1. Contexte
À la différence du nantissement de créance de droit commun1, le droit de rétention a toujours été reconnu au créancier nanti sur un compte‑titres. Aujourd’hui, ce droit, portant sur les titres financiers ainsi que les sommes en toute monnaie figurant au compte nanti, est prévu à l’article L. 211‑20 IV du Code monétaire et financier énonçant que « le créancier nanti bénéficie en toute hypothèse d’un droit de rétention sur les titres financiers et sommes en toute monnaie figurant au compte nanti ». Les termes « en toute hypothèse » signifient que la prérogative existe même si le titulaire du compte a le pouvoir de disposer des titres financiers en vertu de la convention de nantissement conclue2. Dès lors, l’articulation du droit de rétention du créancier nanti sur les titres avec la procédure collective du constituant dans le cadre duquel la cession des titres financiers peut intervenir doit être précisée. Deux éléments sont alors à mettre en évidence.
En premier lieu, ce droit s’entend d’un droit de rétention réel3 et non fictif dans la mesure où l’article 2355 du Code civil énonce, en dépit du renvoi général aux règles du gage en l’absence de dispositions spéciales, que les nantissements autres que de créance ne bénéficient pas du droit de rétention fictif de l’article 2286, 4°, du Code civil. Il est ainsi pleinement opposable à la procédure collective du constituant4 et peut forcer le désintéressement du créancier puisque l’article L. 622‑7 II al. 2e du Code de commerce indique que le juge‑commissaire peut en période d’observation autoriser le débiteur « à payer des créances antérieures au jugement, pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue […], lorsque ce retrait ou ce retour est justifié par la poursuite de l’activité ». Le droit de rétention constitue donc un moyen de pression considérable en présence d’une procédure collective procurant au créancier qui l’exerce une certaine invincibilité5.
En second lieu, le paiement préférentiel issu de l’exercice du droit de rétention doit être, le cas échéant, articulé avec l’hypothèse prévue à l’article L. 622‑8 al. 1er du Code de commerce. Ce dernier prévoit qu’en cas de vente en période d’observation d’un bien grevé d’une sûreté réelle spéciale ou d’une hypothèque légale « la quote‑part du prix correspondant aux créances garanties par ces sûretés est versée en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations ». En cas d’adoption ultérieure d’un plan d’apurement du passif, le texte précise que les créanciers bénéficiaires de ces sûretés ou titulaires d’un privilège général sont alors payés sur le prix suivant l’ordre de préférence existant entre eux lorsqu’ils sont soumis aux délais du plan6. S’il résulte de ces dispositions que le produit de la vente concernée doit être consigné en compte à la Caisse des dépôts et consignations, cela ne signifie pas pour autant que l’article L. 622‑7 II al. 2e se trouve systématiquement écarté lorsque le créancier est titulaire d’un droit de rétention7.
C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Grenoble a rendu un arrêt le 27 mars 2025, où s’est posée la question du paiement préférentiel en période d’observation d’un créancier nanti sur un compte de titres financiers sur le fondement de l’article L. 622‑7 II al. 2e du Code de commerce à la suite de la vente de ces titres après levée du droit de rétention prévu à l’article L. 211‑20 IV du Code monétaire et financier.
2. Solution
En l’espèce, un nantissement de compte‑titres a été constitué sur les actions détenues par une société. Après que celle‑ci a été placée en procédure collective, le juge‑commissaire a autorisé la cession des titres nantis, le prix devant être consigné au cours de la période d’observation en vertu de l’article L. 622‑8 al. 1er du Code de commerce et payé aux créanciers selon les échéances du plan, conformément à l’article L. 626‑22 du même Code. En contrepartie, ceux‑ci, après avoir été informés de la consignation des fonds, devaient établir un acte de mainlevée du nantissement dont le compte‑titres fait l’objet. La société débitrice forma un recours contre l’ordonnance du juge‑commissaire au motif que celle‑ci n’autorise pas expressément le paiement de la créance antérieure des banques, après le retrait du droit de rétention sur les titres financiers et la vente de ces derniers, en raison du caractère non‑échu de cette créance faisant obstacle à l’application de l’article L. 622‑7 II al. 2e du Code de commerce. La décision du juge‑commissaire ayant été confirmée par le tribunal de commerce de Grenoble, la société débitrice interjeta appel du jugement rendu.
Dans un arrêt méthodique et très argumenté, les juges d’appel grenoblois confirmèrent le jugement du tribunal de commerce. Il fut tout d’abord relevé que les parties ne contestent ni l’opportunité de la cession des actions, ni le caractère non‑échu des créances bancaires concernées, ni l’existence d’un droit de rétention réel et parfaitement opposable à la procédure collective ouverte.
Ensuite, la cour d’appel constata que selon l’article L. 622‑7 II al. 2e du Code de commerce, le juge‑commissaire peut autoriser le débiteur à payer des créances antérieures au jugement, pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue, lorsque ce retrait ou ce retour est justifié par la poursuite de l’activité. Elle releva, en outre, que ce retrait contre paiement n’est envisageable que « si le créancier dispose d’une créance certaine, liquide et exigible, et possède le bien en raison de sa créance ».
Elle indiqua, enfin, que la procédure particulière de consignation du prix de vente d’un bien prévue à l’article L. 622‑8 al. 1er du Code de commerce concerne « tout bien grevé d’un privilège spécial, d’un gage, d’un nantissement ou d’une hypothèque », en ce compris les actions grevées d’un nantissement de compte‑titres, avant d’en conclure que cet article « n’est (en l’espèce) pas évincé par l’article L. 622‑7, autorisant notamment le juge‑commissaire à payer une créance antérieure garantie par un gage, puisqu’il concerne spécifiquement les modalités de ce paiement ».
Par conséquent, l’arrêt grenoblois en conclut que « le tribunal a valablement confirmé l’ordonnance du juge‑commissaire en ce qu’elle a ordonné la consignation du prix de cession des actions en vue d’une distribution ultérieure au profit des créanciers nantis selon les modalités de l’article L. 626‑22 du Code de commerce ».
3. Appréciation
L’apport de cette décision est des plus intéressants et porte sur l’articulation des articles L. 622‑7 II al. 2e et L. 622‑8 al. 1er du Code de commerce. Le choix de la cour d’appel de Grenoble de privilégier la consignation du prix prévue par le second texte sur le paiement préférentiel du créancier rétenteur évoqué par le premier appelle les observations suivantes.
Est‑ce à dire, tout d’abord, que la consignation du prix de la vente du bien grevé prévue par l’article L. 622‑8 al. 1er du Code de commerce doit systématiquement empêcher le créancier rétenteur d’obtenir le paiement de sa créance après levée de son droit de rétention ? La réponse à cette question est assurément négative. En effet, si le législateur prévoit expressément le paiement du créancier afin de retirer la chose retenue, il ne peut être question d’imposer généralement à ce dernier une consignation du prix de vente de cette chose qui ne lui permettrait pas d’obtenir le paiement de ce qui lui est dû. Sur ce point, l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble ne semble pas dire autre chose.
Dès lors, la décision commentée peut‑elle s’expliquer par le caractère non‑échu de la créance du rétenteur qui conduirait inéluctablement à la consignation du prix de vente des actions ? Telle semble bien être la volonté des juges grenoblois lorsqu’ils précisent que le retrait contre paiement du bien, en vertu de l’article L. 622‑7 II al. 2e du Code de commerce, n’est envisageable que « si le créancier dispose d’une créance certaine, liquide et exigible, et possède le bien en raison de sa créance ». À défaut, la créance non encore échue au jour du jugement d’ouverture « n’est pas la créance antérieure à ce jugement au sens de l’article L. 622‑7 permettant un paiement dérogatoire », de sorte que « les dispositions de l’article L. 622‑7 du Code de commerce ne sont pas applicables afin d’ordonner la levée du nantissement ». La formule est maladroite car elle laisse entendre que le droit de rétention du créancier n’est pas opposable à la procédure collective en raison du défaut d’exigibilité de la créance bancaire. Or, pareil raisonnement est inconcevable8. Lorsqu’il est fondé sur une connexité matérielle ou juridique9, le droit de rétention ne peut effectivement s’exercer qu’en garantie d’une créance exigible puisqu’il constitue alors un moyen de pression tendant à un paiement immédiat. Le créancier ne peut alors logiquement exercer cette contrainte si le débiteur bénéficie d’un terme. Cependant, tel n’est pas le cas dans l’affaire soumise à l’appréciation de la cour d’appel de Grenoble puisque le droit de rétention est issu d’un nantissement de compte‑titres, lequel peut parfaitement garantir une créance non échue.
La solution de la cour d’appel ne peut, à vrai dire, trouver d’explication qu’à travers une distinction entre le paiement du créancier rétenteur sur la base du prix du bien nanti vendu et les modalités de ce paiement à travers la consignation des fonds lorsque la créance garantie n’est pas échue. C’est d’ailleurs ce qu’elle semble faire lorsqu’elle indique que la consignation de l’article L. 622‑8 al. 1er du Code de commerce « concerne spécifiquement les modalités du paiement » prévues à l’article L. 622‑7 II al. 2e du Code de commerce. Dans cette perspective, le retrait contre paiement est valable, de même l’application de l’article L. 622‑7 puisque le droit de rétention issu d’un nantissement de compte‑titres peut porter sur une créance non‑échue. Toutefois, le paiement du créancier nanti dont la rétention a été neutralisée doit être aménagé dans la mesure où il ne saurait porter sur une créance non‑exigible. D’où la nécessité d’une consignation du prix de vente qui sera libéré en fonction de l’exécution de l’éventuel plan d’apurement du passif. L’analyse présente ainsi le mérite de coïncider avec la solution applicable en présence d’un nantissement de créance de droit commun où le créancier nanti, bénéficiant d’un droit de rétention, ne saurait profiter du paiement de la créance nantie avant l’exigibilité de la créance garantie, sauf à conserver les fonds à titre de garantie sur un compte spécialement affecté et ouvert à cet effet auprès d’un établissement habilité à les recevoir10. Cette affectation spéciale pourrait prendre les traits de la consignation à la Caisse des dépôts et consignations en présence d’une procédure collective.
