Depuis la loi ALUR1 no 2014‑366 du 24 mars 2014, les rapports entre bailleurs et locataires dans les logements meublés affectés à la résidence principale du preneur sont régis par le titre I bis de la loi no 89‑462 du 6 juillet 1989. Cette intégration des baux de locaux loués meublés au sein de la loi de 1989 emporte application à ces derniers d’une pluralité de dispositions élaborées pour la location de logement nu à usage d’habitation principale, dont la liste est reproduite à l’article 25‑3 de la loi. Il en résulte que les règles du congé énoncées à l’article 15 de la loi pour les logements nus ne sont pas applicables à la location des logements meublés. Un texte spécial régit ce congé pouvant être adressé par une partie à l’autre : l’article 25‑8.
Or, dans l’affaire qui a donné lieu à la décision rapportée, les bailleurs ont donné congé à leurs locataires d’un logement loué meublé depuis le 1er février 2013, et prorogé tacitement depuis cette date, selon les dispositions de l’article 15 de la loi précitée. Ils ont en conséquence adressé à leurs locataires un congé motivé par leur volonté de vendre, assortie d’une offre d’achat, indiquant le prix et les conditions de la vente projetée.
C’est donc en conséquence d’une erreur de droit qu’ils ont ouvert à leurs locataires un droit de préférence à l’achat de leur bien. Ces derniers, jugeant le prix dissuasif, n’ont pas donné suite à cette proposition et sont restés dans les lieux loués. Les bailleurs ont alors, pour des raisons non précisées par l’arrêt rapporté, délivré un second congé pour vendre avant d’assigner leurs locataires devant le tribunal compétent en 2018. Cette première procédure n’est pas allée à son terme en raison de l’absence de diligences des demandeurs, sans doute informés de l’irrégularité de leurs congés.
Ces derniers n’ont cependant pas désemparé. Ils ont de nouveau fait délivrer un congé pour vendre à ceux qui étaient encore leurs locataires, faute d’avoir reçu un congé régulier en la forme, le 29 juillet 2021, à effet au 31 janvier 2022.
Les occupants n’ayant pas libéré les lieux loués à cette date, les propriétaires les ont mis en demeure de le faire sans délai, par courrier officiel en date du 1er mars 2023. Là encore, les propriétaires se sont heurtés à la résistance des occupants et les ont assignés devant le juge des contentieux de la protection aux fins, notamment, de voir ordonner leur expulsion. Leur demande fut accueillie par jugement du 30 novembre 2023 dont les occupants ont interjeté appel.
Ces derniers invoquent, au soutien de leur demande d’infirmation du jugement de première instance, la nullité des congés délivrés qu’ils considèrent frauduleux en raison du fait que le prix proposé par les bailleurs ne correspondait pas au prix du marché et que les bailleurs n’avaient pas de réelle intention de vendre.
Les intimés semblaient leur donner partiellement raison en ce qu’ils ne considèrent leurs anciens locataires comme occupants sans droit ni titre que depuis le 31 janvier 2022. Sans doute estimaient‑ils que les congés antérieurement délivrés étaient privés d’efficacité pour une ou des causes que l’arrêt ne relève pas. Aussi nous ne nous attarderons pas sur ce point.
L’arrêt de la cour d’appel de Grenoble présente l’intérêt, outre de rappeler quelle peut être l’influence du décès d’une partie sur l’instance civile en cours, d’illustrer la fraude en matière de congé donné par le bailleur à son locataire.
Le décès d’un des intimés, survenu avant l’ouverture des débats mais notifié après, n’interrompt pas le cours de la procédure2 dans les cas où l’action est transmissible3. La réouverture des débats sollicités par les intimés afin de mettre en cause les héritiers du bailleur prédécédé ne fut donc pas accordée. S’agissant du congé, la cour d’appel va successivement en apprécier la validité et le caractère frauduleux.
On rappellera ici que le bailleur d’un local loué meublé, qui ne souhaite pas renouveler le contrat soumis à la loi du 6 juillet 1989, doit informer le locataire de sa décision en respectant un préavis de trois mois et motiver son refus soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux. En l’absence de motif indiqué, comme en cas d’indication d’un motif non réel, le congé pourra être annulé par le juge qui procède, éventuellement d’office, au contrôle de sa validité.
Les juges d’appels se sont donc attachés à déterminer si le motif de non‑reconduction du bail était justifié et réel. Pour ce faire, ils ont apprécié la pertinence du prix de vente indiqué par les bailleurs au titre de l’offre de vente adressée à leurs locataires. Or, s’il est certain que lorsque le preneur dispose d’un droit de préemption, légal ou conventionnel, le bailleur ne peut, sauf à être convaincu de fraude, lui proposer un prix d’achat disproportionné en regard de la réalité du marché de l’immobilier. Une telle proposition est indubitablement, dès lors qu’elle est établie, de nature à entraîner la nullité du congé. Mais cette cause de nullité n’est pas transposable au congé donné par le bailleur d’un logement loué meublé. Ce congé n’a pas à préciser le prix de la vente envisagée ni les conditions de celle‑ci. Un prix dissuasif mentionné dans ce congé ne pourrait conséquemment conduire à sa nullité. Il n’était donc nul besoin aux juges d’appel d’apprécier la pertinence de ce prix4.
La sincérité des bailleurs dans leur volonté de vendre pouvait cependant être questionnée. Les preneurs n’ont pas manqué de le faire en s’appuyant sur le fait que les propriétaires n’avaient procédé à aucune démarche pour mettre en vente leur bien. L’argument est balayé par la cour qui relève que les divers congés adressés par les bailleurs ainsi que la demande d’estimation de leur bien dès avant le premier congé, étaient de nature à caractériser leur volonté de vendre, bien que les deux premiers congés fussent irréguliers. S’ajoutent à ces deux circonstances des échanges de courriels avec un agent immobilier, corroborant cette volonté. Le motif allégué par les bailleurs était donc exempt de suspicion de fraude aux droits des locataires. Et l’on ne peut qu’approuver la cour d’appel d’avoir retenu que l’absence de mise en vente immédiate des locaux, alors qu’ils étaient encore occupés, n’est pas en soi suffisante pour établir son caractère frauduleux.
L’expulsion des locataires est donc confirmée ainsi que leur obligation de verser une indemnité d’occupation aux propriétaires des lieux jusqu’à leur libération et cela à compter de la date d’effet du congé régulier, et non à celle de la signification de la décision constatant sa validité comme le jugement de première instance l’avait retenu.
