Entre le 8 et le 25 mars 2024, un individu est contrôlé à divers endroits pour plusieurs infractions au Code de la route parmi lesquelles figurent des occurrences de conduites sans permis, de conduites en ayant fait usage de produits stupéfiants, ou encore de conduite sans assurance. Convoqué à l’audience correctionnelle du 8 octobre 2024, le prévenu ne comparaissait pas. Le tribunal le condamnait donc à une peine de huit mois d’emprisonnement par jugement contradictoire à signifier qui lui était notifié le 7 novembre 2024. Le 13 novembre suivant, il interjetait appel de la décision. Il était convoqué le 24 janvier 2025 pour une audience devant se tenir le 25 février 2025. Détenu pour une autre cause pour laquelle il purgeait une peine de dix‑huit mois d’emprisonnement, il comparaissait en personne à l’audience et, avant toute chose, sollicitait un renvoi de l’affaire.
Le prévenu estimait, en effet, qu’ayant été convoqué un mois seulement avant l’audience, il n’avait pas eu le temps de désigner un avocat et de préparer sa défense.
La cour d’appel de Grenoble décidait de ne pas faire droit à cette demande de renvoi. Elle retenait l’affaire et condamnait le prévenu à la peine de huit mois d’emprisonnement délictuel, dont quatre mois assortis d’un sursis probatoire.
Sur le fond, l’affaire ne posait aucune difficulté réelle. Les faits étaient établis par les procès‑verbaux dressés par les policiers ayant contrôlé l’individu. De même, à la lecture de l’arrêt, le refus de la demande de renvoi semblait s’imposer. Pourtant, c’est sur cette question qu’il convient de s’arrêter dans la mesure où les juges ont pris le temps de soigneusement motiver ce choix, faisant, par la même, un rappel et une précision.
Tout d’abord, cette décision nous rappelle que « le refus d’une demande de renvoi d’audience doit être motivé1 ». En effet, dans un arrêt du 25 juillet 20132, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est venue consacrer une obligation de motiver leur refus de faire droit à une demande de renvoi. Les juges « doivent donc, selon elle, expliquer en quoi l’excuse invoquée à l’appui de la demande n’est pas, selon eux, “ valable ”3 ». L’exigence de motivation des décisions de justice est rattachée par la Cour de Strasbourg au principe de la bonne administration de la justice ainsi qu’au droit à un procès équitable. En effet, la motivation oblige le juge à fonder sa décision sur des éléments objectifs et démontre aux parties qu’elles ont été entendues, rendant les décisions plus acceptables4. Il est donc normal d’exiger d’une décision de renvoi qu’elle soit motivée. C’est d’ailleurs exactement ce qu’ont fait les juges de la cour d’appel de Grenoble puisque près d’une page entière de l’arrêt est consacrée à la motivation du refus de renvoyer l’affaire.
Ensuite, cette argumentation, très convaincante, est même de nature à donner une précision sur ce qui doit justifier, ou non, le renvoi de l’affaire. En effet, pour motiver ce refus de renvoyer l’affaire, la cour d’appel de Grenoble mobilise un arrêt rendu par la chambre criminelle rendue le 27 novembre 20135 dans laquelle la cour explique que les juges ont fait une parfaite application du droit en refusant de renvoyer une affaire alors que les parties avaient eu, depuis le moment où elles avaient interjeté appel, quinze mois pour désigner un avocat et préparer leur défense, et que l’arrêt d’appel mettait les juges de cassation en mesure de s’assurer que les prévenus avaient été mis en mesure de bénéficier d’un avocat. Dans l’arrêt qui nous intéresse, c’est aussi le prévenu qui avait fait appel de sorte qu’il savait, dès l’interjection de l’appel, que l’audience aurait lieu et qu’il devait préparer une défense et désigner un avocat pour ce faire. Il y a donc lieu, dans cet arrêt comme dans celui de la chambre criminelle, de comptabiliser ce temps entre l’appel et l’audience comme une période pendant laquelle l’individu pouvait réaliser les diligences nécessaires à la désignation d’un avocat ou à la préparation de sa défense. Toujours est‑il que ce délai reste sensiblement plus court dans l’affaire qui nous préoccupe. En effet, là où les prévenus avaient eu quinze mois dans l’arrêt de la chambre criminelle, le prévenu n’en a eu qu’un peu plus de trois dans l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble. Pour autant, la décision semble parfaitement justifiée en ce que les juges relèvent que le prévenu, qui avait fait appel, « savait qu’il serait rejugé et qu’il pouvait prendre attache avec un avocat s’il souhaitait être défendu à l’audience se tenant devant la chambre des appels correctionnels6 ». En outre, et malgré cela, les juges relèvent également que le délai d’un mois entre la convocation et la tenue de l’audience aurait dû lui permettre de préparer sa défense. Or, ils constatent que le prévenu « ne prétend ni ne démontre avoir contacté des avocats qui auraient refusé de le défendre7 ». Ce faisant, ils s’assurent aussi qu’outre le temps nécessaire à la préparation de la défense, l’individu a été mis en mesure de bénéficier d’un avocat, élément sur lequel la Cour de cassation est particulièrement stricte8. Les explications du prévenu qui, invité à se justifier sur cette demande de renvoi, expose qu’il n’a pas eu le temps de préparer sa défense et de désigner un avocat, car « il a eu beaucoup d’autres choses à gérer » en détention, achèvent de convaincre que la demande, essentiellement dilatoire, devait être rejetée et c’est parfaitement logiquement que les juges concluent que le prévenu « a disposé d’un délai suffisant pour organiser sa défense et que c’est par sa seule carence, qu’il n’est pas assisté d’un avocat le jour de l’audience9 » et rejettent sa demande. Ainsi, il est possible de convenir, avec cet arrêt, que doit être refusée la demande de renvoi effectuée par un prévenu qui a eu trois mois pour préparer sa défense et qui ne justifie pas de difficultés rencontrées pour la désignation d’un avocat.
