Un an de jurisprudence sur les clauses abusives : des plaideurs téméraires, des juges audacieux, des professionnels imprudents (ou calculateurs)

DOI : 10.35562/bacage.651

Décisions de justice

CA Grenoble, 2e ch. civile – N° 21/03667 – 05 décembre 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 21/03667

Date de la décision : 05 décembre 2023

CA Grenoble, ch. commerciale – N° 22/00322 – 16 novembre 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/00322

Date de la décision : 16 novembre 2023

CA Grenoble, 1re ch. civile – N° 22/00618 – 12 septembre 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/00618

Date de la décision : 12 septembre 2023

CA Grenoble, 1re ch. civile – N° 21/01242 – 28 mars 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 21/01242

Date de la décision : 28 mars 2023

CA Grenoble, ch. commerciale – N° 21/03683 – 27 avril 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 21/03683

Date de la décision : 27 avril 2023

CA Grenoble, ch. commerciale – N° 21/02587 – 02 février 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 21/02587

Date de la décision : 02 février 2023

CA Grenoble, ch. commerciale – N° 21/05232 – 26 janvier 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 21/05232

Date de la décision : 26 janvier 2023

Résumé

Les espèces soumises en 2023 à la cour d’appel de Grenoble en matière de clauses abusives peuvent étonner. D’une part, il faut constater que certains plaideurs, ne répondant manifestement pas à la définition du consommateur ou du non‑professionnel, se lancent tout de même dans une action en justice tendant à faire reconnaître abusive une clause sur le fondement du droit de la consommation. D’autre part, il est à regretter que certains professionnels insèrent encore dans leurs contrats des clauses s’analysant en des clauses noires, préalablement identifiées par le pouvoir réglementaire et irréfragablement présumées abusives.
L’apport majeur de la cour est de trancher une question à notre connaissance inédite : celle de la prescriptibilité ou non de l’action en indemnisation des préjudices subis par le consommateur et découlant de l’insertion d’une clause abusive. Fondée sur la nécessité d’assurer au consommateur une protection effective, l’imprescriptibilité d’une telle action est affirmée par la cour d’appel de Grenoble.

Plan

L’application des dispositions visant à lutter contre les clauses abusives (C. cons., art. L 212‑1 s. ; art. R 212‑1 et 212‑2) faisant toujours l’objet d’un contentieux nourri devant la Cour de cassation, il est intéressant d’aller directement observer les affaires se présentant devant les juges du fond et en l’occurrence la cour d’appel de Grenoble. Ce sont les 1re, 2e chambres civiles ainsi que la chambre commerciale de cette juridiction qui se partagent le traitement de ce contentieux, au demeurant très raisonnable en volume, sept affaires ayant été dénombrées1. Quant à l’objet des contrats concernés, dont le législateur ne se préoccupe pas, il faut noter une grande diversité : extension de garantie d’un véhicule automobile prenant le relais, à son expiration, de la garantie constructeur2, location de panneau publicitaire3, contrat d’entreprise4. Par ailleurs, rappelons que la protection apportée par le droit de la consommation est envisagée sous forme de strates différentes, qui s’agrègent le plus souvent sans s’exclure, tant la puissance économique nocive du professionnel peut se manifester différemment. C’est ainsi que la prohibition des clauses abusives présentes dans un contrat de consommation, mécanisme de droit commun, trouve à s’appliquer dans le cadre de contrats dont la conclusion fait déjà l’objet d’un formalisme extrêmement minutieux, tels le crédit à la consommation, le crédit immobilier5 ou les contrats accessoires à de tels crédits6. En somme, si le droit spécial organise parfois un processus dérogatoire de conclusion du contrat et pourvoit à ce qui doit figurer dans le contrat spécial de consommation, en vue de la parfaite information du consommateur7, la protection contre les clauses abusives traque quant à elle au contraire ce qui ne doit pas y figurer.

Tout comme devant la Cour de cassation, aux deux sources majeures de contentieux en matière de clauses abusives, id est d’abord la qualité de consommateur ou de non professionnel contractant avec un professionnel, conditionnant l’application du dispositif (1) ainsi que la caractérisation d’une clause abusive (3) s’ajoute désormais celle du délai pour agir (2).

1. La qualification de consommateur ou de non‑professionnel : des plaideurs téméraires

La protection contre les clauses abusives profite non seulement au consommateur (C. cons., art. L 212‑1) mais encore au non‑professionnel (art. L 212‑2). L’existence d’une définition du consommateur et du non‑professionnel, objet, notamment, de l’article liminaire du Code de la consommation, serait de nature à tarir le plus gros du contentieux, même si toute zone d’ombre n’est pas effacée8. Ainsi, le consommateur s’entend de « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole » tandis que le non‑professionnel, notion spécifiquement française, vise « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ».

Dans les espèces envisagées, de telles définitions, même imparfaites, constituent en tout cas un filtre suffisant pour faire barrage à des appels au droit de la consommation, dont les mécanismes dérogatoires font envie, qui prennent la forme d’un combat de la dernière chance.

Ainsi une SAS, personne morale acheteuse d’un véhicule utilitaire et ayant conclu pour ce dernier une extension de garantie ne peut valablement se prétendre consommatrice. Dans la même affaire, la cour d’appel balaye également d’un revers de main la qualification de non‑professionnel : « Or, l’intimée a la qualité de professionnel, de sorte qu’elle ne peut invoquer ces dispositions9. » Cela n’était pas douteux ; toutefois, le contexte de conclusion du contrat d’extension de garantie, à savoir l’achat d’un véhicule utilitaire10, aurait pu utilement figurer dans les motifs de la décision. Dans la deuxième affaire, il est bien précisé qu’agit à des fins professionnelles une société dont l’objet est la vente de robe de mariées et qui conclut un contrat de location d’espace publication afin de promouvoir son activité11. Sans que la cour se réfère à la notion, est ici éclatant le rapport direct entre le contrat et l’activité du contractant, le critère du rapport direct semblant de nouveau utilisé par la Cour de cassation12.

Une protection du déséquilibre significatif existant dans les relations entre professionnels (C. com, art L442‑1 I 2), il est à se demander pourquoi les sociétés ne s’étaient pas placées sur ce terrain13. En tout cas, il faut retenir que le juge n’a pas pour le professionnel la grande mansuétude dont il fait montre envers le consommateur, relevant alors d’office une clause abusive14. S’agissant des clauses abusives régies par le Code de commerce, aucune disposition procédurale n’est instituée en ce sens. Le professionnel doit donc faire sienne la maxime qui pourrait découler du présent arrêt :

Professionnel, oublie le juge et son filet
Veille à tes intérêts ou tu perds le procès !

2. Le délai pour agir en matière de clauses abusives : des juges audacieux

La question du délai pour agir en matière de clause abusive se dédouble. En effet, plusieurs actions sont à envisager : il s’agit tout d’abord de l’action principale, cœur du dispositif anti‑abus, tendant à voir réputée non écrite une clause abusive ; il peut s’agir ensuite d’une action complémentaire, en indemnisation des préjudices subis à la suite de l’insertion de la clause abusive.

S’agissant de l’action tendant à voir réputée non écrite une clause abusive, figurant dans les espèces dans un contrat d’entreprise ou un contrat de crédit immobilier, n’était‑elle pas prescrite, cinq ans s’étant écoulés depuis la conclusion dudit contrat d’entreprise ou dudit contrat de crédit immobilier ? C’est ce qu’avaient décidé les premiers juges, considérant que l’erreur sur le taux effectif global (TEG) était détectable sur les documents d’origine, sans qu’il soit besoin d’appliquer des formules mathématiques complexes, soit, concrètement, dès la signature de l’offre de prêt15. Suivant la position jurisprudentielle nette16 et réaffirmée17 de la Cour de cassation, prenant elle‑même appui sur une décision de la Cour de justice18, la chambre commerciale de la cour d’appel de Grenoble ne l’estime pas, proclamant elle aussi19 solennellement l’imprescriptibilité d’une telle action20, par une motivation développée très comparable à celle de la Cour de cassation.

Il semble qu’une telle solution résulte du téléscopage de deux approches, l’une théorique et civiliste, l’autre, consumériste et pragmatique. Tout d’abord, la solution est indéniablement liée à la sanction assortie à la prohibition des clauses abusives, à savoir le réputé non écrit et non la nullité partielle (C. cons., art. L 241‑1). Il s’ensuivrait selon certains auteurs que la clause réputée non écrite est de plein droit illicite, le juge saisi ne faisant que constater cet état préexistant. Le mécanisme ne requérant donc pas fondamentalement l’intervention du juge, il ne saurait être reproché à la victime d’une telle clause de saisir trop tardivement ce dernier21. Par ailleurs, autre approche, c’est l’effectivité même du droit de la consommation, issu du droit de l’Union, qui rend nécessaire une telle solution. Ainsi, selon la Cour de justice,

afin notamment d’assurer une protection effective des droits que le consommateur tire de la directive 93/13, celui‑ci doit pouvoir soulever, à tout moment, le caractère abusif d’une clause contractuelle non seulement en tant que moyen de défense, mais également aux fins de faire déclarer par le juge le caractère abusif d’une clause contractuelle, de sorte qu’une demande introduite par le consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne saurait être soumise à un quelconque délai de prescription22.

Il faut comprendre que si l’imprescriptibilité est tenue comme nécessaire, alors que la Cour de justice reconnaît par ailleurs qu’un délai de cinq ans peut suffire à ménager les intérêts du consommateur, c’est en raison du point de départ du délai. Certes, aux termes de l’article 2224 du Code civil, le point de départ est flottant23, courant « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer », ce qui paraît protecteur. Cependant, il s’avère que ce « jour où le titulaire aurait dû connaître les faits » est souvent fixé par les juges à la date de signature du contrat qui contient les clauses. S’agissant d’un contrat de prêt, dont l’exécution s’échelonne sur une période possiblement très longue, certaines clauses ne trouvant pas nécessairement à s’appliquer dès le début de l’exécution, il faut mesurer l’obstacle indéniable que subirait le consommateur sans la position jurisprudentielle adoptée.

Si l’on peut se réjouir pour le consommateur d’une telle solution, si l’on peut également trouver à cette dernière des vertus préventives et dissuasives de moralisation des comportements du professionnel, soumis à une épée de Damoclès qu’il sait désormais perpétuelle, il reste qu’avec un tel raisonnement, l’on ne sait guère pourquoi la solution serait limitée à l’action du consommateur tendant à voir déclarée une clause abusive. Qu’en est‑il de l’action du non‑professionnel, bénéficiant par ailleurs de la même protection en droit français, mais alors que le droit de l’Union n’envisage que le consommateur et sa protection effective ? Qu’en est‑il de l’action prévue à l’article 1171 du Code civil, pour les contrats de droit commun, pareillement fondée sur la sanction du réputé non écrit ? Qu’en est‑il plus généralement de toutes les actions tendant à voir réputée non écrite une clause ? Et qu’en est‑il des autres actions liées à la reconnaissance, par le juge, d’une clause abusive ? La jurisprudence dans laquelle s’inscrivent les décisions de la cour d’appel de Grenoble porte ainsi en elle, pour l’instant et malgré toutes ses vertus, le ferment d’une insécurité juridique non négligeable.

D’ailleurs, il est remarquable de noter que la chambre commerciale de la cour d’appel de Grenoble va, justement au nom de l’effectivité des droits du consommateur, au‑delà des solutions jusque‑là posées par la Cour de justice et la Cour de cassation. La solution de l’imprescriptibilité est ainsi appliquée à l’action en indemnisation des préjudices découlant de l’existence de la clause abusive, une telle question étant, à notre connaissance, tranchée pour la première fois. Ainsi,

concernant la demande de dommages et intérêts formée en outre […], la cour constate qu’elle n’est que la conséquence de la demande tendant à voir déclarer la clause abusive. Cette demande n’est ainsi pas soumise au délai de prescription quinquennale, s’inscrivant dans la nécessité d’assurer l’effectivité de la prohibition des clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et non‑professionnels24.

L’apport de l’arrêt est donc à souligner, même si on pourra questionner la nécessité d’une telle extension du domaine de l’imprescriptibilité, règle extrêmement dérogatoire et contraire à la sécurité juridique. Il faut en effet mettre cet arrêt, relatif à l’action en indemnisation du consommateur25, en regard des décisions relatives à l’action en restitution26 de sommes indûment versées27 sur le fondement de clauses abusives, elle aussi consécutive à l’action tendant à déclarer ces clauses abusives. La Cour de justice a pu en la matière poser des jalons. Selon cette Cour, si, contrairement à l’action tendant à déclarer ces clauses abusives, l’action aux fins restitutoires peut, sans porter atteinte aux objectifs de la Directive 93/13, être enchâssée dans un délai de prescription prévu par le droit processuel interne, c’est toutefois à la condition que le délai de cinq ans ne commence pas à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt, le consommateur ayant pu, à ce moment‑là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive28. Or, il faut constater que la condition posée par la Cour de justice n’était alors pas remplie en droit français. Qu’à cela ne tienne ! La Cour de cassation, tirant les conséquences d’une telle jurisprudence dans un arrêt rendu quatre mois avant celui discuté29 et proche d’un arrêt de règlement, modifie sectoriellement son appréciation du point de départ flottant de l’article 2224 du Code civil. Ainsi,

il [se …] déduit [des principes posés par la cour de Justice] que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du Code civil et à l’article L. 110‑4 du Code de commerce, de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.

Ce n’est pas le raisonnement suivi par la cour de Grenoble. Prenant également appui sur la décision de la Cour de Justice, constatant implicitement que la condition posée n’est pas remplie, la cour de Grenoble applique aux mêmes causes les mêmes effets. Malgré l’opposition de principe marquée par la Cour de Justice entre l’imprescriptibilité de l’action en constatation d’une clause abusive et la prescriptibilité de l’action restitutoire, l’exercice effectif de l’une comme de l’autre supposerait, pour la cour de Grenoble, leur imprescriptibilité.

Signalons tout de suite que sur le plan pratique, les deux raisonnements arrivent au même effet : l’effectivité des droits du consommateur est pareillement sauvegardée. Dans ces conditions, l’aspect théorique doit être envisagé. De ce point de vue, quel raisonnement choisir ? Ajouter judiciairement un cas d’imprescriptibilité, tenant ainsi en échec l’article 2224 du Code civil, (mais dans le prolongement du premier cas admis, ce qui limite le sentiment de prolifération) ou admettre une appréciation particulière, en matière de clause abusive, du point de départ flottant énoncé au même article 2224 (appréciation particulière car finalement fixe et soustraite à l’appréciation souveraine des juges du fond) ?

L’argument qui tendrait à opposer le coup de force judiciaire (imprescriptibilité non prévue) face à l’intangibilité de la loi (article 2224) porte peu : rappelons que tout ce casse‑tête tient à la primauté et à l’effectivité du droit de l’Union, dont le juge interne n’est que le bras armé ! Dès lors, sans prétendre détenir des arguments péremptoires, on se demande si la solution la moins ravageuse ne serait pas finalement l’imprescriptibilité de cette nouvelle action, telle qu’envisagée par la cour de Grenoble. L’accessoire suivrait le principal en quelque sorte, ce qui n’est pas choquant. Par ailleurs, il nous semble plus opportun d’admettre toujours le même type de dérogation plutôt que de diversifier les coups de boutoir portés à l’article 2224. Enfin, une franche dérogation au principe nous semble préférable à une altération plus diffuse des méthodes d’appréciation, plus perturbatrice. Reste à savoir, dans ce contentieux naissant, comment d’autres juges du fond raisonneront et si la Cour de cassation maintiendra sa position.

3. L’existence d’une clause abusive : des professionnels imprudents (ou calculateurs)

Est d’abord à signaler une décision, rare en pratique, faisant application de l’article R 212‑1 du Code de la consommation, relatif aux clauses irréfragablement présumées abusives. Une liste de douze clauses noires est ainsi dressée par le pouvoir réglementaire. Dans cette hypothèse, l’office du juge est réduit : il perd tout pouvoir d’appréciation de la clause au regard du critère légal du déséquilibre significatif30. Il doit seulement vérifier que la clause correspond bien à l’une de celles visées à l’article R 212‑1. Si c’est le cas, il doit réputer la clause non écrite, tandis que le professionnel n’est pas admis à contredire le caractère abusif de la clause. L’espèce jugée par cour d’appel de Grenoble a trait à un contrat d’entreprise (achat et pose de fenêtres)31. Le consommateur, estimant que le retard avec lequel la prestation a été réalisée lui cause un préjudice, agit en indemnisation devant le tribunal d’instance de Grenoble, qui lui accorde un euro symbolique. En appel, il fait valoir qu’une clause contenue dans le contrat le prive d’une indemnisation intégrale et s’analyse par conséquent en la clause noire no 6, qui a pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non‑professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ». Après avoir retenu l’existence d’un retard (de 22 semaines) et d’un préjudice lié à ce retard, la cour examine la clause, qui stipulait que : « En cas de retard de livraison non justifié, le client ne saurait prétendre qu’à une indemnité forfaitaire et globale de 1 % du montant hors taxe du contrat par semaine de retard au‑delà de deux semaines après la date initialement prévue. Cette indemnité ne saurait excéder 5 % du montant de la commande », au regard de l’article R 212‑1 6. La cour fait le calcul : « la somme éventuellement due était donc de 180 euros par semaine, sans pouvoir dépasser 900 euros », en conclut logiquement qu’au regard du retard très important, la clause conduit bel et bien à réduire de manière très importante le droit à réparation et la déclare abusive. La clause réputée non écrite ne liant ni le consommateur ni le juge, ce dernier alloue au consommateur des dommages et intérêts à hauteur de 3 000 euros.

Dans cette affaire, le seul étonnement suscité ne l’est pas par la décision mais par l’existence, encore actuellement, d’une clause noire dans des contrats conclus par un professionnel ayant ici le statut de franchisé d’une enseigne grand public bien connue de pose de fenêtres. Ajoutons pour finir que le professionnel, ici personne physique, s’expose par ailleurs, par l’insertion de cette clause noire, à une amende administrative ne pouvant excéder 15 000 €32.

En dehors de ces clauses noires, le juge recouvre son pouvoir d’appréciation. Toutefois, la prohibition des clauses abusives ne constitue pas un nouveau cas de lésion. Par conséquent, « l’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (C. cons., art. L 212‑1 al 3). Dans une affaire, un consommateur avait souscrit un prêt immobilier et avait adhéré au contrat d’assurance groupe33. Après le décès de l’emprunteur assuré, âgé de plus de 70 ans, son héritier demande en justice la prise en charge par l’assureur du solde du prêt. Il est débouté. Une clause du contrat d’assurance‑garantie décès était ainsi rédigée : « La garantie prend fin au terme initialement prévu au contrat de prêt et en tout état de cause, au plus tardivement à la première échéance de remboursement qui suit le 75e anniversaire de l’assuré, s’il a souscrit à la garantie personne âgée, à la première échéance de remboursement qui suit le 70e anniversaire de l’assuré s’il n’a pas souscrit à cette garantie. » Par ailleurs, sur l’offre d’assurance, l’emprunteur assuré avait coché la case selon laquelle il n’adhérait pas à la garantie personnes âgées. En appel, l’héritier invoque, à titre principal, l’inopposabilité de cette clause et à titre subsidiaire son caractère abusif, la clause ayant pour effet, selon lui, de réduire la durée de garantie à un terme inférieur à la durée de l’obligation de paiement, créant ainsi un déséquilibre significatif. La cour d’appel de Grenoble confirme sans surprise le premier jugement. D’une part, « la clause portait sur l’objet principal du contrat, à savoir la garantie du risque décès », étant dès lors soustraite par principe à l’appréciation du caractère abusif. La cour lève d’autre part la réserve contenue dans le texte précité. La clause étant « rédigée sans aucune ambigüité, à savoir qu’il s’en déduisait clairement qu’à défaut de souscription de la garantie personne âgée, la garantie décès prenait fin à la première échéance de remboursement suivant le 70e anniversaire de l’assuré », l’appréciation d’une telle clause au crible du déséquilibre significatif n’est pas davantage permise.

Trois autres affaires montrent l’appréciation concrète du critère du déséquilibre significatif à des clauses figurant dans un crédit immobilier. Dans les deux premières, qui avaient trait à un prêt avec période d’anticipation, la cour écarte un tel déséquilibre34. L’originalité de tels prêts est de concerner l’acquisition d’une maison avec la réalisation de travaux. Une période d’anticipation est prévue, destinée à différer le paiement des intérêts et le remboursement du capital, le temps de la réalisation des travaux. L’emprunteur se plaignait de l’existence d’une clause abusive ayant pour objet la liquidation du coût du crédit, le taux effectif global (TEG) n’ayant pas pris en compte les frais de la période d’anticipation. Il faut tout de suite remarquer qu’ici les règles spéciales du crédit immobilier étaient les plus aptes à régler la question. Si les dispositions sur les clauses abusives étaient invoquées, c’était vraisemblablement en raison de l’imprescriptibilité de l’action attachée à la constatation de telles clauses, reconnue par la cour.

Il reste que dans son appréciation du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, la cour s’appuie sur les effets réels de la clause de liquidation des coûts du crédit, tant pour l’établissement bancaire que pour le consommateur. Bien que l’appréciation du déséquilibre doive être globale, au regard de toutes les clauses du contrat, ces dernières ne sont pas invoquées par la cour, ne présentant sans doute aucune originalité susceptible de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Selon la cour, la clause discutée n’a ni avantagé l’établissement bancaire, ni pénalisé le consommateur. En effet,

cette période de préfinancement n’est pas une prérogative unilatérale du prêteur, mais de l’emprunteur, lequel reste maître de l’avancement de son projet d’acquisition. En raison de l’impossibilité pour la banque de prévoir la durée de ce préfinancement, sur laquelle elle n’a aucune maîtrise, il en résulte qu’elle ne peut calculer le montant des intérêts et des primes d’assurances dus pendant cette période et les intégrer au TEG35.

Le caractère abusif est rejeté.

Dans la dernière décision commentée36, la cour déclare abusive une clause d’autorisation de prélèvement au bénéfice du prêteur, ainsi rédigée :

L’emprunteur autorise le prêteur à débiter de façon permanente tout compte dont il peut ou pourra être titulaire ou cotitulaire, du montant des sommes exigibles en vertu du prêt. La validité de l’autorisation de prélèvement et sa prise d’effet sont subordonnées à celles du contrat de crédit, si le crédit est soumis aux articles L 312‑1 et suivants du Code de la consommation.

Ici encore, l’appréciation du déséquilibre significatif se fait à l’aune de cette seule clause. La cour met en avant la particularité de cette dernière, par comparaison avec une clause de prélèvement classique, difficilement qualifiable quant à elle d’abusive car ne faisant qu’organiser matériellement le paiement du prêt tel que convenu dans l’offre de crédit acceptée. Une telle clause classique ne permettrait que le paiement, par voie de prélèvement, à la date d’échéance convenue. Or la clause discutée offrait des prérogatives autrement plus étendues à l’établissement bancaire, placé dans une situation de supériorité nuisible au consommateur et dont il ne pouvait se prémunir. Ainsi,

par la généralité de ses termes, dont le Crédit Agricole tire la possibilité de prélever sur le compte de l’emprunteur à tout moment et sans avis préalable, la clause ne se limite pas à la simple mise en œuvre des modalités contractuelles de paiement pour assurer le règlement au prêteur, le 20 de chaque mois, de l’échéance exigible, mais prive le titulaire du compte, tenu dans l’ignorance de sa date de mise en œuvre, de toute faculté de révocation de l’ordre de paiement en cas de litige et confère au prêteur une capacité d’exécution forcée de sa créance sur les biens de son débiteur, créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat de prêt.

Après avoir retenu le caractère abusif de la clause, la cour ordonne à titre restitutoire, le remboursement des paiements effectués indûment.

Le contentieux des clauses abusives porté devant la cour de Grenoble, dont le lecteur a pu mesurer la richesse, est à suivre. Vivement 2024 !

Notes

1 Nous précisons qu’il s’agit là des résultats d’une recherche menée sur Juris‑Data. Retour au texte

2 CA Grenoble, ch. com., 2 février 2023, no RG 21/02587. Retour au texte

3 CA Grenoble, ch. com., 26 janvier 2023, no RG 21/05232. Retour au texte

4 CA Grenoble, 2e ch. civ., 5 décembre 2023, no RG 21/03667. Retour au texte

5 Voir CA Grenoble, ch. com., 16 novembre 2023, no 22/00322 ; CA Grenoble, ch. com., 27 avril 2023, no RG 21/03683, CA Grenoble, 1re ch. civ., 12 septembre 2023, no RG 22/00618. Retour au texte

6 CA Grenoble, 1re ch. civ., 28 mars 2023, no 21/01242 (contrat d’assurance). Retour au texte

7 L’obligation générale d’information est également applicable (C. cons., art. L111‑1 à L114‑1) Retour au texte

8 Voir J‑D. Pellier, Droit de la consommation, Dalloz, Droit privé, 4e éd., 2024, nos 11 et 12. Retour au texte

9 CA Grenoble, ch. com., 2 février 2023, préc. Retour au texte

10 Comp., hors clause abusive, pour un achat de véhicule utilitaire, dans une affaire ayant pour enjeu l’application de la prescription biennale de l’action en paiement du professionnel contre un consommateur (C. cons., art. L 218‑2), la cour qui met à la charge de celui qui se prévaut de cette courte prescription la démonstration de sa qualité de consommateur : « Dès lors en faisant l’acquisition le 24 janvier 2017 d’un véhicule utilitaire de marque IVECO, dont il n’offre pas d’établir qu’il était destiné à un usage strictement privé sans lien avec son activité déclarée de maçon, M. [W] doit être considéré comme ayant fait un achat pour les besoins de son activité professionnelle, ce qui exclut l’application de la courte prescription invoquée. » (CA Grenoble, 1re ch. civ., 23 mai 2023, no RG 21/04492) Retour au texte

11 CA Grenoble, ch. com., 26 janvier 2023, préc. Retour au texte

12 Cass. com., 11 octobre 2023, no 22‑10.521, Contrats, conc. consom. 2023, comm. 196, obs. S. Bernheim‑Desvaux. Retour au texte

13 Il est vrai que la protection organisée par le Code de commerce tient, selon le texte, en une responsabilité civile de l’auteur du déséquilibre, même si l’éradication de la clause, comme sanction complémentaire, n’est pas à exclure. Retour au texte

14 Sur l’obligation du juge de relever d’office le caractère abusif d’une clause dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait suffisants, voir CJCE, 4 juin 2009, aff. C‑243/08 et déjà CJCE, 26 octobre 2006, aff. C‑168/05. Voir aussi C. cons., art. R. 632‑1, al. 2, issu de la loi du 14 mars 2014. Retour au texte

15 CA Grenoble, ch. com., 16 novembre 2023. Pour l’affaire jugée le 27 avril 2023, le consommateur n’avait pas fondé son action en 1re instance sur l’existence d’une clause abusive. Nouvelle devant la cour, cette demande n’en est pas moins recevable car tendant aux fins que celle développée devant les premiers juges. Retour au texte

16 Cass. civ. 1re, 13 mars 2019, no 17‑23.169, Contrats, conc. consom. 2022, comm. 112, obs. S. Bernheim‑Desvaux, RD bancaire et fin. 2019, comm. 117, obs. T. Samin et S. Torck, JCP E 2019, 1425, obs. J. Lasserre Capdeville, RLDA 2019, no 147, RTD civ. 2019, p. 334, obs. H. Barbier, D. 2019, p. 1033, note A. Etienney‑de Sainte Marie. Retour au texte

17 Cass. com., 8 avril 2021, no 19‑17.997 ; Cass. civ. 1re, 2 février 2022, no 20‑10.036, F‑D et no 19‑20.640, FS‑B, Contrats, conc. consom. 2022, comm. 69, obs. S. Bernheim‑Desvaux, JCP E 2022, 1337, no 17, obs. M. Correia et J. Lasserre‑Capdeville, RD bancaire et fin. 2022, comm. 81, obs. N. Mathey ; Cass. civ. 1re, 30 mars 2022, no 19‑12.947 et no 19‑22.074 [2 arrêts], RD bancaire et fin. 2022, comm. 81, obs. N. Mathey ; Cass. civ. 1re, 30 mars 2022, no 19‑17.996, FS‑B, Comm. com. électr. 2022, comm. 33, obs. G. Loiseau, RD bancaire et fin. 2022, comm. 82, obs. N. Mathey ; Cass. civ. 1re, 7 décembre 2022, no 21‑18.673, Contrats, conc. consom., février 2023, comm. 33 obs. S. Bernheim‑Desvaux. Retour au texte

18 CJUE, 1re ch., 10 juin 2021, aff. C‑776/19 et C‑782/19, RD bancaire et fin. 2021, comm. 142, note A. Gourio et M. Gillouard, Europe 2021, comm. 312, note V. Bassani. Retour au texte

19 Comme la plupart des juridictions du fond : voir Cerclab – synthèse de jurisprudence – document no 5705 (6 novembre 2021) – protection contre les clauses abusives dans le code de la consommation – régime –action d’un consommateur – procédure – recevabilité – délai pour agir – prescription, <https://cerclab.univ-lorraine.fr/notice/5705/doc>. Retour au texte

20 Dans deux arrêts : CA Grenoble, ch. com., 27 avril 2023, préc. et 16 novembre 2023, préc. Retour au texte

21 Voir N. Sauphanor‑Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux, L. Usunier, Les contrats de consommation ; règles communes, Lgdj, Traité de droit civil, 2e éd., 2018, no 1267 s ; S. Gaudemet, La clause réputée non écrite, préf. Y. Lequette, Economica, 2006 ; J. Kullmann, « Remarques sur les clauses réputées non écrites », D. 1993. 59. Contra J. Calais‑Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 10e éd., 2020, no 182, p. 203, note no 1 et no 187, p. 209, note no 1. Voir également A. Posez, « De la prétendue imprescriptibilité de la clause réputée non écrite », D. 2014. 2119. Retour au texte

22 CJUE, 1re ch., 10 juin 2021, préc., § 38. Retour au texte

23 Voir sur ce thème S. Milleville, « La détermination du point de départ du délai quinquennal de prescription de l’article 2224 du Code civil », BACAGe, juin 2024. Retour au texte

24 CA Grenoble, ch. com., 16 novembre 2023, préc., § 35. Retour au texte

25 Dans une décision récente, la Cour de justice semble d’ailleurs n’admettre le principe d’une indemnisation du consommateur s’ajoutant aux restitutions auxquelles il peut prétendre que dans le cas où le contrat contenant une clause abusive tombe en son entier : CJCE, 21 juin 2023, C‑520/21, § 74 et 85. Retour au texte

26 Sur l’affirmation d’un tel effet restitutoire, fondé sur le nécessaire rétablissement de la situation en droit et en fait dans laquelle le consommateur se serait trouvé en l’absence de la clause abusive, voir CJUE, 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, § 61 et 62. Retour au texte

27 Notamment remboursement des mensualités versées, des frais payés au titre de l’exécution de ce contrat ainsi que du paiement des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure (pour un prêt). Retour au texte

28 CJUE, 1re ch., 10 juin 2021, aff. C‑776/19 et C‑782/19, § 43 à 48. Voir aussi CJUE, 9 juillet 2020, aff. C‑698/ 18 et C‑699/ 18. Retour au texte

29 Cass. civ. 1re, 12 juillet 2023, no 22‑17.030, Bull. Retour au texte

30 Notons qu’ici la cour précise, après avoir identifié une clause noire, que « les limitations de cette clause conduisent à créer, au détriment des époux, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties », ce qui n’était pas utile. Retour au texte

31 CA Grenoble, 2e ch. civ., 5 décembre 2023, préc. Retour au texte

32 C. cons., art. L 241‑2. Pour une personne morale, l’amende est portée à 75 000 € maximum. Retour au texte

33 CA Grenoble, 1re ch. civ., 28 mars 2023, no 21/01242. Retour au texte

34 CA Grenoble, ch. com., 16 novembre 2023, préc., CA Grenoble, ch. com., 27 avril 2023, préc. Retour au texte

35 CA Grenoble, ch. com., 16 novembre 2023, préc. Retour au texte

36 CA Grenoble, 1re ch. civ., 12 septembre 2023, préc. Retour au texte

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Référence électronique

Nathalie Pierre, « Un an de jurisprudence sur les clauses abusives : des plaideurs téméraires, des juges audacieux, des professionnels imprudents (ou calculateurs) », BACAGe [En ligne], 02 | 2024, mis en ligne le 17 juin 2024, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=651

Auteur

Nathalie Pierre

Maître de conférences, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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