Méconnaissance du droit à l’information du patient et perte d’une chance de se soustraire au risque d’une intervention chirurgicale

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Décision de justice

CAA Marseille, 2e – N° 24MA02485 – 24 octobre 2025

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 24MA02485

Numéro Légifrance : CETATEXT000052431853

Date de la décision : 24 octobre 2025

Index

Mots-clés

droit à l’information du patient, perte de chance

Rubriques

Responsabilité hospitalière

Résumé

Une patiente mal informée des risques d'une intervention qu'elle voulait effectuer pour des raisons professionnelles mais ayant manifesté de la prudence dans sa décision de consentir à l'intervention a perdu une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé en refusant l’intervention proposée.

Au cas présent, compte tenu en particulier de la volonté affichée de l’intéressée de trouver une solution à sa pathologie, le taux de cette perte de chance a été fixé à 10 %.

Conclusions du rapporteur public

Allan Gautron

Rapporteur public

- I -

Le 1er octobre 2019, la requérante a été bénéficié, au sein du centre hospitalier de Manosque « Louis Raffaëlli », de la prise en charge chirurgicale d’un hallux valgus du pied droit. Au décours de cette intervention, c’est hélas une aggravation de la pathologie de la requérante qui était rapidement objectivée, à l’origine de la poursuite de son arrêt de travail – alors que c’est précisément son activité professionnelle debout et en talons qui avait, selon elle, justifié cette prise en charge – jusqu’au 9 février 2020 alors qu’il ne devait initialement durer qu’un mois. Elle devait également subir une intervention de reprise, le 29 juin 2020, à l’issue laquelle l’état de son pied droit était enfin normalisé.

Elle a obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, selon ordonnance du 23 décembre suivant, la réalisation d’une expertise médicale, laquelle a conduit au dépôt d’un rapport le 21 juillet 2021. Puis elle adressait au centre hospitalier de Manosque, le 22 mars 2022, une demande indemnitaire préalable, expressément rejetée le 6 mai suivant. Elle s’est alors adressée de nouveau au tribunal qui, par un jugement du 6 août 2024, n’a pas davantage fait droit à la demande contentieuse de l’intéressée.

- II -

- A -

- 1 -

Elle invoque, tout d’abord, un manquement de l’établissement de soins à son obligation d’information. Or, ce dernier, au regard des seuls éléments qu’il verse aux débats, ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe au regard de l’article L. 1111‑2 du Code de la santé publique1, que cette patiente a été informée, préalablement à l’intervention qu’elle a subie en son sein le 1er octobre 2019, en traitement d’un hallux valgus du côté droit, du risque de récidive, dont il résulte de l’instruction qu’il survient dans 3 à 16 % des cas selon la littérature médicale, au décours d’une telle intervention. Elle devait pourtant être informée de ce risque, qui à défaut d’être grave, est à tout le moins fréquent dans ces conditions2.

À cet égard, la circonstance que l’intéressée a elle‑même pris l’initiative de solliciter l’intervention litigieuse nous paraît indifférente, puisqu’une telle initiative n’établit aucun consentement de sa part, en quelque sorte par anticipation et donc non informé, à cette intervention, ni, surtout, acceptation des risques inhérents à cette dernière. Et nous ne pouvons que rappeler que même la connaissance personnelle que peut avoir le patient de ces risques ne dispense pas l’administration de les lui rappeler et d’en justifier3.

Or, vous savez que le formulaire-type de consentement versé aux débats par l’établissement de soins est dépourvu, à lui seul, de toute valeur probante4, ne mentionnant pas le risque dont s’agit. En outre, s’il prétend que la requérante a reçu, avant l’intervention litigieuse, une information « conforme aux prescriptions légales », le même établissement se borne à faire valoir que l’intéressée aurait été reçue en consultation préopératoire le 10 juillet 2019 par le chirurgien qui l’a opérée et qu’au cours de cet entretien, ce dernier a réalisé un schéma explicatif de la technique opératoire, consultation durant laquelle il lui a été proposé une intervention des deux côtés et à la suite de laquelle elle a préféré une intervention du seul côté droit, de sorte que la preuve dont s’agit manque toujours. Au demeurant, son amie attestant sur ce point n’évoque que la « facilité » de cette intervention et son « bénéfice » : il n’est jamais question des risques5.

- 2 -

Par ailleurs, il ne résulte pas de l’instruction que si l’intéressée avait manifesté antérieurement et de manière réitérée sa volonté de rechercher une telle solution chirurgicale « si elle était envisageable dans son cas », elle aurait nécessairement accepté celle-ci après avoir été dûment informée du risque dont s’agit, ce qu’elle conteste. Au contraire, il est constant qu’alors même qu’elle ne l’avait pas été, elle n’a consenti par prudence qu’au traitement chirurgical de l’hallux valgus affectant son pied droit, alors que son pied gauche était atteint de la même pathologie. Dans ces conditions, elle est fondée à soutenir que la faute commise par l’établissement de soins au regard des dispositions précitées l’a privée d’une chance de se soustraire à la réalisation du risque dont s’agit et des préjudices subséquents, en refusant l’intervention proposée.

Nous rappelons, en effet, qu’il y a lieu, en pareille hypothèse, de rechercher quel aurait été le choix du patient « compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à [le] révéler »6.

Et si, lorsqu’il est certain que le patient aurait néanmoins accepté l’intervention, en l’absence notamment d’alternative thérapeutique, aucune indemnisation n’est envisageable7, l’absence d’une telle certitude doit conduire à indemniser une perte de chance à ce titre, dont il vous faut alors déterminer le taux8. Cette perte de chance peut même être de 100 %, lorsqu’il est certain que le patient aurait refusé l’intervention litigieuse, compte tenu notamment de son caractère non indispensable.

Au cas présent, cependant et compte tenu en particulier de la volonté néanmoins affichée de l’intéressée de trouver une solution à sa pathologie, le taux de cette perte de chance doit selon nous être fixé à 10 %.

- B -

Venons-en alors aux préjudices de l’intéressée.

D’une part, il résulte de l’instruction que l’intéressée a subi, en lien avec cette faute, un préjudice d’impréparation qui sera justement évalué à 2 000 euros9.

D’autre part, elle a également subi un déficit fonctionnel temporaire évalué à 465 euros et des souffrances endurées cotées à 2 sur 7 évaluées à 1 850 euros, mais aucune préjudice économique établi avant comme depuis la date de consolidation de son état de santé – dès lors qu’il résulte de l’instruction que sa perte de gains professionnels durant son hospitalisation a été intégralement compensée et qu’ensuite, elle n’a conservé aucune séquelle de nature à obérer sa capacité de travail – tandis qu’elle n’établit pas la réalité des frais divers qu’elle soutient avoir exposés. Après application du taux de perte de chance précité, son préjudice indemnisable à ces deux titres s’élève ainsi à 231,50 euros, soit un préjudice indemnisable total de 2 231,50 euros.

Vous infirmerez donc, dans cette mesure, le jugement attaqué.

- III -

La requérante a également droit, pour terminer, à une indemnité au titre de ses frais de justice, tandis que les frais d’expertise doivent être mis à la charge définitive de l’établissement de soins.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué, à la condamnation du centre hospitalier de Manosque à verser à la requérante la somme totale de 2 231,50 euros en réparation de ses préjudices, à ce que les dépens de l’instance soient mis à la charge définitive de cet établissement de soins, ainsi qu’une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761‑1 du Code de justice administrative et au rejet du surplus des conclusions des parties.

Notes

1 Voir CE, sect. 5 janvier 2000, consorts Telle, no181899; comparer avec CE 18 mars 2018, M. Borelli, no 363985 dispensant l’administration de rapporter cette preuve en l’absence de contestation du patient. Retour au texte

2 Voir sur l’information à délivrer au patient : CE, 19 octobre 2016, centre hospitalier d’Issoire et autres, no 391538. Retour au texte

3 Voir CE, 12 février 2020, Mme Gueddan, no 425722. Retour au texte

4 Voir CAA, Marseille 13 février 2014, centre hospitalier de Draguignan, no 11MA02696, C+. Retour au texte

5 Voir, en cas de risque minimisé : Cass. Civ. 1re, 6 juillet 2022, no 21-14.939. Retour au texte

6 CE, Sect., 20 novembre 2020, Mme Valquin, no 419778 B. Retour au texte

7 CE, Sect., 21 décembre 2007, centre hospitalier de la Vienne, no 289328; CE 11 juillet 2011, M. Audinot no 328183 ; rapprocher de Cass. Civ., 1re, 19 avril 2023, no 22-14.376. Retour au texte

8 Voir encore CE, Sect., 21 décembre 2007, no 289328; CE, 5 janvier 2000, no 181899, préc. ; CE, Ass. 19 mai 2004, CRAM d’Ile-de-France et CPAM du Val-de-Marne c/ M. Truszkowski, nos 216039-216040. Retour au texte

9 Voir sur ce chef de préjudice : CE, 10 octobre 2012, Beaupère et Mme Lemaître, no 350426 ; CE, 16 juin 2016, M. Champeaux, no 382479 ; rapprochez de : Cass. Civ., 1re, 6 juillet 2022, no 21-12.138 Diff. Retour au texte

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