Le notaire qui mentionne dans l’acte instrumenté une servitude de passage en réalité inexistante, manque fautivement à son obligation d’assurer l’efficacité du contrat de vente d’immeuble et engage sa responsabilité civile

DOI : 10.35562/bacage.360

Décision de justice

CA Grenoble, 1re ch. civ. – N° RG 20/01219 – 08 mars 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 20/01219

Date de la décision : 08 mars 2022

Résumé

Solution - Le notaire qui mentionne l’existence d’un droit de passage pour cause d’enclave dans un acte authentique de vente et qui réitère ultérieurement cette information à l’acquéreur, alors qu’aucune servitude n’existe en réalité à l’endroit du fonds cédé, commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle. La réparation du préjudice causé par cette faute est, en l’espèce, limitée à la perte de chance de l’acquéreur d’inclure une condition suspensive dans l’acte de vente ou de négocier un prix d’achat moins élevé, et aux tracas résultant de la procédure judiciaire avec les propriétaires du fonds voisin.

En tant qu’ils sont des officiers publics chargés de rédiger les contrats, de les authentifier, de les conserver et d’en assurer la publicité, les notaires ont une éminente fonction de conseil de leurs clients auxquels ils doivent une protection renforcée. Plus précisément, dans la mesure où l’efficacité d’un acte instrumenté dépend du respect de la volonté des parties, le notaire doit précisément, par ses conseils juridiques, assurer la protection de cette volonté. Ainsi, il est de jurisprudence constante que « le notaire, tenu professionnellement de s’assurer de l’efficacité des actes qu’il rédige et d’éclairer les parties sur leur portée, leurs effets et leurs risques, doit vérifier par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu’il existe une publicité légale, l’étendue et la teneur des droits réels dont il authentifie la vente »1. À cette aune, il est admis que le notaire qui omet de mentionner dans l’acte qu’il instrumente l’existence d’une servitude de passage reconnue au bénéfice du propriétaire d’une parcelle voisine, commet une négligence fautive de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle à l’égard de l’acquéreur2. De manière originale, c’est en quelque sorte la configuration inverse qui a fait l’objet d’un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble rendu le 22 mars 2022, avec cette fois la mention, dans l’acte instrumenté, d’une servitude de passage en réalité inexistante.

En l’espèce, dans l’acte authentique de vente instrumenté par notaire, une clause mentionnait l’existence d’une servitude résultant d’un acte antérieur : un droit de passage pour cause d’enclave au profit de la parcelle vendue et grevant une parcelle voisine. L’acquéreur a ensuite entrepris les travaux de construction de sa maison d’habitation et a fait usage de la servitude de passage. Les propriétaires de la parcelle voisine ont alors engagé une action pour contester cet usage. Peu après, le notaire ayant instrumenté la vente a confirmé l’existence de cette servitude de passage au profit de l’acquéreur.

Saisie du contentieux, la Cour d’appel de Grenoble a, dans un premier arrêt du 9 mai 2017, jugé qu’aucune servitude de passage n’avait été consentie et que l’acquéreur ne pouvait emprunter la parcelle voisine. Elle l’a donc condamné à supprimer l’ouverture pratiquée. En réponse, l’acquéreur s’est retourné contre son notaire afin de faire reconnaître sa responsabilité civile professionnelle. Dans l’arrêt annoté, le juge réaffirme très classiquement que « L’inexécution des obligations auxquelles est soumis le notaire en tant que rédacteur d’acte donne lieu à la mise en œuvre de sa responsabilité délictuelle », et que l’acquéreur doit dès lors, conformément aux conditions élémentaires de la responsabilité civile, rapporter la preuve d’une faute commise par le notaire et d’un préjudice en lien de causalité avec cette faute.

À cet égard, il est relevé que le notaire a bien intégré dans l’acte authentique de vente une mention autorisant expressément l’acquéreur à se prévaloir d’un droit sur la parcelle voisine : le contrat évoque le fonds cédé comme dominant et le fonds voisin comme servant. Or pour le juge, c’est « par une analyse superficielle » que « le notaire s’est convaincu à tort de l’existence d’une servitude de passage en réalité inexistante », et qu’il a incidemment « créé une apparence » ayant suscité une croyance légitime chez l’acquéreur. Et il a ensuite erronément persisté dans son analyse. À raison de cette appréciation incorrecte des droits de l’acquéreur, le notaire a commis une faute découlant du manquement à son obligation d’assurer l’efficacité de l’acte authentique instrumenté. Au surplus, c’est de mauvaise foi qu’il a reproché à l’acquéreur de n’avoir pas sollicité de plus amples explications. En effet, comme le note le juge, l’acquéreur n’avait « pas de compétence juridique contrairement au notaire » et « ne disposait d’aucun élément susceptible de l’alerter sur une éventuelle difficulté ».

Cette faute du notaire a bien causé un préjudice à l’acquéreur. Selon l’arrêt, dès lors qu’il s’est trouvé insuffisamment informé de ses droits, celui-ci a en effet « perdu la chance d’insérer des conditions suspensives à l’acte de vente ou de négocier un meilleur prix d’achat de la parcelle ». Il a de plus été contraint de soutenir un long contentieux avec les propriétaires du fonds voisin. Enfin, l’acquéreur est demeuré dans l’impossibilité d’accéder à son fonds par véhicule et a dû lui-même établir un accès à la voie publique. Pour autant, la cour d’appel constate aussi que l’acquéreur « n’a entrepris aucune démarche pour solliciter l’autorisation administrative de créer un accès direct sur la voie publique ». En outre, aucun élément n’est produit concernant le coût des travaux nécessaires à la reconfiguration des lieux. En conséquence, la demande d’indemnité provisionnelle formulée par l’acquéreur au titre de la réparation de son préjudice ne pouvait prospérer. De sorte que ce préjudice correspond, pour une part, à la perte de chance de pouvoir insérer une condition suspensive dans le contrat de vente ou de négocier un meilleur prix d’achat et, pour une autre part, aux tracas causés par les années de procédure judiciaire avec les propriétaires du fonds voisin. Si la faute du magistrat de l’amiable est donc reconnue, la réparation n’en reste pas moins évidemment tributaire de la délimitation de l’étendue du préjudice subi, ce qui implique une appréciation pragmatique du comportement de l’acquéreur.

Conseil - Le notaire est professionnellement tenu de s’assurer de l’efficacité des actes qu’il rédige et d’éclairer les parties sur leur portée, leurs effets et leurs risques. Il doit vérifier par toutes investigations utiles l’étendue et la teneur des droits réels issus des ventes d’immeubles qu’il instrumente. La faute notariale peut alors résulter de la méconnaissance de l’obligation d’authentification. Dans l’exercice de sa fonction d’authentificateur, le notaire est précisément tenu d’accomplir les formalités requises pour la bonne réception des actes. À propos d’une servitude de passage sur un fonds au sujet duquel il enregistre une mutation, le notaire doit en particulier vérifier l’existence de cette charge réelle, et consulter le fichier immobilier de la publicité foncière. Seule une servitude de passage dont l’acte constitutif n’aurait été ni transcrit, ni publié et qui n’aurait pas été rappelée dans l’acte authentique de vente, pourrait être valablement inopposable à l’acquéreur du fonds. En tous les cas, le notaire doit s’informer pour informer ce dernier et la mention erronée de l’existence d’une servitude de passage dans l’acte instrumenté est de nature à engager sa responsabilité.

Notes

1 V. p. ex. Cass. civ. 1re, 29 juin 2016, n° 15-15.683, publié. Retour au texte

2 Cass. civ. 1re, 15 fév. 2000, n° 98-10.998, inédit. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Louis Fériel, « Le notaire qui mentionne dans l’acte instrumenté une servitude de passage en réalité inexistante, manque fautivement à son obligation d’assurer l’efficacité du contrat de vente d’immeuble et engage sa responsabilité civile », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 09 octobre 2023, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=360

Auteur

Louis Fériel

Docteur en droit privé, enseignant-chercheur contractuel, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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