Du droit du contribuable d’obtenir un débat avant la clôture de la procédure de rectification, en cas de privation d’effet d’un premier avis de mise en recouvrement

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Décision de justice

CAA Marseille, 3e – N° 23MA00867 – 05 juin 2025

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 23MA00867

Numéro Légifrance : CETATEXT000051732886

Date de la décision : 05 juin 2025

Index

Mots-clés

article L. 10 du livre des procédures fiscales, charte du contribuable, débat, C+

Rubriques

Fiscalité

Résumé

La charte des droits et obligations du contribuable vérifié, rendue opposable à l'administration par l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, assure au contribuable qui en fait la demande la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de rectification, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l'interlocuteur départemental. Lorsque l'administration constate une irrégularité de la procédure d'imposition, elle a la faculté de la reprendre après avoir prononcé un dégrèvement d'office et informé le contribuable de son intention. Dans ce cas, l'avis de mise en recouvrement alors émis est privé de tout effet et le contribuable peut demander un entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l'interlocuteur départemental jusqu'à la mise en recouvrement régulière. Si le supérieur hiérarchique n'est pas tenu de prendre expressément position après son entretien avec le contribuable, tel n'est pas le cas lorsque, à l'issue de cet entretien, il indique expressément au contribuable qu'il ne lui fera connaître sa position qu'ultérieurement. Le contribuable doit alors disposer d'un délai raisonnable entre la date à laquelle cette position est portée à sa connaissance et l'émission d'un avis de mise en recouvrement exécutoire pour demander le bénéfice d'un entretien avec l'interlocuteur départemental. Par suite, la procédure d'imposition est irrégulière lorsque le contribuable, reçu par le supérieur hiérarchique qui reporte expressément sa position à une date ultérieure, n'est pas informé de cette position et ne peut bénéficier d'un entretien avec l'interlocuteur départemental avant que l'imposition soit mise en recouvrement par un nouvel avis de mise en recouvrement rendu exécutoire.

Conclusions du rapporteur public

Didier Ury

Rapporteur public

La société SMA Environnement, qui exerce l’activité d’assainissement, de gestion et d’exploitation d’un centre de stockage de déchets et de centres de transfert, relève appel du jugement du 28 février 2023 (no 2100869), par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en décharge de la retenue à la source majorée de 80 % pour abus de droit, à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice 2013.

Comme vous le savez, lorsqu’il fait l’objet d’une vérification de comptabilité, le contribuable dispose d’un certain nombre de garanties qui lui sont accordées, soit par le Livre des procédures fiscales (LPF), soit par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié rendue opposable par l’article L. 10 de ce livre. Au nombre de ces garanties figure la possibilité de recours hiérarchique, qui s’actionne dans les deux cas prévus par les chapitres I et III de la charte.

Le paragraphe 6 du chapitre premier de la charte prévoit qu’en cas de difficultés lors du déroulement de la vérification de comptabilité, le contribuable peut s’adresser à l’inspecteur départemental ou principal et ensuite à l’interlocuteur désigné par le directeur1. C’est une garantie substantielle offerte à tous les contribuables, quelle que soit la procédure d'imposition qui sera ultérieurement mise en œuvre à leur encontre.

Pour les contribuables relevant de la procédure d'imposition contradictoire, cette garantie peut être mise en œuvre jusqu'à l'envoi de la proposition de rectification. Pour les contribuables relevant d'une procédure d'imposition d'office, cette garantie peut être mise en œuvre jusqu'à l'envoi des bases d'imposition d'office, ou, lorsqu'il n'a pas été procédé à cet envoi en application du dernier alinéa de l'article L. 76 du LPF, jusqu'à la date de mise en recouvrement2.

Ensuite, le paragraphe 4 du chapitre III de la charte, prévoit également le recours au supérieur hiérarchique du vérificateur, puis, lorsque les divergences demeurent sur les rectifications, la saisine de l’interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé, spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur3. Le contribuable doit disposer d’un délai raisonnable lui permettant de saisir l’interlocuteur départemental à la suite de l’entretien avec le supérieur hiérarchique4. C’est une garantie substantielle5, qui s’actionne jusqu’à la date de mise en recouvrement des impositions6.

Dans le premier cas, il s’agit d’aplanir des difficultés liées au déroulement du contrôle lui‑même, dans la seconde hypothèse, il n’est admis que d’échanger sur les reprises envisagées.

L’exigence de l’absence de la mise en recouvrement des impositions litigieuses avant l’accès aux interlocuteurs de premier et second degré, s’explique parce que les bases supplémentaires qu’il est envisagé de porter à la charge du contribuable, sont réputées, avant ces étapes, ne pas être définitivement établies. Dans ces conditions, procéder à l’émission d’un avertissement d’impôt portant sur des rappels contestés au fond, avant qu’un dialogue sur ceux‑ci ait pu intervenir, est une manière de discréditer à l’avance le débat entre le contribuable et les représentants du fisc, et de donner l’impression au redevable que la solution à intervenir est prédéterminée. C’est en ce sens que, selon nous, c’est une garantie substantielle de la procédure d’imposition dont la méconnaissance doit entraîner la décharge de l’imposition7.

La société soutient que devant la persistance d’un désaccord avec le vérificateur, l’administration a méconnu la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, en la privant de recours hiérarchique effectif devant l’inspecteur principal et de la possibilité de saisir l’interlocuteur départemental. Plus précisément, elle fait valoir que n’ayant pas reçu la position de l’inspecteur principal, elle a été privée de la possibilité de porter le litige devant l’interlocuteur départemental.

Il est constant qu’à la suite de la notification de la proposition de rectification du 30 juin 2014, la société requérante a présenté des observations auxquelles l’administration a répondu le 20 octobre 2014. L’administration a mis en recouvrement, le 17 octobre 2016, les impositions supplémentaires mises à la charge de la SAS SMA Environnement. Le 8 août 2017, l’administration a dégrevé l’intégralité des impositions supplémentaire au motif que celles‑ci avaient été mises en recouvrement par un service incompétent. La société requérante a alors saisi le supérieur hiérarchique du vérificateur qui s’est entretenu avec elle le 15 novembre 2017. Deux jours plus tard, l’inspecteur principal, qui n’a pas pris position sur la procédure de rectification, a indiqué par mail à la SAS SMA Environnement « je vois tout cela et reviens vers vous avant toute réponse ». La société fait valoir qu’elle n’a réceptionné aucun courrier de ce fonctionnaire, et notamment pas celui du 29 novembre 2017 qui l’informait de l’épuisement des voies de recours, avant la seconde mise en recouvrement des impositions en litige, intervenue le 6 décembre 2017.

Il résulte de l’instruction que le pli qui contenait le courrier du 29 novembre 2017, qui ne porte aucune date de présentation, ne laisse pas apparaitre l’adresse d’envoi et le nom du destinataire, et porte une date manuscrite du 26 décembre 2017, est revenu en portant la mention « avisé/non réclamé » et une copie de ce courrier a été adressé à la société SMA Environnement le 9 janvier 2018.

Les premiers juges ont décidé que dès lors que la société n’avait pas choisi d’actionner le recours hiérarchique avant la première mise en recouvrement des impositions litigieuses le 17 octobre 2016, mais avait seulement actionné cette garantie postérieurement au dégrèvement de l’imposition initialement émise, l’irrégularité de la procédure d’imposition initialement suivie, corrigée par l’annulation de avis de mise en recouvrement initial, n’avait affecté que le seul acte de mise en recouvrement émis par une autorité incompétente, et l’administration n’était tenue de reprendre que les seuls actes de procédure nécessaires au respect de la garantie dont le contribuable avait été irrégulièrement privée.

Vous savez qu'après avoir prononcé le dégrèvement d'une imposition, l'administration ne peut établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition sans avoir préalablement informé le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer8. L’administration doit reprendre la procédure d’imposition au seul stade nécessaire à sa régularisation, et dans le délai imparti par l'article L. 169 du Livre des procédures fiscales, afin de parvenir à la fixation de l'imposition dans des conditions régulières9.

La jurisprudence n’exige donc que la reprise des seuls actes de procédure nécessaires au respect de la garantie dont le contribuable a été irrégulièrement privé.

Il s’ensuit que lorsque l’administration a accordé les entretiens avec le supérieur hiérarchique et l’interlocuteur départemental, mais a mis en recouvrement les impositions avant ces entretiens, l’irrégularité tient au caractère prématuré de la mise en recouvrement sans que les entretiens soient eux-mêmes affectés, le contribuable n’étant dès lors pas privé des garanties découlant de l’article L. 10, lorsque l’imposition est à nouveau mise en recouvrement après ces entretiens, sans qu’ils aient été réitérés en dépit du fait qu’au moment où les entretiens ont eu lieu, le premier avis de mise en recouvrement était encore exécutoire10.

Si le juge du Palais‑Royal ne l’a jamais expressément affirmé, la Cour de cassation a jugé que la nullité d’un avis de mise en recouvrement replaçait les parties dans la situation antérieure à l’émission de l’avis11, et il résulte toutefois de l’ensemble de la jurisprudence du Conseil d’État, que si le premier avis de mise en recouvrement est retiré, il est ainsi privé de tout effet à l’égard de la procédure d’imposition.

Dans ces conditions, en dépit que la société SMA Environnement n’ait pas demandé le bénéfice des recours hiérarchiques à la suite de la réponse aux observations du contribuable et avant le premier avis de mise en recouvrement, et qu’ainsi elle avait été mise en mesure de bénéficier de garanties auxquelles elle a renoncé, il nous semble erroné de considérer que le contribuable qui était replacée dans la situation dans laquelle il se trouvait avant la mise en recouvrement du 17 octobre 2016, n’a pas été privé de ces garanties, suite à l’annulation de ce premier avis de recouvrement, par la décision du 8 août 2017 prononçant le dégrèvement, en droits et majorations, de la retenue à la source en litige.

Il reste cependant à déterminer si concrètement la société a été privée des garanties sus‑évoquées. Il est d’évidence que la société a bénéficié de l’interlocution principale à la suite de l’annulation du premier avis de mise en recouvrement, et tant que l’administration ne fait pas savoir au contribuable par un document écrit qu'il n'y a plus de désaccord, celui‑ci peut faire appel à l'interlocuteur départemental ou régional12.

Toutefois, il existe un tempérament à cette dernière jurisprudence, qui tient à la situation où le supérieur hiérarchique, à l’issue de l’entretien, a indiqué au contribuable qu’il lui ferait connaître sa position ultérieurement. Dans ce cas, la persistance du désaccord, et par suite la faculté de saisir l’interlocuteur départemental, n’est acquise qu’à la date à laquelle le supérieur hiérarchique confirme explicitement les rectifications, et le contribuable doit bénéficier d’un délai suffisant avant la mise en recouvrement pour solliciter l’entretien avec l’interlocuteur13.

En l’espèce, à l’issue de l’entretien du 15 novembre 2017 au cours duquel il est constant qu’a été évoqué le bien-fondé de la retenue à la source en litige, ainsi que le confirme le courrier du 29 novembre 2017, l’inspecteur principal a indiqué au conseil de la société SMA Environnement par courriel du 17 novembre 2017 « Je vois tout cela et reviens vers vous avant toute réponse », renvoyant ainsi sa prise de position à une date ultérieure.

Il semble ainsi que c’était au plus tôt à cette date qu’aurait pu être regardée comme acquise la persistance du désaccord sur les rectifications litigieuses, de nature à autoriser la société SMA Environnement à demander la saisine de l’interlocuteur départemental. En admettant même que le courrier du 29 novembre 2017 puisse être regardé comme la position de l’inspecteur principal, l’administration ne justifie pas de la date de sa notification régulière, ainsi qu’il a été dit précédemment, et il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que cette position aurait été précisée par tout autre moyen permettant à la société SMA Environnement de bénéficier d’un délai raisonnable pour exercer son droit de faire appel à l’interlocuteur, avant la mise en recouvrement de la retenue à la source en cause, par un avis du 6 décembre 2017.

Il nous semble donc que la procédure d’imposition est radicalement viciée, même si à notre sens, la demande tendant au bénéfice des recours hiérarchiques n’avait manifestement pas d’autre but que de tenter de bénéficier de la prescription du délai de reprise. La société gagne, vous pouvez lui accorder 2 000 euros de frais de procès.

Si vous ne me suiviez pas sur la régularité de la procédure, l’ensemble des moyens tendant à la contestation du bien‑fondé des impositions supplémentaires et des pénalités appliquées ne peuvent qu’être écartés.

Telles sont nos conclusions dans cette instance.

Notes

1 CE, 25 mars 2021, Société B, no 430593, RJF 6/21 no 620 Retour au texte

2 CE, 13 octobre 2021, Société C, no 453241, RJF 1/22 no 55 Retour au texte

3 CE, 5 mai 2010, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. c/ SCI D, no 308430, RJF 7/10 no 703, conclusion P. Collin au BDCF 7/10 no 80. Retour au texte

4 CE, 1er février 2019, Chevalier, no 418181, RJF 7/19 no 620 Retour au texte

5 CE, 23 octobre 2002, Mlle E, no 204052, RJF 1/03, no 71 Retour au texte

6 CE, 27 juin 2012, F, no 342736, RJF 2012, no 935 Retour au texte

7 CE, 24 novembre 1997, G, no 168 995, RJF 1/98 no 85 Retour au texte

8 CE, 8 avril 1991, ministre du budget c/ Mlle H, n° 67938, RJF 5/91 no 652, conclusions Ph. Martin in Dr. Fisc. 3/93 c. 62 ; CE 25 juin 2003, Embarek, no 224328, RJF 10/03 no 1133 Retour au texte

9 CE 12 décembre 2008, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Sté I, no 298727 : RJF 3/09 no 252, conclusions E. Glaser au BDCF 3/09 no 39 ; CE, 22 janvier 2020, no 420816, Société J, RJF 4/20 no 369, conclusions É. Bokdam-Tognetti p. 558 (C 369) Retour au texte

10 CE, 28 septembre 2022, Sté K, no 460541, RJF 22, no 1057 ; CAA Marseille, 7 novembre 2024, Sté L., no 23MA00559. Retour au texte

11 Cass. com., 26 mai 2004, M, no 01-11.722, RJF 04, no 1041 Retour au texte

12 CE 17 décembre 2010, N, no 316759 RJF 3/11 no 334, BDCF 3/11 no 36 Retour au texte

13 CE, 28 juillet 2011, SA O, no 318047, RJF 11/11, no 1174 Retour au texte

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