Publicité des débats ou confidentialité des échanges devant le bureau de conciliation et d’orientation : le Temps des secrets

DOI : 10.35562/bacage.1375

Décision de justice

CA Grenoble, ch. sociale – N° 22/03760 – 01 avril 2025

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/03760

Date de la décision : 01 avril 2025

Résumé

Le non-respect de la confidentialité des échanges devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes n’entraîne pas la nullité du préalable de conciliation ni celle de la procédure de jugement. La nullité prévue par l’article 446 du Code de procédure civile en cas de violation des règles de publicité des débats instaurées par l’article 433 du même code ne saurait s’appliquer aux échanges ayant lieu lors de la conciliation devant le bureau de conciliation et d’orientation.

Plan

Il y un temps pour tout. Un temps pour concilier et un temps pour juger. Si 83 % des Français estiment qu’il est préférable de tenter une résolution amiable avant de saisir le juge1, la bonne volonté n’est pas toujours suffisante pour mettre fin à un litige. Le préalable amiable obligatoire n’échappe pas à cette réalité. En cas d’échec, c’est la phase contentieuse qui s’ouvre créant plus ou moins une rupture avec la phase amiable selon qu’elle ait été menée par le juge lui‑même, par un autre juge ou par un conciliateur de justice. Le principe de confidentialité est un marqueur de cette séparation entre la phase amiable et la phase contentieuse en donnant lieu à des applications différentes en fonction du statut de celui qui a mené la conciliation. À cet égard, la cour d’appel de Grenoble a été conduite à s’interroger sur la place de ce principe dans le cas d’une conciliation préalable menée par le bureau de conciliation et d’orientation (BCO).

L’arrêt rendu par la chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble le 1er avril 2025 n22/03760 permet de soulever une question sur la confidentialité : la conciliation devant le BCO du conseil de prud’hommes est‑elle soumise à la confidentialité ? Dans cette affaire, l’employeur soulevait la nullité de la procédure sur le fondement de l’article 446 du Code de procédure civile en raison du non‑respect des règles de publicité des débats prévues par l’article 433 du même Code et l’article L. 1454‑3 du Code du travail qui dispose que les séances devant le BCO ne sont pas publiques. Par son raisonnement, l’employeur établit un lien entre la publicité des débats et leur confidentialité. Il en déduit que le salarié qui fait état des débats tenus à l’audience de conciliation lors de la procédure de jugement viole le principe de confidentialité et par voie de conséquence viole les règles de publicité du débat.

La réponse de la cour d’appel peut être analysée en deux temps. D’une part, la cour admet l’existence, en l’espèce, du non‑respect de la confidentialité des échanges devant le BCO. Le principe de confidentialité des échanges devant le BCO pourrait alors sembler acquis. D’autre part, elle estime que ce non‑respect de la confidentialité des échanges n’entraîne pas la nullité du préalable amiable et de la procédure puisque l’article 433 du Code de procédure civile ne concerne que les débats devant une juridiction de jugement et non les échanges devant le BCO.

1. Le Temps des confidences : transmission au juge d’éléments issus de la conciliation devant le BCO

Confidentiel. Le raisonnement de l’employeur liant confidentialité et publicité des débats n’est pas contredit par la cour, pourtant si les deux notions sont liées, elles n’ont pas la même signification. La publicité des débats implique l’accessibilité de l’audience au public2. La confidentialité suppose, quant à elle, une obligation imposée au destinataire d’une information de ne pas la révéler à autrui en vue d’empêcher une utilisation préjudiciable3. Organiser la publicité des débats c’est aussi une manière d’organiser leur confidentialité sans pour autant signifier que l’absence de publicité est « toujours la contrepartie de la protection d’un secret4». Pour qu’une information soit confidentielle, il faut qu’elle soit cachée au public mais aussi qu’elle ait une valeur pour celui qu’elle concerne5. Il convient alors de distinguer la non‑publicité et l’interdiction de communiquer une information à un tiers6. Le lien n’est donc pas aussi systématique que le raisonnement présenté par l’employeur pourrait laisser à penser.

Incertitudes. Par principe, les débats sont publics7. Devant le BCO, l’article L. 1454‑3 du Code du travail prévoit une exception au principe de publicité. Toutefois, aucune disposition ne prévoit expressément que les échanges devant le BCO sont confidentiels. Pourtant, le législateur a pris soin de préciser à l’article L. 1454‑1 alinéa 2 que le BCO a la faculté d’entendre les parties séparément et de manière confidentielle. La confidentialité ici se cantonne à l’impossibilité pour le BCO de révéler à l’autre partie les éléments recueillis lors de ces entretiens individuels. Il ne peut donc s’agir d’éléments qui seraient ensuite transmis au juge par l’une des parties pour faire état des échanges puisque par définition ses éléments ne sont connus que du BCO qui évitera de consigner les entretiens par écrit8 et ne pourra les inscrire au dossier ou au procès‑verbal dressé à défaut de conciliation totale9.

À la différence, le Code de procédure civile affirme clairement la confidentialité des échanges lors des modes de règlement amiables des différends (MARD)10. La réforme des MARD11 a d’ailleurs été marquée par un élargissement de la confidentialité qui n’a pas conduit pour autant à sa généralisation. Le Code de procédure civile ne prévoit pas‚ par exemple‚ la confidentialité de la procédure participative laissant ainsi s’appliquer la confidentialité des échanges entre avocats issue de la déontologie12. La conciliation devant le juge échappe également à l’exigence de confidentialité des échanges entre les parties puisque‚ par définition‚ le juge conciliateur sera celui qui devra trancher l’affaire au fond en cas d’échec de la conciliation13. Une exception a été prévue par la loi dans le cas de l’audience de règlement amiable (ARA) au sein de laquelle la confidentialité est de mise puisque le juge de l’ARA n’aura nullement vocation à trancher l’affaire au fond en cas d’échec de la procédure amiable14.

Actuellement il semble que la confidentialité du processus amiable menée par le juge ne trouve à s’appliquer que dans l’hypothèse dans laquelle le juge conciliateur n’est pas celui qui aura vocation à trancher le litige au fond en cas d’échec de la procédure amiable. Or, bien qu’il puisse se transformer dans certaines conditions en bureau de jugement15 (et que des doutes ont pu être émis sur la possibilité de retrouver un juge du BCO au sein du bureau de jugement16), le BCO apparaît comme un juge distinct de celui qui aura à juger de l’affaire au fond. L’éventuelle analogie qui pourrait être faite entre la procédure se déroulant devant le BCO et la procédure d’ARA‚ qui pourrait conduire à supposer que les échanges entre les parties devant le BCO obéissent au principe de confidentialité qui s’applique lors de la procédure d’ARA‚ ne résiste pas à l’analyse. D’une part‚ bien que le BCO n’exerce pas un pouvoir juridictionnel lorsqu’il statue en qualité de conciliateur17‚ de sorte qu’il pourrait être avancé qu’à l’instar de ce qui est prévu devant le conciliateur‚ les échanges des parties devant le BCO seraient donc soumis au principe de confidentialité. Le raisonnement est séduisant mais ne tient pas dès lors que le BCO n’est pas un conciliateur de justice. D’autre part‚ il doit être rappelé que la confidentialité étant une exception, en l’absence de disposition la prévoyant expressément, il semble difficile d’affirmer que la conciliation devant le juge devrait être soumise au principe de confidentialité des échanges entre les parties18.

2. Les Temps des sanctions : nullité ou irrecevabilité

Pas de nullité sans texte. La cour d’appel de Grenoble‚ à l’instar de la cour d’appel de Paris19‚ juge que « l’article 433 prévoit des règles de publicité lors des débats devant la juridiction de jugement et non lors du préalable de conciliation ». La difficulté résulte de l’adage « pas de nullité sans texte » puisque le Code du travail ne prévoit pas de sanction pour le non‑respect des règles de publicité. Il convient donc de se référer au Code de procédure civile comme l’a fait la cour d’appel de Grenoble. Son raisonnement se justifie par la position des articles 433 et 446 au sein du titre XIV relatif au jugement. Ces dispositions concernent donc les débats dont l’aboutissement consiste dans le prononcé d’un jugement, ce qui n’est pas le cas des échanges devant le BCO. Dès lors, si l’on admet une confidentialité des échanges dont le non‑respect entraîne la violation de la publicité, la nullité de la procédure ne peut être la sanction adéquate. En effet, à l’instar de ce qui est prévu pour les preuves déloyales ou illicites, la production d’éléments protégés par la confidentialité devrait conduire à une irrecevabilité. La Cour de cassation juge d’ailleurs, au sujet de la médiation, que « l’atteinte à l’obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites sans l’accord de la partie adverse, soient, au besoin d’office, écartées des débats par le juge20 ».

Ainsi, cet arrêt témoigne de la richesse et de la complexité des débats qui découlent de l’imbrication des règles procédurales issues du droit commun et celles propres à chaque matière.

Notes

1 Service de la Statistique, des Études et de la Recherche, « La justice en France en 2024 : perception, connaissances et expériences judiciaires » (sous la dir. P. Chevalier), Infostat Justice, no 204, octobre 2025, p. 13. Retour au texte

2 T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes juridiques 2025‑2026, 33e édition, Dalloz, août 2025. Retour au texte

3 Ibid. Retour au texte

4 S. Carré, « Le principe de la publicité devant les juridictions d’État et la notion de secret », Gazette du Palais, 1994, p. 2‑9, halshs‑01337345. Retour au texte

5 B. Thullier, JurisClasseur Procédures collectives, fasc. 2030 : « Procédure de conciliation et concordat amiable », § 101. Retour au texte

6 S. Carré, op. cit. Retour au texte

7 CPC, art. 22 et 433. Retour au texte

8 Y. Strickler, JurisClasseur Procédure civile, fasc. 1700‑85 : « Modes alternatifs de résolution des litiges. – Conciliation », § 10. Retour au texte

9 C. trav., art. R. 1454‑10. Retour au texte

10 L’article 129-4 du Code de procédure civile (abrogé) prévoyait jusqu’au 1er septembre 2025 la confidentialité des échanges tenus devant le conciliateur de justice. L’article 1528‑3 du même Code, issu de décret n2025‑660 du 18 juillet 2025 portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends, dispose que ce qui est fait, écrit et les pièces élaborées lors de la conciliation confiée à un conciliateur, la médiation et l’audience de règlement amiable sont couverts par la confidentialité à l’exception des pièces produites lors du processus amiable. Retour au texte

11 Décret no 2025‑660 du 18 juillet 2025 portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends. Retour au texte

12 L. De Chanville, C. Douté et N. Hoffschir, « MARD - Le renouveau de l’instruction conventionnelle et des modes amiables de résolution des différends : à propos du décret no 2025‑660 du 18 juillet 2025 », Procédures, no 11, novembre 2025, étude 7. Retour au texte

13 Circ. DACS, n08/2025, du 19 juillet 2025, de présentation du décret portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de règlement des différends. Retour au texte

14 L. De Chanville, C. Douté et N. Hoffschir, op. cit. Retour au texte

15 C. trav., art. L. 1454‑1‑3. Retour au texte

16 C. Peulvé, « Médiation inter et intra‑entreprises : la multiplicité des domaines dans lesquels la médiation a sa place aux côtés de l’entreprise », Revue Lamy droit des affaires, n166, 1er janvier 2021. Retour au texte

17 A. Dorant, A. Gardin et V. Nivelles, Lamy 496 – « Absence de pouvoir juridictionnel lors de la conciliation », Le Lamy Procédure prud’homale. Retour au texte

18 Cour d’appel de Lyon, chambre sociale C, 5 juillet 2022, no 20/01249. Retour au texte

19 Cour d’appel de Paris, pôle 6, chambre 6, 10 janvier 2018, n15/02195. Retour au texte

20 Cass. civ. 2e, 9 juin 2022, no 19‑21.798, FS‑B. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Naomi Vigouroux, « Publicité des débats ou confidentialité des échanges devant le bureau de conciliation et d’orientation : le Temps des secrets », BACAGe [En ligne], 05 | 2025, mis en ligne le 18 décembre 2025, consulté le 19 décembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=1375

Auteur

Naomi Vigouroux

Doctorante contractuelle, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
naomi.vigouroux[at]univ-grenoble-alpes.fr

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