Vente : garantie des vices cachés et délai pour agir

DOI : 10.35562/bacage.290

Décision de justice

CA Grenoble, 2e ch. civ. – N° RG 21/00823 – 06 décembre 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 21/00823

Date de la décision : 06 décembre 2022

Résumé

L’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un délai d’action de deux ans, qualifiés de forclusion. Cette qualification n’est pas sans conséquences sur le décompte du délai comme le démontre la décision ici rapportée.

La question du délai pour agir en matière de garantie des vices cachés est l’objet de dissensions plurielles. C’est à la lumière d’un aspect de ces oppositions, le délai pour agir, que la présente décision de la Cour d’appel de Grenoble sera analysée.

Les faits de l’espèce ne présentent pas de particularité majeure. Des lots de copropriété sont vendus par une société à trois personnes. À l’occasion des démarches initiées par les copropriétaires souhaitant faire réaliser des travaux d’aménagement des combles rattachés à leurs lots, des fragilités du bâti sont constatées. Une entreprise est alors mandatée par le syndicat des copropriétaires pour faire face à ce constat. Les travaux conservatoires réalisés, commandés en urgence en 2011 en suite de dégâts liés à des voies d’eau, ont mis en exergue la vétusté du bâtiment comme la nécessité de réaliser une reprise totale de la charpente. Cet état a été confirmé par l’étude commandée à un ingénieur structure afin de déterminer la faisabilité du projet d’aménagement des combles. Le rapport, déposé le 19 décembre 2012 par cet ingénieur, relève, de manière éloquente, que « les charpentes des zones 1 à 3 sont dans un état structurel correct. Des travaux de réparation sont nécessaires : moisage d’about de pannes, création de point d’appui intermédiaire visant à réduire les portées, stabilisation des appuis. La zone 4 présente un risque élevé de ruine. Sa réparation est inconcevable, il convient de procéder à son remplacement. Lors de notre intervention, nous n’avons pas procédé à la vérification de la couverture de type tuile à emboîtement mécanique. Nous n’avons pas constaté de fuite ». Il est par ailleurs précisé que « la zone 4 qui est à remplacer a été sinistrée par un incendie et que des ouvertures ont été pratiquées de manière sauvage dans le mur de refend pour permettre le passage d’une gaine de VMC sans qu’aucun renfort de type linteau n’ait été réalisé ».

En suite de ce rapport, le syndicat des copropriétaires, agit en responsabilité, en référé, contre l’entreprise ayant accompli les travaux de réfection de la charpente en 2011. Une expertise est prescrite par ordonnance du juge des référés du 5 juin 2014. L’expert dépose son rapport le 20 mai 2015.

Le syndicat des copropriétaires, nouvellement représenté, introduit alors une action indemnitaire au fond, devant le tribunal judiciaire de Vienne, contre la société venderesse, son mandataire, l’ancien syndic ainsi que l’entreprise ayant réalisé les travaux d’urgence. Si la venderesse est mise en cause au titre de la garantie qu’elle doit aux acquéreurs à raison des vices cachés du bien vendu, les autres intimés se voient reprocher, pour deux d’entre eux, un manquement à leur devoir de conseil, qui ne sera pas avéré, et pour l’autre, une négligence fautive jugée non établie.

C’est ainsi que, par un jugement contradictoire en date du 17 décembre 2020, les premiers juges déclarent irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires de l’immeuble dirigées à l’encontre de la société venderesse et le déboutent de ses demandes dirigées à l’encontre de l’entrepreneur et du syndic.

En appel, le syndicat des copropriétaires maintient ses demandes. Aussi les conseillers d’appel se sont-ils prononcés sur la question de savoir si l’action du syndicat était recevable. Pour ce faire, ils ont dû déterminer le point de départ du délai de prescription biennale de la garantie des vices cachés et, avec lui, celui de la date de la connaissance « pleine et entière » du vice.

Les défendeurs à l’action en garantie estimaient que cette date était à fixer au jour de la première visite de l’entrepreneur qui constate, notamment, que « un élément met en péril la stabilité du toit et la sécurité des habitant », soit le 18 décembre 2011. L’assignation en référé tendant à voir désigner un expert n’ayant été délivrée que le 24 mars 2014, soit plus de deux ans après la découverte du vice, l’action serait prescrite.

La cour d’appel retiendra quant à elle la forclusion de l’action du syndicat des copropriétaires. Elle rappelle qu’il appartient au demandeur en garantie des vices cachés non seulement de rapporter la preuve que la chose vendue était affectée d’un défaut inhérent à celle-ci, antérieur à la vente et compromettant l’usage de la chose vendue, mais également d’agir dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. Elle précise que le point de départ de ce délai correspond au jour de la connaissance du vice, voire de la connaissance de l’ampleur et de la gravité du vice et, qu’en vertu de l’article 2241 du Code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Elle complète ces propos en indiquant qu’il résulte de l’article 2242 du même code que l’effet interruptif de la demande en justice perdure jusqu’à l’extinction de l’instance, laquelle s’entend, pour une action en référé, de la date de l’ordonnance du juge des référés et non pas de la date du dépôt du rapport d’expertise par l’expert judiciaire commis. Ce faisant elle retient que le point de départ du délai de forclusion doit être fixé au jour où les copropriétaires ont eu connaissance de l’ampleur et de la gravité du vice.

Elle date celui-ci au 19 décembre 2012, jour du dépôt du rapport de l’ingénieur structure susvisé. Le délai biennal décompté de ce jour aurait pu être interrompu par l’assignation en référé du 24 mars 2014 si elle ne s’était pas contentée de viser les éventuels désordres commis par l’entreprise mandatée par le syndicat des copropriétaires et les travaux de reprise par elle accomplis. Allant plus avant, la cour d’appel note que, quand bien même cette action eût été interruptive, le délai d’action aurait recommencé à courir à la date de l’ordonnance de référé, soit le 5 juin 2014. Or, le tribunal judiciaire n’a été saisi au fond que le 9 décembre 2016, soit plus de deux années après la date précitée. Le délai de forclusion de l’action en garantie des vices cachés était donc, en toutes hypothèses, expiré.

De cette décision on retiendra deux choses.

En premier lieu, on remarquera que, conformément à la jurisprudence de la cour de cassation, la Cour d’appel de Grenoble écarte l’application de l’article 2239 du Code civil qui retient la suspension de la prescription pendant la durée d’une expertise judiciaire. Cette exclusion procède de la qualification du délai d’action biennale. Ce dernier étant qualifié de délai de forclusion, et non de prescription, la suspension propre au délai de prescription ne le concerne point1. Pareillement, elle rappelle que ce délai est interrompu par une demande en justice et ce, jusqu’au prononcé de la décision - ici l’ordonnance de référé désignant l’expert - par application des articles 2241 et 2242 du Code civil qui jouent pour « le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ».

Ainsi donc, dès lors que le demandeur en garantie agi plus de deux ans après l’ordonnance de référé, il se trouve forclos. Pourtant la qualification retenue n’est pas marquée du sceau de l’évidence. La lettre de la loi elle-même n’apporte aucune précision sur ce point. En effet, seul l’alinéa second de l’article 1648 du Code civil, propre aux vices apparents, qualifie le délai d’action de délai de forclusion. Le premier alinéa du texte, consacré à la garantie des vices cachés, n’en indique nullement la nature. De plus, la troisième chambre a pu, dans d’autres affaires, appliquer l’article 2231 du Code civil, propre à la prescription (article aux termes duquel : « l’interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien »2), ainsi que le délai butoir de l’article 2232 du Code civil édicté pour la prescription.

Assurément, il n’était pas du rôle de la cour d’appel de rentrer dans le détail de ces distinctions. Il est cependant évident que suivant la qualification retenue du délai d’action en garantie des vices cachés, les conséquences pratiques différent. Ainsi, au cas particulier, la qualification de prescription aurait permis d’éviter la constatation de l’irrecevabilité de l’action en garantie des vices cachés. Aussi, la position des hauts magistrats, comme celle de la Cour d’appel de Grenoble, invite fortement les praticiens à ne pas attendre le dépôt du rapport d’expertise pour agir au fond.

Par ailleurs, on ne peut oublier que le contenu du rapport d’expertise peut être de nature à reporter la date à laquelle le décompte du délai d’action en garantie va débuter. En effet, la connaissance des vices allégués « dans toute leur ampleur » peut n’être effective qu’à la lecture dudit rapport. Sans doute, au cas présent, les particularités de l’espèce permettaient-elles de fixer cette connaissance en amont. Il faut toutefois se garder de généraliser cette approche.

Notes

1 Cass. civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-22670 ; 10 nov. 2016, n° 15-24.289 ; 3 juin 2015, n° 14-15796. Retour au texte

2 Cass. civ. 3e, 15 janv. 2017, n° 15-12605 ; 11 avril 2018, n° 17-14091 ; 8 déc.2021, n° 20-21439. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Frédérique Cohet, « Vente : garantie des vices cachés et délai pour agir », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 04 octobre 2023, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=290

Auteur

Frédérique Cohet

Maître de conférences, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • HAL
  • ISNI
  • BNF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY-SA 4.0