Contexte
Le sort du bail commercial dont la clause résolutoire est mise en œuvre pour défaut de paiement de loyers et charges lors de l’ouverture de la procédure collective du preneur est devenu un sujet classique du droit des entreprises en difficulté. La problématique qu’il pose naît de la confrontation de deux textes. D’un côté, l’article L. 145-41 du Code de commerce autorise la résiliation du bail commercial à l’initiative du bailleur par l’effet d’une clause résolutoire un mois après un commandement demeuré infructueux, sous réserve que le preneur n’obtienne pas les délais de paiement de l’article 1343-5 du Code civil avant que le juge ait constaté la résiliation par une décision ayant l’autorité de la chose jugée. Mais, d’un autre côté, en cas de procédure collective du preneur, l’article L. 622-21 I du Code de commerce interrompt ou interdit dès le jugement d’ouverture toute action en justice tendant à la condamnation du débiteur pour défaut de paiement d’une somme d’argent ou pour la résolution du contrat pour défaut d’une telle somme. L’articulation de ces deux dispositions est donc particulièrement importante dans un contexte de difficulté des entreprises où le maintien du bail commercial représente souvent un élément essentiel pour la sauvegarde du débiteur.
Solution
Dans l’affaire présentée à la Cour d’appel de Grenoble le 17 mars 2022, une société bailleresse avait fait délivrer au locataire deux commandements de payer des loyers et charges impayés dans le cadre d’un bail commercial. En l’absence de règlement au terme du délai d’un mois précité, elle l’a assigné devant le tribunal judiciaire de Grenoble afin que soit constaté l’acquisition de la clause résolutoire prévue au sein du bail et la résiliation de ce dernier. Le tribunal ayant prononcé la résiliation du bail commercial, la société preneuse a relevé appel de la décision rendue avant de faire l’objet d’une procédure de redressement judiciaire devant le tribunal de commerce de Grenoble. Dans sa décision du 17 mars 2022, la Cour d’appel de Grenoble, suivant l’argumentation du locataire défaillant, infirme la décision rendue par le tribunal judiciaire au motif que « l’ordonnance constatant la résiliation du bail commercial avait été frappée d’appel et n’était donc pas passée en force de chose jugée » au jour de l’ouverture de la procédure collective. Faute de résiliation acquise, la société bailleresse ne peut ainsi rompre le bail pour défaut de paiement de loyers et charges nés antérieurement au jugement d’ouverture. Ces créances doivent être déclarées au passif du preneur en redressement judiciaire.
Portée
Cette décision doit être pleinement approuvée. En premier lieu, elle est conforme à l’article L. 145-41 du Code de commerce, dont on comprend que le bénéfice de la clause résolutoire, au-delà du commandement de payer demeuré infructueux, n’est définitivement acquis au bailleur qu’en présence d’une décision de justice constatant la résiliation du bail commercial et dotée de l’autorité de la chose jugée1. En second lieu, l’arrêt d’appel du 17 mars 2022 se situe dans le sillage d’une jurisprudence constante en droit des procédures collectives depuis plus de trente ans, tirant toutes les conséquences de la règle qui précède lorsque le preneur vient à faire l’objet d’une procédure collective. Ainsi, la Cour de cassation considère que la résiliation du bail commercial ne saurait être acquise au bailleur dès lors qu’aucune décision passée en force de chose jugée l’a constatée avant le jugement d’ouverture2. A cet égard, bien que l’article L. 145-41 du Code de commerce mentionne une décision ayant « l’autorité de la chose jugée » et semble ainsi faire référence à l’article 1355 du Code civil, il est intéressant d’observer que l’arrêt commenté exige une « décision passée en force de chose jugée » au sens de l’article 500 du Code de procédure civile, c’est-à-dire insusceptible de faire l’objet d’un recours suspensif au jour de l’ouverture de la procédure collective. Le juge d’appel grenoblois ne fait, en réalité, rien d’autre que se conformer aux solutions jurisprudentielles existantes compliquant la résiliation du bail pour le bailleur et renforçant la protection de l’entreprise preneuse en difficulté.
Il s’ensuit qu’à défaut de résiliation acquise lors du jugement d’ouverture, l’action introduite par le bailleur en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire du bail pour défaut de paiement de loyers ou des charges antérieurs à la procédure collective du preneur ne peut être poursuivie en raison de l’arrêt des poursuites individuelles issu de l’article L. 622-21 I du Code de commerce. Force est de constater qu’en l’état du droit positif, la résiliation du bail commercial de l’entreprise en difficulté n’est pas chose aisée pour le bailleur, quand bien même bénéficierait-il d’une clause résolutoire. Celle-ci est facilement mise en échec par la procédure collective. Elle l’est d’autant plus qu’hormis le redressement ou la liquidation judiciaire, le preneur a également la possibilité d’exciper de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde à cette même fin3. Pourrait-il aller jusqu’à demander l’ouverture d’une sauvegarde dans le seul but d’empêcher la résiliation du bail commercial consécutive à l’application d’une telle clause ? Il est permis de le penser. Tout d’abord, parce qu’il a déjà été admis que la sauvegarde peut être utilisée dans l’hypothèse inverse, afin d’obtenir la résiliation d’un contrat de franchise4. Ensuite, parce que la perspective d’une résiliation du contrat de bail semble caractériser les difficultés insurmontables requises par l’article L. 620-1 du Code de commerce, compte tenu de ses répercussions économiques et financières sur le locataire.