateur qui statue sur la loi applicable au divorce », Droit de la famille, no 7‑8, juillet‑août 2024, comm. 104. Retour au texte

13 A. Devers, « Les pouvoirs du juge conciliateur s’agissant des intérêts patrimoniaux des époux », Droit de la famille, no 4, avril 2016, comm. 98. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Blandine Cretallaz, « Incompétence du juge des mesures provisoires pour statuer sur le régime matrimonial indépendamment de toute demande au titre des mesures provisoires », BACAGe [En ligne], 05 | 2025, mis en ligne le 18 décembre 2025, consulté le 19 décembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=1356

Auteur

Blandine Cretallaz

Doctorante en droit privé et sciences criminelles, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
blandine.cretallaz[at]univ-grenoble-alpes.fr

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