La responsabilité de la collectivité au titre de l’illégalité fautive d’un arrêté de péril imminent doit s’apprécier à la date d’édiction de cet arrêté

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Décision de justice

CAA Marseille, 2e chambre – N° 24MA00731 – 28 mars 2025

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 24MA00731

Numéro Légifrance : CETATEXT000051408955

Date de la décision : 28 mars 2025

Index

Mots-clés

police administrative, bâtiments menaçant ruine, péril imminent, responsabilité

Rubriques

Police des édifices menaçant ruine

Résumé

CAA Marseille, 28 mars 2025, n24MA00731, commune de Marseille

La contestation d’un arrêté de péril imminent relève du plein contentieux. Toutefois, dans le cadre d’un contentieux indemnitaire, pour apprécier si l’illégalité fautive d’un tel arrêté a engagé la responsabilité du maire, le juge apprécie la légalité de cet arrêté à la date où le fait générateur de la créance est constitué.

En l’espèce, le rapport d’expertise judiciaire concluait à l’existence d’un péril grave et imminent en raison de la destruction de la toiture de l’immeuble de la requérante et la dégradation de sa charpente à la suite de l’incendie survenu dans l’appartement situé au troisième étage de cet immeuble. Pour déterminer si l’administration a commis une illégalité fautive, la cour a examiné la légalité de l’arrêté de péril au regard des circonstances de droit et de fait existantes au moment où cet arrêté a produit ses effets, sans tenir compte d’un rapport établi postérieurement audit arrêté. Elle a ainsi jugé qu’à la date de son arrêté et en l’état des connaissances dont il disposait, le maire a pu estimer, au vu des conclusions expertales dont il disposait, que l’état de la propriété présentait un risque pour la stabilité du bâti ou pour la sécurité des occupants et de la voie publique et était de nature à justifier l’usage de ses pouvoirs de police spéciale relevant de l’article L. 511‑3 du code de la construction et de l'habitation.

Conclusions du rapporteur public

Allan Gautron

Rapporteur public

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  • IDREF

Monsieur le président, madame, monsieur,

- I -

Le 31 octobre 2020, un incendie a eu lieu dans l’appartement situé au troisième étage d’un immeuble dont la société A est propriétaire, situé au B à Marseille. Sur le fondement de l’article L. 511‑3 du CCH, le maire de cette commune a alors saisi le JRTA de Marseille lequel, par une ordonnance du 5 novembre 2020, a prescrit une expertise aux fins de décrire l’état de l’immeuble en cause et de donner son avis sur l’existence d’un péril grave et imminent. L’expert commis a déposé son rapport le 9 du même mois.

Le jour‑même, le maire de Marseille interdisait l’occupation de l’immeuble dont s’agit puis, le 16 novembre 2020, il abrogeait cette mesure et, constatant l’état de péril imminent l’affectant, en interdisait l’occupation et l’utilisation des trois premiers étages, sur le fondement des mêmes dispositions. Le 1er juillet 2021, il prononçait la mainlevée de cet arrêté. Par un jugement du 24 janvier 2024, le même tribunal, saisi par la société A, a en conséquence prononcé un NLAS sur ses conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté de péril imminent du 16 novembre 2020, avant de condamner la collectivité à lui verser la somme totale de 7 880,17 € en réparation de ses préjudices consécutifs à l’illégalité de ce dernier et de mettre à sa charge les dépens de l’instance.

La collectivité relève régulièrement appel de ce jugement devant vous, dans cette mesure. La société A n’a pas présenté d’appel incident.

- II -

Nous notons, à titre liminaire, que si la requérante évoque tour à tour l’absence de prise en compte d’un mémoire produit par elle après la CI et « l’irrégularité du jugement » attaqué, elle ne soulève toutefois expressément aucun moyen se rattachant à cette cause juridique.

La seule question dont vous êtes saisis est donc celle de sa responsabilité fait de l’illégalité fautive prétendue de l’arrêté précité. Pour y répondre, il vous faut alors déterminer préalablement à quelle date vous devez vous placer pour apprécier sa légalité dans ce cadre, eu égard notamment à la circonstance que la matière désormais relevant du plein contentieux, de sorte qu’en tant que juge de la légalité, cette date est celle à laquelle vous statuez (v. CE 23 décembre 2020, commune de Régny, no 431843 B ; rappr. à propos des arrêtés de péril ordinaire : CE 18 décembre 2009 SCI C no 315537 B). En d’autres termes, quelle est l’incidence éventuelle de cette circonstance sur le terrain de la responsabilité ?

D’emblée, nous aurions tendance à considérer que la légalité d’un acte administratif doit toujours s’apprécier à la même date, que l’on soit sur le terrain de sa légalité ou sur celui de son illégalité fautive.

Mais cette identité n’est plus systématique aujourd’hui, même dans le contentieux d’excès de pouvoir, du fait du développement de « l’appréciation dynamique de la légalité » de certains actes administratifs, pour reprendre l’expression forgée par MM. D et E (v. « Le début d’une révolution pour la juridiction administrative » AJDA 2014 p. 99), laquelle conduit le juge statuer sur leur légalité à la date de sa décision (v. Ass. 9 juillet 2019 Association F nos 424216 424217 A). Ceci, sans préjudice cependant de son appréciation à leur date d’édiction lorsque la responsabilité pour faute de l’administration, du fait de l’illégalité de ces actes, est en jeu, comme dans la présente affaire, ainsi que le soulignait déjà M. Lallet dans ses conclusions sur la décision d’Assemblée précitée (v. également celles de Mme Guibé sur CE 27 novembre 2020 ANODE, soc. Directe Energie nos 415545-416853 C, précisant, dans un litige mixte, que « lorsque la demande tend à la réparation d’un préjudice résultant d’un refus d’abrogation, le juge de l’excès de pouvoir et le juge de l’indemnisation » sont « amenés à se placer dans des horizons temporels différents pour apprécier l’existence d’une illégalité et d’une faute »).

Un raisonnement par analogie, en matière de plein contentieux dit « objectif », ne proscrit alors pas de retenir deux dates différentes d’appréciation de la légalité des arrêtés de péril.

Surtout, l’illégalité de l’acte administratif n’intéresse le contentieux indemnitaire en pareille hypothèse non en elle-même, mais parce qu’elle constitue le fait générateur de la créance de l’administré.

Or, comme l’a jugé la cour de Douai le 21 décembre 2023, la date de ce fait générateur est normalement celle à laquelle l’arrêté de péril – certes ordinaire, mais nous ne voyons pas en quoi un arrêté de péril imminente diffèrerait sur ce point – a commencé à produire ses effets (v. M. Guerza no 22DA02477 et les conclusions de M. Gloux‑Saliou dans cette affaire). Comme le soulignait M. Séners dans les siennes dans une affaire G jugée le 17 octobre 2008 par votre juge de cassation (v. nos 291177‑291178 B) :

« De façon générale, la jurisprudence repose, en matière financière, sur l’idée que les situations doivent être regardées comme constituées à la date à laquelle se produit le fait générateur de la dépense, de la recette, de la dette ou de la créance. C’est ainsi, notamment, que les créances et droits que font naître les dommages consécutifs à un accident sont déterminés par la législation en vigueur à la date de cet accident » (v. notamment Ass. 21 mars 1947 Veuve. H Rec. p. 122, jugeant que « le droit à la réparation du dommage personnel s'ouvre à la date de l'accident » et Sect. 1er juillet 1966 Avignon Rec. p. 436 ; comp. en présence d’un droit à indemnisation né postérieurement, par l’effet de la loi : CE 28 juin 2017 M. I no 409777 A ; 27 janvier 2020 Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires no 429574 B).

Dès lors, si la contestation d’un arrêté de péril imminent relève du plein contentieux, pour apprécier si l’illégalité fautive d’un tel arrêté a engagé la responsabilité de la collectivité, nous vous proposons d’apprécier sa légalité à sa date d’édiction, qui, en l’espèce, est celle à laquelle l’arrêté en litige a commencé à produire ses effets, soit le 16 novembre 2020. C’est, par suite, à cette date que sa légalité doit s’apprécier dans le cadre du présent litige.

À cette date, si le maire de Marseille n’était pas, contrairement à ce qui est soutenu, en situation de compétence liée pour prendre ledit arrêté, eu égard à son pouvoir d’appréciation en la matière (v. le concernant CE 15 avril 1996 ville de Bordeaux no 130244 C ; sur l’absence de compétence liée en résultant : Sect. 3 février 1999 J nos 149722-152848 A), le rapport d’expertise judiciaire dont il disposait alors concluait sans ambiguïté à l’existence d’un péril grave et imminent en raison de la destruction de la toiture de l’immeuble de la requérante et la dégradation de sa charpente à la suite de l’incendie survenu dans l’appartement situé au troisième étage de cet immeuble. En l’absence de tout autre élément porté à la connaissance du maire de Marseille et de nature à remettre en cause cette analyse, à cette même date, c’est donc sans méconnaître l’article L. 511‑3 du CCH que ce dernier a pris l’arrêté contesté.

Au regard de ce qui précède, la requérante ne peut utilement se prévaloir, à cet égard, d’un rapport contraire établi à sa demande le 27 novembre 2020, soit postérieurement audit arrêté.

Par suite, elle ne saurait rechercher la responsabilité de la collectivité au titre de son illégalité fautive. Sans qu’il soit besoin d’examiner la faute éventuelle de l’intéressée, le jugement attaqué doit, dès lors, être infirmé, dans la mesure dans laquelle il vous est déféré.

- III -

Dans les circonstances particulières de l’espèce, vous pourrez, pour terminer, de laisser à chaque partie la charge de ses frais d’instance.

Par ces motifs nous concluons à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il condamne la commune de Marseille à indemniser la société A, au rejet de la demande indemnitaire de cette société devant le Tribunal et au rejet du surplus des conclusions des parties.

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