La recevabilité de l’action en revendication immobilière soumise pour la première fois en appel

DOI : 10.35562/bacage.573

Décision de justice

CA Grenoble, 1re ch. – N° RG 20/04152 – 13 décembre 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 20/04152

Date de la décision : 13 décembre 2022

Résumé

La revendication immobilière fondée sur l’usucapion n’est pas une prétention nouvelle en appel lorsqu’elle est invoquée pour faire échec à l’action en bornage du défendeur.

En l’espèce, il s’agit d’abord d’un désaccord né entre deux voisins à propos de la délimitation de leurs fonds respectifs. Les consorts N sont propriétaires indivis d’une parcelle reçue par succession et qui est contiguë à celle appartenant aux époux N. Après échec de la conciliation, le tribunal judiciaire de Gap, par jugement du 2 septembre 2020, a ordonné le bornage des parcelles contiguës suivant la solution n° 2 préconisée par le rapport d’expertise établi par un géomètre expert désigné par jugement avant dire droit. Ainsi, le bornage a été ordonné de la manière suivante : les zones A et B litigieuses ont été rattachées au fonds des époux O et la servitude de passage au bénéfice des consorts N, dans la zone B, a été maintenue. Néanmoins, à un problème apparent de bornage s’ajoute, en réalité, une question de propriété relative à la contenance de ces deux parcelles contiguës. En ce sens, les consorts N ont interjeté appel de ce jugement, et revendiquent, à titre principal, la propriété des zones A et B qu’ils auraient acquis par usucapion. Ils sollicitent, en outre, que le bornage des parcelles contiguës soit établi en conséquence, ce qui correspond à la solution n° 1 préconisée par le rapport d’expertise judiciaire. En défense, les époux O relèvent que l’action en revendication immobilière des consorts N est une prétention nouvelle en appel, de sorte qu’elle est irrecevable.

La 1re chambre civile de la Cour d’appel de Grenoble, par un arrêt en date du 13 décembre 2022, a confirmé le jugement rendu en première instance. Les juges d’appel ont, d’abord, recherché si la revendication immobilière des zones A et B, sollicitée par les consorts N, constituait une prétention nouvelle irrecevable par application de l’article 564 du Code de procédure civile. Bien que cette disposition ne définit pas expressément la notion de prétention nouvelle, il est communément admis « qu'une prétention doit être considérée comme nouvelle en appel dès lors qu'elle diffère de la prétention soumise aux premiers juges par son objet et par les parties qui en sont les auteurs ou les qualités de celles-ci. »1. En l’espèce, les juges d’appel estiment que la qualification de prétention nouvelle « est sujette à discussion ». En effet, à l’appui du jugement rendu en première instance, ils relèvent qu’au titre des prétentions formulées par les consorts N en défense devant le tribunal d’instance, il était demandé l’homologation de la solution n°1 du rapport d’expertise judiciaire et jugeait que les « les zones A et B sont leur propriété ». De plus, ils constatent qu’au soutien de leurs prétentions en première instance, les consorts N arguaient que la propriété de la zone A « sur laquelle aurait été édifié un escalier » faisait partie de leur parcelle et, d’autre part, que la zone B était « utilisée principalement par eux-mêmes » et apparaissait « comme leur propriété sur le cadastre datant de 1936 ». Si la distinction entre l’action en revendication immobilière et l’action de bornage est clairement établie en théorie, la dualité de qualification peut s’avérer moins limpide en pratique. Les deux problèmes juridiques se trouvent, en effet, souvent mêlés. En l’espèce, il apparaît que le litige en première instance n’avait pas pour objet l’établissement de la limite matérielle séparative des deux fonds, mais en réalité la reconnaissance du droit de propriété des consorts N sur les zones A et B limitrophes à leur parcelle. Aussi, l’action en bornage aurait dû être requalifiée en action en revendication immobilière. Néanmoins, en l’absence de requalification, comme le souligne la Cour d’appel, le premier juge ne s’est « pas prononcé sur la propriété de ces deux zones ». La revendication des zones A et B sur le fondement de l’usucapion constitue ainsi une prétention nouvelle en appel, dès lors qu’elle n’a pas le même objet que l’action en bornage qui a pour effet de fixer les limites des fonds contigus sans en attribuer la propriété. La Cour d’appel de Grenoble applique en la matière une solution clairement posée par la Cour de Cassation2. Toutefois, l’irrecevabilité de la prétention nouvelle des consorts N est écartée par la Cour d'appel sur le fondement de l’une des exceptions énoncées in fine à l’article 564 du Code de procédure civile. En effet, les prétentions nouvelles en appel ne sont pas irrecevables, notamment lorsque qu’elles sont destinées à « faire écarter les prétentions adverses ». En l’espèce, les juges d’appel estiment à juste titre que la revendication immobilière des zones A et B par les consorts N est de nature à écarter la demande de bornage sollicitée par les époux O en première instance. Il n’empêche que la motivation aurait mérité d’être un peu plus étoffée sur ce point. Les juges se contentent, en effet, d’énoncer que le bornage « ne peut être opéré que pour la fixation de la limite entre des fonds appartenant à des propriétaires différents ». A priori, il faut comprendre que l’incertitude concernant la propriété des zones A et B empêche la caractérisation de deux propriétés distinctes, de sorte que les conditions du bornage, sollicité en première instance par les époux O, ne sont pas remplies.

La recevabilité de l’action en revendication des consorts N ne saurait préjuger de son bienfondé. En l’occurrence, la Cour d’appel Grenoble retient que les requérants, sur qui repose la charge de la preuve de l’usucapion, parviennent à démontrer ni la possession à titre de propriétaire des zones litigieuses, ni le caractère non équivoque de la possession requis par l’article 2261 du Code civil, dès lors qu’ils n’ont pas une « exclusivité d’accès sur cette zone ». Cet arrêt illustre ainsi la principale difficulté de l’acquisition de la propriété par usucapion qui réside dans la preuve de la possession du bien. La Cour d’appel de Grenoble confirme ainsi le bornage prononcé en première instance. En l’absence de titres communs et concordants produits aux débats par les parties au litige, les juges du fond apprécient souverainement la limite matérielle des deux fonds contigus au regard d’un « ensemble d’informations suffisant », ayant la valeur d’indices, composé en l’occurrence de documents cadastraux, des constatations expertales et d’attestations versées aux débats.

Notes

1 N. Gerbay, JCl. Procédure civile, fasc. 900-95, § 9. Retour au texte

2 Par ex., Cass. civ. 3e, 10 oct. 2019, n° 17-14.708. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Julie Bukulin, « La recevabilité de l’action en revendication immobilière soumise pour la première fois en appel  », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 05 octobre 2023, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=573

Auteur

Julie Bukulin

Docteure de l’Université Grenoble-Alpes ; Qualifiée aux fonctions de Maître de conférences

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