« La preuve de la propriété est essentiellement une preuve par présomptions »1. Il en va de même concernant la preuve de la mitoyenneté. Le juge dispose ainsi de plusieurs présomptions légales, « tantôt de mitoyenneté, tantôt de non-mitoyenneté »2 dont le jeu s’articule, à titre subsidiaire, en l’absence de preuve de la propriété exclusive du bien rapportée par l’une des parties : soit, par usucapion, soit par titre.
En l’espèce, la commune de Saint-Restitut est propriétaire sur son territoire de deux parcelles cadastrées section H n°222 et 224. Un bâtiment abritant un fonds de commerce de café-restaurant a été construit sur ces deux parcelles. Un mur en pierres sépare la parcelle n°113 de la parcelle contiguë cadastrée section H n°222 dont Madame X est propriétaire. Madame X, après obtention d’un permis de construire le 2 novembre 2010, a fait construire un bâtiment à usage de garage prenant appui sur le mur litigieux. La construction de l’ouvrage a nécessité le rehaussement du mur sur une partie de sa longueur. Au cours de l’année suivante, la commune de Saint-Restitut a également fait rehausser le mur litigieux, afin de réaliser certains ouvrages nécessitant de prendre appui ou d’être scellé sur ce mur.
La commune de Saint-Restitut estimant que le mur litigieux se trouvait en retrait sur la ligne divisoire de sa propriété a intenté une action en bornage. Madame X a donc été assignée, le 3 juillet 2013, devant le tribunal d’instance de Montélimar. Par jugement du 24 avril 2014, la juridiction de première instance saisie s’est estimée incompétente au profit du tribunal de grande instance de Valence au motif qu’il s’agissait, à juste titre, d’une action en revendication de propriété et non d’une action en bornage. En effet, l’objet de la demande ne portait pas sur la fixation contradictoire et définitive des limites séparatives des deux parcelles, mais sur la propriété exclusive du mur litigieux. Or, l’action en revendication d’un immeuble est de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de la situation de l’immeuble litigieux.
Une expertise a été ordonnée, avant dire droit, et le rapport d’expertise a été déposé le 8 août 2018. Le tribunal de grande instance de Valence, par jugement du 3 octobre 2019, a débouté la commune de Saint-Restitut de sa demande et a estimé que le mur litigieux été la propriété exclusive de la défenderesse. En conséquence, les juges du fond ont notamment ordonné la démolition de tous les ouvrages réalisés par la commune et la remise en état des lieux, sous astreinte.
La commune de Saint-Restitut a interjeté appel du jugement, le 5 novembre 2019. La commune demandait, à titre principal, l’annulation du rapport d’expertise, la revendication du mur litigieux contre Madame X, ainsi que la démolition des ouvrages, édifiés par la défenderesse, prenant appui sur le mur litigieux. En ce qui concerne la propriété du mur litigieux, la demanderesse a, d’abord, tenté de démontrer l’absence de droit de propriété du défendeur. Pour ce faire, la commune faisait valoir que les titres de propriété respectifs des parties au litige n’étaient pas en mesure de prouver la propriété du mur par l’une ou par l’autre des parties. Elle considérait, en outre, que l’expert avait retenu, à tort, que le mur litigieux avait une fonction de soutènement des terres de la parcelle n° 113, alors que le dénivelé du terrain était de seulement 52 centimètres. Enfin, elle soutenait que le permis de construire qui avait été accordé à Madame X ne pouvait lui être opposé, car une autorisation administrative ne vaut pas reconnaissance de propriété. Ensuite, afin d’établir la réalité de son droit de propriété, la demanderesse constatait que le mur litigieux avait été construit dans le prolongement d’une bâtisse ancienne qui avait précédé le bâtiment actuel abritant l’auberge édifiée sur sa parcelle. Elle estimait avoir acquis la propriété de ce mur par effet de la prescription, en invoquant le bénéfice de la jonction des possessions. Pour ce faire, la demanderesse relevait que la chaîne d’angle du bâtiment de l’auberge prenait appui sur le mur litigieux, ce qui signifierait que ses auteurs s’étaient comportés en propriétaires du mur depuis plus de trente ans. Enfin, elle faisait valoir que la démolition des ouvrages constitue une sanction aux conséquences excessives et techniquement impossible.
La défenderesse, dans ses dernières conclusions, sollicitait que soit déclarée irrecevable la demande de nullité du rapport d’expertise et rejeté l’intégralité des demandes formées par la commune de Saint-Restitut. Madame X, faisait notamment valoir que la commune ne rapportait pas la preuve permettant d’établir son propre droit de propriété, estimant que le mur préexistait au bâtiment actuellement établi sur la parcelle de la commune, de sorte qu’aucune conséquence ne pouvait être tirée du fait de l’appui de l’ouvrage sur le mur litigieux. La défenderesse invoquait, en outre, la possession du mur litigieux comme mode probatoire, arguant que ses parents, puis elle-même, s’étaient toujours comportés comme les propriétaires du mur en l’entretenant.
La 1re chambre civile de la Cour d’appel de Grenoble, par un arrêt en date du 18 janvier 2022 (n° RG 19/04501) a, d’abord, déclaré irrecevable la demande en nullité de l’expertise formée par la commune de Saint-Restitut. La motivation des juges, sur ce point, est fondée sur l’article 175 du Code de procédure civile, et non sur l’article 564 du même code, invoqué par la défenderesse. En effet, l’expertise est une mesure d’instruction dont la nullité est régie par l’article 175 du Code de procédure civile qui renvoie à l’application des articles 112 à 125 du même code, relatifs à la nullité des actes de procédure. Or l’article 112 du Code de procédure civile dispose que la nullité des actes de procédure « est couverte si celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité. » Bien qu’il ne soit pas fait directement référence à cette règle, il semble que les juges d’appel l’ont appliqué aux faits litigieux, en retenant l’irrecevabilité de la demande de nullité après avoir relevé que la commune avait discuté de la portée des conclusions expertales en première instance, sans s'être prévalue de son irrégularité3. Les juges d’appel estimant disposer des éléments nécessaires pour trancher le litige ont souverainement déduit qu’une nouvelle expertise n’était pas nécessaire.
Les juges d’appel ont, ensuite, infirmé le jugement rendu en première instance. Statuant à nouveau, la Cour d’appel a débouté les parties à l’instance de leurs demandes en toutes leurs prétentions. En effet, les juges ont exclu la propriété exclusive du bien et ont retenu la qualification de mur mitoyen en se référant au système de présomptions de mitoyenneté institué par le législateur. L’article 653 du Code civil énonce, en effet, une présomption générale de mitoyenneté, « visant tous les murs séparatifs construits en limite de deux fonds ». Cette présomption joue notamment en l’absence de titres prouvant la propriété exclusive du mur ou de marques de non-mitoyenneté4. Après avoir constaté que les titres versés par les parties ne permettaient pas d’établir que le mur avait été construit sur l’un ou l’autre des fonds, les juges d’appel ont estimé qu’il n’y avait aucune marque de non-mitoyenneté. Ni la prescription trentenaire du mur litigieux ni la possession invoquée respectivement par la demanderesse et la défenderesse ne sont évoquées dans les motifs.
Les juges d’appel ont écarté, en revanche, la qualification de mur de soutènement partiel du fonds de Madame X qui avait été retenue en première instance suivant l’avis de l’expert. En effet, la Cour d'appel a souverainement estimé5 que le mur litigieux n’avait pas pour destination d’empêcher que le fonds du dessus ne se répande sur le fonds du dessous, au regard du dénivelé de 52 cm et de la hauteur du mur de deux mètres. L’exclusion de cette qualification permettait donc le rétablissement de la présomption générale de mitoyenneté6. Ce mode probatoire se trouvait même renforcé par la présence d’indice de mitoyenneté, en l’occurrence, le fait que le mur présentait un faîtage arrondi, avant les travaux réalisés par les deux parties. Bien que cet élément n’ait pas été relevé par les juges du fond, la hauteur du mur aurait pu également constituer un signe de mitoyenneté, dès lors qu’il était possible de considérer que le mur avait pour fonction d’empêcher les vues depuis les deux fonds. La qualification juridique de la mitoyenneté déclenchant l’application de son régime juridique, chaque propriétaire bénéficie alors du droit de disposer du mur mitoyen. Par application des articles 657 et 658 du Code civil, les copropriétaires peuvent notamment utiliser le mur à des fins de construction ou procéder à son exhaussement à leurs frais. Après avoir constaté l’absence de faute lors de la réalisation des ouvrages respectifs des parties, la Cour d’appel les a donc déboutées de leurs prétentions respectives de démolitions.
Il n’empêche que la motivation des juges apparaît peut-être curieuse concernant la hiérarchie des modes de preuve de la mitoyenneté. En effet, la prescription acquisitive se trouve au sommet de cette hiérarchie. Ce mode probatoire l’emporte, y compris en présence d’un titre, sous réserve que ses conditions soient réunies. À savoir : une possession véritable et exempte de vices7, pendant une durée de trente ans8. Or, les parties à l’instance fondaient toutes les deux leurs prétentions sur le bénéfice de l’usucapion. Autrement dit, avant de se prononcer sur la mitoyenneté en s’appuyant sur le jeu de la présomption de l’article 653 du Code civil, il aurait peut-être été judicieux que la véracité des faits ainsi que l’absence des conditions d’application de l’usucapion soient vérifiées et apparaissent au sein des motifs.