Les conditions suspensives ou résolutoires peuvent donner lieu à l’engagement de la responsabilité du rédacteur d’acte, particulièrement de l’avant-contrat de vente. C’est avant tout l’absence d’insertion d’une condition qui est reprochée à l’agent immobilier ou au notaire au titre de son devoir de conseil, alors que la réalisation du projet particulier du client dépendait d’un événement futur et incertain1. Plus rarement, c’est l’insertion d’une condition, jugée inutile et dissuasive par une partie, qui motive l’action en responsabilité contre le notaire, la condition litigieuse ayant défaillie, rendant la vente caduque. La faute alors invoquée est un manquement au devoir d’impartialité2.
S’agissant la rédaction des conditions, le domaine est épineux. Le contentieux en termes de responsabilité est cependant peu nourri, sans doute parce que les conditions les plus courantes font l’objet de formules élaborées par la doctrine universitaire et praticienne, cherchant tant à tirer les conséquences de la jurisprudence en la matière qu’à concilier l’intérêt des deux parties3.
La présente espèce sera donc regardée avec intérêt. Est ici reproché au notaire un manque de précision dans la rédaction de conditions suspensives particulières insérées dans un avant-contrat notarié de vente d’un lot de copropriété.
A la demande de l’acheteur, plusieurs conditions suspensives ont été insérées dans l’avant-contrat. Les trois conditions litigieuses concernaient respectivement la résiliation du contrat de syndic de copropriété conformément au compte rendu des copropriétaires réalisé un mois avant l’avant-contrat, l’obtention de l’autorisation écrite des copropriétaires de fermer le pallier sur lequel se trouvaient la porte d’entrée de l’appartement et la porte d’accès au grenier et enfin la séparation préalable des eaux usées des eaux pluviales. La vente est finalement conclue : la deuxième condition est réalisée ; quant aux deux autres, leur défaillance est suppléée par la renonciation de l’acheteur à leur bénéfice4. Tout est bien qui finit bien ? Non car ce sont ici les vendeurs, qui n’étaient pourtant pas les bénéficiaires de ces conditions, qui agissent en justice afin de faire condamner le notaire. Les seuls préjudices invoqués sont donc liés au retard pris dans la réalisation de la vente. L’indemnisation d’un préjudice matériel est demandée, au titre des frais acquittés propter rem, tandis que les vendeurs demeuraient propriétaires du bien et, de manière plus douteuse, au titre d’une perte de gains. Les vendeurs se plaignent également d’un préjudice moral lié au temps passé à résoudre le litige né avec l’acquéreur. Déboutés devant le TGI de Grenoble, les vendeurs interjettent appel, faisant valoir un manque de rigueur dans la rédaction des conditions suspensives. Quant au notaire intimé, il demande à titre principal à la cour de le déclarer non fautif et donc non responsable et à titre subsidiaire d’exclure également sa responsabilité en l’absence de démonstration d’un préjudice indemnisable.
Avant d’étudier la réponse donnée par la Cour de Grenoble, attachons-nous un instant à la stratégie procédurale développée par le notaire intimé. Il faut en effet noter qu’une telle défense principale quant à l’absence de faute et subsidiaire quant à l’absence de préjudice ne présentait d’intérêt ni au regard de la responsabilité civile ni à celui de la couverture assurantielle de cette responsabilité. En effet, du point de vue de la responsabilité civile extracontractuelle, parmi les trois conditions cumulatives requises, l’existence, ou comme en l’occurrence l’absence, d’un fait générateur et celle d’un préjudice peuvent en tout logique être démontrées sans aucune préséance5. Surtout, elles relèvent d’une même démonstration juridique, à savoir l’absence de responsabilité civile du notaire. De même, seule la faute intentionnelle du notaire n’est pas prise en charge par l’assurance professionnelle6 ; or une telle qualification n’était pas avancée par les vendeurs. Et quand bien même… Les arguments de l’intimé auraient donc parfaitement pu être développés dans un seul moyen, sans subsidiarité. On comprend ainsi qu’il s’agissait ici, pour le notaire, de défendre son honneur professionnel et la conformité déontologique de sa pratique.
En réponse, la Cour d’appel de Grenoble conclut que « le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions », ce qui semble répondre au moyen principal de l’intimé. Cependant la motivation concernée est intitulée plus largement « Sur la responsabilité du notaire » et certains de ses éléments sont également relatifs au lien de causalité.
La structure du raisonnement suivi par la Cour de Grenoble est claire. Dans un premier temps, la cour pose les principes : elle rappelle d’une part l’obligation de conseil pesant sur le notaire rédacteur d’acte. Le notaire doit « procéder aux vérifications et conditions de nature à assurer l’efficacité de ses actes » ; il est « tenu d’éclairer les parties sur la portée des actes par eux dressés et d’attirer leur attention sur leurs conséquences et les risques potentiels ». La formulation est proche de celle consacrée par la Cour de cassation7. La Cour de Grenoble ajoute encore que le notaire doit également « proposer aux parties le cadre juridique approprié ». Sont d’autre part rappelées les trois conditions de la responsabilité délictuelle encourue par le notaire8.
Dans un second temps, la Cour de Grenoble vérifie l’existence d’un manquement du notaire à son obligation de conseil voire l’existence des autres conditions de la responsabilité. Pour ce faire, la rédaction de chaque clause conditionnelle est étudiée successivement.
Quant à la clause érigeant en condition la résiliation du contrat de syndic, le vendeur estimait que le notaire aurait dû préciser qu’une telle résiliation devait résulter d’une décision prise en assemblée générale. La cour considère qu’en l’espèce cette information n’avait pas à être formalisée ; il suffisait d’ériger en condition la résiliation conformément à l’accord passé entre les copropriétaires puisque l’accord en question faisait état de la nécessité de réunir une assemblée générale. Les vendeurs copropriétaires étaient parties à cet accord, qu’ils ne pouvaient donc ignorer. Du reste, si une condition suspensive était posée, c’était bien parce que l’accord en question ne suffisait pas ! Ce raisonnement fondé sur l’absence de faute est complété par une considération tenant à l’absence de lien de causalité entre le retard de la vente et le comportement du notaire. En effet, si retard de la vente il y avait, comme l’alléguaient les vendeurs, c’est directement à ces derniers qu’il était imputable, les vendeurs eux-mêmes ayant empêché la survenance de la condition en votant en assemblée générale pour la reconduction du syndic. L’absence de faute ayant déjà été retenue, le raisonnement concernant le lien de causalité n’était pas nécessaire. Il a tout de même le mérite de faire clairement ressortir la mauvaise foi des vendeurs, qui affleurait déjà.
S’agissant de la deuxième clause conditionnelle, c’est, sans que la cour le précise expressément, en raison de l’absence de lien de causalité que la responsabilité du notaire est écartée. Était érigée en condition suspensive l’autorisation écrite des copropriétaires de réaliser certains travaux sur les parties communes. Les vendeurs reprochaient au notaire de n’avoir pas également inséré comme condition suspensive l’autorisation de l’assemblée des copropriétaires. Le notaire étant tenu de s’assurer de l’efficacité de la clause qu’il rédige, un manquement au devoir de conseil pouvait certainement ici être relevé. En effet, de manière générale, « Les décisions du syndicat sont prises en assemblée générale des copropriétaires » (loi 10 juillet 1965, article 17). C’est donc l’assemblée générale des copropriétaires qui doit autoriser les travaux sur des parties communes, même réalisés au frais du copropriétaire (loi 10 juilllet 1965, article 25 b, décision prise à la majorité simple des voix de tous les copropriétaires). Une autorisation donnée par chaque copropriétaire en dehors du contexte formel d’une assemblée générale serait ainsi sans efficacité. C’est ce qui s’était passé ici et, malgré l’autorisation individuelle antérieure de tous les copropriétaires, l’assemblée générale n’avait pas donné autorisation. Une telle faute du notaire n’est pas relevée par la Cour qui juge d’emblée avec justesse que le préjudice allégué n’est pas imputable à la rédaction imprécise de cette condition. S’il s’était agi du préjudice de l’acquéreur, tenu par une vente qu’il croyait, par l’effet de la clause conditionnelle, devenue caduque dès lors que son projet d’aménagement n’était pas autorisé, la responsabilité aurait été retenue. Mais rappelons que la faute du notaire était ici à mettre en relation avec le préjudice allégué par le vendeur, à savoir le retard pris dans la réalisation de la vente notariée. La condition, telle qu’insérée, ayant été réalisée, aucun retard n’avait pu en découler.
C’est encore l’absence de lien de causalité qui motive l’absence de responsabilité du notaire quant à la rédaction de la troisième clause conditionnelle, qui subordonnait la vente à la séparation préalable des eaux usées et des eaux pluviales, aux soins du vendeur. Les vendeurs, qui, n’ayant pas procédé à une telle séparation, étaient à l’origine de la défaillance de cette condition, reprochaient de manière peu claire au notaire à la fois de ne pas avoir précisé les travaux à exécuter et d’avoir inséré une condition impossible à réaliser. En réponse, c’est au regard de la faute de la victime (les vendeurs) que la cour se place. En effet, les vendeurs avaient reçu de la commune une injonction de mise en conformité du système d’assainissement plus de trois ans avant l’avant-contrat, n’avaient pas fait le nécessaire et n’avaient pas informé le notaire de cet élément. « Dans ces conditions, énonce la cour, étant eux-mêmes fautifs, ils ne peuvent former aucun grief pertinent à l’encontre du notaire ». Il semble que la Cour de Grenoble se prévale d’une jurisprudence de la Cour de cassation qui, en cas de concours de fautes d’une gravité disproportionnée, retient comme cause exclusive du dommage la faute intentionnelle. Une telle jurisprudence, peu courante dans le contentieux classique de la responsabilité civile9 trouve à s’appliquer en matière de responsabilité notariale10. En l’occurrence, l’entière causalité est absorbée par la faute intentionnelle de la victime, qui a caché un élément d’information. La formulation de la Cour de Grenoble, énoncée plus haut, appelle toutefois deux remarques. D’une part, la cour, appliquant cette jurisprudence relative au concours de fautes et reconnaissant les vendeurs victimes « eux-mêmes fautifs », semble donc implicitement admettre la faute professionnelle du notaire, sauf à ce que cette faute ne soit ici admise qu’à titre d’hypothèse pour les besoins du raisonnement. Or, au regard de ce qui ressort des faits présentés, le manquement au devoir de conseil lors de la rédaction de la clause parait douteux, les travaux à exécuter étant suffisamment circonscrits par leur objet et pleinement possibles à réaliser. La cour aurait donc pu à notre avis fonder l’absence de responsabilité directement sur l’absence de faute, ce qui aurait d’ailleurs satisfait le notaire.
D’autre part, si la jurisprudence que semble appliquer ici la Cour de Grenoble est fréquemment analysée comme relevant du lien de causalité, mettant donc en jeu un mécanisme, lié au fond du droit de la responsabilité, soit d’exonération de responsabilité pour l’auteur de la faute mineure soit d’absorption de l’entière responsabilité par l’auteur de la faute la plus grave, la formulation retenue ici laisse davantage penser à un mécanisme procédural proche de l’irrecevabilité : « étant eux-mêmes fautifs, ils ne peuvent former aucun grief pertinent à l’encontre du notaire ». Si le résultat procuré est le même, la motivation perd en légitimité théorique. Elle s’explique cependant certainement par la mauvaise foi, déjà relevée, dont ont fait grandement part dans cette affaire les vendeurs, qui s’estimaient victimes des agissements du notaire.