Aux termes de l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 19891 le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent2. En dépit des caractéristiques de la décence qui renvoie, par application du décret n° 2002-120 du 30 janvier 20023, au respect de normes tenant à la sécurité physique et à la santé des locataires, au confort et à l’équipement du logement, ainsi qu’à la contenance du local loué, l’appréciation de cette notion est susceptible de varier. En effet, sa caractérisation dépend du pouvoir souverain des juges du fond4.
En l’espèce, des époux avaient donné à bail un studio, situé dans un immeuble, dont ils ont la propriété, par un contrat conclu le 23 août 2012, moyennant le versement d’un loyer mensuel avec provision sur charge de 210 € à la charge du preneur. Le studio, situé au 1er étage de l’immeuble et d’une surface d’environ 25 mètres carrés, comprend une cuisine meublée, une salle d’eau avec W-C et un chauffage électrique. L’état des lieux d’entrée, réalisé le 23 août 2012, constate « un bon état général du logement ».
Les époux bailleurs ont assigné, le 8 décembre 2015, le preneur devant le tribunal d’instance de Grenoble aux fins notamment de voir constater les manquements du preneur à ses obligations issues du contrat de bail. À la suite du dépôt du rapport d’expertise clôturant la mission d’expertise ordonnée avant dire droit, par jugement du 7 décembre 2017, les époux ont demandé que soit prononcée la résiliation du contrat de bail et que l’expulsion du locataire soit ordonnée avec une indemnité d’occupation d’un montant de 250 € par mois. Ils sollicitaient, également, le versement d’une somme de 8 000 € pour la remise en état des lieux, outre 1 500 € au titre des frais irrépétibles. Le défendeur faisait valoir que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de délivrance d’un logement décent.
Le tribunal d’instance de Grenoble, par jugement en date du 19 mars 2019, a débouté les époux de leur demande en toutes leurs prétentions. Les époux ont notamment été condamnés à la réalisation de plusieurs travaux pour la remise en état du bien notamment la création de bouches d’arrivée d’air frais et le remplacement des menuiseries extérieures ainsi qu’au versement d’une somme de 1 800 € en réparation du préjudice de jouissance subi par le locataire.
Les époux bailleurs ont interjeté appel. Ces derniers sollicitaient la condamnation du preneur à prendre en charge le coût de remise en état des lieux d’un montant de 8 000 €. En effet, la demande de résiliation du bail était devenue sans objet. Le locataire ayant quitté les lieux à la suite de la délivrance d’un congé pour vendre. Les bailleurs faisaient valoir que le logement était devenu indécent du fait des dégradations réalisées pendant le temps de jouissance du preneur. Ils faisaient valoir que le locataire, « pour faire des économies d’énergie », avait choisi d’utiliser un poêle à pétrole plutôt que le système de chauffage électrique de l’appartement, en violation du règlement intérieur. Les époux arguaient que les désordres d’humidité et de moisissures résultaient donc de ce fait, de sorte qu’ils n’avaient pas manqué à leur obligation de délivrance d’un logement décent. Le preneur tentait de s’exonérer en faisant valoir, d’une part, que les désordres tenant à l’humidité et la moisissure avaient pour origine une isolation insuffisante et l’absence d’un système de ventilation du logement et, d’autre part, que le poêle à pétrole avait été utilisé en chauffage d’appoint, en raison de la faible température à l’intérieur du logement.
La 2e chambre civile de la Cour d’appel de Grenoble, par un arrêt en date du 15 février 2022 (n° RG 19/01791), a fait droit à la demande des époux bailleurs. Les juges ont, d’abord, estimé que le preneur avait manqué à son obligation contractuelle qui lui imposait, en cours de bail, de justifier spontanément aux bailleurs, de la souscription d’une assurance locative relative au bien loué. La résolution du contrat de bail aurait pu être obtenue par ce moyen, mais la demande se trouvait, désormais, sans objet, en raison du congé donné au locataire. Ensuite, la cour d’appel a rejeté la demande d’indemnisation du preneur pour les troubles de jouissance subis du fait du manquement par le bailleur de son obligation de délivrance d’un logement décent. Les juges ont ainsi écarté la qualification de logement indécent, estimant que l’humidité et les dégradations dont a pu se plaindre le preneur résultaient de son choix d’un nouveau mode de chauffage. En l’occurrence, un chauffage mobile à pétrole, « émetteur de vapeur d’eau et générateur d’humidité », à la place du système de chauffage électrique installé dans le studio. Autrement dit, selon la cour d’appel, le logement en son état initial était conforme à l’usage d’habitation. Enfin, les juges ont condamné le preneur à supporter les travaux de remise en état du logement, estimant que ce dernier avait manqué à son obligation de restituer le bien en son état initial. Le preneur n’ayant pas réussi à démontrer que les dégradations n’étaient pas de sa faute. Les juges ayant estimé que l’humidité et le développement des moisissures étaient dus à la modification du mode de chauffage par le preneur, en violation du règlement intérieur. L’état des lieux de sortie constatant, de surcroît, des carreaux cassés au titre des dégradations supplémentaires.
La décence est une notion qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fonds. Les éléments probatoires rapportés par le preneur, sur lequel repose la charge de la preuve5, seront donc déterminants de la caractérisation du manquement de l’obligation de délivrance d’un logement décent incombant au bailleur. Cela d’autant plus lorsqu’il ne s’agit pas d’une violation flagrante6 des normes édictées par le décret du n° 2002-120 du 30 janvier 2002.
Toutefois, l’appréciation du caractère décent du logement retenue par les juges d’appel, en l’espèce, peut sembler particulière sévère. Le rapport d’expertise ayant précisé que l’apparition des moisissures était due à plusieurs facteurs. L’utilisation du chauffage mobile à pétrole étant désigné comme « un phénomène aggravant dans l’apparition des moisissures » et non comme la cause initiale et unique des désordres. En effet, le studio n’était pas pourvu d’un système d’aération et l’isolation a été décrite comme étant insuffisante. Le défendeur faisait également valoir que l’utilisation d’un chauffage d’appoint démontrait que le système de chauffage électrique en place ne suffisant pas à chauffer l’appartement au regard de l’humidité ambiante. Argument qui a pu être retenu dans d’autres décisions7.
La solution aurait peut-être été différente si elle avait été rendue sous l’empire du décret n° 2021-19 du 11 janvier 20218, qui n’était pas applicable aux faits de l’espèce9. En effet, la décence est une notion évolutive qui s’élargit au fil des réformes. Elle inclut depuis la loi n° 2015-992 du 17 août 201510, non pas seulement des critères tenant à la santé et à la sécurité physique du locataire, mais à « la performance énergétique minimale ». Le nouvel article 3 bis du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 imposant désormais un seuil de « 450 kilowattheures d’énergie finale par mètre carré de surface habitable et par an », en vue d’exclure « les passoires énergétiques » du marché de la location. La mise en œuvre des règles de décence énergétique devrait permettre une appréciation moins subjective de la décence locative11.