Si les exigences de forme et de fond posées par le législateur en matière de contrat de construction de maison individuelle permettent de protéger le maître d’ouvrage d’un constructeur trop pressant, force est de constater que leur sanction est fréquemment un moyen pour le premier de régler par le vide le problème d’une exécution défaillante par le second, en provoquant la nullité du contrat là où une exécution forcée en nature s’imposait raisonnablement. La conséquence est de favoriser en pratique l’issue d’une démolition des immeubles d’habitation à la construction défaillante, tendance aujourd’hui contrebalancée par le contrôle de proportionnalité de la démolition au regard de la gravité des désordres et autres non‑conformités.
L’arrêt de la 2e chambre de la cour d’appel de Grenoble du 30 mai 2023 illustre parfaitement ces tendances, lui qui présente une situation fort similaire à celle ayant mené à l’arrêt notable du 14 mai 2020 rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation1. Ici aussi, un donneur d’ordre cherche à obtenir la nullité d’un contrat de construction de maison individuelle pour d’importants défauts d’implantation de l’immeuble construit ; ici, de même, ce donneur d’ordre entend se fonder sur les exigences tirées des articles L. 231‑2 et ‑4 du Code de la construction de l’habitation, et plus particulièrement sur la nécessité, à titre de validité du contrat, de l’existence au moment de sa signature d’un titre de propriété ou droit réel permettant au maître de l’ouvrage de construire sur le terrain destiné à l’implantation2 ; ici, encore, la solution dépendra de l’application du a) de l’article L. 231‑4 permettant de pallier l’absence de titre de propriété ou de droit réel sur le terrain par l’existence d’une promesse de vente du terrain au bénéfice du maître d’ouvrage, le contrat de construction étant alors conclu sous condition suspensive de l’acquisition du terrain3.
1. Un arrêt infirmatif bienvenu
Pour le tribunal judiciaire de Bourgoin‑Jallieu, il n’y avait en l’occurrence pas de raisons suffisantes pour prononcer la nullité. Peut‑être en raison de la signature tardive du contrat par le constructeur qui n’avait pas apposé sa marque sur l’acte initial du 6 juillet 2016, mais sur un acte aux mentions modifiées et corrigées envoyé au maître d’ouvrage le 27 octobre suivant, et donc postérieurement à la conclusion d’une promesse de vente par le propriétaire du terrain au bénéfice du donneur d’ordre, le 22 juillet. Peu importe, puisque cette seconde version du contrat était bien antidatée au 6 juillet 2016, date à laquelle la promesse de vente n’était pas encore conclue. L’autre hypothèse expliquant le raisonnement du tribunal judiciaire serait une interprétation bien trop généreuse de l’art. L. 231‑4, estimant qu’une simple promesse d’achat du terrain par le maître d’ouvrage suffirait à remplir la condition de l’existence d’une promesse de vente. C’est en tout cas sur ce terrain que la cour d’appel motive son adéquate décision, respectueuse de la lettre du Code de la construction et de l’habitation : une promesse d’achat n’est pas une promesse de vente, et ne garantit que l’existence d’une tentative future d’obtenir un droit sur la parcelle visée, là où la loi impose la garantie bien plus forte de l’existence d’un droit de propriété potentiel auquel ne manque que la volonté du maître d’ouvrage pour être concrétisé. La cour ne se laissera point convaincre par les contre‑arguments du constructeur, affirmant faiblement que l’existence d’une promesse d’achat du donneur d’ordre au profit du propriétaire actuel du terrain manifestait l’existence d’un « titre de propriété » permettant de construire.
La cour n’accordera pas plus de crédit à l’argument selon lequel le défaut d’existence d’une promesse de vente n’entacherait le contrat que d’une nullité relative, couverte ensuite par la conclusion de la promesse et la régularisation de la vente le 21 avril 2017. La mobilisation par le constructeur de l’arrêt de 3e chambre civile du 6 juillet 20114 au soutien de ses prétentions est battue en brèche ; dans cet arrêt de 2011, si les dispositions d’ordre public de l’art. L. 231‑2 sont sanctionnées par une nullité susceptible d’être couverte, ce n’est que parce que les règles concernées portaient sur des énonciations obligatoires du contrat. En l’espèce, le problème ne porte point sur une simple énonciation manquante, mais sur le défaut d’une condition de fond pour la validité de la convention, et la nullité ne peut donc être couverte.
Ainsi, le maître d’ouvrage n’ayant au jour de la signature qu’une promesse d’achat à présenter et aucun titre de propriété, droit réel ou promesse de vente, le jugement du tribunal judiciaire est infirmé et la nullité du contrat de construction est prononcée. La cour ne satisfera pas en revanche la demande du donneur d’ordre en vue du constat de la caducité du contrat de vente du terrain, fondée sur une hypothétique interdépendance des contrats de construction et de vente. S’il est indéniable que dans les faits le donneur d’ordre a acheté le terrain dans la perspective d’y faire construire une maison d’habitation, il ne rapporte pas la preuve d’une volonté commune des parties impliquées de rendre les deux contrats interdépendants5. Sur le fondement d’un dispositif dont le but est de protéger le donneur d’ordre d’un constructeur trop hâtif qui le pousserait à s’engager sans terrain, demeure donc cette stricte nullité prononcée pour défaut d’existence d’une potentialité sérieuse de propriété de la parcelle au moment de la signature du contrat de construction, alors même que la vente s’est ensuite concrétisée dans les faits. La sévérité d’une telle sanction instrumentalisée a pu inspirer quelques critiques sur le dispositif légal, comme chez G. Casu à l’occasion de son commentaire de l’arrêt du 14 mai 20206, critiques tempérées par l’existence d’un contrepoids au couperet de la nullité trouvé dans l’exigence de proportionnalité de la sanction de démolition.
2. Une sanction de démolition proportionnée
Pour mémoire, avant même la réforme du droit des contrats de 2016 et l’introduction de l’article 1221 instaurant un contrôle de proportionnalité entre le coût d’une exécution en nature pour le débiteur de bonne foi et l’intérêt du créancier en matière d’exécution forcée en nature, la Cour de cassation « avait infléchi sa jurisprudence en admettant que certaines demandes pussent se heurter au principe de proportionnalité, même en dehors d’une atteinte à un droit fondamental7 ». Ainsi jugé pour une demande de démolition consécutive à une annulation du contrat de construction de maison individuelle, dans un arrêt remarqué de la 3e chambre du 15 octobre 20158 ; ainsi encore pour une demande de démolition d’un immeuble construit au mépris du cahier des charges d’un lotissement dans un arrêt abondamment commenté du 13 juillet 20229. L’antériorité du contrat litigieux à l’entrée en vigueur du nouveau droit des contrats n’est donc pas un obstacle au contrôle de proportionnalité opéré par la cour d’appel, que l’on approuvera sur le fond de l’affaire tant les défauts de la construction présentent un caractère dommageable, voire dangereux.
S’il aurait été théoriquement loisible à la cour d’appel d’apprécier souverainement la sanction de démolition comme disproportionnée, les arguments en faveur de cette appréciation se révèlent non pas seulement faibles, mais proprement inexistants. Le constructeur, loin de présenter des éléments de fait pertinents, semble se contenter d’un argument sans développement en estimant la démolition disproportionnée, sans plus de précisions. Sans doute le fait qu’il ait lui‑même en réalité admis la nécessité de la démolition dans une lettre de mai 2018 l’empêchait de pousser trop loin une argumentation qui aurait confiné au dédit. De l’autre côté de la balance des intérêts, le poids des implications des malfaçons est écrasant : le défaut d’implantation de la maison sur sa parcelle10 crée un vide de construction entre elle et la propriété mitoyenne, vide laissé libre aux intempéries et qu’il n’est pas possible d’entretenir étant donné son inaccessibilité, menaçant de conséquences sur la solidité et l’impropriété à destination du bâtiment d’habitation. Écrasant également l’avis technique d’un ingénieur qui remarque le défaut de chevauchement de blocs à brancher enterrés subissant la poussée des terres, et même l’absence d’un mur de soutènement pourtant prévu sur le plan de masse, sans mesure de protection provisoire pour compenser ce manquement. Le contrôle de proportionnalité de la sanction de démolition était ainsi aisé en l’espèce, et la cour d’appel condamne comme se doit le constructeur, à ses frais et sous sa responsabilité, à démolir la construction défaillante et à remettre en état le terrain. Une juste sanction contrebalançant ainsi le détournement pragmatique de l’article L. 231‑4, au regard des intérêts protégés.