- I -
Employé par le centre hospitalier intercommunal de Toulon- La Seyne-sur-Mer (CHITS) depuis le 26 mars 2012 en qualité d’agent d’entretien qualifié titulaire, le requérant a été suspendu à titre conservatoire à partir du 19 mars 2021 et pour une durée de quatre mois, au visa d’un rapport d’incident du 15 mars 2021 émanant d’un tiers prestataire de l’établissement de soins. Puis cette suspension était prolongée de quatre mois supplémentaires par une nouvelle décision du 8 juillet suivant, faisant suite à un signalement de cet agent au parquet au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale (CPP) de la veille. Ceci, alors qu’il avait, dès le début de sa suspension, contesté cette dernière dans le cadre d’un recours gracieux visiblement infructueux.
L’intéressé était cependant entendu dans le cadre d’un entretien avec sa hiérarchie, le 19 avril 2021 et sollicitait vainement sa réintégration, le 17 mai suivant. Il a, qui plus est, obtenu l’annulation des deux décisions de suspension par des jugements du tribunal administratif (TA) de Toulon des 1er et 8 février 2024 aujourd’hui définitifs1.
Mais, dans l’intervalle, au visa notamment d’un rapport d’enquête administrative du 13 août 2021, le conseil de discipline devait se prononcer en faveur d’une sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans, à l’issue de sa séance du 8 novembre 2021 et celle‑ci lui était infligée par une décision du 6 décembre suivant, avec effet au 9 novembre de la même année. Cette décision, a toutefois été retirée par une décision du 20 janvier 2022, laquelle lui inflige néanmoins la même sanction avec effet à sa date d’édiction. Mais son exécution était suspendue par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif (JRTA) de Toulon du 9 février 20222, motif pris de son insuffisance de motivation et l’intéressé était réintégré et affecté au service des archives de l’établissement de soins à compter du 4 avril suivant.
Enfin, par un jugement du 4 avril 2024 dont le requérant relève régulièrement appel devant vous, le même tribunal a rejeté son recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision du 20 janvier 2022.
Le CHITS précise qu’à la suite de ce jugement, qui a mis fin à la suspension ordonnée par le juge des référés, il a reporté le point de départ de la sanction litigieuse au 1er juin 2024, par une ultime décision du 27 mai précédent. Et l’intéressé de contester également cette décision, en référé mais vainement3 et au fond, ce litige étant toujours pendant à notre connaissance4.
- II -
- A -
S’agissant alors, tout d’abord, de la légalité externe de la décision présentement querellée, vous jugerez comme le tribunal que celle‑ci est suffisamment motivée, dès lors que ses motifs lui permettent néanmoins de déterminer les griefs retenus à l’encontre de l’intéressé et quand bien même elle ne comporte pas la mention de la date des faits reprochés à l’intéressé5.
En effet, il résulte des dispositions combinées de l’article 19 de la loi no 83‑634 du 13 juillet 1983 et des articles L. 211‑2 et L. 211‑5 du Code des relations entre le public et l'administration (CRPA), que l’autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit préciser elle‑même, dans sa décision, les griefs qu’elle entend retenir à l’encontre de l’agent concerné6, de telle sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de cette décision, connaître les motifs de la sanction qui lui est infligée7. En revanche, des précisions sur la date et les circonstances exactes des faits retenus, si elles sont appréciées, ne sont pas requises à peine d’insuffisance de cette motivation8, dès lors que leur absence ne compromet par l’identification par l’agent des griefs qui lui sont faits.
Ainsi, sauf à ce que ne soient mentionnées que de pures généralités9, dès lors qu’il est fait état dans la décision contestée d’évènements identifiables, ces griefs peuvent valablement être formulés sans de telles précisions10.
Au cas présent, la décision contestée mentionnant successivement des « menaces réitérées, intimidations auprès des personnels du Relais H […] », une « suspicion d’affrontement physique sur le lieu de travail avec un des personnels », « [l’]utilisation de la marchandise [par l’agent] sans la payer (lecture régulière de la presse) », des « menaces, intimidations, comportement harcelant relaté par du personnel féminin de la société ONET […] », une « attitude irrespectueuse envers un cadre d’astreinte (comportement agressif, menaçant et arrogant de M. K à l’encontre de sa hiérarchie comme de ses collègues) », son « intrusion sans autorisation dans une réserver alimentaire de Santalys Restauration » et la « récupération de denrées sans autorisation », outre une « attitude irrespectueuse et menaçante envers les personnels [de cette société] » et enfin – la coupe est pleine – des « intimidations, menaces et tentatives de racket d’un agent intérimaire intervenant pour le compte de l’établissement, employé par la société SAMSIC ». Ce qui nous semble amplement suffisant au regard de ce qui précède.
Par ailleurs, le moyen tiré de la composition irrégulière du conseil de discipline lors de sa séance du 8 novembre 2021 n’est pas assorti des précisions vous permettant d’en apprécier le bien-fondé et au surplus, manque en fait. D’une part, en effet, l’intéressé se borne à faire valoir qu’il n’est pas démontré que le conseil de discipline était régulièrement composé lors de sa séance du 8 novembre 2021 : c’est trop peu pour retenir une critique précise de la régularité de la composition du conseil de discipline. D’autre part, les éléments versés aux débats par l’établissement de soins montrent que celle-ci était parfaitement régulière et ils ne sont d’ailleurs pas contestés en tant que tels par le requérant.
De même, il ressort, en tout état de cause, des pièces du dossier que l’avis rendu à l’issue de cette séance est lui‑même suffisamment motivé et que la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans en faveur de laquelle il se prononce a été mise aux voix après que celle plus sévère de révocation a été écartée par le conseil de discipline. Le moyen soulevé sur ces deux points par l’intéressé en des termes tout aussi lacunaires ne peut donc qu’être lui‑même écarté.
Par ailleurs – cette affaire va vous donner l’occasion de préciser les conditions de mises en œuvre du droit de se taire dans la fonction publique hospitalière, le requérant rappelle que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire et dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu de ces principes, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit11.
Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la sanction querellée repose de manière déterminante sur un rapport d’enquête administrative fondé sur des rapports d’incident concordants entre eux et non sur les déclarations tenues par lui devant le conseil de discipline, de sorte qu’il n’invoque pas utilement la méconnaissance de son droit de se taire en l’espèce12.
- B -
S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision contestée, il ressort encore des mêmes pièces qu’en dépit des dénégations du requérant, les faits qui lui sont reprochés doivent être, compte tenu des éléments précis, concordants et redondants versés aux débats les concernant, tenus pour établis. Nous rappelons en effet que si la matérialité des faits fondant une sanction disciplinaire doit être établie, elle est soumise à un régime de preuve objective13.
Ainsi, par un courrier du 16 août 2018, le gérant de l’établissement « Relais H » a alerté le centre hospitalier sur le caractère très agressif et menaçant de cet agent à l’égard de son personnel, se battant avec l’un d’eux le 7 mars 2018, tapant régulièrement aux grilles de l’établissement à sa fermeture pour réclamer les invendus, s’installant en salle pour lire la presse sans l’acheter et menaçant, le 16 août, l’une de ses employées. Or, si l’intéressé soutient que les agents concernés n’ont pas directement témoigné de ces faits, il ne les fait pas, lui non plus, témoigner en sens inverse pour attester que les écrits du gérant du point de vente en question seraient matériellement inexacts.
Ensuite, il ressort d’un rapport d’incident dressé le 25 juin 2018 par la société ONET, en charge de l’entretien des locaux du CHITS, auquel sont jointes trois attestations circonstanciées et précises, que trois personnels féminins de cette société relatent des « comportements harcelants […], des insultes [et]des intimidations » par le requérant, lequel, au demeurant, ne conteste même plus en appel la matérialité de ces faits.
Il ne conteste pas davantage que, le 1er janvier 2019, devant deux témoins, il a insulté un cadre de santé qui venait lui reprocher son retard, ainsi qu’il ressort d’un rapport d’incident du 4 du même mois, dont les termes sont corroborés par un témoignage du 2. Toutefois, dès lors qu’ils ont déjà été l’objet d’une sanction, ils ne peuvent être pris en compte au cas présent, conformément au principe non bis in idem14. Mais, comme l’a justement précisé le tribunal, cette prohibition n’interdit pas d’en tenir compte dans la fixation du quantum de la sanction infligée, dès lors que ces faits éclairent son comportement d’ensemble15.
Il ressort par ailleurs d’un compte-rendu du 6 avril 2020 produit par la société Santalys, que ce jour-là, le requérant a pénétré sans autorisation dans ce service pour se servir du pain destiné à être servi sur table et qu’en réponse à l’agent qui lui indiquait de cesser cela, il lui a indiqué qu’il s’en rappellerait, ce qui, contrairement à ses dénégations, constitue des menaces, outre son comportement inadapté tenant à se servir du pain sans autorisation dans un service auquel, du reste, il n’appartient pas.
Enfin, il ressort d’un rapport du 18 mars 2021 établi par la société Samsic à l’issue d’un compte‑rendu d’entretien avec un de ses salariés, que le requérant s’est montré menaçant et insistant à l’égard d’un salarié de ladite société qu’il accusait de lui avoir dérobé 50 euros. Il en ressort également qu’il a contacté cette personne sur son téléphone avec une grande insistance, le 28 février et les 7 et 12 mars 2021, comme le montre le journal d’appels de l’intéressé, tandis que le requérant s’en tient à procéder par voie de dénégations, sans toutefois apporter le moindre élément appuyant ces dernières et notamment, son propre journal d’appels.
Vous pourrez donc retenir que tous les faits qui lui sont reprochés sont établis. Or, ces faits sont fautifs et de nature à justifier qu’une sanction disciplinaire fût infligée à l’intéressé, à l’exception de ceux, déjà sanctionnés, tenant aux insultes proférées par lui à l’encontre d’un cadre de santé le 1er janvier 2019. Et compte tenu de leur nature, de leur répétition, de l’absence d’évolution du comportement de cet agent malgré les sanctions dont il a déjà fait l’objet et de son retentissement sur le fonctionnement et l’image du service, celle qui lui a été infligée n’est pas disproportionnée et même, à notre sens, plutôt clémente16.
Vous confirmerez donc le jugement attaqué.
- III -
L’établissement de soins a alors droit à une indemnité au titre de ses frais de justice.
Par ces motifs nous concluons au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 1 500 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l’article L. 761‑1 du Code de justice administrative.