Interprétation d’actes olographes litigieux : existence d’un legs, désignation du légataire et objet précis du legs

DOI : 10.35562/bacage.551

Décisions de justice

CA Grenoble, Ch. aff. fam. – N° RG 21/03602 – 30 août 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 21/03602

Date de la décision : 30 août 2022

CA Grenoble, Ch. aff. fam. – N° RG 21/00866 – 09 novembre 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 21/00866

Date de la décision : 09 novembre 2022

CA Grenoble, Ch. aff. fam. – N° RG 18/01024 – 30 mars 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 18/01024

Date de la décision : 30 mars 2022

CA Grenoble, Ch. aff. fam. – N° RG 19/02642 – 27 septembre 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 19/02642

Date de la décision : 27 septembre 2022

Résumé

Face à des actes olographes équivoques établis par hypothèse par des personnes non averties, souvent sans le conseil préalable de professionnels, le contentieux de l’interprétation testamentaire n’est pas appelé à se résorber. En témoignent quatre arrêts rendus par la Cour d’appel de Grenoble. Si les méthodes d’interprétation sont bien établies, les circonstances de l’affaire sont uniques, justifiant le pouvoir souverain des juges du fond en la matière.

Les méthodes d’interprétation d’un testament sont proches de celles du contrat (C. civ., art. 1188 s.). Le juge peut donc être guidé par plusieurs principes : bien évidemment la recherche de la volonté interne du disposant, mal extériorisée1 mais aussi la recherche d’un sens permettant l’efficacité de la disposition (Potius ut valeat quam ut pereat, principe repris à l’article 1191 C. civ., anc. art. 1157).

Quant aux modes de preuve admissibles, il est également acquis de longue date que l’interprétation peut se fonder non seulement sur des éléments intrinsèques (notamment termes mêmes de l’acte, structure, rapprochement des différentes clauses) mais également sur « tous les éléments extrinsèques susceptibles d’éclairer l’acte »2 (dont d’autres écrits, la personnalité du testateur, ses habitudes et sentiments).

Le plus intéressant est donc de découvrir l’application concrète de ces principes par les juges du fond, souverains en la matière, sachant que l’objet du contentieux interprétatif est variable.

Deux des arrêts de la Cour d’appel de Grenoble ont précisément trait à l’existence ou non d’un legs. S’agissant de l’arrêt 1, la Cour d’appel de Grenoble est ici saisie sur renvoi après cassation. En l’espèce un de cujus de nationalité allemande, installé et décédé en France, a rédigé deux actes olographes intitulés chacun « testament », l’un en langue française en date du 25 mars 2002 et l’autre en langue allemande le 7 août 2001. Estimant être désignée légataire universelle, la sœur du défunt assigne devant le TGI les enfants du de cujus, héritiers légaux réservataires, en délivrance du legs, en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage ainsi qu’en condamnation de la succession au paiement de sommes prêtées au défunt. En application des règles de droit international privé3, le TGI se reconnaît compétent pour connaître du litige relatif à la succession immobilière du défunt, s’agissant des immeubles situés en France, du litige relatif à la succession mobilière ainsi qu’à celui relatif à la validité des testaments. La loi française est en outre jugée applicable au litige. Ces dispositions sont confirmées par la Cour d’appel de Chambéry, saisie par la sœur du de cujus et ne seront plus contestées ensuite. En revanche, alors que le TGI déclare nul le testament olographe rédigé en langue française et rejette la demande de nullité s’agissant de l’acte rédigé en langue allemande, la première Cour d’appel saisie infirme ces dispositions : le testament en langue française est reconnu valable, l’acte en langue allemande n’ayant quant à lui pas lieu d’être examiné. Sur pourvoi formé par les héritiers légaux, la Cour de cassation casse l’arrêt. Au visa de l’article 970 du Code civil, elle invalide le testament olographe rédigé en langue française par le de cujus allemand : « alors qu’il résultait de ses constatations que [L] [G] avait rédigé le testament dans une langue qu’il ne comprenait pas, de sorte que l’acte ne pouvait être considéré comme l’expression de sa volonté, la cour d’appel a violé le texte susvisé »4. Elle casse également la disposition écartant l’examen du testament en langue allemande. C’est précisément sur ce dernier point que porte le litige tranché par la cour d’appel de renvoi grenobloise. La sœur du de cujus ne contestant plus à ce stade la nullité du testament en langue française, elle revendique désormais la qualité de légataire universelle sur le fondement de l’acte rédigé en langue allemande. Quant aux héritiers légaux, ils contestent l’existence d’un véritable legs résultant de la volonté claire de leur auteur.

Afin de dénouer le litige, la Cour d’appel de Grenoble s’attache d’abord, classiquement et logiquement, aux éléments intrinsèques à l’acte. La Cour admet que le de cujus y exprime ses dernières volontés5. Toutefois, il est à noter que la Cour ne retient pas au crédit de la thèse d’une dévolution testamentaire le terme même de testament utilisé pourtant à deux reprises par le de cujus, d’abord comme titre de l’acte puis à la première phrase6. Il est vrai qu’un testament exprime les dernières volontés du de cujus, quel que soit leur objet, patrimonial ou extrapatrimonial et qu’il peut donc ne pas comporter de dispositions successorales relatives aux biens (legs ou exhérédation). Par ailleurs, la phrase-clé de l’acte : « Ma sœur (M…) doit devenir mon unique héritière » n’indique pas, selon les juges, « de façon claire et non équivoque la volonté actuelle [du disposant] de léguer ses biens à sa sœur ». Il est vrai que la formulation, assez peu énergique, peut apparaître plus comme une résolution à concrétiser dans un acte futur que comme l’expression ferme et définitive d’une volonté pourvue d’effet juridique. Il est toutefois délicat de faire parler les morts et l’interprétation contraire n’aurait pas non plus heurté le bon sens. Suivant directement la phrase au terme de laquelle le de cujus déclarait faire son testament, la phrase litigieuse pouvait être comprise comme l’institution d’un légataire universel. L’impérativité du verbe « doit » aurait pu aller dans ce sens. En outre, l’absence d’énonciation des biens ainsi transmis par le de cujus pouvait s’expliquer : elle était inutile, le legs étant universel.

C’est un autre élément intrinsèque, combiné à deux éléments que l’on peut qualifier cette fois d’extrinsèques qui va affermir la qualification donnée à l’acte litigieux. En effet, la cour d’appel analyse le contenu de la suite de l’acte. A compter de la troisième phrase de l’acte (et pour 8 lignes sur les 12 qui constituent l’acte), il est question de tout autre chose : vente d’un logement commun à sa sœur, dont le prix a été acquitté ; aide financière apportée par la sœur et, de manière assez obscure, « garanties financières supplémentaires », constituées par une propriété immobilière et un bateau. La cour rapproche ainsi le contenu majoritaire de l’acte de celui d’un autre acte établi antérieurement par le de cujus, intitulé « reconnaissance de dette » et qui faisait déjà état des conditions de la vente du logement à sa sœur (1er élément extrinsèque). De manière plus inhabituelle, la cour a égard à la manière dont la sœur, qui se prétend légataire, a considéré au cours de la procédure l’acte litigieux qui fonde aujourd’hui ses demandes (2d élément extrinsèque). A cet égard, il s’avère que ce n’est que devant la Cour d’appel de Grenoble que la sœur du défunt fonde sa qualité de légataire universelle sur l’acte litigieux. Auparavant, cette prétention prenait uniquement appui sur le testament en langue française, ensuite invalidé par la Cour de cassation. Si l’acte de langue allemande litigieux avait déjà nourri le débat judiciaire, c’était à un tout autre titre : il était invoqué par la sœur au titre d’une reconnaissance de dette complétant l’acte antérieur éponyme, accréditant sa créance contre la succession7. La Cour de Grenoble en déduit donc en quelque sorte que même pour la sœur du de cujus, l’acte litigieux n’avait pas ab initio valeur incontestable d’institution de legs. Cette dernière motivation, tirant les conséquences de la volte-face opportuniste de l’appelante, est intéressante, originale et inédite en matière testamentaire. On pourrait y voir un certain cousinage processuel avec la notion de tractatus (élément de la possession d’état). De même un grossier rapprochement pourrait être fait avec le principe processuel selon lequel « Nul ne peut se contredire au détriment d’autrui », sauf bien entendu à remarquer que la contradiction ne porte pas ici sur les prétentions de l’appelante, qui ne varient pas, mais sur les moyens.

L’ensemble de ces éléments conduit la Cour de Grenoble à dénier à l’acte litigieux, confus, tout objet dévolutif. Il ne constitue que le complément de la reconnaissance de dette antérieure. La sœur du défunt, qui n’a pas la qualité de légataire, est donc déboutée de ses demandes successorales.

Dans l’arrêt 3, la Cour d’appel de Grenoble devait déterminer la portée de plusieurs clauses insérées à l’identique dans deux testaments olographes, par lesquelles le de cujus déclarait, à propos de six contrats d’assurance-vie, que « le capital du contrat d’assurance vie […] souscrit auprès [de l’établissement bancaire] le [ ..] sous le n° […] reviendra [à mon fils] »8. S’agissait-il de simples clauses bénéficiaires (désignant le bénéficiaire de l’assurance-vie) ? Il faut en effet rappeler que, selon l’article L 132-8 du Code des assurances, « En l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre […] ». Une telle désignation ou modification peut être réalisée sous plusieurs formes, dont la voie testamentaire.

S’agissait-il d’un véritable legs du capital de l’assurance-vie, par conséquent réintégré à l’actif successoral ? Il faut à cet égard rappeler, ce que fait la Cour, qu’en principe l’assurance-vie, « opération de placement […] qui comporte un aléa » se trouve hors périmètre successoral. Le capital reçu au titre d’un tel contrat aléatoire échappe à la qualification de libéralité et par conséquent aux opérations de contrôle de la réserve et le cas échéant au rapport successoral. Le principe est tempéré, s’agissant des primes manifestement exagérées souscrites par le de cujus9. Par ailleurs, selon la Cour de Grenoble, il est « loisible au souscripteur d’inclure le capital assuré dans sa succession, en attribuant le bénéfice à titre de legs »10.

Encore une fois, plusieurs éléments d’analyse, intrinsèques et extrinsèques, sont ici convoqués. Selon la Cour, les termes mêmes de l’acte (élément intrinsèque), jugés « explicites », militent en faveur de l’existence d’un legs. Il en est ainsi du verbe « reviendra », relatif au capital des assurances-vie ainsi que de la phrase selon laquelle le de cujus « déclare prendre les dispositions suivantes ». Pour la cour, les termes employés visent « expressément » un héritage et dépassent « le cadre d’une clause bénéficiaire ». Qu’il nous soit permis, face à des termes somme toute banals, de ne pas partager cette analyse très tranchée.

Selon la cour, deux éléments, qu’on peut qualifier d’extrinsèques, confortent l’interprétation favorable au legs : d’une part les formalités et formes liées aux actes litigieux et d’autre part l’utilité des actes. Il est d’abord exposé que le de cujus a pris soin de déposer les deux actes auprès de son notaire et que ces actes respectent les exigences de forme des testaments olographes car entièrement écrits de la main de de cujus, datés et signés. La force probante de tels éléments doit selon nous être relativisée. En effet, n’oublions pas que ce n’était pas la nature testamentaire de l’acte qui était ici discutée mais bien la qualification des clauses. Que le testament contienne des legs ou de simples clauses bénéficiaires, ce dernier cas étant parfaitement possible, il reste que, dans tous les cas, pour emporter ses effets, il doit être valable. De même, s’il veut voir respectées ses dernières volontés, exprimées dans un testament olographe, le testateur prudent aura souvent le bon réflexe de déposer l’acte chez son notaire, afin qu’il soit retrouvé, quelle que soit par ailleurs la nature de ces dernières volontés. A notre sens, ces éléments sont donc totalement neutres.

Le second élément extrinsèque paraît plus sérieux. Notant que le de cujus avait déjà désigné son fils comme bénéficiaire des assurances-vie, la Cour de Grenoble en déduit que « ces actes auraient été inutiles s’il s’était agi simplement de confirmer [le fils] comme bénéficiaire ». Théoriquement, nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette belle logique. Pour autant, nous le savons, les testaments olographes, réalisés par des profanes, sont le siège par excellence de dispositions inutiles voire absurdes. Le testateur, possiblement effrayé par les récurrentes annonces médiatiques relatives aux nombreuses assurances-vie non réclamées, n’avait-il tout simplement pas voulu être sûr qu’à sa mort ces contrats soient identifiés et que son fils puisse toucher ces capitaux ? Quitte, certes, à répéter non pas deux mais trois fois la même chose ! Car si l’on veut en l’espèce creuser du côté de l’utilité et de la rationalité des actes réalisés par le de cujus, la question suivante s’impose : si ce dernier était si rationnel, pourquoi alors a-t-il rédigé, à cinq ans d’intervalle, exactement le même testament, avec les mêmes clauses relatives aux assurances-vie ici discutées ? La personnalité du testateur, l’économie de moyens dont il faisait habituellement preuve ou au contraire son anxiété ou son manque de logique, auraient été des éléments extrinsèques déterminants. Ils n’étaient hélas pas convoqués au débat judiciaire.

D’aucuns relieraient cette motivation fondée sur l’utilité de l’acte à l’approche interprétative classique de recherche de l’efficacité testamentaire. Il faut toutefois préciser que cette approche est souvent retenue non seulement par égard à la volonté, sacrée, du défunt mais aussi par faveur pour le gratifié. En général, sans l’interprétation salvatrice des juges, ce dernier n’aurait en effet droit à rien (dans ces hypothèses, le favor testamenti fait souvent échapper l’acte à la nullité encourue). Or, en l’espèce, l’interprétation retenue ne favorise aucunement le bénéficiaire des clauses, bien au contraire. De bénéficiaire du capital de plusieurs assurances-vie, lui revenant hors succession, il devient légataire du même capital et s’expose désormais à un possible risque de réduction.

Bien lourde était donc la tâche des juges et ô combien délicate la mise en œuvre du devoir d’interprétation testamentaire qui leur incombe11. En définitive, n’est-ce pas l’alinéa deux de l’article 1188 du Code civil que les juges ont, sans le dire, appliqué ? Aux termes de ce texte, « lorsque [l’] intention [du testateur] ne peut être décelée, le [testament] s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ». L’utilité, la logique, la rationalité de l’acte litigieux ne feraient donc pas référence à la psychologie du testateur, très incertaine mais au sain réflexe de l’interprète.

En bref, il fallait trancher entre deux interprétations et la cour d’appel l’a fait, s’appuyant sur le peu d’éléments dont elle disposait. Futurs testateurs, courrez chez votre notaire !

Dans l’arrêt n° 2, sont en jeu tout à la fois l’existence d’un legs et la détermination du légataire. Il semble ressortir des faits, qui ne sont pas exposés avec précision, que la testatrice a confectionné une série de legs particuliers. Après avoir énuméré l’ensemble de ses biens, elle a rédigé une clause pour la dévolution de chaque bien, selon un procédé identique : identification et nature du bien, localisation et enfin identité du légataire. Or, il se trouve que la clause n° 2, si elle contient l’indication de l’immeuble et de sa localisation, n’énonce pas à la suite directe de ces éléments le bénéficiaire du legs. En revanche, à la fin de la clause 3, qui concerne un autre bien, apparait le nom d’un gratifié. Ce gratifié prétend être bénéficiaire non seulement du legs institué en clause 3, non susceptible d’interprétation, mais aussi de celui réalisé au moyen de la clause 2. En quelque sorte, l’identification du gratifié serait ainsi mise en facteur commun des clauses 2 et 3. La nièce de la testatrice, héritière légale, considère en revanche que le bien visé par la clause 2 n’a pas été légué, faute de l’énonciation d’un légataire. En l’absence d’accord devant le notaire, celui qui s’estime doublement gratifié au titre des clauses testamentaires 2 et 3 assigne l’héritière légale en interprétation du testament devant le TGI. Ce dernier considère que la clause 2 constitue bien un legs au profit du gratifié énoncé en clause 3. Le jugement est confirmé par la Cour d’appel de Grenoble, saisie par l’héritière légale. Afin de dégager la volonté de la testatrice au moment de la rédaction du testament, la Cour s’appuie sur plusieurs éléments intrinsèques. Selon la cour, la nature testamentaire de l’acte n’était pas douteuse (et d’ailleurs non contestée), au regard du terme « testament » utilisé12, du respect de la forme olographe13 et de la volonté de la testatrice de disposer de ses biens à sa mort. S’agissant précisément de la clause 2, sa teneur est explicitement interprétée au regard de l’ensemble de l’acte et des différentes clauses qui le composent (référence est ainsi faite à l’article 1189 C. civ.). La méthode suivie par la testatrice (rédaction d’une clause pour chacun des biens à transmettre à cause de mort) témoigne de sa volonté de léguer la totalité de ses biens, dont l’immeuble visé par la clause 2. Dès lors, l’absence de désignation du bénéficiaire dans la clause 2 « ne résulte ni d’un oubli ni d’une indécision au moment de la rédaction du testament ». C’est donc bien la thèse de la mise en facteur commun du bénéficiaire qui est retenue. Le bien A, situé à L1 (clause 2), le bien B, situé à L2 (clause 3) sont légués au gratifié déterminé en clause 3. Cette analyse intrinsèque de l’acte est par ailleurs corroborée par un élément extrinsèque. Il est remarqué par la Cour que les gratifiés, dont celui à l’origine de la procédure, faisaient partie d’une même famille, avec laquelle des liens étroits et anciens avaient été noués par la testatrice.

Enfin dans l’arrêt 4, l’interprétation testamentaire avait pour objet l’étendue du bien légué, à savoir, aux termes de l’acte, « le droit d’usage et d’habitation de la maison d’habitation qui constitue actuellement mon logement ». Dans le cadre des opérations de liquidation et partage demandées par certains héritiers légaux, les légataires estiment que ce droit s’étend aux dépendances de la maison ainsi qu’à deux parcelles attenantes qui permettent selon eux l’accès à la maison. En revanche, les héritiers légaux non bénéficiaires de ce droit demandent à ce que ce dernier soit limité à la seule maison. Afin de trancher, la Cour fonde en droit sa décision sur l’article 628 du Code civil relatif au droit d’usage et d’habitation. Cette disposition renvoie, quant à l’étendue du droit, au titre même qui l’établit, soit ici le testament, qu’il fallait donc interpréter. S’appuyant sur une expertise réalisée, la cour considère que le droit inclut les dépendances « nécessaires au bon usage de la maison », id est « une véranda, un hall extérieur, une salle de bains, des combles aménageables, des caves, un atelier, un garage attenant, une chaufferie, une serre, un double garage indépendant, une loge à cochon et un fenil ». Sans le dire, la cour semble ici appliquer l’article 1018 C. civ., qui constitue une sorte de compromis entre un principe spécial d’interprétation testamentaire et une règle de fond concernant les effets des legs, fondée sur la théorie de l’accessoire14. En revanche, la maison disposant d’un accès propre à la voie publique (selon les conclusions de l’expert), les parcelles attenantes ne peuvent être considérées comme des accessoires nécessaires. Par conséquent, le droit légué ne s’étend pas à ces parcelles15.

Notes

1 Ce principe est clairement rappelé dans l’arrêt 2 : « Il est de principe que le juge a le pouvoir de combler les lacunes d’un testament, notamment quant à la désignation du légataire, tout en respectant la volonté du disposant sans pour autant se substituer à celle du testateur, si celle-ci est dépourvue d’ambiguïté ». Retour au texte

2 Formule utilisée par la CA Grenoble, dans l’arrêt 2 commenté. L’examen des éléments extrinsèques est permis depuis Cass. req. 23 févr. 1863, DP 1863. 1. 173. Retour au texte

3 Le de cujus étant décédé en 2003, le règlement succession n’était à l’évidence pas applicable (règlement UE n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, applicable aux successions ouvertes à compter du 17 août 2015). Retour au texte

4 Cass. civ. 1re, 9 juin 2021, n° 19-21.770, publié au bulletin. Retour au texte

5 La Cour se fonde sur la dernière phrase de l’acte : « Ceci constitue ma dernière volonté ». Retour au texte

6 « Je soussigné (…),né à (…)le (…), rédige par la présente mon testament ». Retour au texte

7 Précisons que la Cour de Grenoble considère à juste titre que les demandes de l’appelante, fondées désormais sur l’acte de langue allemande, ne sont pas nouvelles car tendant aux mêmes fins que les premières, à savoir la reconnaissance de la qualité de légataire universel. En revanche, la question de la concentration des moyens aurait pu être soulevée. Retour au texte

8 Précisons qu’en première instance, les héritiers légaux non visés par les clauses demandaient la réintégration à la succession des capitaux des assurance-vie en développant deux moyens : le caractère manifestement exagéré des primes et la requalification en donation indirecte. Devant la Cour de Grenoble, ces héritiers légaux invoquent désormais l’existence de legs des capitaux de l’assurance-vie. Selon la Cour, les prétentions ne sont pas nouvelles car tendant aux mêmes fins de réintégration des sommes à l’actif successoral. Retour au texte

9 V. C. ass., art. L 132-13 al. 2. Retour au texte

10 V. en ce sens Cass. civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-17.891, se retranchant derrière l’appréciation souveraine des juges du fond. Retour au texte

11 Sur ce devoir, V. Cass. civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-21089, Bull. civ., n° 384, D. 1997. Somm. 366, obs. M. Nicod, Dr. fam. 1997, n° 57, note B. Beignier, JCP 1998. I. 133, n° 7, obs. R. Le Guidec. Retour au texte

12 Comp. supra arrêt 1. Notons que dans cette espèce, la nature testamentaire de l’acte était litigieuse. Retour au texte

13 Dans le même sens, V. supra arrêt 3. Retour au texte

14 « La chose léguée sera délivrée avec les accessoires nécessaires et dans l’état où elle se trouvera au jour du décès du donateur. » Retour au texte

15 Comp. l’art. 1019 C. civ., établissant une règle spéciale d’exclusion des parcelles contiguës acquises postérieurement à la rédaction du testament. Retour au texte

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Référence électronique

Nathalie Pierre, « Interprétation d’actes olographes litigieux : existence d’un legs, désignation du légataire et objet précis du legs  », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 23 octobre 2023, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=551

Auteur

Nathalie Pierre

Maître de conférences, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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