Contexte
La répartition de fonds en procédure collective est une matière redoutée des mandataires de justice qui craignent pour leur responsabilité en cas d’erreur. Le problème se pose souvent en ces termes : le mandataire ayant versé à un créancier une somme qui lui est due mais à laquelle il n’a pas droit compte tenu de son rang peut-il en obtenir la restitution sur le fondement de la répétition de l’indu ? Lorsque l’accipiens est un créancier chirographaire, il doit restituer la somme perçue car la règle de l’égalité des créanciers est violée, ce qui confère à la répartition un caractère indu1. Lorsqu’au contraire l’accipiens est un créancier privilégié, la règle de l’égalité entre les créanciers ne lui est pas applicable. Ayant reçu ce qui lui est dû, même si son rang ne le permet pas, la répartition ne peut alors être véritablement indue si bien que le créancier n’a pas à restituer ce qu’il a touché2. Bien que respectueuse des principes civilistes, cette solution posa difficulté aux mandataires qui se trouvèrent exposés aux actions en responsabilité de la part des créanciers de rang préférable. Sensible à l’appel des praticiens, le législateur, à travers l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 20143, créa l’article L. 643-7-1 du Code de commerce. Cette disposition, réservée aux procédures collectives4, énonce que « le créancier qui a reçu un paiement en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ou par suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées ». C’est dans ce contexte qu’a été rendu l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble le 3 février 2022.
Solution
Dans cette affaire, une société a fait l’objet d’un redressement judiciaire le 23 mai 2012, converti en liquidation le 18 juillet suivant. Le 2 août 2018, le liquidateur judiciaire a établi un état de collocation des créanciers en vertu duquel il a adressé à un créancier hypothécaire un dividende de 268 955 euros. Se prévalant d’une erreur dans l’état de collocation, le liquidateur judiciaire réclama au créancier la restitution d’une somme de 24 224 euros qui aurait dû être réglée prioritairement au bénéfice de l’AGS. Le créancier refusa. Par jugement du 28 juillet 2021, le tribunal de commerce de Romans sur Isère débouta le liquidateur judiciaire de sa demande en répétition de l’indu. Se fondant apparemment sur l’article L. 643-7-1 du Code de commerce permettant la restitution des fonds versés par erreur sur l’ordre des privilèges, le liquidateur interjeta appel. La Cour d’appel de Grenoble rejette cette argumentation au motif que la demande de restitution du liquidateur « trouve son origine non pas dans une erreur commise dans l’acte de collocation sur le classement légal des droits de préférence mais bien dans le défaut de collocation d’un créancier qui disposait du droit d’y participer ». Le paiement survenu le 2 août 2018 n’est donc entaché d’aucune erreur dans l’ordre des privilèges de sorte que le créancier hypothécaire n’a pas à restituer au liquidateur ce qu’il a perçu. Le liquidateur ne pourrait, aux dires de la cour d’appel, que contester l’état de collocation, à condition de se trouver encore dans le délai d’un mois à compter de la publicité de son dépôt au greffe, selon l’article R. 643-11 du Code de commerce. Cependant, tel n’était pas le cas en l’espèce.
Portée
L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble du 3 février 2022 laisse une impression mitigée. On peut, tout d’abord, fortement douter du bien-fondé du recours à l’article L. 643-7-1 du Code de commerce au titre d’une procédure en cours lors de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 mars 2014, l’article 76 de celle-ci, devenu l’article L. 643-7-1, ne faisant pas partie des deux exceptions applicables aux procédures en cours au 1er juillet 20145. Cette disposition, qui concerne les procédures ouvertes à compter du 1er juillet 2014, semble ainsi inapplicable à l’espèce. Si cette situation remet en cause les motifs de la décision du 3 février 2022, elle n’en modifie pas la solution qui exclut pour d’autres considérations l’application de l’article L. 643-7-1.
Dès lors que l’on fait abstraction de ce qui précède, l’arrêt se livre à une intéressante analyse du domaine de l’article L. 643-7-1 du Code de commerce, à travers la notion d’erreur sur l’ordre des privilèges y figurant. La problématique est la suivante : l’erreur sur l’ordre des privilèges est-elle exclusivement celle résultant de l’inobservation de l’acte de collocation dressé et déposé au greffe par le liquidateur judiciaire ? A cette question, la Cour d’appel de Grenoble répond par l’affirmative et exclut du champ d’application de l’article L. 643-7-1 du Code de commerce le cas du créancier privilégié n’ayant pas été colloqué à la suite d’une erreur. La solution semble particulièrement restrictive. Le défaut de collocation d’un créancier privilégié ne constitue-t-il pas une erreur sur l’ordre des privilèges ? Il est permis de le penser, d’autant plus que la restriction apportée par la cour d’appel n’est pas prévue par l’article L. 643-7-1 dont l’objectif est d’apporter une réponse à la jurisprudence civiliste précédemment évoquée « réservant l'action en répétition de l'indu aux paiements reçus à tort par des créanciers chirographaires6 ». Néanmoins, on devine l’intention louable de juge d’appel grenoblois : faire prévaloir la sécurité juridique des créanciers privilégiés ayant bénéficié de répartitions sur la foi de l’état de collocation dressé par le liquidateur judiciaire, déposé au greffe et publié7. L’arrêt du 3 février 2022 présente donc une solution de compromis pouvant parfaitement s’entendre. L’avenir dira si cette position est partagée en plus haut lieu.