Le monde à l’envers. Il est fréquent que le créancier doive subir les rigueurs de la procédure collective touchant le débiteur. Ainsi, à compter du jugement d’ouverture, les voies d’exécution et les procédures de distribution n’ayant pas opéré effet attributif sont arrêtées et interdites (C. com, art. L. 622‑21 II). De manière plus originale — et inédite à notre connaissance — le présent arrêt met en exergue l’incidence réelle de la procédure collective affectant le créancier saisissant, plus rare en pratique, sur le déroulement d’une saisie en cours.
Les faits et la procédure. La décision commentée présente des faits très voisins de celle rendue le même jour sous le numéro 24/02220, le même créancier étant concerné1. En l’espèce, une personne physique a souscrit en 2005 auprès d’une banque luxembourgeoise un contrat de prêt notarié Equity release, prêt de droit luxembourgeois voisin du prêt viager hypothécaire français. Le même jour, l’emprunteur consent donc au profit de la banque une sûreté réelle sur le bien immobilier. La banque est ensuite placée en liquidation judiciaire. Faisant application de l’article 9‑3 du contrat, qui rend immédiatement exigible la créance totale de remboursement lorsque la valeur des biens donnés en garantie devient inférieure à 90 %, le liquidateur judiciaire de la banque, après vaine mise en demeure, poursuit le débiteur en paiement devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, qui condamne le débiteur, ce qui est confirmé par la cour d’appel de Luxembourg en 2021. Le liquidateur fait pratiquer en 2023 sur les comptes bancaires détenus en France par le débiteur une saisie‑attribution, fructueuse à hauteur de moins de 2 000 € sur les presque 2 500 000 € de créance. Le débiteur saisit alors le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Vienne en contestation et mainlevée de la saisie, sollicitant également une indemnisation pour saisie abusive. Le juge de l’exécution de Vienne le déboute, validant la saisie‑attribution et écartant l’abus de saisie. Il déclare irrecevable le moyen tiré de l’incompétence de la juridiction luxembourgeoise au profit des juridictions françaises pour statuer sur la demande en paiement de la banque, dès lors que le contrat, accepté, prévoyait une telle clause attributive de juridiction au tribunal luxembourgeois et qu’un tel moyen a déjà été rejeté par ce tribunal. Faisant implicitement application d’une récente jurisprudence de la Cour de cassation2, le juge de l’exécution viennois reconnaît la compétence de principe du juge de l’exécution pour apprécier le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat servant de fondement aux poursuites, dès lors que ce contrôle n’a pas déjà été opéré par un autre juge (le juge luxembourgeois en l’espèce). Le juge viennois, dubitatif sur l’applicabilité à l’espèce d’une telle jurisprudence, fondée sur la qualité de consommateur du débiteur, écarte en tout état de cause le caractère abusif des clauses. Le débiteur interjette appel de cette décision. Il fait toujours valoir l’existence de clauses abusives dans le contrat, demandant à ce qu’elles soient réputées non écrites mais aussi que le contrat soit annulé, dans la mesure où l’une des clauses abusives réputées non écrites constitue l’objet principal du contrat. Par conséquent, faute de titre exécutoire efficace, la saisie opérée est nulle ; le débiteur en demande la mainlevée et demande une indemnisation pour abus de saisie, à opérer par compensation sur les sommes à restituer. La banque intimée estime quant à elle que seul le droit luxembourgeois est applicable en vertu du contrat, que le droit de la consommation n’est pas applicable au regard des caractéristiques particulières du contrat Equity release et oppose l’irrecevabilité des demandes tendant à annuler le contrat de prêt, ordonner une restitution de la banque et minorer les sommes dues, en raison du principe de suspension des poursuites individuelles contre la banque en procédures collectives, posé par l’article 452 du Code de commerce luxembourgeois.
La décision de la cour d’appel de Grenoble. La cour constate que la loi choisie par les parties pour régir le contrat Equity release ainsi que les droits et obligations en découlant était la loi luxembourgeoise. Elle conclut donc que la demande d’annulation du contrat, consécutive à l’existence alléguée d’une clause abusive touchant à l’objet même du contrat et formulée par le débiteur, relève du droit luxembourgeois. C’est donc l’ensemble du droit luxembourgeois qui s’applique au contrat et aux parties à ce contrat. Le prêteur, ici créancier, mais étant par ailleurs débiteur placé en liquidation judiciaire au Luxembourg, s’applique donc, à son égard, l’arrêt des poursuites individuelles du droit luxembourgeois. Par ailleurs, selon la cour, en vertu de la
directive no 2001/24/CE du 4 avril 2001 sur l’assainissement et la liquidation des établissements de crédits (transposée dans le droit luxembourgeois par la loi du 19 mars 2004 et dans le droit français par l’ordonnance du 21 octobre 2004) la décision ouvrant une procédure de liquidation, prise par l’autorité administrative ou judiciaire de l’État membre d’origine, est reconnue sans aucune autre formalité, sur le territoire de tous les autres États membres et y produit ses effets dès qu’elle les produit dans l’État membre d’ouverture de la procédure.
Ainsi le jugement de liquidation judiciaire luxembourgeois et l’effet particulier qu’il produit, à savoir l’arrêt des poursuites individuelles, doivent recevoir application en France.
Reste à savoir en quoi la demande, ici de l’emprunteur, débiteur au titre du contrat de prêt, peut s’analyser en une action contre le débiteur en procédures collectives (la banque prêteuse) qui puisse être paralysée par l’arrêt des poursuites individuelles. La cour de Grenoble considère que « l’action en mainlevée de la saisie‑attribution constitue une action patrimoniale et tend à la diminution de l’actif de la banque ». Exercée après l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire par l’emprunteur, « créancier chirographaire dont la créance est née avant l’ouverture de cette procédure », elle se heurte à l’arrêt des poursuites individuelles et est donc irrecevable.
Objet de l’étude. Riche, le présent arrêt ne sera commenté que sous l’angle de son apport au droit des procédures civiles d’exécution. Par ailleurs, il ne nous appartient pas de commenter le droit luxembourgeois ici appliqué. Toutefois, il peut être remarqué la proximité du droit de la faillite luxembourgeois et du droit des procédures collectives français3 et plus particulièrement l’existence, dans les deux droits, d’un principe d’arrêt des poursuites individuelles contre le débiteur, respectivement posé à l’article 452 du Code de commerce luxembourgeois ici en cause4 et à l’article L. 622‑21 du Code de commerce français5. Toutefois, quant aux créanciers concernés, le périmètre de l’arrêt des poursuites est plus restreint en droit luxembourgeois : s’il vaut pour tous les créanciers antérieurs chirographaires et titulaires d’un privilège général, il ne s’applique pas au créancier gagiste6. Remarquons qu’ici, la demande de mainlevée était formulée par l’emprunteur, chirographaire. De ce point de vue, la solution n’aurait pas été différente si le droit français des procédures collectives avait été applicable. Quant aux actions concernées par l’arrêt des poursuites, elles semblent très largement définies en droit luxembourgeois puisque sont visées « toutes actions mobilières ou immobilières7 », tandis que le texte français ne concerne que les actions tendant « 1° À la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; 2° À la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ». À cet égard, la présente étude consistera à se demander si la même demande de mainlevée, relevant cette fois du droit français des procédures collectives, aurait conduit à la même solution, très défavorable pour le débiteur objet d’une saisie. Ainsi, une telle confrontation du droit des procédures collectives et du droit des procédures civiles d’exécution invite d’abord à cerner les enjeux de la soumission de la demande de mainlevée à l’arrêt des poursuites individuelles (1) puis à dégager les possibles paramètres d’une telle soumission (2).
1. Les enjeux de la soumission de la demande de mainlevée à l’arrêt des poursuites individuelles
Les enjeux doivent être appréciés tant au regard du droit des procédures collectives (1.1) que du droit des procédures civiles d’exécution (1.2).
1.1. Les enjeux au regard du droit des procédures collectives
Fondement de l’arrêt des poursuites individuelles. L’arrêt des poursuites individuelles « repose sur le caractère collectif et égalitaire de la procédure8 » : le paiement n’est plus le prix de la course du créancier. Pour autant, les actions paralysées par l’arrêt des poursuites individuelles ne sont plus aujourd’hui limitées aux actions tendant au paiement d’une somme d’argent. L’arrêt des poursuites a ainsi été étendu par la loi du 25 janvier 1985 aux actions en résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. De manière sous‑jacente, se dessine en effet le risque corollaire d’une condamnation du débiteur à restituer la prestation reçue, évaluée en argent.
Par ailleurs, la jurisprudence a élargi l’arrêt des poursuites aux actions en exécution d’une obligation de faire, postulant que « toute obligation de faire se résout en dommages‑intérêts en cas d’inexécution par le débiteur et que, sous couvert de condamnation [du débiteur à exécuter, la demande du créancier] ne tendait qu’au paiement d’une somme d’argent pour une cause antérieure à l’ouverture de la procédure collective9 ». Toutefois, l’admission, par l’ordonnance du 10 février 2016, du principe d’exécution en nature de l’obligation10 est certainement de nature à cantonner un tel élargissement.
Doit être enfin signalée une décision qui fait échapper l’action en annulation du contrat et l’action en résolution pour inexécution des prestations à l’arrêt des poursuites individuelles, la cour prenant soin de préciser que le créancier ne demandait pas en l’espèce la condamnation du vendeur au paiement d’une somme d’argent, n’invoquait pas le défaut de paiement d’une telle somme ni même ne réclamait la restitution du prix de vente11. Si l’acheteur consommateur cherchait en effet ici à annuler la vente, c’était afin de faire tomber le contrat de prêt lié à cette vente.
Un critère délicat. Il semble que les actions arrêtées sont celles qui font naître un risque avéré de nouveau passif pour le débiteur en procédures collectives. Il n’est toutefois pas évident de saisir une ligne directrice claire et précise discriminant les actions soumises à l’arrêt des poursuites et celles qui ne le sont pas. À ce titre, la qualification de l’action en mainlevée est donc délicate et ce d’autant plus que l’impossibilité d’exercer une telle action viendrait bouleverser l’équilibre du droit des procédures civiles d’exécution.
1.2. Les enjeux au regard du droit des procédures civiles d’exécution
Privation d’un recours. Le débiteur objet d’une saisie doit disposer de la possibilité de contester devant le juge de l’exécution la saisie ainsi que la validité et l’efficacité du titre exécutoire qui fonde la saisie. Rappelons que le Conseil constitutionnel, constatant l’absence de disposition permettant à un débiteur de former une contestation, a jugé que les textes relatifs à la compétence générale du juge de l’exécution étaient « entachés d’incompétence négative dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif12 ». Il faut donc mesurer à cette aune l’impossibilité pour le débiteur saisi de faire valoir ses droits que constitue l’irrecevabilité d’une demande de mainlevée, en raison de l’arrêt des poursuites individuelles.
Objet de la demande de mainlevée. La mainlevée de la saisie est la conséquence de la nullité ou de la caducité de la saisie constatée par le juge ; elle permet de libérer le bien du débiteur de la main de justice et de restituer ce dernier au débiteur. Il ne s’agit donc pas pour le débiteur saisi de venir saigner un débiteur en procédures collectives (en l’occurrence son créancier) déjà bien mal en point. Il s’agit, pour le débiteur objet de la saisie d’éviter la privation, souvent irréversible, de son bien. Par comparaison avec une action en paiement, il faut bien réaliser que si une telle action individuelle est paralysée, c’est parce qu’elle sera exercée, pour le compte de tous les créanciers et au nom de la discipline collective, par le mandataire judiciaire. Or, on voit mal comment le mandataire judiciaire pourrait exercer collectivement une action qui vise à restituer un bien à son seul propriétaire.
Demande de mainlevée et risque de nouveau passif. Pour autant, la demande qui conduit à la mainlevée (contestation du titre exécutoire notamment) peut induire un risque de nouveau passif pour le débiteur en procédures collectives, créancier ici (créance de restitution). Il faut donc concilier le droit des procédures collectives et le droit des procédures civiles d’exécution et, à notre sens, interpréter le plus restrictivement possible l’article L. 622‑21 du Code de commerce.
2. Les possibles paramètres de la soumission de la demande de mainlevée à l’arrêt des poursuites individuelles
Les critères posés par la cour d’appel de Grenoble. Affirmant que « l’action en mainlevée de la saisie‑attribution constitue une action patrimoniale et tend à la diminution de l’actif de la banque », la cour d’appel de Grenoble semble dégager les critères d’une action soumise à l’arrêt des poursuites. S’agit‑il de deux critères cumulatifs ? La conjonction « et » le laisse supposer. En outre, le seul critère de « l’action patrimoniale » ne serait pas assez sélectif et adapté, tout du moins si on le comprend comme s’opposant aux actions extrapatrimoniales, évidemment exclues. À ce titre, l’action en mainlevée de la saisie, tendant à la restitution du bien saisi, est sans doute possible une action patrimoniale. Remplit‑elle pour autant les conditions de l’article L. 622‑21 du Code de commerce ?
Le second critère mis au jour se veut certainement la synthèse de ces conditions : l’action doit « ten[dre] à la diminution de l’actif ». Une interrogation se fait jour : l’action visée doit‑elle tendre à la diminution de l’actif, comme l’affirme la cour ou doit‑elle tendre à l’augmentation du passif, ce qui nous semblait mieux synthétiser l’article L. 622‑21 du Code de commerce ? Ou encore, doit‑elle tendre à affecter défavorablement le patrimoine du débiteur en procédures collectives, soit en minorant l’actif, soit en accroissant le passif ?
Quoiqu’il en soit, la motivation non générale de l’arrêt, relative à la seule « demande de mainlevée de la saisie‑attribution », saisie particulière, invite à questionner la portée réelle de l’arrêt et à dégager des paramètres tenant compte de toute la diversité des situations pouvant se présenter.
Distinction de la demande de mainlevée et de la demande d’indemnisation pour saisie abusive. Il ne peut être nié qu’une demande d’indemnisation des dommages subis par le débiteur en raison d’un abus de saisie accompagne souvent la demande de mainlevée. Si tel est le cas, l’action en indemnisation, tendant indubitablement au paiement d’une somme d’argent, se trouve par conséquent irrecevable13. En revanche, l’action en mainlevée peut subir un sort différent14.
Si la demande de mainlevée n’est pas accompagnée d’une demande d’indemnisation15, il ne saurait, à notre sens, être fait état par le juge d’une possible demande ultérieure en indemnisation pour abus de saisie aux fins de paralyser la demande de mainlevée. En effet, le risque d’un passif nouveau (si tel est bien le critère) reste ici hypothétique.
Objet de la contestation de la saisie aboutissant à la mainlevée. La clé de la correcte qualification de la demande en mainlevée, au regard de la règle de l’arrêt des poursuites individuelles, tient selon nous à l’examen préalable de l’objet de la contestation de la saisie aboutissant à la mainlevée. Deux situations sont alors à envisager.
La première situation concerne les contestations ayant pour effet l’anéantissement de la créance du créancier saisissant (notamment demande tendant à faire réputer non écrite une clause abusive fondant la créance du débiteur, comme c’était le cas ici ; demande tendant à la remise en cause de la créance constatée par acte notarié ou par accord homologué) ou la diminution de la créance (demande de compensation, contestation de la liquidité ou de l’exigibilité de la créance, preuve d’un paiement partiel). Une telle action a indubitablement un effet patrimonial négatif pour le débiteur en procédures collectives. Elle minore l’actif de ce débiteur, la créance étant anéantie ou diminuée. Dans une conception large, concrète et trébuchante, par le jeu du remboursement corollaire à opérer, il pourrait également être considéré que le passif s’accroît. Dans un tel cas, il semble bien que la demande de mainlevée du débiteur saisi doive être paralysée par l’arrêt des poursuites.
En revanche, lorsque la demande de mainlevée est liée à la nullité ou la caducité de la mesure d’exécution, fondée sur une irrégularité formelle de la mesure (en raison, notamment, du non‑respect des formalités, des délais prescrits) ou de l’insaisissabilité d’un bien, l’incidence patrimoniale négative n’est pas évidente. D’autres paramètres doivent alors être convoqués.
Type de saisie : la particularité des saisies attributives. La cour de Grenoble met en avant la saisie ici en cause : une saisie‑attribution. Le grand intérêt de cette saisie pour le créancier est son effet attributif de principe16 : dès l’acte de saisie, la créance dont était titulaire le débiteur saisi sur le tiers saisi (ici l’établissement teneur de comptes, débiteur d’une obligation de restitution des sommes déposées) est immédiatement transmise au créancier saisissant (même si le paiement a lieu dans un second temps, une fois le délai de recours du débiteur purgé). Dès lors, toute nullité ou caducité de la saisie emporte anéantissement de la transmission de créance au profit du créancier saisissant (ici débiteur en procédures collectives). Même avant tout paiement, il y a donc perte d’une créance donc diminution de l’actif du débiteur en procédures collectives. Si le paiement avait été fait au créancier saisissant, le remboursement à opérer peut être considéré comme un accroissement de passif. Il y a donc tout lieu de croire que l’action en mainlevée d’une saisie‑attribution serait paralysée, quel que soit le stade de la procédure, par la règle de l’arrêt des poursuites individuelles.
Autres saisies : moment de la procédure civile d’exécution. Pour les saisies sans effet attributif, il semble qu’il faille distinguer selon le moment où intervient la demande de mainlevée pour irrégularité de la mesure. Les contestations étant généralement, en vue de l’efficacité de la procédure civile d’exécution, enserrées dans des délais, la demande de mainlevée interviendra dès lors généralement avant tout paiement du créancier (ici débiteur en procédures collectives). Certes, le créancier ne sera jamais payé mais en tout état de cause, ni l’actif n’est diminué, ni le passif n’est accru. Une telle demande en mainlevée ne devrait donc pas être soumise à l’arrêt des poursuites individuelles, sauf à considérer que l’échec de la saisie revient à mettre définitivement à la charge du créancier, qui les avait avancés au commissaire de justice, les frais de la procédure.
Comme le lecteur a pu le constater, l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble soulève de très intéressantes questions et il nous tarde de lire d’autres arrêts sur le sujet.
