Dans son tropisme exagérément favorable à l’appropriation individuelle des choses, le Code civil n’a pas ménagé ses efforts pour corseter l’appropriation collective. Ainsi la mitoyenneté est-elle encore aujourd’hui spatialement cantonnée aux murs, fossés et autres haies divisoires et son régime minutieusement réglementé par pas moins d’une vingtaine d’articles. Ainsi encore la réglementation de l’indivision débute-t-elle toujours par ce rappel constitutionnalisé en 1999 : la contrainte qu’elle constitue ne saurait qu’être temporaire puisque le partage peut (doit) intervenir à tout moment. Si cette injonction n’a pas empêché que l’indivision devienne un mode de gestion pérenne, il n’en demeure pas moins qu’elle devrait prohiber l’idée-même d’une indivision perpétuelle. Bien sûr, on n’ignore pas l’existence d’une dérogation légale expresse s’agissant de la copropriété des immeubles bâtis : l’article 6 de la loi du 10 juillet 1965 exclut bien toute action en partage des parties communes en dépit de leur indivision entre les copropriétaires. Mais au pays du légicentrisme, la reconnaissance d’indivisions perpétuelles sans texte aurait tout d’une anomalie. Celles-ci sont pourtant d’une grande banalité ainsi que les deux espèces mentionnées l’illustrent… En effet, à côté de la copropriété des immeubles bâtis persiste depuis toujours une copropriété innommée qui concerne notamment les éléments immobiliers affectés à l’usage commun de plusieurs fonds1.
Dans les deux espèces en cause, c’est une parcelle permettant la desserte de fonds voisins qui se voyait soumise à cette indivision perpétuelle. Ces parcelles étaient à la fois nécessaires à l’usage ou à l’exploitation de plusieurs fonds tout en étant insusceptibles d’être partagées, ainsi que le relève la Cour dans la seconde décision en date (13 décembre 2022, n° 22/02103). Si l’on poursuit le raisonnement, la réunion de ces deux critères cumulatifs a alors pour conséquence que la « part » indivise de la parcelle utile à une pluralité de fonds devient l’authentique accessoire d’un bien principal : chacun des fonds desservis. Ceci qui n’a rien d’inédit2. Cependant à bien y réfléchir, du fait de ce caractère accessoire, le bien principal comporte donc une partie privative, le fonds principal, et une part indivise de la parcelle commune permettant d’y accéder. Cette combinaison ressemble à s’y méprendre à un lot de copropriété dont l’article 1-I al. 2 de la loi du 10 juillet 1965 rappelle qu’il se compose d’une partie privative et d’une quote-part de partie commune. Or, l’article 1-II 2 prévoit que la loi de 1965 doit s’appliquer à défaut de convention y dérogeant expressément3. Cette application du statut de la copropriété était d’ailleurs sollicitée par l’une des parties dans la première espèce en date (29 novembre 2022, n° 20/03528). Elle est cependant écartée de façon aussi nécessaire que sujette à caution par la cour d’appel qui semble déduire de l’existence d’une indivision forcée et perpétuelle l’impossibilité d’appliquer le régime de la copropriété des immeubles bâtis. Or, c’est précisément cette indivision forcée et perpétuelle qui aurait pu justifier l’application du régime de la copropriété des immeubles bâtis : l’article 6 de la loi de 1965 prévoit ainsi une telle indivision forcée et perpétuelle pour les parties communes. Ce rapprochement avec la copropriété des immeubles bâtis n’avait d’ailleurs pas échappé aux anciens auteurs : Demolombe4 y voyait en effet « la mitoyenneté véritable », « une communauté forcée » et il détaillait les droits des « communistes » à l’aune de l’article 664 du Code civil, celui-là même qui a été abrogé en 1938, à l’occasion de la première loi relative... à la copropriété ! Cette proximité ancienne et renouvelée entre la copropriété des immeubles bâtis et ces indivisions forcées et perpétuelles n’en rend que plus remarquable la mise à l’écart du statut de la loi de 1965 et il ne serait pas usurpé d’y voir une authentique coutume contra legem.
Quant au régime de ces indivisions forcées et perpétuelles, on comprend tout aussi bien que la mise à l’écart du régime de la copropriété était parfaitement nécessaire. L’extrême complexité de ce dernier n’est sans doute pas adaptée à la gestion d’un ensemble immobilier somme toute restreint comportant dans chacune des espèces l’équivalent de deux ou trois « lots » jouxtant, à ce que l’on imagine, la parcelle indivise servant d’accès commun. Il n’en demeure pas moins qu’à défaut d’application de la loi de 1965, la gestion de la parcelle commune suppose de trancher plusieurs questions pratiques. Dans la première espèce en date (n° 20/03528) la cour estime que les frais liés à la parcelle commune doivent être partagés « par parts viriles », l’arrêt valant sur ce point « règlement d’indivision perpétuelle ». On ne s’attardera pas sur ce qui distingue cette modalité de partage des frais de celle ayant cours en matière de copropriété ou encore d’indivision « ordinaire ». On ne doute pas en revanche qu’une modalité de calcul différente soit possible dans la mesure où les usages de la parcelle commune ne seraient pas comparables du fait d’affectations différentes des fonds en cause. Le caractère sui generis de ces indivisions perpétuelles est confirmé dans la seconde espèce à l’occasion de laquelle, la cour écarte tout naturellement les dispositions de l’indivision ordinaire relatives à la cession des parts indivises et au droit de préemption des indivisaires : le caractère accessoire de la part indivise prive d’intérêt ces dispositions puisque seul le propriétaire d’un des fonds desservis pourra bénéficier de l’accès commun. De la même manière, faute de partage à intervenir, la plupart des dispositions des articles 815 & suiv. ne peuvent trouver à s’appliquer aux indivisions perpétuelles. En revanche, il serait abusif d’écarter d’emblée la totalité de ces dispositions. En effet, concernant la gestion des biens indivis, dès lors que celle-ci se conçoit indépendamment de tout partage, rien ne devrait interdire de puiser dans le régime des indivisions ordinaires pour enrichir celui des indivisions perpétuelles. Cette application « distributive » du droit de l’indivision permettrait alors au gré des espèces à juger et des règlements d’indivision à prévoir de fixer les points saillants du régime juridique des biens perpétuellement indivis.