Contexte
Depuis la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, le tribunal ne peut plus ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire afin de sanctionner le dirigeant qui n’a pas exécuté la condamnation en responsabilité pour insuffisance d’actif dont il a fait l’objet. La faillite personnelle sanctionne désormais cette inexécution, comme l’énonce l’article L. 653-6 du Code de commerce selon lequel le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant de la personne morale qui n’a pas acquitté les dettes de celle-ci mises à sa charge. Cette disposition a suscité certaines difficultés d’interprétation.
On s’est, tout d’abord, demandé si elle concernait l’inexécution de la condamnation en comblement d’insuffisance d’actif dans la mesure où le texte vise précisément « les dettes » mises à la charge du dirigeant. Or, si le doute était permis lorsqu’existait l’obligation au dettes sociales, par laquelle le tribunal pouvait mettre à la charge du dirigeant tout ou partie des dettes sociales, il ne l’est plus aujourd’hui, l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2018 ayant supprimé cette disposition. L’article L. 653-6 du Code de commerce sanctionne donc bien le dirigeant qui n’aura pas réglé l’insuffisance d’actif mis à sa charge.
La seconde difficulté tient ensuite au délai de prescription de cette action en faillite personnelle qui est de trois ans, à compter l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire1. Or, la risque de forclusion de cette action est grand dans la mesure où le liquidateur judiciaire devra nécessairement d’abord obtenir la condamnation du dirigeant en comblement d’insuffisance d’actif avant de le poursuivre pour une éventuelle inexécution du jugement de condamnation. Face à cette situation, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a amendé l’article L. 653-1 II du Code de commerce, en précisant que la prescription de l’article L. 653-6 court à compter de la date à laquelle la décision en comblement d’insuffisance d’actif « a acquis force de chose jugée ».
Enfin, une dernière difficulté existe. Elle concerne l’appréciation de l’inexécution de la condamnation par le dirigeant. Le juge peut-il considérer l’éventuelle bonne foi de ce dernier ? La question reste aujourd’hui posée, en particulier à la lecture de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 6 janvier 2022.
Solution
Dans cette affaire, une société a été placée en redressement judiciaire le 3 novembre 2015, convertie en liquidation judiciaire le 8 décembre 2015. Par jugement du 11 octobre 2018, le tribunal de commerce de Grenoble a condamné le dirigeant de cette société à combler l’insuffisance d’actif de la société à hauteur de 95 000 euros. Face à l’inexécution de ce dernier, le tribunal, par jugement en date du 5 octobre 2020, prononça une mesure de faillite personnelle à son encontre pour une durée de 10 années. Le dirigeant interjeta appel de cette décision. Il soutint, d’une part, que l’action en faillite personnelle était prescrite dans la mesure où le délai de trois ans, prévu à l’article L. 653-1 II, était écoulé au moment de son engagement, le 23 septembre 2019. D’autre part, il reprocha au tribunal de ne pas avoir tenu compte de sa bonne foi, ne disposant d’aucune ressource afin d’honorer les sommes mises à sa charge au titre de l’insuffisance d’actif de la société. Dans son arrêt du 6 janvier 2022, la Cour d’appel de Grenoble refuse de suivre cette argumentation et confirme le jugement rendu le 5 octobre 2020. Selon elle, le cours du délai de prescription de l’action de l’article L. 653-6 se trouve « suspendu » tant que la condamnation à supporter l’insuffisance d’actif signifiée au débiteur n’est pas définitive. Aucune prescription n’est par conséquent encourue. Par ailleurs, elle considère que si la sanction prévue à l’article L. 653-6 représente une simple faculté pour le tribunal, « elle ne requiert pas d’autre condition que le constat du défaut de paiement du débiteur, à l’encontre duquel il n’est pas exigé du liquidateur la démonstration du caractère volontaire de son abstention ».
Portée
L’arrêt grenoblois du 6 janvier 2022 emporte globalement l’adhésion. En premier lieu, on ne peut qu’approuver la suspension du délai de prescription de l’action en faillite personnelle de l’article L. 653-6 jusqu’à la condamnation définitive du dirigeant en comblement de l’insuffisance d’actif. En effet, comme le soutenait le liquidateur judiciaire, la loi du 18 novembre 2016 n’était pas entrée en vigueur lors de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, le 3 novembre 2015, si bien que la cour d’appel n’était pas tenue de décompter le délai de prescription à compter de la date à laquelle la décision en comblement de passif a acquis force de chose jugée. En suspendant néanmoins ce délai jusqu’à cette décision, la Cour d’appel se rapproche opportunément de la solution édictée par la loi du 18 novembre 2016 dans un souci d’harmonisation du droit positif. La Cour de cassation avait déjà pu le faire en 2018, en faisant courir le délai de prescription de ce cas spécifique de faillite personnel à compter de la décision exécutoire condamnant le dirigeant à combler l’insuffisance d’actif2.
La seconde partie de la décision du 6 janvier 2022 est, en revanche, à nuancer. En refusant de prendre en compte la bonne ou mauvaise foi du dirigeant dans l’exécution de la condamnation en comblement d’insuffisance d’actif, au motif que cela n’est pas prévu par l’article L. 653-6 du Code de commerce, la cour d’appel semble adopter une position stricte, que l’on peut qualifier d’objective. Si celle-ci se comprend dès lors qu’il s’agit d’ouvrir une procédure collective, elle parait moins heureuse lorsqu’il est question de sanctionner le dirigeant. Sans aller jusqu’à subordonner la condamnation de ce dernier à la démonstration de sa mauvaise foi par le liquidateur judiciaire, la cour aurait pu privilégier une analyse plus subjective. Renouant avec l’une de ses anciennes décisions3, elle aurait ainsi pu prononcer, face à l’impossibilité de savoir si l’intéressé avait délibérément fait obstacle à l’exécution de sa condamnation en comblement d’insuffisance d’actif, une mesure d’interdiction de gérer à la place de la faillite personnelle. Mais il est vrai, en l’occurrence, que le dirigeant semblait rechigner à communiquer sur sa situation personnelle, la cour ayant relevé « un manque de transparence » de sa part. Ceci explique peut-être l’apparente sévérité de la solution, d’autant plus que le juge d’appel a en définitive ramené la durée de la faillite personnelle à 5 ans.