Lorsqu'il est saisi par le préfet d'un procès‑verbal constatant une occupation irrégulière du domaine public et alors même que la transmission n'est ni assortie, ni suivie de la présentation de conclusions tendant à faire cesser l'occupation irrégulière et à remettre le domaine public en l'état, le juge de la contravention de grande voirie est tenu d'y faire droit sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n'y fassent obstacle. Il en résulte que le contrevenant peut utilement invoquer devant le juge de la contravention de grande voirie des considérations liées à l'intérêt général, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, qui pourraient faire obstacle à la remise en l'état du domaine public.
L’utile invocation par le contrevenant de considérations liées à l’intérêt général pour faire obstacle à la remise en l’état du domaine public, en cas de contravention de grande voirie
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Décision de justice
CAA Marseille, 5e – N° 24MA00233 – 31 mars 2025
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 24MA00233
Numéro Légifrance : CETATEXT000051408944
Date de la décision : 31 mars 2025
Index
Textes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
Olivier Guillaumont
Rapporteur public
La société à responsabilité limitée (SARL) Austin exploite, depuis 2013, le restaurant de plage « La Kima » situé sur la plage de Port‑Issol à Sanary‑sur‑Mer.
Elle bénéficiait à cette fin d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public. Mais en 2017 les services de l’État ont refusé de renouveler cette autorisation.
L’exploitation s’est ainsi poursuivie sans AOT.
Par un arrêt du 25 avril 2022 (SARL AUSTIN et autres no 20MA00012) au pourvoi non admis par le Conseil d’État suivant sa décision du 16 décembre 2022 (no 465267), la cour a rejeté l’appel de la société dirigé contre le jugement qui avait confirmé le refus de renouvellement de l’autorisation d'occupation temporaire (AOT). Dans ce précédent la cour a jugé que le restaurant et les différentes installations qui lui étaient rattachées étaient bien implantées sur le domaine public.
Parallèlement au refus de renouvellement de l’AOT, les services de l’État ont engagé une procédure de contravention de grande-voirie. Un procès-verbal a été dressé le 13 janvier 2021. Le procès-verbal constate le maintien, sans droit ni titre, sur le domaine public maritime, d’un ponton, de marches d’escalier, d’un local de stockage, du restaurant « La Kima » et de plateformes bétonnées, sur une superficie de 347 m².
La SARL Austin relève appel du jugement du 1er décembre 2023 du tribunal administratif de Toulon (TA), en tant qu’il l’a notamment condamnée à payer une amende de 1 500 euros et lui a enjoint de remettre en état le domaine public maritime.
Avant d’en venir à l’examen des moyens de la requête, il convient de relever que par un arrêté du 8 août 2022 le maire de la commune de Sanary‑sur‑Mer a prononcé la fermeture de l’établissement « La Kima », jusqu’à la levée de tout risque par une étude géotechnique portant sur la fiabilité de la falaise. Cette décision a été contestée dans le cadre d’une procédure de référé‑liberté. Ce référé a été rejeté successivement par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon et par le Conseil d’État. Dans une ordonnance du 9 septembre 2022 (no 467212) le juge des référés du Conseil d’État s’est appuyé sur une étude géologique réalisée en 2015 à la demande de la société requérante. Le juge des référés du Conseil a constaté que cette étude indiquait qu’il était nécessaire de faire un diagnostic du talus surplombant le restaurant afin d’apprécier les risques de chute de blocs et de définir le cas échéant, les travaux. Et le juge des référés de constater ensuite que « La société requérante ne conteste pas ne pas avoir réalisé un tel diagnostic » alors que le risque de chutes de blocs et de glissement de terrain était déjà souligné par le préfet du Var dans une mise en demeure de 2017 de cesser toute occupation du domaine public maritime et de démonter le bâtiment abritant ce restaurant, et dans celle du 26 mars 2021 rejetant une demande d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public. Dans ces conditions, le juge des référés du Conseil d’État a sans surprise jugé la fermeture de l’établissement n’avait pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre, à la liberté du commerce et de l’industrie ni à la liberté du travail.
Plusieurs moyens sont soulevés et nous commencerons par celui qui fait écho en partie à ce que nous venons de dire. Il est soutenu que l’action domaniale, en particulier la demande de remise en état du domaine public maritime, n’est justifiée par aucun but d’intérêt public dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à l’environnement et au paysage et qu’elle est contraire à l’intérêt général dès lors notamment que la destruction de la dalle aggraverait le risque d’éboulements.
Le moyen est soulevé tant sous l’angle de la régularité du jugement, le tribunal administratif n’y ayant pas répondu, que sous l’angle du bien‑fondé.
Le TA a considéré que le moyen était inopérant.
Cette appréciation est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État mais il convient de se demander si cette jurisprudence n’est pas datée.
La logique actuelle est la suivante : l’existence d’un motif d’intérêt général peut être invoquée par l’administration pour ne pas mettre en œuvre les prérogatives dont elle dispose pour protéger le domaine public et l’absence de poursuites. En revanche de telles considérations ne peuvent être invoquées par le contrevenant à son bénéfice.
Le point de départ du raisonnement est la célèbre jurisprudence ministre de l’Équipement c/ Association des Amis des Chemins de Ronde selon laquelle les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, et sans pouvoir s’y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative, de veiller à l’utilisation normale des rivages de la mer et d’exercer à cet effet les pouvoirs qu’elles tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie, pour faire cesser les occupations sans titre et enlever les obstacles créés de manière illicite qui s’opposent à l’exercice par le public de son droit à l’usage du domaine maritime1.
Si la jurisprudence2 précise que le juge de la contravention de grande voirie est tenu d'y faire droit « sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n'y fassent obstacle », de telles considérations ne peuvent en réalité être invoquées que par l’administration, précisément pour justifier les poursuites.
Voyez sur ce point l’analyse de Mme Nathalie Escaut dans ses conclusions sur CE du 31 décembre 2008, SCI du Cap, no 301378, aux tables du recueil Lebon (p. 736) rendu à l’occasion de l’un des litiges relatifs à la propriété voisine de la SCI Château Saint Jean est :
« Dans son mémoire en réplique devant la cour, la société se prévalait de ce que l’administration n’était pas tenue de poursuivre les contraventions de grande voirie lorsque la remise en état porterait une atteinte grave à l’intérêt général et que l’occupation était conforme à la destination du domaine. Mais à nouveau, nous croyons que la cour pouvait ne pas répondre à ce moyen dès lors qu’il était inopérant. Vous avez certes jugé, dans votre décision de Section du 23 février 1979, ministre de l’Équipement c/ Association des Amis des Chemins de Ronde , au Recueil p. 75, que si les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public ont, en principe, compétence liée pour veiller à l’utilisation normale du domaine public et exercer leur pouvoir en la matière, y compris en saisissant le juge des contraventions de grande voirie commises, elles peuvent néanmoins se fonder sur un motif d’intérêt général pour ne pas poursuivre une contravention de grande voirie. Mais si un motif d’intérêt général peut justifier la décision de l’autorité́ administrative de ne pas exercer de poursuites, nous ne croyons pas que le contrevenant puisse utilement invoquer un tel motif pour s’opposer à ces mêmes poursuites. Il ne saurait appartenir au contrevenant de se prévaloir d’un tel intérêt général pour justifier l’atteinte portée au domaine public. »
Voyez également les conclusions parfaitement claires de Romain Victor sur CE 23 mars 2018 MM. Harrys, no 401542 :
« Les requérants font grief à la cour d’avoir écarté leur argumentation tirée de l’application de la jurisprudence de Section ministre de l’Équipement c/ Association des Amis des Chemins de Ronde du 23 février 1979 (rec. p. 75), selon laquelle l’obligation faite aux autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime d’engager des poursuites au titre des contraventions de grande voirie qu’ils constatent trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont elles ont la charge, notamment dans les nécessités de l’ordre public. »3
Et dans cet arrêt le Conseil d’État a jugé :
« 3. Le contrevenant ne peut utilement soutenir devant le juge des contraventions de grande voirie que l’atteinte qu’il a portée au domaine public serait justifiée par la satisfaction d’un besoin d’intérêt général faisant obstacle à l’engagement des poursuites à son encontre. Dès lors, la cour, qui n’était pas tenue de répondre à l’ensemble des arguments présentés par les requérants au soutien de leur moyen, n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que MM. Harrys ne pouvaient utilement soutenir, pour contester les poursuites engagées à leur encontre, que les ouvrages qu’ils ont réalisés sur le domaine public répondaient aux besoins de la population, ni en tout état de cause qu’ils vont devoir mettre fin à l’activité de leur entreprise et licencier leur personnel. En statuant ainsi à l’égard des poursuites engagées contre MM. Harrys et des conclusions de leur requête, la cour s’est référée tant à l’action publique qu’à l’action domaniale et n’a dès lors pas insuffisamment motivé son arrêt. »
Voyez les conclusions J. Arrighi de Casanova sur CE 8 avril 1998 Ayala et autres4 aux tables du recueil Lebon p. 593.
Voyez encore CE 23 décembre 2010, ministre de l’Écologie c/ Commune de Fréju,s no 3065445. Ou encore CAA, Marseille, 24 janvier 2020, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble le Lido, no 17MA042086.
À s’en tenir à ces éléments jurisprudentiels, le moyen est donc effectivement inopérant.
Nous ne vous cachons pas que ces solutions nous semblent un peu datées.
Il nous semble que la préservation du domaine public s’accommoderait d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur ces sujets. Nous avons déjà eu l’occasion de dire à ce pupitre au cours d’une audience de décembre 2022 (affaire SCI Château Saint-Jean) que l’absence d’un tel contrôle peut sonner aujourd’hui quelque peu comme une anomalie.
Nous avions néanmoins alors renoncé à vous proposer de faire évoluer la jurisprudence après avoir relevé que le CE avait encore relativement récemment, en 2018, réaffirmé avec force sa jurisprudence (CE 23 mars 2018 MM. Harrys précité) et qu’il lui appartenait sans doute d’y procéder lui‑même7.
Il nous semble que vous pouvez déceler dans la jurisprudence du CE et des conclusions récentes de rapporteurs publics auprès de lui des « signaux faibles » permettant de penser que cette évolution est en cours. Nous pensons notamment à la décision CE 19 décembre 2024 Mme Vernes (no 491592 en A) même si elle porte sur l’office du juge de l’exécution, ainsi qu’à la décision CE 13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété La joie de vivre, no 474211 (en A). Sans revenir sur ces décisions dans le détail, nous observons que dans ses conclusions sur l’arrêt Mme Vernes, Romain Victor indique que :
« si le juge statuant sur l’action domaniale, saisi d’une contestation sur ce point, doit rechercher dans quelle mesure la remise à l’état naturel du domaine public maritime présenterait des inconvénients pour l’intérêt général8, notamment pour la protection de l’environnement, le juge de l’exécution ne saurait, quant à lui, mettre en balance les intérêts en présence pour, en quelque sorte, réévaluer le bien-fondé de la démolition décidée ».
À notre sens un revirement est donc envisageable, et il nous semble souhaitable.
Nous vous proposons par conséquent de juger que le moyen est opérant et que le jugement doit être annulé pour omission à statuer.
Lorsqu'il est saisi par le préfet d'un procès‑verbal constatant une occupation irrégulière du domaine public et alors même que la transmission n'est ni assortie, ni suivie de la présentation de conclusions tendant à faire cesser l'occupation irrégulière et à remettre le domaine public en l'état, le juge de la contravention de grande voirie est tenu d'y faire droit sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n'y fassent obstacle.
Il en résulte que le contrevenant peut utilement invoquer devant le juge de la contravention de grande voirie des considérations liées à l'intérêt général, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, qui pourraient faire obstacle à la remise en l'état du domaine public.
Si vous nous suivez, vous devrez y répondre dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel.
Ce sera pour l’écarter au fond.
L’intérêt général invoqué ne nous semble pas suffisant, ni pour faire obstacle aux poursuites, ni pour faire obstacles à l’action domaniale et à la remise en l’état des lieux.
En effet, d’une part, la circonstance que la dalle en béton soit utilisée comme aire de mise à l’eau pour les surfeurs, qu’elle serve pour les pêcheurs et pour faire du yoga n’est pas suffisante pour conclure à l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation ; ces activités peuvent se faire ailleurs. D’autre part, l’utilité de ces aménagements pour la sécurité des baigneurs ou les secours, à la supposer avérée, n’est pas telle que la remise en état serait entachée d’erreur manifeste d’appréciation. Enfin, il résulte de l’instruction, notamment des deux diagnostics géotechniques – 2015 et 2023 – du bureau de ERG qu’il existe bien un risque de chutes de blocs sur la zone. En revanche, il ne résulte pas de l’instruction que la destruction de la dalle et la remise en état des lieux serait impossible ou que le maintien de la dalle éviterait les risques d’éboulement. La destruction des ouvrages irrégulièrement implantés sur le domaine public maritime ne nous semble pas susceptible de porter atteinte à la sécurité publique. (Nb : conclusions en sens contraire sur l’appréciation du principe consacré par l’arrêt).
La société requérante soulève par ailleurs de nombreux moyens.
Commençons par ceux dirigés contre la régularité de la procédure de contravention suivie.
En premier lieu, vous pourrez écarter comme manquant en fait le moyen tiré de que Mme A, surveillante du domaine public maritime à la direction départementale des territoires et de la mer du Var n’aurait pas été habilitée à établir et à signer le procès‑verbal de contravention de grande voirie du 13 janvier 2021 fondant les poursuites engagées contre la SARL Austin. En effet, il résulte de l'instruction, particulièrement des énonciations de la carte de commissionnement produite par l’administration, qu’elle a prêté serment le 3 mars 2016 devant le tribunal de grande instance de Toulon et était commissionnée à l’effet de constater les infractions relevant du code général de la propriété des personnes publiques dans le département du Var.
En deuxième lieu, M. Serge Jacob, secrétaire général de la préfecture du Var, bénéficiait d'une délégation de signature couvrant notamment les notifications de copies des procès‑verbaux de grande voirie et les saisines du tribunal administratif à fins de poursuite. Le moyen doit donc également être écarté comme manquant en fait.
En troisième lieu, l’observation du délai de dix jours mentionné à l’article L. 774‑2 du Code de justice administrative n’est pas prescrit à peine de nullité de la procédure9. La notification tardive est irrégulière si elle doit être regardée comme portant atteinte aux droits de la défense10 mais ce n’est pas le cas en l’espèce11. La circonstance que le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 13 janvier 2021 n’a été notifié à la SARL Austin que le 28 mai 2021 ne l’a pas, en l’espèce, privé de la possibilité de rassembler les éléments de preuve utiles à leur défense. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’atteinte portée aux droits de la défense doit être écarté.
En dernier lieu, la société requérante ne peut utilement se prévaloir, pour contester la régularité des poursuites engagées à son encontre, de ce que M. B, le propriétaire de la parcelle cadastrée AW no 269, n’aurait pas été informé de la présente procédure de contravention de grande voirie ni mis à même de faire valoir ses observations.
Par d’autres moyens la SARL Austin conteste la matérialité de l’infraction.
En premier lieu elle soutient que les ouvrages dont la démolition n’appartiennent pas au domaine public maritime.
Le moyen manque en fait.
Les pièces du dossier nous conduisent à la même conclusion que la Cour dans l’arrêt précédemment évoqué.
La SARL Austin a bénéficié par le passé d’autorisations d’occupation temporaire du domaine public, dont la dernière, du 17 juin 2016, l’autorisait à occuper des « dalles bétonnées » et un « bâtiment à usage de restauration et de location de matelas parasols », d’une surface de 281,5 m2. Il y a là un indice de ce que la société a elle-même admis par le passé que les biens étaient situés sur le domaine public.
Par ailleurs et surtout vous savez que la limite du domaine public maritime correspond notamment, comme le prévoit le 1° de l’article L. 2111‑4 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), à celle du « rivage de la mer ». […] Ce critère physique objectif de l’article L. 2111‑4 CG3P et ses conséquences juridiques sur les propriétés privées ainsi incorporées au domaine public ont été jugés conformes à la Constitution sous certaines réserves dont nous reparlerons plus loin12.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier, en particulier des procès-verbaux de constat des 11 janvier 2016, 21 novembre 2016 et 11 décembre 2017 et des photographies annexées à ces procès‑verbaux, que le corps du bâtiment et les terrasses adjacentes ont été régulièrement recouverts par les flots.
Si la SARL Austin se prévaut de l’existence de perturbations météorologiques exceptionnelles ces jours –là, en produisant des articles de presse, les données prélevées le 11 janvier 2016, à l’heure des constatations, indiquent que la vitesse du vent était de force 5 sur l’échelle de Beaufort, à savoir l’équivalent d’une « bonne brise », et que l’état de la mer en fonction de la hauteur des vagues était de force 5 sur l’échelle de Douglas, à savoir « forte ».
S’agissant de la journée du 21 novembre 2016, le vent était de force 7 sur l’échelle de Beaufort. S’agissant des données prélevées le 11 décembre 2017, à l’heure des constatations, celles‑ci indiquent que la vitesse du vent était de force 4 ou 5 sur l’échelle de Beaufort, à savoir une « jolie brise » ou une « bonne brise », et que l’état de la mer était de force 6 sur l’échelle de Douglas, à savoir « très forte ». Ces indications ne sauraient ainsi caractériser en l’espèce des perturbations météorologiques exceptionnelles au sens du 1° de l’article L. 2111‑4 du code général de la propriété des personnes publiques.
Si les requérants soutiennent qu’aucun élément du dossier n’établit que des travaux d’exondation ont été mis en œuvre pour implanter le restaurant en cause, les photos des lieux, en particulier celles prises en 1975 démontrent le contraire, le terrain d’assiette de la construction ayant été soustrait artificiellement à l’action des flots. Par ailleurs, il ressort notamment des procès‑verbaux de constat des 9 mai 2017, 2 août 2017, 6 août 2019 et 7 août 2020 et des deux mises en demeure adressées à la société requérante en 2017 et 2020, que cette dernière a continué à exploiter l’établissement et les terrasses situées d’une part et d’autre de celui-ci, ainsi que la dalle bétonnée se trouvant en contrebas du restaurant. Enfin, il ne saurait y avoir de confusion entre cette même dalle bétonnée et le restaurant avec ses terrasses adjacentes dès lors que la dernière autorisation d’occupation temporaire accordée le 17 juin 2016 à la société Austin, vise les dalles bétonnées et le bâtiment à usage de restauration et de location de matelas parasols pour une surface de 281,5 m². Par suite, les constructions en litige sont implantées sur le domaine public maritime, en application des dispositions du 1° de l’article L. 2111‑4 du CGPPP. Il peut également être précisé que cela a été confirmé par la délimitation du domaine public telle que fixée par l’arrêté préfectoral en date du 25 mai 2023.
En deuxième lieu, la requérante fait valoir qu’elle n’est pas propriétaire des ouvrages en cause, et qu’elle n’exploitait ces installations que de manière saisonnière et non exclusive.
Vous savez que la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l’action qui est à l’origine de l’infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l’objet qui a été la cause de la contravention13. Il convient aujourd’hui de se reporter sur ce point à l’arrêt CE 31 mai 2022 SCI Mayer no 457886 en B.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que la SARL Austin exploite depuis 2013, le restaurant de plage « La Kima » et ses dépendances, qu’elle a bénéficié pour ce faire d’autorisations d’occupation du domaine public et qu’une palissade interdisait l’accès au site du public par la plage, une ardoise indiquant par ailleurs que l’accès était privé. Dès lors, même si elle n’a pas construit les ouvrages, il est constant qu’elle les a utilisés à son profit, exclusif en saison, pendant plusieurs années. Elle doit ainsi être regardée comme ayant la garde de ces aménagements.
Dès lors la SARL Austin occupe le domaine public de manière irrégulière depuis le 1er novembre 2016, qu’elle a fait l’objet, en 2017 et 2020, de deux mises en demeure de cesser toute exploitation de l’établissement « La Kima » et de procéder au démontage du bâtiment.
Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la SARL Austin au paiement d’une amende d’un montant de 1 500 euros telle que prévue par les textes applicables.
Par ces motifs, nous concluons :
- non‑lieu à statuer sur les conclusions de la requête no 24MA02136 (demande de sursis à exécution) ;
- annulation du jugement no 2101463 du 1er décembre 2023 ;
- condamnation de la SARL Austin à payer une amende d’un montant de 1 500 euros.
- injonction faite à la SARL Austin de remettre en état le domaine public maritime, sous peine d’une astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de l’expiration d’un délai de neuf mois suivant la notification de la décision à intervenir.
- en cas d’inexécution par l’intéressée, passé un délai de neuf mois après la notification de la décision à intervenir, l’administration est autorisée à procéder d’office, aux frais du contrevenant, à la remise en état des lieux.
Notes
1 CE, Sect., 23 févr. 1979, no 4467, rec. p. 75, conclusions A. Bacquet. Retour au texte
2 - CE 30 septembre 2005, Mme Cacheux, no 263442 en A: « Considérant que les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, de veiller à l'utilisation normale des rivages de la mer et d'exercer à cet effet les pouvoirs qu'elles tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie, pour faire cesser les occupations sans titre et enlever les obstacles créés de manière illicite, notamment, à la suite d'une pollution par des produits pétroliers qui s'opposent à l'exercice par le public, de son droit à l'usage de ce domaine ; que l'obligation ainsi faite à ces autorités trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont elles ont la charge et, notamment, dans les nécessités de l'ordre public ; qu'en revanche, elles ne sauraient légalement s'y soustraire pour des raisons de simples convenances administratives ; » Retour au texte
- CE, 23 décembre 2010, Ministre de l’Écologie c/ Commune de Fréjus, no 306544 en A qui porte sur un cas d’occupation irrégulière du domaine public par un ouvrage public. Le CE a jugé dans cette affaire : « Dès qu'il est saisi par le préfet d'un procès-verbal constatant une occupation irrégulière du domaine public, et alors même que la transmission n'est ni assortie, ni suivie de la présentation de conclusions tendant à faire cesser l'occupation irrégulière et à remettre le domaine public en l'état, le juge de la contravention de grande voirie est tenu d'y faire droit sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n'y fassent obstacle. Il en résulte que, lorsque l'atteinte au domaine public procède de l'édification d'un ouvrage public, c'est au seul préfet qu'il appartient d'apprécier si une régularisation de la situation de l'ouvrage public demeure possible et si sa démolition entraînerait, au regard de la balance des intérêts en présence, une atteinte excessive à l'intérêt général, soit avant d'engager la procédure de contravention de grande voirie en transmettant au juge le procès-verbal, soit après l'engagement de la procédure dont il peut se désister. »
3 « Ils faisaient en effet valoir que les travaux réalisés répondaient aux besoins de la population et que leur condamnation entraînerait la cessation de leur activité de perliculture, qui constitue l’une des principales activités économiques de l’atoll. Ils y voyaient là des motifs d’intérêt général faisant obstacle à l’engagement des poursuites et à leur condamnation. Mais il n’appartient jamais à un contrevenant d’invoquer, pour échapper à la condamnation, des motifs qui auraient fait obstacle à l’engagement des poursuites. Voyez sur ce point vos décisions Ayala et autres du 8 avril 1998 (8e et 9e ssr, nos 181562 à 181573, T. p. 893, concl. J. Arrighi de Casanova), aux Tables sur ce point, qui qualifient un tel moyen d’inopérant. La solution inverse reviendrait à transformer la part d’appréciation reconnue à l’autorité administrative sur le fondement de l’intérêt général en obligation de ne pas poursuivre à raison d’un intérêt général. En outre, vous le savez, le juge administratif se refuse à se prononcer sur les motifs qui ont déterminé l’administration à engager les poursuites (21 janv. 1925, SA des automobiles Bellanger, nos 72508, 72509, rec. p. 66). Enfin, si vous avez jugé que le juge de la contravention de grande voirie est tenu de faire droit aux conclusions de l’autorité administrative tendant à la remise en état du domaine, sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n'y assent obstacle, vous avez lié l’appréciation du juge sur ce point à celle de l’administration. La cour n’a donc commis aucune erreur de droit en jugeant, par des motifs suffisants, que la circonstance à la supposer établie, que les ouvrages réalisés par les contrevenants sur le domaine public répondraient aux besoins de la population était sans incidence sur le bien -fondé des poursuites diligentées à leur encontre.3 » Retour au texte
4 nos 181562 à 181573, en B. « Les arrêts jugent que “dès lors que le préfet était tenu de prendre les mesures propres à assurer l'intégrité du domaine public maritime, sont inopérants les moyens tirés de ce qu'il serait inopportun de faire procéder à la remise des lieux en état compte tenu de l'ancienneté de l'occupation irrégulière de la plage de Beauduc par des constructions et installations aménagées sans autorisation, de leur nombre ou de leur prétendu caractère social ou écologique”. Or, selon les pourvois, la cour devait bien tenir compte de ce que l'obligation de poursuivre pesant sur l'administration, doit céder devant d'autres intérêts publics, notamment ceux de l'ordre public. En outre, les requérants estiment que la cour a dénaturé leurs écritures, dès lors qu'ils ne s'étaient pas bornés à invoquer l'opportunité. Sont ici en cause, mais pour la première fois sous l'angle du bien fondé de poursuites effectivement engagées, les principes issus de votre arrêt de section du 23 février 1979, ministre de l'Équipement c/ Association Des Amis des Chemins de Ronde, p. 75, qui fait obligation aux autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime d'engager des poursuites pour préserver l'intégrité de ce domaine sous la seule réserve des autres intérêts généraux dont elles ont la charge et, notamment, des nécessités de l'ordre public. Cette jurisprudence fait ainsi obstacle à ce que l'autorité compétente se prévale, pour s'y soustraire, de raisons de simple convenance administrative. La solution que vous avez retenue, et qui prévaut depuis lors, a pour objet, comme le montrent les conclusions du Président Bacquet publiées au Lebon sous cet arrêt, de consacrer une certaine compétence liée de l'administration en matière de poursuites de contravention de grande voirie et de déroger au principe d'opportunité des poursuites. Il en résulte que les motifs que l'administration peut invoquer lorsque - comme c'était le cas dans cet arrêt - son refus de poursuivre est contesté devant le juge, sont strictement limités. Mais cela ne saurait, à notre sens, signifier pour autant que, dans le cas inverse ou des poursuites sont engagées, leur bien-fondé pourrait être utilement contesté par des moyens tirés de ce que l'administration aurait dû faire prévaloir les nécessités de l'ordre public. Autrement dit, nous ne voyons pas comment vous pourriez accepter que le contrevenant contre lequel sont engagées des poursuites soutienne devant le juge de contravention de grande voirie que ces poursuites sont susceptibles d'entraîner des désordres. Cela reviendrait à lui permettre de se prévaloir de troubles, dont il pourrait être lui- même le fauteur, pour exiger que l'administration s'abstienne de le poursuivre. Et cela vous conduirait en outre à ouvrir la voie d'un contrôle juridictionnel des motifs ayant conduit l'administration à engager des poursuites. Or nous ne pensons pas que la jurisprudence Association des Amis des Chemins de Ronde puisse être comprise comme remettant en cause les solutions antérieures, en vertu desquelles vous avez toujours refusé que la personne poursuivie soit admise à faire valoir que les poursuites dont elle fait l'objet procèdent de motifs étrangers à la préoccupation d'assurer la protection du domaine public. Nous pensons donc que les considérations tirées des nécessités de l'ordre public ne peuvent être invoquées que par l'administration, lorsqu'il lui appartient de justifier un éventuel refus de mettre en œuvre des poursuites, et qu'elles sont étrangère au débat qui peut se nouer devant le juge, lorsque ce dernier statue sur des poursuites effectivement engagées. Si vous partagez cette analyse, vous en déduirez que le moyen tiré des risques de trouble à l'ordre public était bien inopérant et que l'argumentation par laquelle les requérants critiquent devant vous la manière dont la cour y a répondu l'est tout autant ». Retour au texte
5 « Dès qu'il est saisi par le préfet d'un procès-verbal constatant une occupation irrégulière du domaine public, et alors même que la transmission n'est ni assortie, ni suivie de la présentation de conclusions tendant à faire cesser l'occupation irrégulière et à remettre le domaine public en l'état, le juge de la contravention de grande voirie est tenu d’y faire droit sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n’y fassent obstacle. Il en résulte que, lorsque l'atteinte au domaine public procède de l'édification d'un ouvrage public, c'est au seul préfet qu'il appartient d'apprécier si une régularisation de la situation de l'ouvrage public demeure possible et si sa démolition entraînerait, au regard de la balance des intérêts en présence, une atteinte excessive à l'intérêt général, soit avant d'engager la procédure de contravention de grande voirie en transmettant au juge le procès verbal, soit après l'engagement de la procédure dont il peut se désister ». En l’espèce : « la cour a commis une erreur de droit en se fondant sur ce que la régularisation de la situation de l’ouvrage public constitué par le socle du parvis était possible, d’une part, et que sa démolition au regard de la balance des intérêts en présence aurait constitué une atteinte excessive à l’intérêt général, d’autre part, pour juger que la commune de Fréjus était fondée à soutenir que c’était à tort que le tribunal administratif de Nice avait prescrit la suppression de cet ouvrage public ». Retour au texte
6 « 17. Le syndicat appelant soutient enfin que la démolition des aménagements en litige porterait une atteinte excessive à l’intérêt général dès lors que leur maintien est compatible avec l’affectation publique du domaine public maritime naturel et ne constitue aucun obstacle à la libre circulation du public. Toutefois, il appartient au seul préfet d’apprécier si la démolition des ouvrages implantés sur le domaine public entraînerait, au regard de la balance des intérêts en présence, une atteinte excessive à l’intérêt général, soit avant d’engager la procédure de contravention de grande voirie en transmettant au juge le procès verbal, soit après l’engagement de la procédure dont il peut se désister. Ainsi qu’il a été dit au point 5, saisi d’un procès‑verbal constatant une occupation irrégulière du domaine public, le juge de la contravention de grande voirie est tenu d’ordonner la remise en état du domaine public. » Retour au texte
7 D’autres cours s’étaient engagées dans cette voie avant la confirmation de 2018. Voyez notamment CAA Nantes, 28 novembre 2014, M. Jean-Régis Paulhac no 13NT00202 qui écarte comme non fondé et non comme inopérant ce type de moyen (« 7. Considérant, en second lieu, en tout état de cause, que M. Paulhac n’établit pas que les opérations de démolition de la terrasse implantée sur le domaine public maritime seraient susceptibles d’entraîner des risques pour la sécurité publique ou l’ordre public faisant obstacle à l’exercice des poursuites auquel l’administration est normalement tenue en vue de rendre les lieux, ainsi qu’il a été dit plus haut, dans un état conforme à leur affectation publique ; qu’il n’établit pas davantage que cette terrasse dont il résulte de l’instruction, notamment de la note du 25 octobre 2011 du service territorial de l’architecture et du patrimoine qu’elle n’est, ni classée au titre des monuments historiques, ni inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et ne bénéficie pas du label “ patrimoine du XXe siècle ” ou du label délivré par la Fondation du patrimoine, présenterait un intérêt historique ; qu'enfin, le coût des opérations de démolition pour le contrevenant est sans incidence sur l’obligation de remise en état des lieux ; ». Retour au texte
8 CE, 8e et 3e ssr, 13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété « La Joie de Vivre », no 474211, aux T. Retour au texte
9 CE 1er mars 1967, ministre des Postes c/ Mlle Lescot, no 69375, rec. p. 101 ; CE 29 nov. 1978, Salle, no 3862, rec. p. 479, concl. B. Genevois ; CE 21 juin 1993, Entreprise Plouzennec, no 112774 Retour au texte
10 CE 12 nov. 1980, Entreprise Jagou, no 5176 ; 15 déc. 2000, Sté SCREG-Est, no 195209 Retour au texte
11 Le Conseil d’Etat a estimé que la notification d’un procès-verbal établi plus de sept ans auparavant était de nature à priver un contrevenant de la possibilité de rassembler des preuves utiles pour sa défense (CE, 30 avr. 1997, Soccram, no 132753, rec. p. 182, conclusions G. Bachelier). En l’espèce le délai est de quelques mois. La jurisprudence admet des délais beaucoup plus longs : voir par exemple CE 19 sept. 2018, Sté Entreprise nationale de transport maritime de voyageurs, no 415044. Ajoutons qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impartit à l’autorité compétente un délai pour dresser procès-verbal de constat d’une contravention de grande voirie après qu’elle a eu connaissance de l’infraction (Notamment CAA Nantes 27 décembre 2013 no 12NT02081, 12NT02082, M. Philippe N). De même aucune disposition n’impose que le procès-verbal constatant une contravention de grande voirie soit établi contradictoirement (Notamment CAA Nantes 27 décembre 2013 nos 12NT02081, 12NT02082, M. Philippe N ; CE 1er juillet 1964, Sieur Verdier, au Rec. p. 371 ; CAA Bordeaux, 21 avril 2011, M. et Mme D, no 10BX01532). Retour au texte
12 Décision CC 2013-316 QPC du 24 mai 2013, SCI Pascal et autres. Retour au texte
13 CE, 27 février 1998, ministre de l’Équipement, des transports et du logement c/ société Sogeba, no 169259. Retour au texte
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