Pas de résolution judiciaire en cas de résolution unilatérale justifiée

DOI : 10.35562/bacage.644

Décision de justice

CA Grenoble, 2e ch. – N° 20/01971 – 07 mars 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 20/01971

Date de la décision : 07 mars 2023

Résumé

Un architecte qui conditionne la remise du permis de construire aux maîtres d’ouvrage à la signature des conditions générales exerce une pression injustifiée sur ses partenaires et contrevient à l’exigence d’exécution de bonne foi des contrats. Les maîtres d’ouvrage sont dès lors fondés à mettre fin à leur collaboration avec l’architecte et à prononcer de facto la résiliation du contrat de maîtrise d’œuvre les liant. Les parties ne pouvaient, dès lors, qu’être déboutées de leur demande de résolution judiciaire.

Si l’arrêt rendu par la deuxième chambre de la cour d’appel de Grenoble le 7 mars 2023 ne présente pas de véritable originalité, il mérite que l’on s’y attarde quelques instants en raison de ces apports relatifs à la résolution telle que retenue par les articles 1224 et suivants du Code civil1.

En l’espèce un contentieux était né autour de prestations d’un architecte auquel un couple avait confié la maîtrise d’œuvre de travaux d’extension et de rénovation de leur résidence principale. L’architecte avait établi quatre notes d’honoraires qui avaient été intégralement réglées par les maîtres d’ouvrage. Néanmoins insatisfait des prestations du professionnel, le couple décidait de mettre fin à leur collaboration et sollicitait la restitution d’une partie des sommes versées. Il obtenait gain de cause en première instance, instance à laquelle l’architecte n’était nullement présent par ailleurs. L’architecte faisait toutefois appel considérant que le projet des époux avait sans cesse évolué et que ses clients avaient réglé chaque note d’honoraire sans aucune discussion ni n’avaient contesté le travail réalisé. Pour le professionnel le contrat n’avait pas été résolu mais résilié alors que les prestations avaient été réalisées et rien ne justifiait que la moitié des honoraires soit restituée. Les époux, quant à eux soutenaient que leur cocontractant avait manqué à son obligation de conseil et d’information.

La cour d’appel infirme le jugement déboutant les parties de leurs demandes de résiliation judiciaire et indemnitaire et les époux de leur demande de voir juger abusive la clause présumant l’accord des maîtres d’ouvrage faute de contestation à l’achèvement de chaque mission. Elle condamne l’architecte à régler une somme au titre des honoraires indûment perçus ainsi qu’une somme au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Si la réponse relative à la recevabilité de la demande des époux peut laisser dubitatif, celle offerte sur le fond des demandes est convaincante.

Concernant la recevabilité de la demande des époux, les juges du second degré visent les articles 122 du Code de procédure civile et L. 211‑1 du Code de la consommation pour juger que la clause du contrat litigieuse 2 ne s’oppose pas à la contestation judiciaire des prestations de l’architecte par les époux « dont les demandes ne peuvent qu’être jugées irrecevables, celle relatif à son caractère prétendument abusif étant dès lors sans objet et devant être rejetée ». La motivation étonne quelque peu au regard du résumé des moyens soutenus par les parties. Il ne nous paraît jamais être fait référence à cette question de la recevabilité de la demande des époux. Néanmoins, l’article 125 du Code de procédure civile autorise le juge à « relever d’office la fin de non‑recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée ». Il paraissait donc essentiel pour les magistrats grenoblois de s’assurer que ladite clause ne remettait pas en cause le droit d’agir du maître de l’ouvrage ce qui leur permet d’en tirer que la demande relative au caractère abusif de la clause est devenue sans objet. La logique n’apparaît toutefois pas limpide et ce d’autant que l’argument développé par les intimés relativement à cette clause était centré sur la charge de la preuve et non sur le droit d’agir en justice. En quoi la recevabilité d’une contestation judiciaire des prestations professionnelles peut‑elle rendre la demande de caractère abusif d’une clause qui serait susceptible de renverser la charge de la preuve en défaveur du consommateur sans objet ?

Concernant les demandes croisées de résiliation judiciaire, la cour d’appel rappelle fort opportunément les textes applicables en la cause à savoir les articles 1224, 1226 et 1229. L’on peut s’étonner toutefois, qu’au regard des demandes, ne soit pas visé l’article 1227 qui prévoit que « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice ». L’accent est clairement mis sur la résolution unilatérale, les conseillers jugeant que les conditions pour celle‑ci étaient remplies et que l’arrêt de la collaboration des époux s’analyse clairement en une résolution unilatérale. Le raisonnement nous paraît convaincre si l’on reprend les articles 1224 et 1226. En effet, à suivre ces textes il faut, pour pouvoir résoudre unilatéralement un contrat, une inexécution « suffisamment grave3 » et une mise en demeure du débiteur de s’exécuter dans un délai raisonnable4, mise en demeure qui doit mentionner expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat5. Si les juges d’appel semblent vérifier la condition de l’inexécution grave, ils ne disent mot de l’exigence de mise en demeure. Quant à l’inexécution, les juges retiennent, d’abord, un manquement au devoir d’information précontractuelle dans la mesure où le professionnel a omis de soumettre le cahier des clauses générales aux maîtres d’ouvrage dès les pourparlers. Ils retiennent, ensuite, un manquement à l’obligation de bonne foi « en conditionnant la remise du permis de construire aux maîtres d’ouvrage à la signature des […] conditions générales ». Cette attitude est analysée par les juges comme « une pression injustifiée sur ses partenaires ». Quant à la mise en demeure, que le Code civil définit comme « une sommation ou un acte portant interpellation suffisante6 », elle semble pouvoir résulter d’un des courriels envoyés par l’épouse qui exigeait la fourniture du permis de construire modifié et corrigé. Les magistrats ne nous paraissent toutefois pas suffisamment rigoureux dans leur motivation sur ce point au regard de la clarté des exigences textuelles et du contrôle susceptible d’être exercé par la Cour de cassation. En revanche, une fois la résolution unilatérale jugée motivée, la conséquence était inéluctable : aucune des demandes de résolution judiciaire ne pouvait être admise la résolution ayant pris effet « à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier7 ».

Si l’arrêt commenté n’est pas toujours aisé à comprendre, la solution retenue nous paraît juste et conforme à l’état du droit commun des contrats.

Notes

1 Ne seront donc pas commentés ici les points relatifs au trop perçu au titre des honoraires et aux dommages et intérêts. Retour au texte

2 Clause qui stipulait qu’à l’achèvement de chaque élément de mission, l’absence d’observations écrites du maître d’ouvrage dans un certain délai ou, à défaut d’indication, sous quinzaine, vaut approbation de celui‑ci. Retour au texte

3 C. civ. art. 1224. Retour au texte

4 C. civ. art. 1226 al. 1. Retour au texte

5 C. civ. art. 1226 al. 3. Retour au texte

6 C. civ. art. 1344. Retour au texte

7 C. civ. art. 1229 al. 2. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Ingrid Maria, « Pas de résolution judiciaire en cas de résolution unilatérale justifiée », BACAGe [En ligne], 02 | 2024, mis en ligne le 17 juin 2024, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=644

Auteur

Ingrid Maria

Professeure de droit privé, co‑directrice du Centre de Recherches Juridiques, Univ. Grenoble Alpes, 38000 Grenoble, France

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